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#1 12/10/2019 18h08
- PavelK
- Membre (2017)
- Réputation : 28
Il y a beaucoup des discussions en ce moment autour de "liquidity squeeze" qui a eu lieu sur le marché interbancaire américain. Je voudrais avoir votre avis et partager ma compréhension/vision.
Je peux me tromper mais selon ce que je comprends il y a 2 marchés:
Overnight REPO ou les banques ayant des excès des liquidités prêtent à celle qui manquent de liquidité. Ces prêts à très court terme sont fait dans le but de respecter les normes des réserves fixées par la réglementation Bâle. Ce dernier distingue ce marché très particulier avec le marché de dette interbancaire à moyen terme/long qui est bien plus "classique" ou les banques prêtent entre elles pour des diverses raisons (LIBOR, EURIBOR).
En 2007, 2008, 2009 c’est bien le taux LIBOR qui était sous pression à cause de la solvabilité des banques.
La flambé du taux REPO mi-Septembre 2019 ne signifie pas nécessairement qui les banques ne se font plus confiance, surtout à très court terme (comme dit Olivier Delamarche ).
Mais cela signifie que une ou plusieurs banques qui prêtent ces liquidités excédentaires n’a pas voulu le faire et les banque en besoin de liquidité se sont retrouvées sans l’offre suffisant.
Alors la Banque de NY est intervenu en injectant 200 milliards, a mis en perfusion ce marché pour 2 semaines et après ces 2 semaines (jour pour jour) Powell annonce des nouveaux rachats de 60 milliards par mois et refuse d’appeler cela une nouvelle QE.
La question que je me pose. La flambée des taux à 10% correspond au moment d’envolé du pétrole. Est-il possible que une des banques ayant des liquidités abondantes avez une position Short démesurée correlée au marché pétrolier. Puis suite à une énorme perte n’a pas eu de liquidité habituelle à proposer aux autres banques? Peut être c’est pas le pétrole, mais autre actifs ou n’importe quel autre problème d’une banque considérée "solide".
Les banques américaines publient leur trimestrielles la semaine prochaine. Je me demande s’il y a de surprise qui serait révélé à ce moment là?
Mots-clés : liquidité, marché interbancaire, repo
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#2 12/10/2019 18h54
- bet
- Membre (2012)
- Réputation : 73
Il semblerait que le problème provienne notamment du retrait du marché de JP Morgan, qui apportait beaucoup de liquidités, et surtout, beaucoup plus grave, du doute qui est apparu sur la valeur de la garantie apportée: les bonds du Trésor se prêtent entre intervenant et certains seraient, à travers des prêts successifs, apportés plusieurs fois en garantie, ce qui rend la garantie aléatoire… Si c’est avéré, plus de repo entre institutions sans passer par la Fed, cela rappelle la crise grecque en plus grave.
J’insiste sur les conditionnels.
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#3 12/10/2019 20h32
- Stouf
- Membre (2015)
Top 50 Obligs/Fonds EUR - Réputation : 78
PavelK, bet,
Ça a été discuté ici
Mon dernier article sur SA: Global Supply Shortages: Investing In Containers Through Preferred Shares- Parrainage Degiro
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6 #4 13/10/2019 15h28
- Scipion8
- Membre (2017)
- Réputation : 2535
Quelques clarifications générales essentielles (au-delà de la situation particulière actuelle aux USA) :
1) Le marché monétaire est le marché sur lequel les entreprises, bancaires ou non-bancaires, s’échangent des capitaux sur des maturités "courtes" (jusqu’à 12 mois).
2) Le marché interbancaire est un segment clef du marché monétaire, sur lequel les banques s’échangent entre elles la liquidité.
3) La banque centrale intervient régulièrement sur le marché monétaire, en principe uniquement avec les banques comme contreparties. La banque centrale peut ainsi absorber ou injecter de la liquidité du système bancaire.
4) Les opérations d’injection de liquidité sont de 2 sortes :
- Des injections à court terme de liquidité par des prêts collatéralisés (repos), de maturité allant typiquement de un jour (opérations overnight = au jour le jour = remboursées le lendemain) à 3 mois. Exceptionnellement, la maturité de ces injections peut être beaucoup plus longue (jusqu’à 4 ans pour les TLTRO de la BCE). Ce sont des opérations de "marché libre" (open market) : les banques sont libres ou non d’y participer.
- Des achats fermes d’actifs, typiquement des titres de bonne qualité (surtout des obligations souveraines) : c’est la technique utilisée notamment pour le QE. En remplaçant des titres par du cash dans le bilan des banques, la banque centrale injecte de la liquidité de façon "forcée". Cette injection de liquidité n’est néanmoins par permanente : si la banque centrale revend les titres, ou quand les obligations achetées par la banque centrale viennent à maturité (= l’Etat rembourse le principal + intérêts à la banque centrale), il y a absorption de liquidité.
5) Les opérations d’absorption de liquidité sont de 4 sortes :
- La banque centrale impose aux banques la constitution de réserves obligatoires, calculées en pourcentage de leurs dépôts. Chez les banques centrales les plus évoluées comme la BCE ou la Fed, la constitution des réserves obligatoires se fait en moyenne sur une période d’environ un mois (maintenance period). Le non-respect par une banque de ses réserves obligatoires entraîne de lourdes sanctions pécuniaires pour la banque, allant jusqu’au retrait de son éligibilité aux opérations de la banque centrale.
- La collection de dépôts à court terme : la banque centrale peut offrir aux banques des dépôts à court terme, de maturité allant typiquement d’une journée à 3 mois. Le taux de rémunération de ces dépôts est le taux directeur (ou un taux proche du taux directeur).
- L’émission par la banque centrale de titres (bons ou certificats de dépôt), qui ne portent aucun risque de crédit (puisque la banque centrale est par définition la seule entité qui ne peut jamais faire défaut dans sa monnaie). Les banques peuvent acheter ces titres et se les échanger. La rémunération de ces titres est le taux directeur (ou un taux proche du taux directeur).
- Les ventes d’actifs par la banque centrale : ces opérations remplacent du cash par des actifs sur le bilan des acheteurs, donc elles absorbent définitivement de la liquidité.
6) C’est par ses interventions sur le marché monétaire que la banque centrale met en oeuvre et transmet sa politique monétaire : le taux directeur de la banque centrale sert de référence aux opérations d’injection et d’absorption de la banque centrale.
Il faut bien comprendre cela : si le système bancaire est absolument "à l’équilibre" du point de vue de la liquidité, alors il n’a pas besoin de la liquidité de la banque centrale, et il n’a pas d’excédent à placer à la banque centrale : alors la banque centrale ne peut pas transmettre aux banques son taux directeur, c’est-à-dire sa politique monétaire. Du point de vue de la politique monétaire, il est donc essentiel que le système bancaire ne soit pas à l’équilibre !
7) Si le système bancaire a structurellement un besoin de la liquidité, alors la banque centrale injecte de la liquidité, à un taux égal ou proche de son taux directeur.
Si le système bancaire a structurellement un excès de liquidité, alors la banque centrale absorbe de la liquidité, à un taux égal ou proche de son taux directeur.
8) Dans les 2 cas, le taux directeur de la banque centrale va influencer les conditions de financement des banques. Les banques vont répercuter leur coût moyen de financement aux agents économiques (ménages, entreprises, Etat) en y ajoutant une marge reflétant (i) le risque de crédit associé à ces différents emprunteurs, (ii) leurs coûts opérationnels (réseau d’agences etc.) et (iii) leurs objectifs de profitabilité (dans un environnement compétitif).
Les conditions de financement des agents économiques sont ainsi (très) indirectement influencées par le taux directeur de la banque centrale : c’est la transmission de la politique monétaire. La banque centrale peut ainsi exercer une influence contracyclique sur l’économie, en baissant son taux directeur (donc les conditions de financement des agents économiques) en cas de récession, et en l’augmentant en cas de surchauffe de l’économie. Cela permet à la banque d’atteindre son objectif de maintien de la stabilité des prix (= éviter les 2 risques opposés : l’hyper-inflation et la déflation).
9) Que fait la banque centrale si le système bancaire est à l’équilibre, c’est-à-dire qu’il n’a structurellement ni besoin de liquidité (à assouvir via les opérations d’injection de la banque centrale) ni excédent de liquidité (à placer auprès de la banque centrale via ses opérations d’absorption) ?
Dans cette situation (où elle ne peut pas transmettre son taux directeur), la banque centrale crée un déséquilibre ! C’est le rôle des réserves obligatoires : la banque centrale augmente alors les coefficients des réserves obligatoires (= le pourcentage des dépôts bancaires qui doit être conservé par chaque banque sur son compte à la banque centrale), pour rendre le système bancaire "dépendant" de ses opérations d’injection… et donc pouvoir transmettre son taux directeur / sa politique monétaire !
10) Sur le marché monétaire, les emprunteurs de liquidité peuvent lever des fonds de 2 façons :
- De façon titrisée (securitized) : l’emprunteur (banque ou autre entreprise) émet des titres de maturité courte (jusqu’à 12 mois) : billets de trésorerie, certificats de dépôts… C’est un marché très développé en France.
- De façon non-titrisée : il s’agit d’une opération de prêt / emprunt sans émission d’un titre.
Typiquement, la forme titrisée domine sur les maturités "longues" (de 3 à 12 mois), alors que la forme non-titrisée domine sur les maturités "courtes" (du jour-le-jour à 3 mois).
11) Il y a 2 façons bien distinctes de s’échanger de la liquidité de façon non-titrisée :
- Les prêts "en blanc" (unsecured) : les banques s’échangent de la liquidité sans que l’emprunteur ne fournisse d’actifs en garantie (collateral) au prêteur. Le prêteur prend donc un risque de crédit sur l’emprunteur, et demandera une compensation de ce risque via un taux d’intérêt plus élevé que s’il avait une garantie.
- Les prêts collatéralisés (secured) : l’emprunteur fournit au prêteur un actif en garantie afin de faire baisser le coût de l’emprunt.
Typiquement, les emprunts collatéralisés dominent sur les maturités dépassant quelques jours (surtout depuis la dernière crise), alors que les prêts en blanc sont surtout utilisés sur des maturités très courtes (au jour-le-jour = overnight, notamment).
12) Il y a 2 techniques de collatéralisation pour effectuer un prêt collatéralisé :
- Le nantissement (pledge) consiste à déposer l’actif fourni en garantie sur un compte bloqué, au nom de l’emprunteur, chez le prêteur. Le prêteur n’aura pas accès à l’actif pendant la durée du prêt ; en revanche il pourra le saisir si l’emprunteur fait défaut. L’emprunteur devra soumettre une demande au prêteur s’il souhaite changer l’actif nanti pendant la durée du prêt.
- La pension livrée (repurchase agreement = repo) est une opération d’achat / vente de l’actif fourni en garantie : l’emprunteur vend son titre à l’instant "t0" au prêteur, et le prêteur s’engage à lui revendre cet actif à l’instant "t0+m" ("m" étant la maturité du repo), à un prix agréé par les 2 parties. Le différentiel entre les prix des 2 transactions correspond à la rémunération du prêteur.
Contrairement au nantissement, il y a changement de propriété de l’actif pendant la durée du repo : pendant ce temps, l’actif est la propriété légale du prêteur. Si l’emprunteur fait défaut, le prêteur garde simplement l’actif : le repo est donc considéré comme juridiquement très sûr (davantage que le nantissement).
13) Du fait de la supériorité juridique du repo, c’est la technique utilisée pour collatéraliser à la fois la plupart des opérations de prêt de la banque centrale (qui ne prête jamais sans garanties) et l’essentiel des opérations interbancaires, en tout cas aux USA et en Europe. (Nous disséminons maintenant cette technique dans les pays émergents, la substituant aux prêts en blanc ou au nantissement, moins sûrs.)
Donc le scénario décrit par Bet, l’utilisation multiple d’un même actif pour différentes opérations, n’est pas possible - juridiquement et techniquement - grâce à l’utilisation du repo.
14) Les actifs utilisés en garantie pour les repos interbancaires et les repos de la banque centrale sont principalement des titres de qualité supérieure, notamment des obligations souveraines (govies), d’Etats notés au moins A ou AA par les agences de notation (donc des notations le plus souvent bien meilleures que celles des banques). Sur le marché monétaire on appelle souvent ce collatéral de bonne qualité GC (General Collateral).
Les banques font utiliser ce collatéral de bonne qualité dans leurs repos, plutôt que des actifs de moindre qualité, pour faire baisser leur coût d’emprunt (du point de vue des emprunteurs) ou réduire leur risque (du point de vue des prêteur).
La banque centrale, elle, est juridiquement contrainte à n’accepter que du collatéral de bonne qualité dans ses opérations de politique monétaire. Elle publie une liste d’actifs éligibles comme garantie.
15) La banque centrale et les banques prêteuses ne se contentent pas de prendre des actifs en garantie pour réduire leur risque : elles appliquent différentes mesures de gestion du risque à ces actifs en garantie :
- actualisation à la valeur de marché des actifs en garantie
- appels de marge = l’emprunteur doit fournir davantage d’actifs en garantie (ou du cash) si l’actif en garantie s’est déprécié de plus de X%
- des décotes (haircuts) sont appliquées à la valeur de marché des actifs en garantie, selon les risques perçus : la décote sera bien supérieure pour une obligation souveraine grecque, par exemple, que sur un Bund allemand. Si la décote est de 20%, un actif de valeur 100 ne permettre à l’emprunteur que de recevoir au maximum 80 en cash.
- une surcollatéralisation peut être appliquée : le prêteur peut demander du collatéral supplémentaire à l’emprunteur, au-delà de l’application des décotes
- des limites de concentration des risques peuvent être appliqués par le prêteur pour empêcher que le pool d’actifs en garantie soit insuffisamment diversifié ou trop concentré (par exemple trop d’obligations du même émetteur).
16) Du fait de la sécurité juridique du repo et de toutes ces mesures de gestion du risque, l’architecture du marché interbancaire et des opérations de la banque centrale est très robuste.
Lehman Brothers (présente en Allemagne) a emprunté auprès de la BCE, juste avant sa faillite en septembre 2008. Quand elle a fait défaut, la Bundesbank a saisi le collatéral (surtout des ABS bien notés mais en fait de qualité médiocre). Cela a pris du temps, mais la Bundesbank a progressivement liquidé tous ces actifs sans faire la moindre perte. Il est exceptionnel (voire impossible) pour une banque centrale de faire une perte sur ses opérations de prêts, si elle fait correctement son travail.
C’est cette structure robuste du repo et de la gestion de risques qui permet aussi de limiter les effets de contagion directs (= les pertes des banques sur des opérations interbancaires) quand une banque, même systémique, fait défaut.
17) S’agissant de la liquidité, les banques ont des obligations de 2 sortes :
- la constitution de réserves obligatoires auprès de la banque centrale
- la détention suffisante d’actifs liquides pour faire face à des chocs de liquidité : c’est une obligation prudentielle mise en place par les régulateurs depuis Bâle III, notamment par la mise en place du LCR (Liquidity Coverage Ratio)
Le LCR impose à chaque banque de détenir suffisamment d’actif liquides de haute qualité (HQLA, High Quality Liquid Assets) pour faire face à un scénario de stress sur ses sources de financement (baisse des dépôts à vue de X%, non renouvellement des emprunts bancaires de Y% etc., sur une période de 30 jours). Le périmètre des HQLA et le scénario de stress sont précisément définis par le régulateur. Le LCR doit être supérieur à 100%, c’est-à-dire que le stock de HQLA doit excéder le besoin potentiel de liquidité hypothétique résultant du scénario de stress.
18) Les HQLA dont la détention suffisante est rendue obligatoire par Bâle III doivent être (par définition) :
- de bonne qualité : il s’agit notamment d’obligations souveraines (govies), des réserves à la banque centrale etc.
- disponibles (unencumbered) : pour être pris en compte dans le calcul du LCR, les actifs ne doivent être ni nantis ni mobilisés dans des opérations de repo.
19) Pour la faire courte, la situation actuelle sur le marché monétaire US est manifestement le résultat d’un changement de la gestion de leur liquidité par les banques, notamment par conséquence de ces nouveaux ratios prudentiels : contrairement à la situation d’avant crise / avant Bâle III, les banques US souhaitent conserver un montant suffisamment de réserves excédentaires à la banque centrale, et de govies disponibles (unencumbered).
Or, les titres achetés par la Fed lors de son QE viennent progressivement à maturité, réabsorbant de la liquidité. La baisse progressive de la liquidité excédentaire du système bancaire US a simplement révélé le besoin accru de réserves de précaution du système bancaire US.
Ce besoin de liquidité, mis à jour par la réduction du portefeuille de QE de la Fed, est le résultat manifeste du nouvel environnement réglementaire, et non de scénarios de risques imaginaires qu’aucun élément tangible ne vient démontrer (en particulier, si une banque avait des besoins particuliers de liquidité, son identité aurait filtré depuis longtemps…).
Cette situation nouvelle n’est pas un problème, au contraire : elle reflète une gestion plus prudente de la liquidité par les banques US. C’était précisément l’objectif de Bâle III, en particulier du LCR.
Et une banque centrale (a fortiori la Fed) peut gérer sans problème cette situation.
Je conseille à tous ceux qui se sont intéressés ou inquiétés, au sujet des récents repos de la Fed, de bien lire toutes ces informations de base sur le fonctionnement du marché monétaire (même si je suis conscient que mon message est long et un peu technique) : ils en sauront bien plus que 99% des commentateurs Youtube qui n’ont manifestement pas fait cet effort de recherche.
PS : Pavel, j’espère qu’il sera maintenant clair pour vous que le marché monétaire ne vise pas (ou pas seulement) à permettre aux banques de remplir leurs obligations prudentielles. En revanche, c’est vrai que les contraintes prudentielles ont un impact sur le marché monétaire. Je reviendrai sur l’autre file sur vos autres questions et remarques.
Dernière modification par Scipion8 (13/10/2019 18h18)
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#5 15/01/2020 09h58
- idamante
- Membre (2014)
- Réputation : 48
Que faut-il penser de cet article du WSJ d’hier FED/Hedge Funds où il est question de nouveau dispositif en rapport avec le stress actuel sur le repo market US? Philippe Béchade en parle succintement ici : Finance casino
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#6 15/01/2020 11h02
- Scipion8
- Membre (2017)
- Réputation : 2535
La première chose à dire, c’est que JPMorgan a publié hier des résultats plutôt bons : oh, une paille - juste 36,4 milliards $ de profits sur 2019… Citigroup a aussi publié de bons résultats, ceux de Wells Fargo étant plus décevants.
Je rappelle que, depuis des mois, Béchade, Gave, Delamarche et autres Grands Angle nous répètent à l’envi, et avec la certitude des experts, que les opérations de repo de la Fed signalent des problèmes graves dans le système bancaire américain, et que JPMorgan est évidemment le maillon faible.
Manifestement, la réalité n’est pas d’accord avec eux, et les marchés encore moins. (Je suis actionnaire de JPMorgan, et bien content !)
S’agissant des rumeurs sur un accès "direct" des hedge funds à la Fed, je n’arrive pas à trouver de source primaire et l’article du WSJ est payant.
De façon générale, une banque centrale injecte de la stabilité dans 3 situations :
1) pour la politique monétaire : la banque centrale gère la liquidité bancaire pour leur "transmettre" son taux directeur. C’est ce que fait la Fed avec ses repos.
2) pour la stabilité financière : c’est la fonction de prêteur en dernier ressort : la banque centrale fournit de l’Apport de Liquidité d’Urgence (Emergency Liquidity Assistance, ELA) à des institutions solvables faisant face à des problèmes temporaires de liquidité, pour empêcher leur faillite (et des conséquences néfastes sur l’ensemble du système si l’institution est d’importance systémique).
3) pour les systèmes de paiement : si une institution a un problème de liquidité pour des raisons purement techniques, la banque centrale peut activer une facilité intrajournalière de crédit pour fournir la liquidité nécessaire, et empêcher des blocages en chaîne dans les systèmes de paiement.
Toutes ces opérations sont collatéralisées par des actifs de bonne qualité (du type obligations souveraines, notamment).
Les règles d’éligibilité sont différentes pour les 3 types d’opérations, et selon les banques centrales :
- Les opérations de l’Eurosystème (dans les 3 cas) sont réservées aux banques éligibles (environ 3000 dans la zone euro) = des banques solvables respectant leurs obligations vis-à-vis de la BCE (réserves obligatoires, notamment).
- Les opérations de politique monétaire de la Fed sont en général réservées aux grandes banques américaines, qui se chargent de redistribuer ensuite cette liquidité aux petites banques et autres institutions non-bancaires sur le marché monétaire américain (assureurs, hedge funds etc.).
- Les opérations de stabilité financière de la Fed (ELA) sont parfois dirigées vers des institutions non-bancaires, comme le sauvetage de l’assureur AIG (jugé systémique) en 2008.
Dans mon job je dois définir mettre en place ces 3 types d’opérations et définir les règles d’éligibilité (par exemple si des institutions de microfinance doivent avoir un accès direct à la banque centrale ou pas). Il n’y a pas de modèle unique et universel, il faut s’adapter au contexte du pays, au fonctionnement du marché monétaire etc. Mais 2 règles absolues que je m’impose est que (a) toute fourniture de liquidité par la banque centrale doit être collatéralisée et (b) seules des institutions faisant l’objet d’une supervision officielle peuvent avoir accès à la banque centrale. Il s’agit de protéger le bilan et la réputation de la banque centrale.
Dans le cas d’espèce pour la Fed, ma compréhension est que la Fed envisagerait d’accorder un accès indirect aux petites banques et certaines institutions non-bancaires à sa liquidité (certaines opérations de politique monétaire), via la FICC (Fixed Income Clearing Corporation), la chambre de compensation (clearing house) pour les produits à taux fixe aux USA (obligations, MBS). Evidemment, ces opérations seraient collatéralisées avec les mêmes règles de collatéral que pour les grandes banques.
Il faudrait que je vois une source primaire (la Fed) pour exprimer une opinion sur ce mécanisme, mais à mon sens, si cette rumeur est fondée, elle suggèrerait que la Fed considère que les tensions sur le marché monétaire US ne sont pas dues aux grandes banques, mais à la circulation de la liquidité entre les grandes banques et les petites banques et/ou des institutions non-bancaires sur le marché monétaire US.
C’est ce que je ne cesse de répéter sur ce sujet : des tensions sur le marché monétaire sont plus souvent dues à une gestion conservatrice de la liquidité par les prêteurs (les grandes banques) qu’à des problèmes chez les emprunteurs… En l’occurrence, il est probable que le nouvel environnement réglementaire (Bâle III) et le traumatisme de la crise de 2007-2008 incite les grandes banques US à être plus sélectives dans leurs portefeuilles de clients. C’est ce que je peux voir "chez moi" en Afrique, où l’accès des banques africaines à la liquidité $ s’est beaucoup compliqué ces dernières années. Manifestement, ce processus de sélection des clients est aussi à l’oeuvre sur le marché intérieur US.
Bref, je conseille à tout le monde d’attendre les éventuelles annonces de la Fed et de les consulter directement, et d’arrêter de lire nos zigotos domestiques du type Béchade ou Gave, qui n’y comprennent rien.
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