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1    #776 21/12/2020 09h49

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Bonjour Scipion,

magnifique performance de portefeuille. Amplement méritée au vu de l’effort réalisé pour choisir les centaines de titres qui le constituent, presque un millier, whaou !

Moi aussi, je réagis à votre remarque concernant les "marchés sains" en Europe. Je suis en effet perplexe face à la situation actuelle, où je pense que l’on manque de repères. En tout cas, moi j’en manque…
Un scénario "à la grecque" est-il réellement possible pour l’ensemble de l’Europe du Sud (France, Italie, Espagne/Portugal)? Si la France faisait défaut, le concept de zone Euro pourrait-il survivre?

Dit autrement, est ce que de toute manière, nous n’avons pas passé un point de non retour: nos collègues européens plus frugaux que nous sont sur le même bateau; le plus probable n’est-il donc pas que le système Euro et la BCE vont faire "tout ce qu’il est possible" pour sauver facialement la situation?
Bref, comme disait Mario en son temps "Nous ferons ce qu’il faudra et croyez-moi, ce sera suffisant"… Désormais c’est Christine qui est aux manettes, le plus probable est qu’elle va poursuivre cette action…cela peut durer longtemps.

Dans le même ordre d’idées: est-il encore temps de s’inquiéter pour une dette qui grimpe allégrement dans plusieurs pays d’Europe, quand d’autres zones comme le Japon et les USA sont dans une situation similaire en termes de dettes? Est ce que l’on ne se tient pas tous par la barbichette, comme on dit?

Il y a seulement quelques années, j’étais partisan d’une certaine orthodoxie budgétaire: on limite ses dettes car cela coûte cher en intérêts, et on cherche à les rembourser. Aujourd’hui, il me semble bien que nous ne pouvons plus conserver cette attitude. Il faudra a minima trouver des artifices (soit des taux d’intérêts élevés pour rembourser ensuite en monnaie de singe, soit des taux nuls pour rouler cette dette indéfiniment…) ou alors, carrément pratiquer une "excommunication financière" et accepter une sorte de défaut collectif? Cela paraît un peu dingue. Mais la réalité dépasse la fiction aujourd’hui, dans plusieurs domaines.

Voila cher Scipion, quelques interrogations. Si vous avez l’envie et le temps de partager votre avis en cette période peut-être un peu plus calme, Fêtes obligent, je vous en serai reconnaissant.

Bonne journée.

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Favoris 5    21    #777 21/12/2020 17h10

Membre (2017)
Réputation :   2535  

Bonjour,

Je reviendrai un peu plus tard sur les questions sur mon portefeuille et sur le risque souverain. Dans ce message j’essaie de répondre (enfin !) aux questions de Carabistouilles sur l’or, l’argent et la monnaie fiduciaire (devises fiat), sous une perspective historique de (très) long-terme. On m’autorisera donc ici de longues digressions historiques (pour ceux que ça intéresse, comme moi) ; je développerai les conséquences pratiques pour l’investissement (de mon point de vue) dans le contexte actuel dans un autre message.

Quelques clarifications pour Carabistouilles en introduction :

- Évidemment, par mon travail, j’ai un biais positif sur la monnaie fiduciaire, puisque c’est ma mission d’aider les banques centrales à rendre leur monnaie plus crédible, plus efficace pour servir au mieux les économies nationales.

- Mais c’est à mon avis une illusion d’opposer diamétralement les devises fiat et les métaux précieux, que les banques centrales possèdent en masse. Historiquement, la transition entre des systèmes monétaires métalliques et les devises fiat a été très graduelle et pas toujours irréversible (j’y reviendrai dans ce message).

- "La main qui me nourrit", c’est aussi celle qui nourrit l’ensemble de la population : quand une monnaie s’effondre, c’est toute la population qui trinque. La monnaie n’est qu’un symbole de confiance de la société dans l’ordre politique. Quand elle tangue, c’est l’État qui est en danger, donc la sécurité physique de chacun… qu’il ait ou non stocké des boîtes de conserve dans sa cave et des Napoléons dans son coffre.

- Je ne suis pas un "insider" sur les perspectives pour la bourse, l’or ou l’argent. Je travaille sur des questions très techniques de tuyauterie monétaire. J’ai davantage d’informations sur la bourse en lisant les forums que par mon travail. Dans le cadre de mon emploi, j’ai des restrictions sur le trading à court-terme (moins de 6 mois) sur l’or et les devises, et évidemment la stricte interdiction d’utiliser toute information d’insider dans mes investissements. Mais quand je travaille sur les marchés monétaires en Afrique, je reçois assez peu d’informations utiles pour mes investissements ;-)

- Si je vous réponds avec retard, ce n’est pas parce que votre question me gênerait (j’ai maintes fois parlé de ma perspective sur l’or sur ce forum), mais parce que je voulais (pour les lecteurs que ça intéresse et aussi pour moi) creuser un peu la réflexion par rapport à mes messages habituels sur le sujet jusqu’ici, en y ajoutant une perspective historique - un élément de culture générale utile pour moi dans mon job. Je n’ai pas la science infuse, ça demande un peu de lecture et de réflexion, et je suis à peine au début de ce chantier (je viens tout juste de compléter ma bibliothèque en ligne sur l’histoire financière).

Sous une perspective historique, voici donc quelques réflexions personnelles sur l’or, l’argent et les monnaies fiduciaires :

1) La perception de la monnaie est une construction sociologique et politique : Le statut d’une forme particulière de monnaie dépend toujours de sa perception par la société. Ces perceptions peuvent être radicalement différentes d’une société à l’autre, et elles peuvent radicalement changer au cours du temps : rien n’est inscrit dans le marbre. La "valeur" de l’or ou de l’argent pas plus que celle d’une autre forme de monnaie.

Un exemple : à leur grande surprise des Européens, les tribus indiennes du Canada n’avait guère d’intérêt pour l’or des premiers colons et commerçants européens qui souhaitaient leur acheter des marchandises. Ces derniers ont donc ajusté leur système monétaire en conséquence : l’unité monétaire de référence dans leurs échanges avec les Indiens était la fourrure de castor, qui servait d’unité de compte pour toutes les marchandises.

2) Le troc n’est pas une option : C’est un long débat entre historiens et anthropologues, mais historiquement il semble qu’il n’y ait jamais eu de société humaine entièrement fondée sur le troc - en tout cas on n’en a pas la preuve. Historiquement, le troc était plutôt utilisé comme moyen d’échange entre tribus hostiles qu’entre "amis". Entre amis, on se met rapidement d’accord sur l’usage d’une monnaie pour faciliter les échanges. Donc, d’un point de vue historique, l’explication de l’émergence des monnaies comme permettant d’éviter les aspects pénibles du troc (portabilité, absence de standardisation etc.) ne serait que purement théorique.

La préférence des humains pour la monnaie par rapport au troc continue de se vérifier à chaque "expérience" :

- Dans les camps de prisonniers de la Seconde Guerre Mondiale, la cigarette était ainsi la monnaie de référence - largement préférée au troc pour les échanges. La Convention de Genève permet en effet de faire travailler des prisonniers de guerre, mais contre une "rémunération". Cette rémunération ne pouvant être en "monnaie" classique (cash, or, argent), utilisable pour faciliter les évasions, elle se faisait généralement par d’autres moyens, notamment les cigarettes - dès lors utilisables comme monnaie.

- Dans les prisons américaines, depuis l’interdiction des cigarettes en 2003, les prisonniers utilisent les boîtes de maquereaux distribuées par l’administration pénitentiaire comme unité de référence de leur système monétaire.

3) Les métaux précieux ne sont que la monnaie de commodité de préférence de l’Occident, mais sont loin d’être incontournables : des sociétés ont pu très longtemps opérer des systèmes monétaires sans métaux précieux et sans monnaie fiduciaire : historiquement, les métaux précieux se sont finalement imposés grâce à leur durabilité, portabilité, divisibilité, fongibilité, standardisation et facilité d’identification. Mais d’autres monnaies de commodité ont longtemps fonctionné avec succès, y compris à l’échelle internationale, par exemple :

- Les coquillages, notamment le cauri (porcelaine-monnaie, monetaria moneta), ont très longtemps (et jusqu’à aujourd’hui !) servi de monnaie de commodité dans une zone économique très étendue, s’étendant de l’Afrique, l’Océan Indien, l’Asie, au Pacifique et à l’Amérique. Le cauri a d’abord servi de monnaie de commodité entre les régions côtières de ces régions, avant de s’étendre à l’intérieur des continents (notamment en Afrique, où il a été utilisé comme monnaie jusqu’au début du 20e siècle). Les cauris restent utilisés aujourd’hui comme monnaie dans les Îles Salomon et sur l’île de Nouvelle-Bretagne orientale en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où ils sont convertibles dans la monnaie fiduciaire nationale (kiva).

- La manille (anneau ouvert en bronze, cuivre ou laiton) a été utilisée en Afrique de l’Ouest comme monnaie de commodité dans les échanges avec les Européens, notamment pour le commerce des esclaves. Elles étaient portées en collier par les femmes pour afficher la réussite de leurs époux. Dans les pays anglophones d’Afrique de l’Ouest les manilles ont été utilisées jusqu’à la fin des années 1940, quand elles ont été échangées par le colonisateur britannique contre la devise coloniales. Les manilles étaient encore utilisées au début des années 2000 comme monnaie dans des villages reculés du Burkina-Faso, mais elles servent désormais surtout de décorations.

Bien d’autres monnaies de commodité ont été utilisées historiquement - des céréales, du bétail, du sel, et même parfois des hommes (esclaves) - même s’ils ont des désavantages évidents de portabilité / standardisation par rapport aux métaux précieux.

4) La fonction d’unité de compte et de standard de paiement différé est peut-être plus cruciale, dans la formation d’une monnaie, que la fonction de réserve de valeur et de moyen d’échange : là encore, c’est un vaste débat entre historiens / anthropologues. La monnaie est-elle née du besoin de trouver un moyen d’échange pratique et standardisé pour éviter les embêtements du troc ? Ou est-elle née comme standard de paiement différé ?

Certains historiens considèrent que les sociétés primitives ont évolué graduellement de "sociétés du don", où la position sociale des individus était liée à leur générosité envers les autres, à des sociétés où chaque action positive pour la collectivité était assortie non plus seulement du "respect" (une gratification non monétaire), mais d’une dette, d’abord implicite puis explicite, par ceux qui bénéficiaient de cette action positive : une société du "je t*e dois". La monnaie n’aurait été qu’un moyen d’exprimer puis de standardiser ces dettes entre individus, c’est-à-dire un standard de paiement différé.

J’aime beaucoup cette thèse, qui me semble bien plus juste historiquement et plus fidèle à la nature sociable de l’homme que la thèse assez simpliste de la monnaie comme "joli métal qui brille" - qui ne semble pas universellement vérifiée quand on élargit le spectre de l’analyse en dehors de l’Occident.

L’une des formes les plus anciennes et universelles de monnaie - bien plus ancienne et universelle que l’or et l’argent - est le bâton de comptage (tally stick) : un bâton que l’on coupait en 2, l’une des parties allant au créditeur et l’autre au débiteur, qui pouvaient dès lors vérifier la correspondance parfaite à l’avenir. Un système de marques sur chaque bâton indiquait le "montant" de la dette. On trouve des exemplaires de bâtons de comptage vieux de 20 000 à 40 000 ans en Afrique, en Europe et en Asie. Et même en Occident, cette forme non-métallique de monnaie a été très longtemps utilisée : les bâtons de comptage étaient encore utilisés en Angleterre au début du 19e siècle !

5) Les systèmes monétaires entièrement fondés sur la confiance peuvent être plus solides et efficaces que les systèmes monétaires métalliques : une commodité (l’or ou l’argent, par exemple) est en réalité superflue pour faire fonctionner un système monétaire - en particulier dans une société où prévaut la logique de l’honneur. La fondation de ces systèmes monétaires peut dès lors être la confiance, sans avoir besoin d’aucune commodité sous-jacente. Par exemple :

- Dans le monde musulman, le système d’hawala permet des échanges monétaires internationaux sans avoir même besoin d’un effet de commerce ou d’une lettre de change, simplement sur la base d’un système d’honneur et de confiance, via un réseau d’halawadars reconnus par tous. Toute tricherie conduit à l’exclusion définitive du tricheur et à une "perte d’honneur" très coûteuse économiquement et socialement.

- Dans le monde chrétien, au 12e siècle les Chevaliers Templiers émettaient des billets à ordre pour les pèlerins en partance pour la Terre Sainte : les pèlerins déposaient leurs fonds dans une commanderie à leur départ d’Europe, ils recevaient un document indiquant la valeur de leur dépôt, et pouvaient ainsi retirer leurs fonds à leur arrivée en Terre Sainte. Là encore, la confiance était le fondement du système monétaire.

6) Les systèmes monétaires métalliques reposent aussi sur la confiance : J’avoue ne pas comprendre ceux qui opposent les systèmes monétaires reposant uniquement sur la confiance, comme les devises fiat, et ceux reposant sur les métaux précieux. Historiquement, les systèmes monétaires métalliques ne pouvaient pas non plus fonctionner sans confiance ! Je crains que l’or et l’argent ne soient donc qu’une protection très fragile pour ceux qui voient des complots, des effondrements et des Great Resets à chaque coin de rue ;-)

Ainsi, le système bancaire européen s’est largement développé via les orfèvres aux 16e-17e siècles, qui, en recevant des dépôts d’or, émettaient des lettres de change négociables au profit des déposants. Ceux-ci pouvaient utiliser ces lettres de change pour régler des échanges commerciaux. Tout ce système reposait sur la confiance dans le réseau de ces orfèvres ayant pignon sur rue.

La seule loi constante dans les rapports humains, c’est celle de la force. Si vous avez beaucoup d’or, rien au monde ne vous protègera s’il y a plus fort que vous, ou si la société adopte une loi qui protège la propriété privée : la fondation d’un système monétaire, métallique ou non, est donc bien la confiance, et certainement pas le degré de pureté ou de brillance d’un métal.

Le 5 avril 1933, Franklin D. Roosevelt signait l’Executive Order 6102, interdisant la thésaurisation d’or, quelle qu’en soit la forme (pièces, lingots ou certificats convertibles en or). Ce décret, établi sur la base du Trading with the Enemy Act de 1917 (une législation de guerre), s’imposait à tous sur le territoire américain, personnes physiques ou morales, américaines ou étrangères. Le décret laissait moins d’un mois pour remettre tout l’or à la Réserve Fédérale (excepté un faible montant autorisé), et les violations étaient punies d’une amende allant jusqu’à 10k$ (soit environ 200k$ actuellement) et jusqu’à 10 ans de prison. L’État américain achetait l’or à $20,67 l’once (soit $408 actuellement). Par le Gold Reserve Act, le prix de l’or a ensuite été fixé à $35 l’once (soit $691 actuellement, soit une dévaluation de 40%), permettant à l’Etat américain d’enregistrer un profit important, finançant un Exchange Stabilization Fund face à la crise économique. Les contrats entre particuliers qui avaient été établis auparavant en or devaient dès lors être réglés en monnaie papier - alors même que certains de ces contrats visaient précisément à se protéger contre le risque inflationniste.

Autre exemple : en 1966 au Royaume-Uni, le gouvernement Wilson a décrété des restriction sur la détention de pièces en or, afin d’empêcher la thésaurisation face à l’inflation. Les collectionneurs devaient obtenir une licence de la Banque d’Angleterre. Néanmoins ces restrictions furent inefficaces et abandonnées en 1970.

Plus près de chez nous : la campagne de récupération des métaux lancée à la fin de la Révolution française, avec "dons patriotiques", confiscation des biens des émigrés, fonte de la vaisselle royale et de l’argenterie et de l’orfèvrerie des églises et des abbayes, fonte de 30 000 cloches etc.

La protection offerte par l’or ou l’argent aux épargnants est donc très relative dans ce type de scénario - alors même que c’est précisément parce qu’ils ont des angoisses de ce type que certains accumulent de l’or…

7) La monnaie papier a aussi une très longue histoire : c’est assez faux d’opposer l’or et l’argent, monnaies "millénaires", et la monnaie papier, qui serait une création plus récente et assez "artificielle". La monnaie papier a aussi une histoire très longue et tout aussi universelle que l’or et l’argent.

Les billets à ordre émis dans le cadre de relations commerciales sont une forme de monnaie privée, apparue en Chine depuis au moins le 2e siècle avant JC (dynastie Han). Sous la dynastie Tang (618-907), l’"argent volant" (feiqian) était un billet à ordre utilisé comme monnaie par les marchands de thé dans leurs déplacements, avant de les convertir dans le capitales provinciales en "vraie" monnaie.

Au 11e siècle, la monnaie papier cesse d’exister uniquement sous forme de monnaie privée (billets à ordre), l’État chinois décrétant un monopole d’émission de monnaie papier (jiaozi), utilisée en parallèle des pièces métalliques et des lingots d’argent. Une émission excessive de monnaie papier a néanmoins conduit à une forte inflation, rendant les Chinois durablement méfiants face à cette monnaie papier.

Marco Polo a rapporté de ses voyages une description de l’usage de la monnaie papier en Chine, et très progressivement elle s’est aussi développée en Europe (d’abord sous la forme privée de lettres de change). La Suède a émis la première monnaie papier européenne en 1661 (suivie par la Hollande en 1683) : elle n’était pas convertible en or / argent, mais elle avait cours légal. [Il est amusant de constater qu’aujourd’hui la Riksbank est à nouveau précurseur dans le développement des devises digitales de banques centrales (CBDC, Central Bank Digital Currencies), avec l’e-krona et une "disparition du cash" plus rapide que dans les autres pays européens.] Mais là encore, la monnaie papier suédoise s’est vite dépréciée, forçant un retour de l’étalon-argent en 1776.

8) En temps de crise, la monnaie papier est la monnaie de préférence - pas l’or : Historiquement, dans la plupart des pays, l’émergence et la montée en puissance de la monnaie papier s’est faite à l’occasion des crises, autant économiques que politiques (notamment les guerres). Par exemple :

- En France, les guerres ruineuses conduites par Louis XIV ont mis les finances publiques en grande difficulté, forçant l’État en envisager d’autres moyens monétaires que l’or et l’argent. La première monnaie papier en France a ainsi été émise en 1701 et était libellée en livres tournoi. Là encore, les premières expériences ont été douloureuses, avec la faillite de la Banque Royale (héritière de la Banque Générale de John Law et l’un des émetteurs de cette nouvelle monnaie papier) en 1720. La monnaie papier est réapparue avec la Caisse d’Escompte en 1776, sous la forme d’actions au porteur, puis avec les assignats pendant la Révolution française : les émigrés ayant emporté avec eux leur or, la pénurie en or rendait incontournable la monnaie papier. On peut d’ailleurs interpréter les guerres napoléoniennes comme une entreprise (réussie) de la France pour rapatrier l’or ("rapatrier" étant un terme poli, "voler" étant sans doute plus exact).

- Mais la première monnaie papier française est apparue en Amérique, en Nouvelle-France : en 1685, dans un contexte de pénurie locale de monnaie française, il fallait d’urgence payer les soldats pour éviter une mutinerie. Les autorités ont décidé l’émission d’une monnaie papier, sous forme de cartes à jouer (monnaie de carte). Les cartes avaient une dénomination, étaient signées et remises comme paiement aux soldats. Au milieu du 18e siècle, tous les paiements en pièces métalliques étaient suspendus et seule la monnaie papier était utilisée, conduisant à une forte inflation.

- D’ailleurs le premier usage de la monnaie papier en Europe était dans un contexte de crise par excellence : les monnaies de siège (monnaies obsidionales) étaient frappées dès le 15e siècle dans les villes assiégées (d’abord en Espagne pendant la conquête de Grenade en 1482-1492, puis au 16e siècle en Italie, en France, aux Pays-Bas etc.) pour permettre la continuation d’une activité économique, l’or et l’argent étant alors souvent thésaurisés.

- Autre exemple : l’émission de billets particuliers (facilement identifiables) par l’armée américaine pour son usage en Europe et en Afrique du Nord pendant les campagnes militaires de la Seconde Guerre Mondiale : si les territoires libérés avaient été repris par les Allemands, il eût été facile de démonétiser ces billets. De même, lorsque les Japonais ont attaqué Pearl Harbor, les Américains ont émis des billets particuliers (Silver Certificates convertibles en argent) pour mise en circulation à Hawaii, de façon à pouvoir les démonétiser en cas d’invasion japonaise.

- Au-delà de ces situations particulières, l’histoire monétaire américaine reflète d’ailleurs l’émergence progressive de la monnaie papier à l’occasion des crises successives :

a) dans un contexte de "famine monétaire" (pénurie de monnaie britannique), les bills of credit étaient une forme primitive de devise dans les colonies américaines ; ces bills of credit étaient de qualité monétaire médiocre, perdant souvent très vite toute valeur ;

b) lors de la Guerre d’Indépendance, les Américains ont émis des Continentals, qui étaient théoriquement convertibles en argent, mais ne l’ont jamais été et avaient perdu 99% de leur valeur en 1790, malgré la victoire américaine (d’où l’expression "not worth a Continental") ;

c) après ces expériences négatives de monnaies papier très fragiles, la Constitution américaine interdisait aux États l’émission de bills of credit et donnait cours légal à l’or et à l’argent, initialement avec un taux de change flottant (puis avec un taux de change fixe de 15 par le Coinage Act de 1792, par le Secrétaire au Trésor Alexander Hamilton, passant à 16 en 1834) ;

d) mais dès 1812, à l’occasion d’une nouvelle guerre contre les Britanniques, les Américains émettaient des Treasury Notes pour financer l’effort de guerre ;

e) la monnaie papier s’est définitivement affirmée aux USA à l’occasion de la Guerre de Sécession : ne pouvant plus compter sur les recettes d’exportation des États du Sud, l’Union n’avait d’autre choix, pour financer ses immenses dépenses de guerre, que la suspension de la convertibilité de la monnaie en or et en argent et l’introduction d’une nouvelle monnaie papier, les United States Notes (greenbacks, dont $300 millions sont encore en circulation)

f) les Federal Reserve Bank Notes (1915-1934) furent ensuite introduits à l’occasion de la Première Guerre Mondiale. Les dollars actuels, les Federal Reserve Notes, sont émis depuis la création de la Fed en 1913.

- Même observation au Royaume-Uni : la monnaie papier s’est imposée au fil des crises et des guerres. Le Royaume-Uni a ainsi suspendu la convertibilité en or / argent de sa monnaie entre 1797 et 1819, dans le contexte des guerres napoléoniennes. Pendant la Première Guerre Mondiale, l’étalon-or a été de fait suspendu : même si la livre sterling restait convertible en or en théorie, le gouvernement britannique, faisant appel au "patriotisme" des citoyens pour qu’ils ne convertissent pas leurs devises.

Bien sûr, pendant ces périodes troublées, l’or et l’argent gardaient leur rôle de réserves de valeur, mais comme monnaies ils étaient remplacés de façon de plus en plus durable par la monnaie papier.

9) L’or est une excellente réserve de valeur, mais une monnaie médiocre : A mes yeux, le principal atout de l’or comme réserve de valeur - sa rareté naturelle, qui en fait une protection naturelle contre le risque d’inflation - est aussi son principal inconvénient comme monnaie : l’utilisation exclusive de l’or comme monnaie (système monétaire monométalliste) a généralement conduit à des "famines monétaires" à répétition, avec de graves conséquences économiques et politiques.

L’élargissement du système monétaire à l’argent (système monétaire bimétalliste) a permis d’atténuer ce problème de pénurie de monnaie, mais a conduit à d’autres problèmes d’instabilité chronique, en raison des évolutions différentes de la production mondiale d’or et d’argent.

2 problèmes habituels des systèmes monétaires métalliques :

a) L’évolution de la masse monétaire dépend de la production et de l’accumulation d’or, donc la politique monétaire ne peut pas être utilisée (comme c’est le cas actuellement avec le QE, par exemple) pour stabiliser l’économie face à une récession. Cela rend le cycle économique beaucoup plus violent, et destructeur économiquement et socialement (effets d’hystérèse d’un chômage prolongé, par exemple).

Ainsi, lors de la crise de 1929, l’étalon-or a empêché la Fed d’augmenter la masse monétaire pour stimuler l’économie : en effet le Federal Reserve Act (1913) imposait une détention d’or par la Fed d’au moins 40% de la masse monétaire pour émettre des billets (Federal Reserve Notes). Le système bancaire américain faisant alors face à une fuite massive d’or (crise de confiance), la Fed a dû imposer une politique monétaire restrictive et non accommodante comme il l’aurait fallu, aggravant ainsi la récession. Finalement l’étalon-or a été suspendu par Roosevelt en 1933, permettant enfin une politique monétaire anti-cyclique.

En fait, les pays qui ont résisté le mieux à la Grande Dépression de la fin des années 1920 et des années 1930 ont été ceux qui ont abandonné l’étalon-or précocement, notamment le Royaume-Uni, qui avait dû quitter "temporairement" l’étalon-or en 1931 en raison d’attaques spéculatives contre la livre. La meilleure résilience de l’économie britannique grâce à une politique monétaire plus flexible a grandement facilité l’acceptation par la population de l’abandon définitif de l’étalon-or.

b) Les systèmes monétaires fondés sur des métaux précieux par définition en quantité limitée sont fondamentalement déflationnistes, et sans doute peu adaptés à des sociétés démocratiques : La rareté de l’or (et à un moindre degré, de l’argent) exerce une forte contrainte sur la capacité de création monétaire. Cela présente un avantage évident comme réserve de valeur, mais des inconvénients majeurs comme monnaie.

L’étalon-or ne s’est imposé au 19e siècle, sans entraîner une déflation généralisée, que grâce à des progrès techniques constants dans les mines aurifères et par des découvertes régulières de gisements d’or massifs, avec les ruées vers l’or en Californie en 1848, en Australie en 1851, en Afrique du Sud en 1886 (Witwatersrand Gold Rush), et au Canada dans le Klondike en 1896.

Seul l’accroissement massif de la production mondiale d’or a permis à l’étalon-or de s’imposer, mais ce n’était pas sans mal : aux USA pendant la 2e moitié du 19e siècle, les riches et les grands industriels s’accommodaient sans peine d’un étalon-or qui ancrait leur domination sociale, mais les ménages endettés et les fermiers n’avaient de cesse de réclamer l’expansion de la masse monétaire, soit par le bimétallisme (Free Silver réclamé par les Silverites), soit par le maintien de la monnaie papier introduite pendant la Guerre de Sécession (réclamé par le Greenback Party puis par les Populistes).

Ces polémiques monétaires ont ainsi été au coeur du débat politique américain pendant des décennies. L’étalon-or était perçu comme le symbole de la classe capitaliste dominante de la Côte Est, représentée essentiellement par les élites Républicaines. La démonétisation de l’argent par le Fourth Coinage Act de 1873 était largement dénoncée par les classes populaires comme le "Crime de 73". Les polémiques sur le sujet étaient très violentes, illustrées par le fameux discours de la Croix d’Or du candidat démocrate William Jennings Bryan à l’élection présidentielle de 1896 (finalement perdue face au Républicain William McKinley) : "Vous ne crucifierez pas l’humanité sur une croix d’or".

Beaucoup d’économistes considèrent que l’étalon-or (établi de fait aux USA à partir de 1873, puis de jure par McKinley à partir de 1900) est responsable de la "Longue Dépression" entre 1873 et 1896, et des crises financières à répétition (notamment la Panique de 1893). Après la Première Guerre Mondiale, Keynes, conscient du caractère inflationniste de l’étalon-or, s’opposait avec raison à son rétablissement.

En parallèle de ces polémiques monétaires, la démocratie occidentale évoluait très progressivement vers une inclusion de toujours plus de citoyens (les ouvriers et les paysans par l’abandon du suffrage censitaire, les minorités raciales, les femmes…) - c’est-à-dire une démocratie réelle. Il me semble bien illusoire d’imaginer que l’on puisse un jour, dans une société démocratique et un système économique largement alimenté par le crédit, revenir à un système monétaire inégalitaire et déflationniste, fondé sur les métaux précieux. C’est un modèle simplement obsolète politiquement et économiquement, à mon avis.

10) L’argent, bien plus que l’or, a été le moyen d’échange métallique de préférence dans le monde : Pour réfléchir aux cours relatifs de l’or et de l’argent (le ratio entre les 2 est actuellement de 73), il me semble intéressant de réfléchir historiquement à leurs rôles respectifs.

Depuis l’émission des premières pièces en électrum (alliage naturel or/argent) dans l’Antiquité, l’or a été largement perçu comme le métal le plus précieux, donnant lieu à de premières manipulations monétaires via l’émission de pièces en électrum avec une faible teneur en or par les Phéniciens, et des complications inévitables dans les échanges. Ce problème a été réglé par les progrès techniques en matière d’affinage, permettant la frappe des premières pièces en or au 6e siècle avant JC par Crésus, roi de Lydie.

Mais la loi de Gresham ("la mauvaise monnaie chasse la bonne") a conduit à un modèle généralement dominant de thésaurisation de l’or (la meilleure monnaie) et de circulation de l’argent (la moins bonne des 2 monnaies métalliques) dans les échanges économiques.

L’argent a ainsi généralement été la devise métallique de référence dans les échanges internationaux, avec néanmoins des exceptions notables :

a) l’hyperpérion byzantin, héritier du solidus (aussi appelé bezant), était la devise préférée pour les échanges entre Byzance et l’Orient, et a longtemps été la devise de référence sur les 2 rives de la Méditerranée ;

b) face à ses difficultés financières, l’Empire byzantin a commencé à dégrader graduellement la pureté en or de l’hyperpérion ; afin d’avoir une devise crédible pour ses échanges avec l’Orient, Venise a alors émis le ducat (en or) à partir de 1284. Il a longtemps servi de "monnaie européenne", au même titre que le florin florentin (aussi en or) ; il avait par exemple cours légal dans l’Empire de Charles Quint ;

c) alors que l’Angleterre utilisait exclusivement une monnaie en argent jusqu’en 1344, elle a commencé à émettre des pièces en or (le noble d’or en 1344, la guinée en 1663, le souverain en 1821) les siècles suivants, amorçant une lente évolution vers l’étalon-or. C’est Isaac Newton, Master of the Royal Mint, qui a franchi une étape décisive dans cette évolution en introduisant en 1717 un ratio or/argent survalorisant l’or, ce qui conduisit le Royaume-Uni à importer massivement l’or et à exporter l’argent. L’étalon-or est consacré par le Bank Charter Act de 1844, qui relie les billets de la Bank of England avec l’or. Reflétant la puissance britannique, la livre sterling est alors utilisée largement en dehors du Commonwealth : ainsi, la journaliste américaine Nellie Bly, pour son tour du monde en 72 jours en 1889-1890 (pour répliquer l’exploit du Phileas Fogg de Jules Verne), avait pris avec elles des billets de la Banque d’Angleterre ;

d) la puissance commerciale de l’Empire britannique est telle qu’elle exerce une attraction sur les autres pays occidentaux, qui rejoignent les uns après les autres l’étalon-or : les USA en 1873 (de facto) puis en 1900 (de jure), l’Allemagne (introduction du mark en or en 1873, après avoir imposé une indemnité de guerre en or à la France, défaite en 1871), la France en 1878…

Ces exemples du rôle international majeur de monnaies en or influencent peut-être notre perception de ce métal précieux (biais de récence), mais sur longue période l’argent a joué un rôle encore plus grand dans les échanges internationaux, surtout si on élargit le spectre géographique :

a) la tétradrachme athénienne, en argent, a été la première devise internationale de référence, largement utilisée dans le commerce en Méditerranée. La découverte d’un gisement majeur d’argent à Laurium en 483 avant JC a permis l’expansion massive de la flotte militaire d’Athènes, consacrant son influence politique. La tétradrachme s’est ensuite étendue à l’Asia via les conquêtes d’Alexandre le Grand ;

b) le denarius (en argent) était la monnaie romaine de référence pendant plusieurs siècles, entre la Seconde Guerre Punique et le 3e siècle après JC ; il a fait l’objet de dévaluations progressives, d’abord sous la République, puis par les empereurs successifs, avant d’être remplacé par l’antoninianus (initialement en argent, puis en bronze avec de moins en moins d’argent) au 3e siècle après JC ;

c) Judas a trahi Jésus pour 30 pièces d’argent, probablement des tétradrachmes de Tyr, la monnaie requise par les prêtres pour payer le temple car ils étaient purs à 94% (contre seulement 80% pour les pièces romaines en argent de l’époque). Pour info, cela représente environ 200$ au cours actuel, ou le prix d’un esclave à l’époque, ou l’équivalent d’environ 120 jours de travail pour un paysan de l’époque ;

d) en 755, la réforme monétaire conduite en France par Pépin le Bref consacre le denier, une pièce en argent avec un degré de pureté élevé (0,94, augmenté à 0,95-0,96 par Charlemagne) comme la devise de référence. Ce n’est que bien après que l’écu d’or a été introduit par Louis IX (Saint Louis) en 1266, afin d’ancrer la suprématie de la monnaie royale face aux monnaies frappées (avec la permission du Roi) par les féodaux et évêques ;

e) le système monétaire carolingien a été copié dès le 8e siècle en Angleterre, par l’introduction du silver penny par le roi Offa de Mercie, et la monnaie anglaise était exclusivement en argent jusqu’à l’introduction du noble d’or en 1344 ;

f) des découvertes de gisements immenses d’argent au 16 siècle, à Joachimsthal en Bohème et à Potosi en Bolivie, ont consacré le rôle dominant de l’argent dans les échanges internationaux :

- le Saint-Empire romain germanique commence à émettre des Guldengroschen, aussi appelés Joachimsthalers, ou thalers (ce qui donnera les dollars en anglais), qui sera décliné par d’autres puissances économiques européennes, par exemple le leeuwendaalder hollandais (thaler au lion), qui devient l’une des principales devises commerciales dans le monde ;

- la piastre espagnole (la pièce de huit, real de a ocho, appelée Spanish dollar par les Anglo-Saxons) devient la devise internationale dominante dans les échanges commerciaux entre l’Europe, l’Amérique et l’Asie, pour près de 400 ans ;

g) dans un contexte de pénurie de devise britannique (en raison du bullionisme britannique, l’obsession de l’accumulation mercantiliste de métaux précieux), la pièce de huit espagnole devient la monnaie dominante dans les colonies américaines au moment de la Guerre d’Indépendance, et sert de base à l’étalon-argent américain défini en 1792. Le "Spanish dollar" garde même cours légal aux USA jusqu’en 1857 ;

h) en Chine, les lingots d’argents sont utilisés comme moyen d’échange depuis le 3e siècle avant JC, en parallèle de monnaies de cuivre. Même si les lingots d’argent deviennent ensuite surtout une réserve de valeur, les Chinois favorisent l’argent comme moyen d’échange avec les Européens (d’abord Portugais et Espagnols au 16e siècle). L’accumulation d’argent par l’Etat chinois est une priorité : par exemple la réforme fiscale de 1581 impose le paiement en argent de toutes les taxes. Pendant la dynastie Qing (1644-1911), les pièces de huit et dollars étrangers en argent, importés via le commerce international, circulent largement dans l’économie chinoise (le yuan, en argent, copié sur la pièce de huit, n’étant introduit qu’en 1910). L’argent est tellement incontournable dans le commerce avec la Chine que la pièce de huit espagnole fait place, après les indépendances latino-américaines, au peso mexicain (aussi en argent), puis au trade dollar américain (en argent), émis à partir de 1873 par les USA pour faciliter le commerce avec la Chine. La Chine garde son étalon-argent jusqu’en 1935 (alors que la plupart des pays avaient basculé vers l’étalon-or) ; elle doit alors l’abandonner sous la pression des achats massifs d’argent par les USA après leur abandon de l’étalon-or face à la Grande Dépression (Silver Purchase Program de 1933), entraînant une pénurie d’argent en Chine (par exemple via la ré-exportation des trade dollars vers les USA, où ils étaient pourtant peu appréciés en raison des marques d’authentification par les commerçants chinois) ;

i) autre illustration du rôle international de l’argent : le succès du Thaler de Marie-Thérèse, émis par l’Autriche à partir de 1741, dans le commerce international dans le Golfe Persique, en Afrique et en Asie du Sud-Est. Il est ainsi devenu la devise officielle de l’Empire éthiopien à partir de la fin du 18e siècle, jusqu’à l’invasion fasciste en 1935. Pour chasser les Italiens d’Ethiopie, les Britanniques ont émis des montants massifs de Thalers de Marie-Thérèse frappés à Bombay. De même les Américains ont contrefait ces Thalers pour soutenir la résistance anti-japonaise en Indonésie. Le Thaler de Marie-Thérèse était aussi la devise de référence en Arabie Saoudite, Oman, Yémen, etc. au point que certains marchands refusaient toute autre monnaie ;

j) en Inde, la roupie est historiquement une monnaie en argent (rupa signifie argent en Sanskrit), introduite au 16e siècle et longtemps dominante, jusqu’à l’adoption contrainte de l’étalon-or en 1898.

Si l’histoire a une influence sur les perceptions des valeurs, l’argent apparaît comme une monnaie plus universelle que l’or, même si l’or, par sa rareté, apparaît comme la meilleure réserve de valeur des 2.

11) Les systèmes monétaires métalliques n’échappent pas aux manipulations monétaires, bien au contraire : là encore, un coup d’oeil historique illustre à quel point l’opposition entre des systèmes monétaires métalliques "sains", "justes", et des monétaires fiduciaires forcément douteuses, car manipulables et contrôlées par des politiciens sans foi ni loi, est artificielle et fausse.

Les premières manipulations monétaires sont apparues presque dès l’introduction des premières pièces métalliques. Les Romains s’en sont fait une spécialité avec des dévalorisations incessantes de leurs pièces en argent. Les souverains français et anglais du Moyen-Âge de même, particulièrement quand les guerres mettaient en difficulté les finances publiques. En France, il a fallu attendre des réformes monétaires visant à assurer la qualité et la stabilité de la monnaie, d’abord par Louis XIII (mécanisation de la production de pièces, dès lors moins manipulables), puis en 1726 par le Cardinal Fleury, avec la mise en place d’un taux de conversion stricte or/argent de 14,4867. Mais les manipulations monétaires des monnaies métalliques n’ont jamais cessé.

L’Union latine, union monétaire créée en 1865 par la France, l’Italie, la Belgique et la Suisse, rejointes par la Grèce en 1868 (ça ne vous rappelle rien ?), en offre une illustration : initialement, l’Union latine appliquait un système bimétalliste et le même taux de change or/argent que la France (15,5 - à comparer avec 73 actuellement). Mais les Etats de l’Union latine ont commencé à émettre massivement des pièces en argent avec un moindre niveau de pureté, pour se financer. En particulier, le Trésor papal a émis des montants massifs de pièces en argent (équivalent au volume de la Belgique), conduisant à l’exclusion des Etats papaux de l’Union en 1870. La Grèce a été exclue de l’Union latine en 1908, avant d’y être à nouveau admise en 1910 - là aussi le Grexit était trop difficile ;-). Tout ceci a conduit l’Union latine à limiter l’émission monétaire en argent en 1874 puis à y mettre fin en 1878, abandonnant ainsi le bimétallisme au profit de l’étalon-or. Par ces démonétisations rampantes des pièces en argent, l’Union latine a ainsi facilité la domination mondiale de l’étalon-or - un système monétaire fondamentalement déflationniste et instable.

Bref, je ne suis pas sûr que ceux qui se plaignent aujourd’hui du QE de la BCE, supposée "manipulation" de l’euro, se soient réjouis des émissions monétaires en argent et à gogo de l’Union latine… L’Histoire n’est parfois qu’un éternel recommencement, et les métaux précieux ne sont certainement pas une garantie tous risques contre les manipulations monétaires ;-)

12) L’instabilité financière a souvent caractérisé les systèmes monétaires métalliques : ancrer la monnaie à un métal précieux expose l’Etat à des attaques spéculatives lorsque sa situation se dégrade. Evidemment, ce risque a l’avantage d’obliger l’Etat à une politique budgétaire responsable - mais à nouveau cela semble une illusion dans un cycle politique démocratique à haute fréquence, poussant les responsables politiques à un certain court-termisme. Et cette forte contrainte sur la détention suffisante de métaux précieux incite l’Etat à une politique procyclique, fondamentalement néfaste à l’économie.

Les systèmes bimétallistes, généralement dominants jusqu’à l’adoption de l’étalon-or par la plupart des pays occidentaux au 19e siècle, étaient fondamentalement instables, car ils subissaient les fluctuations des cours mondiaux de l’or et de l’argent.

Ainsi, la France avait établi par la loi, en 1803, un système bimétallique avec un taux fixe or/argent de 15,5. A l’époque ce taux était proche du ratio sur le marché mondial, mais pendant la première moitié du 19e siècle l’or s’est apprécié par rapport à l’argent sur le marché mondial, conduisant à une exportation de l’or français et à l’usage de l’argent dans l’économie nationale. La situation a changé avec la ruée vers l’or en Californie à partir de 1848, qui a fait baisser le taux de change argent/or sous 15,5 (jusqu’en 1866). La France a alors exporté son argent et a importé massivement de l’or. En vertu de la loi de Gresham, l’usage de l’or ou de l’argent dans l’économie changeait ainsi rapidement au fil du temps, selon les découvertes mondiales d’or ou d’argent, et selon le taux de change en vigueur dans les pays.

Cette instabilité fondamentale des systèmes bimétalliques a été sans doute encore accrue par l’avènement du système démocratique : ainsi, les débats incessants aux USA entre partisans de l’étalon-or (les riches de la Côte Est), défenseurs du Free Silver (les mineurs de l’Ouest) et adeptes des greenbacks (la monnaie papier, favorable aux ménages endettés), a conduit à une grande instabilité de la politique monétaire au fil des élections, avec pour résultat un "bimétallisme claudiquant" (limping bimetallism) et une instabilité financière. Ainsi, le Sherman Silver Purchase Act de 1890, qui imposait au Trésor américain d’acheter de l’argent chaque année (pour faire remonter le cours de l’argent et satisfaire les revendications des mineurs de l’Ouest) a entraîné une baisse des stocks d’or (dépensé pour ces achats), puis un bank run sur les réserves d’or, contribuant à la Panique de 1893 et à la décision du Président Grover Cleveland de mettre fin au Sherman Silver Purchase Act.

13) Les famines monétaires sont historiquement liées aux métaux précieux, conséquence de leur rareté : forme aggravée de déflation, les "famines monétaires" ont souvent eu de graves conséquences politiques. Un système monétaire métallique rend l’accès à la monnaie beaucoup plus difficile que la monnaie fiduciaire. Quelques exemples :

a) L’utilisation de "Spanish dollars" comme monnaie de référence par les colonies anglaises en Amérique, résultant de la pénurie de monnaie britannique (du fait de l’accumulation mercantile d’or et d’argent par Londres), a pu accentuer le sentiment indépendantiste des Américains.

b) En Nouvelle-Galles du Sud (Australie) à la fin du 18e siècle, le rhum était la monnaie utilisée par les premiers colons, du fait de la pénurie de monnaie. Une solution plus durable a été trouvée avec l’importation de "Spanish dollars" (là encore), au centre desquels on perçait un trou pour former des "holey dollars" et accroître à grand mal la masse monétaire. Mais le rhum a continué à circuler en contrebande, causant la Révolte du Rhum en 1808, les soldats déposant le gouverneur d’alors, le capitaine William Bligh - déjà débarqué par les mutins du Bounty… manifestement son style de leadership ne plaisait pas ;-)

14) Les systèmes monétaires métalliques sont propices aux conflits : Plus grave encore, le bullionisme, la vision de l’accumulation de métal précieux comme principal levier de la puissance économique, a conduit à maints conflits internationaux. Sans parler des massacres commis par les Conquistadors, un bon exemple de tensions internationales monétaires est le conflit entre le Royaume-Uni et la Chine autour du trafic de l’opium.

Les marchands chinois privilégiant l’usage exclusif de l’argent comme moyen de paiement dans les échanges commerciaux, les importations européennes de marchandises se traduisaient par une perte continue d’argent au profit de la Chine, conduisant beaucoup de pays européens à dévaluer sans cesse leurs pièces d’argent (en abaissant sans cesse leur degré de pureté). Dans son optique bullioniste, le Royaume-Uni ne pouvait l’accepter et a trouvé un moyen de faire ressortir de l’argent de Chine : le trafic d’opium. Son objectif était monétaire et "métallique", plus encore que financier. La volonté légitime de la Chine d’empêcher ce trafic a conduit à plusieurs conflits avec le Royaume-Uni, et l’acceptation forcée des conditions britanniques.

Autre exemple du rôle aggravant, pour les relations internationales, de la compétition pour les métaux précieux : l’Allemagne, qui avait dû suspendre l’étalon-or en 1914, n’a pas pu y retourner après 1918 en raison du coût énorme des réparations de guerre (à payer en or). Pour obtenir leur paiement, Poincaré décide l’occupation de la Ruhr (1923-1925) pour aller chercher « un gage productif ». Pendant l’occupation de la Ruhr par la France, la Reichsbank émet des montants énormes de marks non-convertibles pour soutenir les travailleurs en grève contre l’occupation française et pour acheter les devises étrangères pour les réparations de guerre, conduisant à une hyperinflation socialement et économiquement très destructrice (et à terme, à l’accession des Nazis au pouvoir en 1933).

Au moins avec les monnaies fiduciaires, chaque pays est responsable de sa monnaie. Il ne tient qu’à lui de rendre sa monnaie crédible par rapport aux autres, par une politique monétaire conduite par une banque centrale indépendante, une politique budgétaire responsable, une économie compétitive etc. Je n’idéalise toutefois pas le système fiduciaire international actuel, qui peut aussi générer des tensions internationales, par exemple à l’occasion de dévaluations compétitives (cf. la liste des "manipulateurs de monnaie" tenue par le Trésor américain).

15) Le lissage anti-cyclique des fluctuations économiques est une drogue à accoutumance : Je pense que les critiques actuelles des supposées "manipulations" monétaires par les banques centrales (taux négatifs, QE) attestent d’un gros manque de recul historique : on s’est tellement habitué à bénéficier de politiques monétaires et budgétaires anti-cycliques, c’est-à-dire qui aident l’économie face à des crises (la situation actuelle en est un bon exemple), que l’on oublie ce qu’est le cycle économique sans ce lissage anti-cyclique. Le cycle est alors beaucoup, beaucoup plus violent et destructeur. Il suffit d’imaginer ce que serait la situation économique de la France sans les mesures de l’Etat et de la BCE dans le contexte pandémique actuel.

Notre cadre économique actuel, particulièrement en France avec un Etat très (et peut-être trop) social, est riche de stabilisateurs automatiques, qui amortissent les chocs économiques : le système d’assurance chômage, les aides sociales, les prêts garantis par l’Etat… La politique monétaire de la BCE est l’un des stabilisateurs les plus efficaces. Il n’existe que parce que l’euro est une devise fiat : quand on le "manipule", c’est comme quand le chirurgien "manipule" le patient : c’est pour une bonne raison, et ne pas le faire aurait des conséquences - notamment pour les plus fragiles.

Je crois très illusoire de penser que l’on pourrait revenir un jour à des monnaies déflationnistes - qu’il s’agisse de l’or, de l’argent ou du Bitcoin - car l’Histoire offre, sur le temps long, une illustration claire des failles économiques de ces devises déflationnistes, et par ailleurs elles ne correspondent simplement pas à la volonté des peuples. Or, nous vivons heureusement en démocratie.

16) La stabilité des prix est un luxe qu’on aurait du mal à abandonner : là encore, croire qu’un système monétaire métallique offrirait de meilleures garanties pour une monnaie stable qu’une banque centrale indépendante, avec un mandat de stabilité de la monnaie définie par la loi (le Traité européen, s’agissant de la BCE), est une illusion.

L’Histoire, sur le temps long, montre une alternance incessante et instable (parfois simultanée) de différents systèmes monétaires, monométalliques, bimétalliques, fiduciaires ou autres, avec des transitions économiquement et politiquement très compliquées entre ces systèmes. Les conflits politiques aux USA à l’issue de la Guerre de Sécession (introduction des greenbacks, première forme généralisée de monnaie fiduciaire américaine) en offrent une bonne illustration.

Dans ce contexte monétaire instable, les prix étaient très instables - bien plus que maintenant !

Par exemple en France au 20e siècle :
- En 1920, le franc avait perdu près de 70% de sa valeur vis-à-vis du dollar par rapport à la parité d’avant-guerre.
- Doublement des prix entre 1925 et 1926, dans un contexte d’incertitude sur les réparations allemandes. Le franc est sauvé par Poincaré en 1926 par une opération de nantissement de l’or de la Banque de France pour emprunter des dollars et racheter du franc.
- Attaques spéculatives incessantes contre le franc en 1931 et 1934.
- Dévaluations de 35% et 25% du franc en 1936 et 1938, par le gouvernement du Front populaire.
- En 1939, le franc Poincaré avait perdu 75% de sa valeur depuis 1928.
- En 1940, l’occupant nazi impose un taux de convertibilité de 20 contre 1 entre le franc et le reichsmark (11 contre 1 en 1939).
- Les prix sont multipliés par 2,8 entre septembre 1939 et août 1944.
- Dévaluation du franc de 44,4% en janvier 1948.
- Inflation de 63% en 1946 et 60% en 1947.
- Dévaluation du franc de 22,3% en septembre 1949.
- Surchauffe inflationniste en 1950-1952.
- Dévaluation du franc de 20% en août 1957.
- Dévaluation du franc de 17,5% en 1958, avant la création du nouveau franc par Antoine Pinay.
- Dévaluation du franc de 11,1% en août 1969.
- Sortie du franc du serpent monétaire européen (qui limitait à +/- 2,25% les fluctuations entre les monnaies de la CEE) en mars 1976.
- Dévaluations du franc de 3% en octobre 1981, 5,75% en juin 1982, 2,25% en mars 1983, avant le "tournant de la rigueur" de Mauroy/Bérégovoy.
- Dévaluation de 3% en avril 1986.
- Attaques spéculatives contre le Système monétaire européen (SME) en 1992-1993, forçant la sortie de la lire, la livre sterling, la peseta et l’escudo. Le franc résiste, mais il faut élargir la bande de fluctuation au sein du SME à +/- 15% en août 1993.

Quand je vois certains se plaindre de l’euro, je rêve d’avoir une machine à remonter le temps pour leur montrer ce que veut dire l’instabilité monétaire… L’euro est une monnaie remarquablement stable, et une monnaie stable est la meilleure chose qu’une banque centrale puisse donner à l’économie nationale.

17) Le retour à des systèmes monétaires métalliques est une illusion dans une économie mondiale digitalisée : L’or demeure une réserve de valeur intéressante qui a sa place, à petite dose, dans un patrimoine diversifié (j’y reviendrai dans un prochain message), mais il n’a pas sa place comme monnaie dans une économie mondiale désormais largement digitalisée. A mon sens, les CBDC (Central Bank Digital Currencies, devises numériques de banques centrales) représentent une voie d’avenir très prometteuse, adaptée à ce nouveau monde. La combinaison entre l’institution - une banque centrale indépendante, focalisée sur la stabilité des prix - et la technique - les devises numériques - me semble aujourd’hui la meilleure configuration possible, mais bien sûr j’ai les biais de mon époque et la suite de l’Histoire monétaire me surprendra sans doute.

A noter qu’il y a eu maintes tentatives de digitaliser l’or, via les digital gold currencies (DGC), mais la plupart ont pitoyablement échoué (Pecunix, Liberty Reserve, OS-Gold, Standard Reserve, INTGold, e-gold, 1mdc, E-Bullion…) sur fond de faible protection des épargnants, manque de transparence sur la détention sous-jacente d’or physique, voire blanchiment d’argent.

18) Le choix d’un système monétaire est un choix politique, avec des gagnants et des perdants : Au-delà des aspects strictement économiques, le choix d’un système monétaire doit, en démocratie, satisfaire le plus grande nombre possible de citoyens, et leur permettre de planifier sereinement leur vie économique, leur travail, leur consommation, leurs investissements, leur épargne. L’étalon-or n’était favorable qu’aux plus riches, et donc très instable politiquement, a fortiori en démocratie. Son remplacement par un système fondé sur la confiance est un grand progrès politique, et le rééquilibrage sain d’un système capitaliste forcément propice à l’accumulation (et ce jugement ne vient pas d’un marxiste invétéré).

Il y aura toujours des insatisfaits et des inquiets, et évidemment toujours des interrogations face à ce qui peut être perçu comme des "manipulations" monétaires. Cela impose aux banques centrales un devoir de pédagogie et de transparence. Je pense que beaucoup de progrès ont été faits en la matière ces 10-20 dernières années, et à mon modeste niveau je prêche la bonne parole partout où je passe.

Aujourd’hui, malgré toutes ces inquiétudes et ces questions, le système monétaire fiduciaire n’est pas sérieusement contesté, et les citoyens de la zone euro sont globalement contents d’être payés en euros, de consommer en euros, d’investir en euros, d’épargner en euros… même s’ils se plaignent parfois en oubliant les failles tellement plus évidentes des anciennes monnaies nationales (en tout cas en France ; je reconnais qu’en Allemagne la nostalgie du mark est un peu plus légitime, mais pas vraiment justifiée tout de même).

19) Le ciblage de l’inflation par une banque centrale indépendante est le fruit d’un long compromis historique… et de l’échec (relatif) des autres modèles monétaires : Le modèle dominant actuel d’une banque centrale indépendante ciblant l’inflation sur la base d’un mandat légal est le fruit d’une très longue évolution, et des enseignements tirés de toutes les erreurs, parfois dramatiques, du passé. Ce modèle n’est peut-être pas parfait, mais c’est de loin le meilleur disponible sur la base des connaissances économiques actuelles. Il est en évolution et en amélioration permanentes, les CBDC en étant un exemple. ça me fait un peu rire quand je vois les adeptes du Bitcoin ou autre crypto anarchique penser improviser une monnaie plus crédible depuis leur PC ;-)

L’indépendance de la banque centrale et une cible d’inflation explicite sont deux éléments essentiels de ce modèle, qui garantissent son efficacité sur le long-terme… et le rapprochent d’ailleurs peut-être des modèles métallistes du passé : selon Alan Greenspan, en se focalisant sur une cible d’inflation, les banques centrales se comportent peu ou prou comme si l’on était dans un régime d’étalon-or (je ne suis pas d’accord avec lui, mais Greenspan était connu comme étant beaucoup plus favorable à l’or que la plupart des banquiers centraux orthodoxes).

Au final, nous avons la chance de vivre dans une époque de grande stabilité monétaire - assez exceptionnelle historiquement. Mais les banques centrales ont la tâche difficile d’empêcher une déflation dans un monde fondamentalement déflationniste (vieillissement démographique, mondialisation, digitalisation), et les risques politiques sont toujours présents. Comme pour tout le reste, je ne crois pas dans la thèse d’une "fin de l’Histoire" monétaire.
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Voilà, c’est un gros pavé, mais ça m’aura permis de synthétiser mes lectures et mes réflexions sur le sujet ; ce forum me sert aussi de bloc-notes, j’espère que ça intéressera les plus geeks en histoire financière ici. Pour les autres, un message bien plus simple sur ma perspective d’investisseur amateur sur l’or et l’argent suivra bientôt.

Dernière modification par Scipion8 (07/03/2021 04h09)

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1    #778 21/12/2020 18h00

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INTJ

Magnifique synthèse !

J’aurais quelques petites précisions qui vous intéresseront peut-être au sujet de la monnaie Chinoise :

Vous indiquez que les premiers Yuan en argent sont frappés en 1910, c’est techniquement vrai mais ils ont en fait remplacé un système complexe. De 1890 à 1911, chaque province de l’Empire Qing frappait ses propres dollars suivant le même standard (26,8 grammes d’argent 900/1000). Même si la plupart des provinces ne trichaient pas, ces dragon dollars s’échangeait malgré tout avec une prime négative sur les dollars étrangers, particulièrement le dollar mexicain. Les premiers Yuan impériaux furent un échec, dans le sens où s’ils ont remplacé les dollars provinciaux, les dollars étrangers étaient toujours favorisés. Il faut attendre le dollar de Yuan Shih Kai en 1914 et surtout une famine monétaire liée à la guerre pour que le gouvernement ne reprenne le controle de sa monnaie !

C’est assez intéressant, car cela prouve que toutes choses étant égales (ces monnaies avaient la même taille, même poids et même pureté), certaines sont privilégiées au détriment d’autres - et pas forcément celles ayant l’émetteur le plus puissant (quand on parle d’armée mexicaine…). Cela illustre bien votre point sur la confiance, plus importante que la commodité.

En revanche, pour revenir sur vos paragraphes sur les gold bugs, je ne pense pas que ceux-ci imaginent utiliser leur or ou argent pendant une crise (ou bien comme vous dites, ils se font des idées). Je pense qu’ils thésaurisent dans l’idée de pouvoir "rebooter" leur situation financière après une crise, en déterrant leur or une fois que les choses sont redevenues suffisamment stables. Cela ne me paraît pas un point de vue absurde, dans le sens où comme vous dites l’or reste malgré tout une réserve de valeur assez fiable.

Pour revenir sur la confiance, je suis étonné que vous n’ayez pas évoqué les Rai stones - Wikipedia parmi les monnaies "inhabituelles" - dont l’une d’entre elle a encore cours bien que submergée depuis des lustres smile A noter, c’est aussi une sorte de précurseur oral de la blockchain lol


✯ Mangia bene, caca forte, e non aver paura della morte.

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#779 21/12/2020 22h23

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Bonjour Scipion,

Scipion a écrit :

Stratégie pour les prochains mois :
La prime de risque du marché actions américain, à 5% selon l’estimation d’Aswath Damodaran (4,97% exactement au 1er décembre, 4,73% si l’on incorpore son ajustement pour le COVID), demeure supérieure à ma cote d’alerte (4%, soit le niveau pré-krach en 2007, à comparer avec 2% au pic de la bulle techno en 2000 et une moyenne de long-terme de 4,2%).

Scipion a écrit :

7) préparer une stratégie de gestion de bulle, si ce scénario se matérialise :
si la prime de risque du marché actions US baisse sous les 4%, il faudra que je revienne à un levier de 1-1,1 , donc réfléchir à des liquidations éventuelles de lignes (même si le levier baissera naturellement du fait de l’appréciation de mes titres).

Intéressante cette Prime de risque du marché actions Américain !

Et pourriez-vous nous en dire plus et développer sur cela ? Des liens auxquels vous obtenez vos informations récentes, et comment bien les interpréter ?

Car en tapant : aswath damodaran equity risk premium. Je n’obtiens pour le moment que la liste du 01.07.20.
Country Default Spreads an Risk Premiums

De plus son site en Anglais a l’air plutôt compliqué, l’auteur adore les ratios et les maths, en plus son site est hyper vaste…
Damodaram Online

Rajout :
En cherchant bien et dans la page d’accueil, on trouve davantage d’informations, mais il reste encore bien sur a les interpréter correctement.

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Favoris 12    15    #780 23/12/2020 02h06

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Bonsoir,

Un mot rapide sur le portefeuille avant de répondre aux questions sur la prime de risque du marché actions (je répondrai aux autres questions plus tard) : les inquiétudes liées à la propagation de la mutation du virus détectée au Royaume-Uni n’ont eu aucun effet notable sur mon portefeuille ; au contraire il tend à bénéficier des inquiétudes sur le COVID (alors qu’il peut parfois moins bien performer quand le marché anticipe une normalisation de la situation sanitaire - ce qui entraîne alors une rotation sectorielle défavorable aux valeurs de croissance, sur-représentées dans mon portefeuille).

Mon portefeuille IB gagne ainsi près de 2% aujourd’hui, contre -0,2% pour le S&P500 et +0,5% pour le NASDAQ. Il approche +74% YTD (+39% YTD pour le portefeuille global) ; ça va presque trop vite pour moi et je crains un retour de bâton violent dans les prochaines semaines ; ça ne me surprendrait pas que mon portefeuille rende une dizaine, voire une vingtaine, de points de surperformance par rapport au S&P500, sur les 55 gagnés depuis le début de l’année.

Aujourd’hui j’ai fait de nouveaux renforcements, en épuisant ma buylist de valeurs d’ultra-croissance, parfois (très) spéculatives, avec une calibration très prudente : ajout de lignes C3Ai, Editas, Beam Global, Ares Management, Nuance Communications, Blink Charging, Safehold, Chindata Group, Upstart, Desktop Metal, Pacific Biosciences of California, Fusion Fuel + des micro-lignes avec un profil encore plus spéculatif. Des valeurs souvent jeunes, à la valeur intrinsèque très incertaine, et généralement un cours très dynamique ces dernières semaines.

Mon raisonnement est de me placer sur ce genre de valeurs tant que le soleil brille :

- si la bulle continue à se former (pour moi on n’y est pas encore, mais on s’en approche), elles surferont sur la vague et me permettront de continuer à surperformer ;

- quand les marchés se retourneront, on verra bien celles qui survivront, ce sera un bon test ; j’ai sous-calibré ces lignes et je peux me permettre de lourdes pertes sur ce bataillon de "lemmings". Quand les marchés corrigeront sérieusement (ce qui va arriver, à plus ou moins courte échéance), je ne renforcerai pas ces valeurs fragiles (très difficile techniquement / psychologiquement), mais mes valeurs de conviction, beaucoup plus solides, comme j’ai bien su le faire pendant le krach de février/mars 2020. Et je ne vendrai jamais rien, quels que soient les gains ou les pertes (sauf circonstances exceptionnelles du type OPA/OPR).

Je ne sais pas si cette stratégie est optimale dans le contexte actuel, mais en tout cas elle colle à ma psychologie.

Je pense que j’ai désormais bien purgé ma watchlist des valeurs les plus spéculatives. Celles qui restent sur ma watchlist américaine ont a priori un profil bien plus "sage" : Agilent, Apollo Global Management, Bruker, Canadian Pacific Railway, Franklin Covey, Houlihan Lokey, McCormick, Nordson, Old Dominion Freight Line, Ritchie Bros Auctioneers, Saia, WD-40, Watsco, voire Ubiquiti (mais celle-là je ne comprends vraiment pas pourquoi elle monte tout le temps, ça fait des mois que je me pose la question ; dans ces cas-là, je finis souvent par un achat de capitulation).

Si la correction attendue ne se manifeste pas ces prochaines semaines, il est possible que j’oriente plutôt mes prochains renforcements vers l’Europe (pas la France, plutôt l’Allemagne, la Suisse, la Scandinavie), même si le niveau élevé de l’euro (je suis payé en dollars) et l’enquiquinement IB (me forçant à des frais bancaires de change, ce que je déteste) me freinent.
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@Serrure : Oui, Aswath Damodaran a une approche très quantitative de l’investissement boursier, mais c’est justement ce qui fait l’intérêt de son travail : on a grand besoin de ce genre d’analyse "objective" (autant que possible), a fortiori dans un contexte où beaucoup de participants de marché (je m’inclus dans le tas), portés par une vague de douce euphorie, tendent à oublier les fondamentaux des valorisations.

Son travail est donc précieux, mais son site n’est pas le plus ergonomique, je vous l’accorde. Il publie aussi sur Seeking Alpha (le même contenu).

Damodaran calcule mensuellement la prime de risque du marché actions américain (implied ERP = equity risk premium), c’est sur la page d’accueil de son site :

Aswath Damodaran a écrit :

Implied ERP on December 1, 2020= 4.97% (Trailing 12 month, with adjusted payout), 4.49% (Trailing 12 month cash yield); 5.46% (Average CF yield last 10 years); 4.60% (Net cash yield); 3.24% (Normalized Earnings & Payout); 4.73% (COVID Adjusted) (COVID ERP computed with 15% earnings drop in 2020 + 80% recovery by 2025+ Lower % returned in cash flows)

Implied ERP in previous month =5.35% (Trailing 12 month, with adjusted payout), 4.85% (Trailing 12 month cash yield); 5.90% (Average CF yield last 10 years); 4.44% (Net cash yield); 3.50% (Normalized Earnings & Payout); 5.02% (COVID Adjusted) (COVID ERP computed with 20% earnings drop in 2020 + 80% recovery by 2025+ Lower % returned in cash flows)

Vous voyez ainsi qu’en novembre (mois très haussier) la prime de risque du marché actions US a baissé de 38 points de base (0,38 point de pourcentage) : c’est très significatif. 3 mois de plus à ce rythme, et nous serions au début de ma zone d’alerte (4%, soit le niveau de la prime de risque juste avant le krach de 2007-2008).

Juste en-dessous, toujours sur la page d’accueil du site, vous pouvez télécharger sur Excel les séries historiques (Implied ERP by month for previous months, Implied ERP (annual) from 1960 to Current). Vraiment, il est généreux avec son travail et partage tout. Merci à lui.

Pour la méthodologie, je vous conseille de lire la série d’articles qu’il a publié en début d’année, où il explique en détaille la méthodologie. Pour trouver ces articles, ce n’est pas super simple : il faut aller à Writings -> Blog Posts : beaucoup d’articles intéressants, je vous conseille d’y naviguer. Pour la méthodologie de l’ERP, il faut remonter aux articles de janvier/février 2020 (sélectionner "Older Posts", plusieurs fois, en bas de la page) ; Damodaran l’explique en détail, en plusieurs articles (mais peut-être qu’il le fera à nouveau pour son estimation des ERP fin 2020, ces prochaines semaines).

La méthodologie pour déterminer la prime de risque du marché actions est résumée par ce schéma de Damodaran :

Je la résume ici en termes aussi peu techniques que possible, en 2 temps, pour ceux qui ne connaîtraient par la méthode DCF (Discounted Cash-Flows) (ceux qui la connaissent déjà peuvent zapper et passer à (2)) :

1) Pour estimer la valeur d’un actif, quel qu’il soit, on additionne les flux d’"utilité" (= de richesse, de valeur créée) qu’il génère, sur toue sa durée de vie.

Par exemple, si je dois valoriser une vache laitière, je vais essayer d’estimer les flux de valeur qu’elle va générer tout au long de sa vie, en les corrigeant par les dépenses qu’elle va me coûter pour son entretien (nourriture, entretien/chauffage de l’étable, robots de traite, vétérinaire etc.). Les flux de valeur générés par la vache sur son horizon de vie sont sa production laitière, les veaux qu’elle va éventuellement produire, et le prix de la viande à l’abattage. Ainsi, je peux valoriser une vache laitière sur la base de projections de revenus pour le prix du lait, le prix de la viande (pour une vieille vache laitière) et le prix des veaux, et de projections de dépenses pour la nourriture de la vache, les coûts d’entretien etc.

Le raisonnement est le même (en plus simple) pour une action, qui est une "vache" avec un seul produit, des flux de cash, et un horizon de vie infini (alors qu’une obligation non-perpétuelle a un horizon de vie fixe).

Je valorise donc une action sur la base de projections de ses flux de cash nets (i.e. ses profits).

Mais la valeur actuelle d’un flux de cash de 100€ (par exemple versement d’un dividende en année N) qui arrive aujourd’hui dans mon PEA n’est pas la même que celle d’un flux de cash de 100€ qui arrive dans un an (le dividende espéré en année N+1), car le versement de ce dividende futur est incertain. Et cette incertitude croît avec le temps : difficile de dire combien sera le dividende de LVMH dans 10 ans : d’un côté, j’espère qu’il va croître par rapport à celui de 2020 ; d’un autre, il y a une incertitude que je dois prendre en compte. Je dois donc actualiser les cash-flows futurs (d’où le nom de méthode des cash-flows actualisés, ou Discounted Cash-Flows, DCF).

On actualise donc les flux de cash-flows futurs à un taux d’intérêt que l’on estime comme la somme de 2 éléments :

- le taux sans risque : c’est le "loyer de l’argent", qui reflète simplement la préférence pour avoir du cash aujourd’hui plutôt que demain (sans aucune considération de risque). La banque centrale influence fortement ce taux sans risque (c’est d’ailleurs sa fonction principale) ; il peut même être négatif.

- la prime de risque : elle reflète le risque sur les cash-flows futurs.

La prime de risque (qui ne peut être qu’estimée et non observée) varie fortement d’un pays à l’autre, d’un secteur à l’autre, d’une entreprise à l’autre. Par exemple :

- Le risque pays du Venezuela est beaucoup plus élevé que celui de la Suisse (où l’environnement politique et légal est beaucoup plus stable) : donc la prime de risque pays pour le Venezuela sera beaucoup plus forte que pour la Suisse, c’est-à-dire que le rythme naturel de dégradation des cash-flows futurs dans le calcul DCF sera beaucoup plus rapide au Venezuela (forte incertitude sur l’avenir) qu’en Suisse (faible incertitude).

- Le risque sectoriel est plus élevé pour le gaz de schiste (une activité controversée, à l’avenir incertain) que pour les yaourts. Cela justifie une moindre prime de risque pour les firmes agroalimentaires, en général, que pour les producteurs de pétrole/gaz (a fortiori de schiste).

- Le risque idiosyncratique est plus élevé a priori pour une biotech en phase de recherche (à l’issue incertaine) que pour une firme établie avec une demande relativement prévisible et stable/croissante pour ses produits, comme LVMH.

L’estimation de la prime de risque est donc une étape clef lorsque l’on souhaite valoriser une action, c’est-à-dire estimer sa "valeur intrinsèque" pour la comparer au prix du marché. Pour valoriser une action, il ne suffit donc pas de faire des projections des cash-flows futurs, il faut aussi avoir une estimation appropriée de la prime de risque.

2) Ces clarifications sur la signification de la prime de risque dans la méthode DCF étant faites, je passe à l’estimation de la "prime de risque implicite" (implied equity risk premium, ERP) par Damodaran :

La prime de risque implicite du marché actions est celle qui égalise la valeur des cash-flows futurs des entreprises, selon les projections du consensus des analystes et le taux sans risque observé, et la capitalisation boursière de ces entreprises.

Dans une valorisation DCF, on estime (a) la valeur intrinsèque d’une action sur la base (b) de projections de cash-flows, (c) du taux sans risque observé, et (d) d’une prime de risque estimée (ce qui n’est pas forcément évident, comme expliqué plus haut).

Dans une estimation de prime de risque implicite, on estime (d) la prime de risque sur la base (a) des capitalisations boursières observées, (b) de projections de cash-flows, et (c) du taux sans risque observé.

C’est une estimation mathématique assez simple, mais il faut faire un gros travail de synthèse sur les inputs (c’est tout l’intérêt du travail de Damodaran) :

(a) il faut réunir les données sur les capitalisations boursières sur les différents marchés nationaux (c’est assez simple) ;

(b) il faut compiler les estimations des analystes pour les projections de cash-flows ;

(c) il faut estimer le taux sans risque : ce n’est pas si simple, car ce taux sans risque n’est pas directement observable. Ce n’est pas exactement le taux directeur de la banque centrale, car ce taux n’est pas fixe et sur l’horizon (infini) des cash-flows de nos entreprises, le marché peut anticiper des changements du taux de la banque centrale. On utilise généralement le taux souverain à 10 ans.

Sur ce dernier point, Damodaran a une approche élaborée du risque souverain, résumée dans ce schéma (bon, je n’élabore pas sur ce point) :

Cela lui permet d’estimer des primes de risques implicites du marché actions non seulement pour les USA, mais aussi pour tous les pays (annuellement, ici à fin 2019) :

3) Maintenant, le plus important pour nous investisseurs (à la limite, ce n’est pas très grave de ne pas tout comprendre dans la méthodologie) : la signification de la prime de risque du marché actions et son utilisation éventuelle dans nos stratégies boursières.

La prime de risque du marché actions représente la rémunération "offerte" par le niveau actuel des cours pour les investisseurs boursiers, par rapport à un placement "sans risque" (une obligation souveraine à 10 ans, par exemple).

L’investissement boursier est fondamentalement risqué : nous devons donc veiller à ce que ce risque (inévitable) soit correctement rémunéré. Si nous achetons nos actions à des cours déraisonnables, la prime de risque est trop basse et ne nous rémunère pas suffisamment le risque que nous prenons.

Nous pouvons donc comparer la prime de risque implicite du marché actions (telle que Damodaran l’estime, par exemple) avec son niveau historique.

Ce graphique de Damodaran montre la prime de risque du marché actions US entre 1960 et 2019 (il va bientôt l’actualiser avec la prime de risque à fin 2020, j’imagine) :

Vous voyez que sur cette longue période, la prime de risque moyenne du marché actions US est de 4,2%, contre 5% actuellement : c’est pour cela que je dis que, même si certains comportements observables en bourse actuellement (mouvements moutonniers, prise de risque excessive, flambée de valeurs très fragiles, mauvaise perception des risques, ignorance des fondamentaux etc.) me gênent, je ne pense pas que l’on puisse qualifier la situation actuelle de "bulle" pour le moment.

Par exemple, la prime de risque (actuellement à 5% aux USA) reste bien plus élevée que le plus bas historique (2%), observé fin 1999 juste avant l’éclatement de la bulle techno. Clairement, à l’époque les investisseurs auraient dû observer le niveau historiquement faible de la prime de risque et réduire leurs achats en conséquence (voire liquider leurs portefeuilles).

Néanmoins, le graphique montre aussi que fin 2006, juste avant le krach de 2007-2008, la prime de risque était à 4%, pas loin de sa moyenne de long-terme. Donc une très forte correction boursière peut aussi survenir quand la prime de risque est à 4% (voire un peu au-dessus), a fortiori si elle est déclenchée par des facteurs de risque hors bourse (comme c’était le cas en 2007-2008, avec des risques majeurs dans le système bancaire).

Ce graphique de Damodaran montre l’évolution de la prime de risque du marché actions US cette année :

On voit que la prime de risque avait monté jusqu’à 7,75% le 23 mars 2020 : un niveau jamais vu aux USA depuis 1960, et probablement depuis les années 1930. Cela signifie que le risque pris par les investisseurs actions n’avait jamais été aussi bien rémunéré, sur cette période très longue, qu’en mars 2020. C’était un clair signal d’achat, et évidemment j’ai considérablement renforcé mon portefeuille à ce moment-là, même si c’était difficile psychologiquement d’acheter quand les cours baissaient vite, en pleine tempête du COVID.

On est rapidement revenu à un niveau historiquement plus "normal" pour la prime de risque du marché actions US, mais si la baisse de la prime de risque devait continuer à ce rythme, on pourrait approcher assez vite de ma zone d’alerte (4%).

Cela dit, la prime de risque du marché actions n’est certainement pas un outil prédictif parfait. C’est juste un indicateur parmi d’autres - mais l’un des plus utiles à mes yeux pour apporter un peu de clarté dans la compréhension des fluctuations boursières. Il a un grand avantage par rapport aux ratios habituels de valorisation (par exemple moyennes de longue durée sur PER ou VE/EBITDA) : la prime de risque n’est pas affectée par les fluctuations du taux sans risque (c’est-à-dire des taux des banques centrales).

A mon sens, ceux qui se reposent exclusivement sur ces ratios de valorisation pour affirmer qu’il y a une bulle aujourd’hui risquent une erreur d’analyse, en ignorant la forte baisse des taux des banques centrales et le QE (qui fait aussi baisser les taux souverains longs).

Et ceux qui ignorent complètement les ratios de valorisation en croyant que le QE va porter les cours jusqu’au ciel font l’erreur d’analyse symétrique : les banques centrales ne sont pas toutes puissantes ; ce qui compte c’est la rémunération, appropriée ou non, du risque pris par les investisseurs en actions. Si elle est trop faible, alors QE ou pas, il y aura un krach.


La prime de risque du marché action permet de pallier ce problème, mais il ne faut pas l’utiliser comme unique grille d’analyse, mais plutôt comme un complément très utile aux ratios de valorisation et aux indicateurs comportementaux, pour évaluer les risques de surévaluation (ou sous-évaluation) massive des marchés boursiers.
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Je répondrai plus tard aux autres questions, notamment sur le risque souverain : mais je ne voulais pas sembler alarmiste ou catastrophiste sur la France (et évidemment aucun rapport avec mon job, je travaille sur des pays beaucoup moins favorisés !). Je crains une "italianisation" de la France, plutôt qu’un scénario à la grecque, heureusement improbable chez nous compte tenu des grandes richesses de nos entreprises et ménages (= une vaste base taxable). Mais un scénario à l’italienne serait déjà très néfaste pour la performance de nos portefeuilles français, j’y reviendrai plus tard.

Dernière modification par Scipion8 (07/03/2021 04h10)

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#781 23/12/2020 07h56

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Une vaste base taxable, en effet.

En outre, au rythme où vont les mesures exceptionnelles depuis le début de cette crise sanitaire sans précédent, il pourrait même sembler que l’on puisse de moins en moins exclure une ponction dans les réserves constituées par les épargnants, quelle que soit la forme que prenne celle-ci.

Pour le moment, il n’y a bien sûr ici qu’une rumeur qui enfle depuis plusieurs années, au gré de déclarations variablement ambiguës du FMI. Mais à l’occasion, je serais fort intéressé de savoir si vous avez une opinion sur cette question.

Bonnes fêtes à vous, Scipion.

Dernière modification par Ours (23/12/2020 08h13)

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#782 23/12/2020 15h43

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Il y a des outils fiscaux plus simples à mettre en œuvre, me semble-t’il, ainsi que des plus compliqués (l’optimisation fiscale des multinationales et le fait que le modèle d’affaires de certaines a pour effet de detruire la base fiscale est une des composantes du problème du financement des états).

Ce type de mesure ne sort que quand la situation est désespérée, comme en Argentine, ou en année zéro (apparemment le Japon l’a fait après la seconde guerre mondiale). C’est comme le confinement, une mesure calamiteuse à long terme pour survivre à court terme.

Or, si en France on n’a pas de pétrole, on a toujours des idées (d’impôts nouveaux, notre créativité en la matière est légendaire).

Peut-être rétablira-t’on l’ISF ou resoumettra-t’on les dividendes au barème de l’IRPP. C’est peu imaginatif mais ça fait toujours 20% des voix au moins et sait-on jamais, sur un malentendu…. C’est une (petite) partie du point 32 du programme L’avenir en commun de Mélenchon. Mais,  même dans ce plan de passage au socialisme par la répression fiscale qu’on dirait écrit par un Piketty sous acide, il n’apparaît pas de contribution exceptionnelle sur les patrimoines.

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#783 23/12/2020 15h55

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Peut-être taxera-t-on tout de même, Carathodory, les dépôts bancaires, comme en Italie, en 1992.

Cette solution m’apparaît de plus en plus inéluctable. Mais qui peut prédire l’avenir ?…

Comme l’écrivait le quotidien belge l’Écho lors du grand prélèvement chypriote, "A l’époque, la population avait eu une réaction de surprise, pour certains négative, mais avec aussi la conscience que c’était nécessaire"… "Cela en a peut-être fait enrager certains, mais il n’y avait pas tant d’alternatives"."

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#784 23/12/2020 16h20

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Soumettre les épargnants à des taux très négatifs via l’euro numérique pourrait permettre un désendettement "en douceur" : les états auront juste à "rouler" leur dette à un taux légèrement moins mauvais que celui des dépôts à la BCE pour la faire fondre à peu près aussi efficacement qu’avec de l’inflation controlée ?


✯ Mangia bene, caca forte, e non aver paura della morte.

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#785 23/12/2020 17h36

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Pourquoi pas, après tout ?

Le problème est que l’on finit par s’habituer à des taux très bas, et je ne vois pas de raison pour qu’il n’en soit pas de même avec des taux négatifs. Les budgets prévisionnels pourraient bien finir par être calculés en conséquence, avec toutes les répercussions que cela aurait.

Et puis, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Cela ne se refuse pas.

Cette formulation semblera probablement cynique à l’excès, mais la vie est ce qu’elle est…

Dernière modification par Ours (24/12/2020 09h13)

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#786 23/12/2020 23h48

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Scipion8 a écrit :

3) Maintenant, le plus important pour nous investisseurs (à la limite, ce n’est pas très grave de ne pas tout comprendre dans la méthodologie) : la signification de la prime de risque du marché actions et son utilisation éventuelle dans nos stratégies boursières.

La prime de risque du marché actions représente la rémunération "offerte" par le niveau actuel des cours pour les investisseurs boursiers, par rapport à un placement "sans risque" (une obligation souveraine à 10 ans, par exemple).

L’investissement boursier est fondamentalement risqué : nous devons donc veiller à ce que ce risque (inévitable) soit correctement rémunéré. Si nous achetons nos actions à des cours déraisonnables, la prime de risque est trop basse et ne nous rémunère pas suffisamment le risque que nous prenons.

Nous pouvons donc comparer la prime de risque implicite du marché actions (telle que Damodaran l’estime, par exemple) avec son niveau historique.

Ce graphique de Damodaran montre la prime de risque du marché actions US entre 1960 et 2019.
Vous voyez que sur cette longue période, la prime de risque moyenne du marché actions US est de 4,2%, contre 5% actuellement : c’est pour cela que je dis que, même si certains comportements observables en bourse actuellement (mouvements moutonniers, prise de risque excessive, flambée de valeurs très fragiles, mauvaise perception des risques, ignorance des fondamentaux etc.) me gênent, je ne pense pas que l’on puisse qualifier la situation actuelle de "bulle" pour le moment.

Par exemple, la prime de risque (actuellement à 5% aux USA) reste bien plus élevée que le plus bas historique (2%), observé fin 1999 juste avant l’éclatement de la bulle techno. Clairement, à l’époque les investisseurs auraient dû observer le niveau historiquement faible de la prime de risque et réduire leurs achats en conséquence (voire liquider leurs portefeuilles).

Néanmoins, le graphique montre aussi que fin 2006, juste avant le krach de 2007-2008, la prime de risque était à 4%, pas loin de sa moyenne de long-terme. Donc une très forte correction boursière peut aussi survenir quand la prime de risque est à 4% (voire un peu au-dessus), a fortiori si elle est déclenchée par des facteurs de risque hors bourse (comme c’était le cas en 2007-2008, avec des risques majeurs dans le système bancaire).

Ce graphique de Damodaran montre l’évolution de la prime de risque du marché actions US cette année :
On voit que la prime de risque avait monté jusqu’à 7,75% le 23 mars 2020 : un niveau jamais vu aux USA depuis 1960, et probablement depuis les années 1930. Cela signifie que le risque pris par les investisseurs actions n’avait jamais été aussi bien rémunéré, sur cette période très longue, qu’en mars 2020. C’était un clair signal d’achat, et évidemment j’ai considérablement renforcé mon portefeuille à ce moment-là, même si c’était difficile psychologiquement d’acheter quand les cours baissaient vite, en pleine tempête du COVID.

On est rapidement revenu à un niveau historiquement plus "normal" pour la prime de risque du marché actions US, mais si la baisse de la prime de risque devait continuer à ce rythme, on pourrait approcher assez vite de ma zone d’alerte (4%).

Cela dit, la prime de risque du marché actions n’est certainement pas un outil prédictif parfait. C’est juste un indicateur parmi d’autres - mais l’un des plus utiles à mes yeux pour apporter un peu de clarté dans la compréhension des fluctuations boursières. Il a un grand avantage par rapport aux ratios habituels de valorisation (par exemple moyennes de longue durée sur PER ou VE/EBITDA) : la prime de risque n’est pas affectée par les fluctuations du taux sans risque (c’est-à-dire des taux des banques centrales).

Le problème de l’equity risk premium (ERP) est qu’il justifie, d’une certaine façon, et dans une certaine mesure, la baisse ou la hausse des cours. L’exemple le plus marquant est la corrélation entre la variation de l’ERP et des cours en 2020.
En mars 2020, au moment du krach, la hausse importante de l’ERP a conduit à majorer le taux d’actualisation appliqué aux flux de trésorerie futurs et, en conséquence, à minorer la valeur de l’action et à justifier en quelque sorte le krach subi.
Aujourd’hui, alors que les cours ont bien remonté, l’ERP est revenu à sa moyenne historique, ce qui a conduit à minorer le taux d’actualisation des flux de trésorerie futurs et, en conséquence, à majorer la valeur de l’action.

Le paradoxe est le suivant, à titre personnel : j’ai rechigné à acheter certaines actions en mars-avril 2020 parce que j’estimais que leur valeur intrinsèque, déterminée, notamment, à l’aide de la méthode DCFF avec prise en compte d’un ERP de 2 voire 3 % supérieur à celui de janvier 2020, était inférieure à leur cours.
Aujourd’hui, l’actualisation de l’évaluation réalisée au regard notamment de la mise à jour de l’ERP conduit à une valeur supérieure à 1) la valeur intrinsèque déterminée en mars 2020, mais également 2) au cours du mois de mars 2020, mais inférieure au cours du mois de décembre, alors qu’entre temps, les perspectives retenues dans l’évaluation (les flux futurs de trésorerie) n’ont pas vraiment changé.

Comme vous l’indiquez, je pense que l’ERP doit servir uniquement d’indicateur dans la stratégie d’investissement : dans les grandes lignes, ERP plus important que la moyenne = signal d’achat, ERP plus bas que la moyenne = signal de vente ou d’absence d’achat.

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Favoris 1    27    #787 25/12/2020 03h39

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Bonsoir,

Je réponds maintenant aux interrogations et commentaires sur le risque souverain en France (les interrogations sur la soutenabilité de la dette publique).

1) La crise du COVID a considérablement dégradé la situation financière de la France

Ce n’est pas un scoop, mais :

a) l’augmentation de la dette publique est encore plus marquée en France que dans tous les autres États européens. C’est le fameux "quoi qu’il en coûte" de Macron - perso je n’y serais pas forcément opposé (a) si la gestion des derniers publics avant cette crise avait été vertueuse (ce qui n’est pas le cas), et (b) si ces dépenses publiques s’étaient traduites par une efficacité réelle reflétée par un nombre de morts moindre que chez nos voisins (ce qui n’est pas le cas non plus) ;

b) l’endettement des entreprises a augmenté plus nettement en France pendant la crise que dans la plupart des autres pays européens.

C’est ce que montre ce graphique de la BCE (Revue de la Stabilité Financière) : le graphique de gauche montre que la position de la France se dégrade rapidement dans le mauvais "cadran" (ce n’est que pour le premier semestre 2020, l’évolution finale sur l’ensemble de la crise risque d’être bien pire) : à droite (endettement public élevé) et en haut (endettement des entreprises élevé). Nous sommes désormais dans une situation pire que l’Espagne, par exemple.

Note : EA = zone euro (euro area)

2) Si l’on considère l’ensemble des secteurs (ménages, entreprises financières et non-financières, administrations publiques), la France s’est considérablement enrichie ces 20 dernières années

Le patrimoine national net est passé de 5,1 fois le PIB en 2001 à 8,3 fois le PIB en 2019 : quand l’on additionne les patrimoines nets de tous les secteurs, nous avons donc gagné, en termes de patrimoine, plus de 3 ans de création de richesse, notamment grâce à l’enrichissement considérable des ménages (passés sur cette période de 5,6 à 8,8 années de revenus disponibles nets) et des entreprises non-financières (passées de 5,6 à 10,9 années de valeur ajoutée).
Cela relativise fortement les inquiétudes que l’on peut avoir au vu de la hausse de la dette publique : il s’agit en grande partie d’un transfert de richesse de la sphère publique à la sphère privée. (Je sais bien que tout ça va à l’encontre du discours médiatique, mais c’est juste la réalité des chiffres.)

Le volume certes important de la dette publique française ne représente qu’une fraction de la richesse nationale. En d’autres termes, la montée de l’endettement public français est largement le fruit d’un transfert vers le secteur privé, que l’on pourrait imaginer inverser compte tenu de l’importance de la base taxable. Serait-ce possible économiquement et politiquement, compte tenu de la mobilité du capital, du niveau déjà très élevé des prélèvements obligatoires en France et de la résistance désormais violente d’une partie de la population (Gilets Jaunes etc.), c’est une toute autre question.

Si l’on regarde les principaux déterminants de ces évolutions, depuis 2007 (j’entoure en vert les facteurs importants qui ont contribué à un enrichissement national, en rouge ceux qui ont contribué à un appauvrissement national) :

Les principaux facteurs qui ont contribué à l’enrichissement national depuis 2007 sont : (i) un effort régulier d’épargne des ménages, principalement orienté vers l’assurance-vie et les liquidités et (ii) l’appréciation des biens immobiliers des ménages, qui ont largement compensé (iii) la hausse assez dynamique de l’endettement des ménages, des entreprises non-financières et des administrations publiques.

En d’autres termes, la France est un pays de ménages économes et disciplinés dans leur effort d’épargne, qui gèrent leurs finances bien mieux que l’État. La forte préférence des Français pour devenir propriétaires de leur résidence principale contribue à cette discipline d’épargne, pour toutes les couches de la population.

C’est une situation très différente de celle de la Grèce ou du Portugal avant 2011 - des pays où l’endettement débordait dans tous les secteurs : non seulement État, mais aussi ménages et entreprises.

3) Malgré des fondamentaux budgétaires dégradés, la France continue de bénéficier de la confiance des marchés financiers… en partie grâce aux mesures de la BCE

Pour évaluer sur longue période la perception de la qualité de crédit d’un État, je regarde les CDS (Credit Default Swaps), par exemple ici sur une maturité de 5 ans (= la "prime d’assurance" payée par un émetteur désireux de se couvrir contre le risque d’un défaut à un horizon de 5 ans) - de préférence aux rendements obligataires souverains, qui sont influencés par le taux directeur de la banque centrale.

Le CDS souverain à 5 ans de la France est actuellement à 16 points de base, contre un pic à près de 250 points de base en 2012. La crise du COVID a fait monter le CDS souverain de la France à 50 points de base en mars, mais cette hausse n’a été que temporaire, et le CDS est revenu sur ses niveaux d’avant-crise, malgré un endettement public bien plus élevé.

Il est probable que les achats massifs d’obligations souveraines par la BCE, même s’ils ont pour objet l’expansion de la masse monétaire et non un soutien à la capacité de financement des États de la zone euro, influent (à tort ou à raison) sur les perceptions des marchés sur la capacité de la France (et des autres pays) à se refinancer. En outre, le taux négatif appliqué par la BCE sur sa facilité de dépôt contribue à abaisser significativement le coût de refinancement de la dette publique française, améliorant la perception de sa soutenabilité.

4) Avec la crise du COVID, la France se rapproche des fondamentaux budgétaires de l’Italie, un pays beaucoup plus vulnérable aux chocs économiques

Le CDS souverain à 5 ans de l’Italie est actuellement à 98 points de base, lui aussi bien en-deçà des pics de 2012 à plus de 550 points de base. Mais si l’on compare les réactions du CDS souverain italien aux chocs économiques qui surviennent régulièrement, on constate qu’elles sont nettement plus violentes que pour le CDS souverain français jusqu’à présent. A tel point que l’Italie s’approche parfois du seuil dangereux où un pays peut perdre son accès aux marchés obligataires (500 points de base sur le CDS 5 ans : ce n’est pas écrit dans le marbre, c’est juste mon observation empirique). Là encore, on peut légitimement penser que les diverses mesures de la BCE ont eu une influence importante sur la capacité de l’Italie à maintenir son accès aux marchés obligataires :

Ma crainte pour la France, bien plus qu’un scénario "à la grecque", c’est qu’elle bascule progressivement dans une situation proche de l’Italie, c’est-à-dire :

- une plus grande vulnérabilité aux chocs économiques (par exemple un choc inflationniste qui obligerait la BCE à suspendre son QE et/ou à remonter ses taux, ou un choc exogène de type pandémie ou choc politique)

- une augmentation du risque souverain, qui dégraderait rapidement (et de façon non-linéaire) l’équation de soutenabilité de la dette publique

- une augmentation du risque politique, lié à la résistance de la population aux efforts nécessaires pour rétablir les comptes publics, avec un impact négatif sur la perception du marché sur la dette publique française

- une dégradation des relations entre la France et nos voisins plus responsables budgétairement, l’Allemagne en premier lieu, en raison des promesses constamment violées envers nos partenaires et des risques de pressions politiques de la France sur la BCE (par exemple en cas de choc inflationniste)

- une perte graduelle de souveraineté lors des crises majeures, l’État ayant une capacité de réaction de plus en plus réduite et devenant donc dépendant de la solidarité de nos partenaires (via la BCE, le budget européen, l’émission d’Eurobonds, voire à terme le FMI)

La puissance, l’influence et la souveraineté d’un pays ne se perdent pas du jour et lendemain : c’est un processus lent et graduel, le prix de l’accumulation de renoncements, de lâchetés et d’irresponsabilité sur des décennies.

La France est un pays riche, mais elle semble incapable de gérer correctement ses comptes publics. Certains (outre-Rhin, notamment) diraient sans doute que c’est parce qu’elle peut se permettre (en partie grâce à l’euro et aux mesures de la BCE) cette irresponsabilité budgétaire constante qu’elle laisse ses fondamentaux budgétaires se dégrader : c’est la pente politiquement la plus douce, et jusqu’ici elle n’est pas punie économiquement (par une hausse des taux de refinancement sur le marché obligataire).

A terme, ça peut poser un dilemme à la BCE, par exemple, si elle faisait le constat que ses mesures non-conventionnelles ont plus d’effets secondaires pernicieux, sur le relâchement de la dette fiscale, que les effets positifs recherchés : c’est ce qu’on appelle "killing with kindness".

En tout cas, du point de vue de l’investissement boursier, tout cela crée un environnement assez malsain. Il suffit d’observer la performance médiocre de la bourse italienne sur la dernière décennie, pourtant très porteuse dans beaucoup de pays.

5) L’"expropriation" des épargnants français est très improbable (à un horizon prévisible), car politiquement beaucoup plus ardue que d’autres pistes

La base taxable est très large en France (et beaucoup plus aujourd’hui qu’il y a 20 ans, cf. le patrimoine national) : si on voulait rétablir les comptes publics, il suffirait de la taxer (par exemple un impôt à taux bas et assiette large, maintenu sur longue période), il n’est nul besoin d’exproprier qui que ce soit.

Bien sûr une hausse des prélèvements obligatoires, alors que nous en sommes déjà les champions du monde, se heurterait à de fortes résistances politiques, une fuite des capitaux les plus mobiles, et des impacts économiques négatifs dans un contexte déjà morose.

Tout le monde à la tête de l’État est d’accord sur ce qu’il faut faire : c’était déjà ce que m’enseignaient il y presque 20 ans mes profs Inspecteurs des Finances à Sciences Po : réduire la dépense publique, comme l’ont fait avec succès la Suède, le Canada, l’Allemagne, le Danemark - des États qui ont maintenu un niveau de services publics comparables au nôtre (avec une efficacité supérieure). C’est juste une question de volonté politique, et aujourd’hui elle est totalement absente (et quand on voit que les leaders de l’opposition s’appellent Le Pen et Mélenchon, on se dit que ce n’est pas demain la veille que les finances publiques seront gérées correctement).

Malheureusement, cette situation est aujourd’hui possible en raison du contexte déflationniste et du QE. Mais rien ne dit que cette situation perdurera, et ce jour-là je crains qu’il y ait une note salée à payer pour la France.

6) Non, le FMI ne recommande pas la ponction des comptes bancaires ou des assurances vie : c’est une fake news

@Ours, les articles que vous citez sur cette supposée "recommandation" du FMI datent d’octobre 2013. Il est toujours bon face à ce genre de news inquiétante de remonter à la source primaire. La source primaire dans le cas d’espèce, c’est le "Fiscal Monitor" d’octobre 2013, publié par le FMI, et plus particulièrement la "Box" 6 :

Tout part d’une mauvaise traduction / compréhension par un journaliste de la presse généraliste (Le Parisien), qui titre : "Le FMI préconise une super taxe de 10% sur l’épargne" (Le Parisien, 10 octobre 2013).

Pourtant, le FMI dit exactement le contraire : la Box 6 dit que les études empiriques sur les mesures de ponction sur l’épargne montrent qu’elles sont inefficaces pour abaisser l’endettement public, car elles conduisent à des fuites de capitaux et de l’inflation.

Ce journaliste a sans doute mal compris, de bonne foi (il est bien connu que la plupart des journalistes économiques français ne comprennent pas l’anglais, qui devrait pourtant être requis dans ce domaine compte tenu de son usage dans 99% des sources primaires).

Mais ensuite, il y a tout un réseau de spécialistes des fake news, vendeurs d’or, experts en camelote catastrophiste, qui prennent le relai et diffusent massivement cette fake news, y compris à la TV (j’ai vu par exemple Emmanuel Lechypre sur BFM-TV, relayer cette idiotie)… pendant des années.

Sans même devoir creuser les sources primaires pour débusquer les fake news, il y a un principe simple qui s’applique : quand la BCE ou le FMI ont quelque chose d’important à dire, alors c’est le chef qui le dit, pas un grouillot de base de mon genre dans une "Box" d’une obscure publication. ça devrait être évident pour tout le monde. Donc je pense qu’il y a beaucoup de mauvaise foi et de volonté de nuire dans la diffusion médiatique de ce genre de fake news anxiogènes.

J’en profite pour tuer (en tout cas, essayer de tuer, car elles ont la peau dure) 2 autres fake news diffusées par les mêmes idiots (car en général, les 3 vont ensemble).

7) Non, les déposants garantis (<100k€) n’ont pas été ponctionnés à Chypre : c’est une autre fake news

Cet article d’un blog du Monde explique que tous les déposants, y compris les dépôts garantis (<100k€ par déposant et par banque) ont été ponctionnés à Chypre en 2013. Il est diffusé massivement, depuis des années, sur les sites d’extrême-droite, anti-européens et/ou conspirationnistes.

C’est une fake news. Ici, l’entourloupe est double :

a) faire passer un article d’un blog du Monde (où l’auteur s’exprime librement, sans engager en rien le journal et sans vérification éditoriale) pour un article du Monde ;

b) l’article est daté du 17 mars 2013. Or, le programme UE/FMI et les mesures qui l’accompagnaient, dont le bail-in des dépôts de 2 banques systémiques du pays, ont été annoncés par les autorités chypriotes le 25 mars 2013 (voir par exemple le communiqué de la BCE).

Ici, les conspirationnistes jouent sur la première version du sauvetage de ces banques, envisagée par les Chypriotes : il s’agissait d’une taxe sur tous les dépôts (garantis et non garantis). Mais l’UE et la BCE n’étaient évidemment pas enthousiastes sur cette idée (car dès lors il y aurait pu avoir contagion sur les dépôts garantis dans d’autres pays européens), et elle a évidemment été rejetée : la garantie des dépôts de 100k€ a été strictement respectée à Chypre (et dans tous les pays de la zone euro), malgré une situation budgétaire extrêmement tendue à l’époque.

Donc là encore, le vrai message de l’UE est exactement l’opposé de celui que font circuler les vendeurs d’or, anti-Européens, experts en effondrement et autres neuneus : le message, c’est qu’en Europe, la garantie des dépôts est sacrée et sera toujours respectée - même dans les circonstances les plus difficiles.

8) Non, les élites mondiales ne préparent pas un "Grand Reset" pour voler les petits épargnants : c’est encore une fake news

Des leaders comme le chef du World Economic Forum (WEF) et la directrice générale du FMI ont parlé de "Great Reset". Les vendeurs d’or et les collapsologues ont immédiatement sauté sur leurs claviers pour annoncer la fin des devises fiat et une expropriation massive des épargnants… sans même prendre le temps de regarder ce qui avait été dit (car là encore, leur objectif c’est de faire peur, pas de dire la vérité).

La réalité, c’est ça :

Le "Grand Reset", pour le FMI ou le WEF, c’est l’idée de rendre la croissance mondiale plus "verte" et plus "sociale" - en rupture avec le modèle ultra-consumériste dominant jusqu’à présent. C’est-à-dire de regarder la qualité et la soutenabilité de la croissance économique, et non simplement son volume.

Franchement, je connais des idées plus controversées que ça. Perso, ça me fait plutôt penser à une bouillotte tiède qu’à un désastre imminent. Mais là encore, peu importe la réalité pour les spécialistes des fake news.

En résumé : il n’y a nulle part de plans cachés contre notre épargne ; la vraie menace, c’est la continuation indéfinie de l’irresponsabilité budgétaire qui domine en France depuis des décennies, avec l’assentiment des électeurs, à chaque fois qu’ils ont l’opportunité de voter. C’est ça le risque, et ce risque se matérialisera par des impôts toujours plus pesants, une dégradation de la compétitivité de notre économie, et à terme une souveraineté de plus en plus relative. Uniquement par notre propre faute, comme citoyens/électeurs - et pas par celle d’"élites" technocratiques machiavéliques, qui n’existent nulle part ailleurs que dans l’imagination de ceux qui trouvent plus facile de chercher des coupables que de s’interroger sur leurs errements et leurs responsabilités.

Joyeux Noël à tous !

Dernière modification par Scipion8 (07/03/2021 04h11)

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#788 25/12/2020 07h14

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Bonjour Scipion,

Lorsqu’on parle de la dépense publique française  et qu’on émet l’opinion qu’elle n’est pas gérée de façon vertueuse, on devrait, selon moi, dire en quoi elle n’est pas gérée de façon vertueuse pour pouvoir proposer des correctifs.

Pour ceci, il est beaucoup trop grossier de donner juste le ratio depenses_publiques/PIB. Affinons un peu l’analyse. Celui se décompose comme une somme de 3 ratios, les dépenses publiques se décomposant en une somme de 3 composantes:
1) les dépenses des administrations publiques
2) les dépenses sociales
3) les dépenses d’intervention économique.

Je prétends que les données de la comptabilité publique permettent de voir que ce sont les contributions 2) et 3) qui sont les plus dynamiques en particulier en cas de crise et que ce sont elles qui contribuent le plus a la dégradation des finances publiques.

Je prétends que c’est la seule composante 1) qui est contrôlée.
Mon experience de terrain (je suis assez informé du budget global de mon université) me suggère que la composante frais généraux est contrôlée de façon particulièrement  tatillonne,  sauf pour la qualité ou le prix des services achetés aux entreprises privées, et que le dynamisme de la masse salariale  est un artefact de la politique d’emploi. Cela a un impact sur la qualité du service (il ne m’est jamais demandé depuis 15 ans que je dois participer de façon infinitésimale à la gestion de l’établissement que de la baisser) et sur le moral des troupes (le mien compris).

Je prétends que c’est la partie 3) qui est la plus incontrôlée (en 2020 nous avons vu des choses assez extraordinaires).

Je ne cherche pas à le démontrer et ne le ferai que si ces trois assertions sont contestées. Je prends un risque d’être démenti mais c’est ainsi qu’on progresse.

On peut bien sûr affiner davantage l’analyse.

Par ailleurs, vous observerez que j’utilise le mot controlé plutôt que le mot vertueux. En effet, je trouve préférable d’utiliser un vocabulaire neutre moralement lorsque je cherche à décrire objectivement les faits.

En revanche, j’ai utilisé l’expression moral des troupes, pour introduire une métaphore militaire. Je vous sais féru d’histoire militaire et je souhaite donc évoquer le vieux principe que le général expérimenté se préoccupe un peu de la stratégie et beaucoup de la logistique. C’est le reproche principal que je fais à Macron, d’être un pur officier d’Etat Major n’ayant aucune idée de comment on exécute en vrai un plan sur le terrain et c’est sans doute l’effet de son inexpérience pour ne pas dire de sa présomption.

Finalement cela vient en appui de plusieurs de vos thèses:

1- on peut envisager une chaîne causale dette>dépense publique>patrimoine privé pour expliquer la concomitance de l’explosion de la dette et de la richesse privée car la composante 3) des dépenses publiques y contribue notamment  en évitant (retardant?) le processus de la destruction dite créatrice en 2020 mais aussi en gonflant les marges des entreprises qui bénéficient de ces transferts tandis que la composante 2) fait la même chose pour les ménages.

2- le risque du mécontentement social dans les divers segments de la population, y compris chez les fonctionnaires, c’est à dire les troupes de l’action politique de l’État. Observez d’ailleurs les relations difficiles du présent gouvernement avec les forces de l’ordre qui sont en charge de la gestion du mécontentement d’autres catégories.

Vient toujours un moment où l’on doit introduire de la psychologie (le moral des troupes est une façon familière de parler de la psychologie du soldat) dans l’analyse des phénomènes économiques quand ils deviennent politiques.

Quant à la morale….. C’est une toute autre histoire et ce n’est pas le lieu d’expliquer pourquoi je prends grand soin d’en expurger mon discours lorsque je cherche à être objectif.

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#789 25/12/2020 09h32

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J’ai utilisé le système de réputation pour vous remercier, Scipion, pour ce retour extrêmement enrichissant et argumenté.

Par commodité et dans l’éventualité où les intervenants y trouvent un intérêt après avoir lu votre dernier billet, je me permets d’insérer ici un lien vers un échange que vous aviez eu sur ce forum sur le dossier chypriote, que vous aviez suivi de près. Cela m’avait échappé à l’époque. J’ai retrouvé ce fil ce matin entre deux rédactions de messages de vœux.

Joyeux Noël à vous aussi !

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#790 25/12/2020 16h18

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Scipion8 a écrit :

Bonsoir,



4) Avec la crise du COVID, la France se rapproche des fondamentaux budgétaires de l’Italie, un pays beaucoup plus vulnérable aux chocs économiques


Joyeux Noël à tous !

Bonsoir,

Mes remerciements également auprès de Scipion pour ses publications toujours denses, riches de contenus et en large partie vulgarisante.

Concernant la période COVID, je vous trouve un peu dur avec la France (que visiblement vous n’avez pas quitté de coeur). Autant depuis des années, effectivement j’avais la conviction que nous prenions une voie différente de l’Allemagne et proche de l’Italie (plus dépenses, moins d’économies, moins d’investissements), autant pendant cette période de COVID, je me demande si la réaction à cette crise n’est pas plus sage qu’il n’y parait. L’ensemble l’UE mais aussi les USA ont réagi en tenant des actions d’endettement au marasme social et économique possible (et qui peut arriver post-covid). Au moins dans nos pays occidentaux, ces plans d’endettement ne contribuent certainement pas à davantage de rigueur budgétaire. Mais ne pensez vous pas qu’il s’agit de plans indispensables pour sauvegarder et notre économie et notre population ? Est ce que tous les pays qui en ont la capacité grâce aux liens qu’ils ont avec la BCE ou la FED ne réagissent pas de la même manière ?
Certes les emprunts Français Allemands ou Italiens sont toujours dissociés, mais ne doit on pas considérer que demain ces pays (avec l’Espagne et les pays les plus plus européens) vont se défendre avec une BCE qui mettra les instruments adaptés ? La protection assez nouvelle que vous indiquez n’est elle pas notre parapluie nucléaire ? N’est elle pas acté de plus en plus par les marchés ? Le seul risque réel n’est il pas politique ? N’est il pas de trouver un nouveau pays qui fasse un nouveau référendum idiot du style "Pour ou contre l’Euro ?", " Pour ou contre la BCE ?". Je l’appellerai une tentative de suicide par référendum démagogique ?

Je suis particulièrement heureux de poste un joyeux noël à tous sur ces publications de scipion. Je vous souhaite également à tous et à ceux qui contribuent  à ce forum extrèmement riche une année de bonheur, une année aussi où nous déclarerons la guerre à la morosité de l’existence et non à l’humilité.

Bien à vous,


Embrassez tous ceux que vous aimez

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Favoris 1    5    #791 28/12/2020 20h37

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Cher Scipion,

J’ai critiqué certains de vos posts par le passé, puis je suis passé à autre chose. Aujourd’hui, je vais en remettre une couche ; il faut toujours un peu de contradiction à la pensée mainstream.

Scipion8, le 25/12/2020 a écrit :

l’augmentation de la dette publique est encore plus marquée en France que dans tous les autres États européens. C’est le fameux "quoi qu’il en coûte" de Macron - perso je n’y serais pas forcément opposé […] si ces dépenses publiques s’étaient traduites par une efficacité réelle reflétée par un nombre de morts moindre que chez nos voisins (ce qui n’est pas le cas non plus)

Plusieurs problèmes me sautent aux yeux dans cette phrase :

1. Les dépenses publiques n’ont pas été faites pour sauver des gens du Covid mais pour sauver les finances des personnes et des entreprises. Je vois bien qu’il y a un lien entre les deux mais un lien n’est pas une corrélation égale à 100 %. On peut le voir ainsi : en gardant exactement les mêmes fermetures administratives, confinement etc, c’à-d. à morts covid constants, on aurait pu indemniser plus, ou moins, ou pas du tout. Cela montre que les variables ne sont pas liées de façon univoque.

2. Le nombre de morts de la Covid dans un pays est multifactoriel, et personne ne peut dire aujourd’hui (enfin, justement, certains le disent mais ce sont des imposteurs) quels sont exactement les facteurs de mortalité de tel ou tel pays. Les pays n’ont pas été atteints en même temps, il se peut que les souches ayant atteint chaque pays soient différentes, la présence d’un gros cluster initial change tout : quand vous multipliez une exponentielle par 10, au début ça ne se voit pas, mais après un moment ça change tout, le type d’habitat et d’habitudes peut faire varier la mortalité, etc. Donc, faire une comparaison entre pays sans essayer d’enlever au préalable l’effet des variables confondantes (c’est le terme consacré en statistiques) est une argumentaire de café du commerce, pas un argumentaire scientifique.

3. Si vous faites des erreurs aussi grossières dans ce que je comprends/connais, est-ce que je dois vous croire quand vous parlez de choses que je ne connais pas ? Quand je vois ce genre d’erreur chez des personnes de votre niveau de responsabilité, ça m’inquiète.

4. Juger les effets des politiques publiques sur le covid maintenant de façon définitive me parait prématuré : c’est à la fin que l’on pourra tirer un bilan. Il y a encore quelques mois, je lisais régulièrement, "regardez la Suède, l’Allemagne, les UK, les US, ils font différemment de nous" sous entendu "ils sont plus malins". Ce genre d’argument porte un peu moins maintenant (fermer tous les magasins non essentiels 10 jours avant Noël en Allemagne, c’était pas un fantastique symbole de réussite, etc).

5. Il n’est pas question de dire que la France a eu raison ou tord. C’est tout le contraire, il est question de faire preuve d’un peu d’humilité. La démarche de l’honnête homme, ou en tout cas de l’homme de science, est de se poser des questions, de démêler le vrai du faux, souvent après avoir écarté de nombreuses variables confondantes, ce n’est surement pas juste de répondre à une question après avoir fait un graphe d’une variable en fonction d’une autre.

Je crois qu’au fond, ce qui me pose problème, c’est que vous prétendez avoir une démarche scientifique, alors que ce n’est pas le cas.

C’est dit, et j’essayerai de ne plus vous embêter, au moins jusqu’à la prochaine fois smile

JL

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1    #792 28/12/2020 21h06

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Les pays n’ont pas été atteints en même temps, il se peut que les souches ayant atteint chaque pays soient différentes, la présence d’un gros cluster initial change tout : quand vous multipliez une exponentielle par 10, au début ça ne se voit pas,

Point que peu de gens comprennent dans leurs comparaisons, en effet.

Lors du 1er confinement, l’Allemagne a confiné en même temps que la France (au niveau du calendrier), mais elle avait 5jours de retard sur nous dans la propagation de l’épidémie (nous avions nous même du retard sur l’Italie et l’Espagne).

Dans une situation de croissance exponentielle (rappelons qu’en mars le temps de doublement était de 2j), ça change l’intégrale (= le nombre de morts) du simple au triple.

Pour l’explication des "retards", forcément, il faut qu’il y ait un premier et un dernier smile.

Plus précisément, il semblerait que :
- pour l’Italie et l’Espagne, l’événement catalyseur a été le match Bergame-Valence de Ligue des Champions le 19 février.
- pour la France, le rassemblement évangélique du 17 au 24 février (qui a essaimé à compter du 24).
- pour l’Allemagne, il n’y a, à ma connaissance, pas d’événement particulier identifié.

Par ailleurs, rappelons que géographiquement, la France a été très peu touchée lors de la première vague : il y a eu deux foyers intenses (Grand Est et IdF), mais le reste du pays était largement épargné (la France aurait tout réussi en Bretagne et tout loupé en Grand Est ?).

L’Allemagne :
- a eu la chance de ne pas avoir de grand cluster à affronter en première vague (comme la Bretagne par exemple)
- a eu l’intelligence de confiner rapidement alors qu’elle avait encore peu de cas, c’est à dire un peu avant les autres (pas au niveau du calendrier, mais au niveau de la propagation de la maladie au sein de sa population).

Dernière modification par Geronimo (28/12/2020 21h43)

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#793 28/12/2020 22h36

Exclu définitivement
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Scipion8, le 21/12/2020 a écrit :

Quand je vois certains se plaindre de l’euro, je rêve d’avoir une machine à remonter le temps pour leur montrer ce que veut dire l’instabilité monétaire… L’euro est une monnaie remarquablement stable, et une monnaie stable est la meilleure chose qu’une banque centrale puisse donner à l’économie nationale.

.

Je me souviens très bien de cette époque, les années 70 et 80 ; en effet, l’inflation y était très forte et cela n’avait pas que des inconvénients pour les particuliers, bien au contraire. C’est ainsi que les emprunteurs remboursaient sinon en monnaie de singe mais avec un franc dévalué : une inflation galopante mais des salaires indexés, voilà en effet qui facilitait bigrement la vie des emprunteurs, c’est-à-dire des classes moyennes et modestes pour lesquelles le coût des mensualités devenait au fil des ans de plus en plus indolore.

En revanche, les rentiers, porteurs d’obligations ou d’actions, étaient laminés au fil des ans, euthanasiés comme l’a écrit Keynes. A cette époque, il était très difficile d’acquérir des titres en dehors de la bourse de Paris et la diversification des portefeuilles quasi inexistante. Le seul moyen pour les classes aisées de protéger leur patrimoine était d’investir dans la pierre, les loyers suivant peu ou prou l’inflation, ou d’acheter de l’or physique, ce qu’il était possible de faire dans l’anonymat jusqu’en 1981.

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8    #794 29/12/2020 03h37

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@JeromeLeivrek : Merci pour votre message. Sur certains points je suis d’accord, sur d’autres non. Je réponds en commençant par des éléments généraux (au-delà du cas d’espèce) puis sur le fond sur ce sujet en particulier.

1) Quand j’écris sur un forum, je ne prétends évidemment pas avoir la qualité et la rigueur d’une publication académique. J’écris ce que je pense, comme je le pense, au moment de l’écrire, à la manière d’un carnet de bord. Je mêle en général des éléments factuels, des opinions, des jugements plus ou moins solides ou au contraire biaisés (des biais psychologiques, politiques, professionnels etc.), parfois de façon explicite ("je pense que…", "à mon avis…" etc.), parfois de façon implicite. Jamais je n’ai affirmé exprimer l’unique et incontestable vérité ; je retrace simplement ma réflexion du moment, qui peut évidemment être imparfaite, plus ou moins juste, et que je corrige souvent a posteriori.

2) Si vous exigez de tous les forumeurs une rigueur académique, alors il n’y a plus de forum. Si, avant de poster une réflexion, il faut la justifier par un travail économétrique - validé/corrigé par les "pairs" sur le forum - alors le rythme des discussions sur le forum risque de changer légèrement (comme vous le savez professionnellement, j’imagine). D’ailleurs, la lecture de la presse économique/financière doit vous être difficile, car à mon sens et à quelques exceptions près (The Economist, FT), son niveau de rigueur est généralement moins élevé que la plupart de mes posts, je pense.

3) Au contraire, un forum vit de vulgarisation, d’échanges de compétences, et de la confrontation d’idées. J’ai une bonne maîtrise de certains sujets par mon expérience professionnelle, sur d’autres beaucoup moins - ça ne m’empêche pas d’exprimer mon opinion et de la confronter à celles d’autres éventuellement plus compétents sur ces sujets. Les corrections de mes erreurs éventuelles, les précisions, les idées différentes (comme votre dernier message) sont toujours bienvenues, puisqu’elles me permettent de progresser. Évidemment, on peut toujours se vexer à s’entendre dire qu’on se trompe, et la forme des corrections peut faciliter un dialogue constructif. Je prends pour 2021 la bonne résolution d’être plus ouvert aux différences de vues (je l’écris pour qu’on me le rappelle éventuellement).

4) Mes posts sont trop longs (c’est encore le cas pour celui-ci), et vous voudriez que je les rallonge encore ? C’est sûr que la phrase que vous avez mise en exergue mériterait un long débat - mais ce n’était pas l’objet de mon (très long) post, qui était déjà vaste et compliqué. Il faut que les posts restent lisibles pour la plupart des gens - et déjà les miens sont souvent à la limite ; alors si je dois justifier factuellement chaque phrase…

5) Les dépenses publiques à l’occasion de la pandémie ont été engagées pour sauver des vies ET pour limiter les dégâts pour l’économie. Les 2 objectifs sont manifestes (et évidemment légitimes). A mon sens, la France a engagé des dépenses publiques supérieures à celles de la plupart de ses voisins, pour un coût humain comparable ou plus élevé, et pour un coût économique comparable ou plus élevé.

Allemagne : PIB 2020 -5,5% (projection Bundesbank), morts COVID 31k (0,037%), dette publique estimée fin 2020 72% PIB (+12 points)
France : PIB 2020 -9% (projection Banque de France), morts COVID 63k (0,094%), dette publique estimée fin 2020 119% PIB (+21 points)

6) Si l’on veut mesurer la performance des pouvoirs publics dans la gestion de l’épidémie, alors il ne faut pas considérer comme exogènes des facteurs dont ils ont la maîtrise (au moins) partielle :

- Je suis bien d’accord sur le fait qu’un événement initial super-contaminateur peut changer significativement la dynamique de l’épidémie dans un pays, mais pourquoi diantre considérer implicitement, comme vous le faites, que l’existence ou non d’un tel événement dans un pays est simplement le fruit du hasard, plutôt que de décisions appropriées ou non des autorités ? La gestion de l’épidémie en France n’a pas commencé (ou n’aurait pas dû commencer) lorsque le virus a commencé à toucher notre pays, mais quand les premières alertes ont été données sur un virus contagieux à l’œuvre en Chine, et cette information a atteint les gouvernements à peu près au même moment (le gouvernement chinois un peu avant les autres, malheureusement). A mon sens, il était de la responsabilité des autorités françaises de prendre des mesures de précaution dès cet instant - ce qu’elles n’ont absolument pas fait (au contraire d’autres pays, Taïwan, par exemple). Sur ce point, c’est vous qui faites une erreur de logique, pas moi (ou en tout cas votre hypothèse implicite exonère très généreusement les autorités d’un travail crucial de préparation).

- Même observation sur l’impact des "habitudes" : je suis bien d’accord avec vous pour dire qu’en toute probabilité, les habitudes de vie en société ont un impact sur l’évolution différenciée de l’épidémie dans les différents pays. Mais c’est précisément le rôle d’un État de changer les habitudes de la population - sinon, il n’y a pas besoin d’État. Le rôle de l’État, c’est de récompenser/encourager les "bons" comportements et de punir/interdire/limiter les "mauvais" comportements. S’il n’est pas prêt à le faire, a fortiori dans une situation d’urgence, à quoi donc sert l’État ?

- D’autres facteurs sont partiellement exogènes aux décisions de l’État (en tout cas sur un temps court), comme l’habitat, d’autres complètement exogènes (modulo des mesures extrêmes et/ou de long-terme), comme la densité de population, la structure démographique de la population, la prévalence des comorbidités etc.

- A contrario, des facteurs endogènes aux décisions de l’État sont/étaient les équipements en masques, respirateurs, nombre de lits de réa, personnels qualifiés etc.

Donc vous voyez que votre argumentaire (plus développé que la courte phrase que vous avez mise en exergue) mériterait lui aussi un vaste débat. Devons-nous attendre une étude rigoureuse réalisée par des professionnels pour en discuter, ou pouvons-nous néanmoins émettre des idées, des opinions, des jugements préliminaires ?

7) En l’occurrence, sur la plupart des facteurs (véritablement) exogènes, l’Allemagne est comparable à la France, voire moins bien placée que nous : population plus âgée, densité plus élevée, comorbidités au moins autant prévalentes (sur la base de mon expérience empirique de plateaux de charcuterie gargantuesques à Francfort).

Donc vos variables confondantes, elles ont intérêt à avoir les épaules très larges si l’on veut démontrer que la France aurait mieux géré cette épidémie que l’Allemagne. Sur la base des chiffres connus (nombre de morts, dépenses publiques, baisse du PIB) et de ce raisonnement superficiel, préliminaire et non rigoureusement scientifique, je dirais qu’en toute probabilité, l’Allemagne a jusqu’ici bien mieux géré cette épidémie que la France, sur les plans sanitaire et économique.

(Sur le plan économique le débat est aussi compliqué : l’importance des secteurs économiques dans les 2 pays n’est pas la même - tourisme plus important en France, mais activités exportatrices / secteurs cycliques plus importants en Allemagne. J’ai bien compris que votre remarque portait sur la méthode et la présentation pseudo-scientifique dans mon message, pas sur la question de savoir si la France ou l’Allemagne avait mieux géré la pandémie. Mais voilà comment je reformulerais mon opinion, pour le forum.)

8) Je vous rassure : les banques centrales et institutions pour lesquelles je travaille pratiquent au quotidien l’analyse collégiale critique d’à peu près tout ce qu’elles produisent (décisions, réglementations etc.). Je passe une bonne partie de mon temps (beaucoup plus depuis que je travaille pour la maison-mère) à passer en revue des rapports de mes collègues, et à répondre aux critiques/remarques de mes collègues (de profils variés : économistes, experts juridiques, superviseurs bancaires etc.) sur mes propres rapports.

Dans le cadre du forum, je m’exprime très souvent sur des sujets sur lesquels je n’ai pas de compétence professionnelle ; alors qu’évidemment dans un cadre professionnel je suis très spécialisé et je reste à mon poste (comme dans une équipe de foot).

Par ailleurs, je suis un opérationnel, un "plombier" des marchés financiers (marché monétaire principalement), spécialisé dans la mise en œuvre technique de mesures décidées par d’autres, plus cérébraux et habitués à un niveau d’exigence plus académique. Je suis l’ambulancier du SAMU, mes collègues sont médecins urgentistes, chirurgiens ou professeurs de médecine. Cela dit, quand un patient agonise, c’est moi qu’on lui envoie en général, pas un ponte ;-) Donc pas d’inquiétude, le système financier mondial ne va pas s’effondrer demain du fait de mes jugements hâtifs ;-)

Dernière modification par Scipion8 (07/03/2021 04h13)

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#795 29/12/2020 08h08

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Bonjour Scipion,

Je ne suis pas d’accord avec vous : vos posts ne sont pas trop long. A vous lire on comprends votre besoin de fonder autant que possible votre argumentaire (et je ne vous rejoint pas sur votre comparaison France Allemagne, très hâtive et réductrice en matière éco / crise Covid19 cela m’étonne de vous pour le coup, je pense au tourisme par exemple wink ). De plus vous faites l’effort de faire une phrase d’intro synthétique pour les lecteurs paresseux…Ce sont des messages formellement pro et c’est vraiment agréable à la lecture.
Bref chacun prend ce qu’il veut, ce qu’il peut, en fait ou pas l’analyse critique qui lui convient, et c’est parfait.
NB : la seule chose qui me stupéfait c’est que vous ayez le temps et la gentillesse de partager ainsi vos idées avec un job pareil. J’espère que vous avez le temps de dormir.

Dernière modification par Iqce (29/12/2020 08h38)


Tant que t'as pas vendu t'as pas gagné. Mais t'as pas perdu. Mais t'as pas gagné. Mais…Oh zut fait @*

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Favoris 2    17    #796 01/01/2021 23h27

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Bonsoir,

Je publie une série de messages sur cette file avec :
1) le compte-rendu de ma performance boursière en 2020
2) le portefeuille complet (ses 5 poches) - ça risque de nécessiter plusieurs messages compte tenu du nombre de lignes (près de 900)
3) mon point de vue sur les perspectives boursières en 2021

Je commence ici par le compte-rendu de ma performance boursière en 2020.

Mon navire amiral, mon portefeuille IB, avec une performance 2020 de +70% (TWR = time-weighted return) bat le S&P500 de 51,5 points et le NASDAQ 100 de 22 points. Le TRI 2020 (MWR = money-weighted return) est à +75%.



[En passant : à la lecture de certaines files de portefeuille, j’ai parfois de gros doutes sur la mesure des performances : les 2 mesures standard, ce sont le TWR et le MWR/TRI. Je ne suis pas sûr de la façon de calculer la "valeur de la part", mais enfin si on y intègre les apports, ce n’est évidemment pas une mesure de performance.]

Ce portefeuille IB, qui représente désormais 51% du portefeuille global (contre 37% au début de l’année 2020), tire évidemment la performance du portefeuille global : +37,5% en 2020, soit 21 points de plus qu’un ETF Monde en USD, malgré un effet de change très défavorable.

Mon portefeuille européen (Saxo) a aussi très bien performé, battant son indice de référence de 22 points en 2020.

En France, mon ancien navire amiral, mon CTO France orienté rendement, sous-performe légèrement son benchmark, alors que le PEA a performé correctement, et le PEA-PME, orienté small caps value, a très bien performé en 2020, comme on le voit sur le forum dans plusieurs files de portefeuilles d’investisseurs value.

Au total, le portefeuille global aura gagné +387k€ en 2020 (après +338k€ en 2019), dont +117k€ en apports nets et +270k€ en création de valeur (dont +251k€ sur le seul portefeuille IB). Financièrement, 2020 aura donc été pour moi une année très positive, surtout compte tenu du handicap de 5 mois d’inactivité professionnelle forcée en raison de la pandémie, qui m’aura empêché de renforcer mon portefeuille pendant toute cette période (et m’aura même obligé à faire des prélèvements, en l’absence de tout autre revenu).

Depuis sa création en juin 2018 (2 ans et demi), le portefeuille IB a progressé de près de +105% (TWR). La période d’observation reste trop courte pour tirer des conclusions définitives (je ne suis pas à l’abri d’un retour de bâton sur les valeurs de croissance), mais c’est un début très encourageant. Je reste convaincu que l’environnement économique et monétaire (risque déflationniste persistant) va conduire les banques centrales à maintenir des taux bas et à conduire des QE à répétition sur longue période, donnant un avantage structurel aux valeurs de croissance. Pour 2021, je pense néanmoins possible une grosse correction sur les secteurs les mieux valorisés (j’y reviendrai dans le message dédié).



La valorisation des titres de ce portefeuille IB a désormais dépassé 850k€, pour une utilisation de la marge de 233k€ (en 4 devises : USD, EUR, CAD et AUD). Cette utilisation de la marge, qui a beaucoup augmenté en 2020 (notamment pendant le krach), représente environ la moitié de mes fonds € et liquidités de précaution (environ 450k€) et plus d’un an de salaire : c’est donc significatif, mais pas déraisonnable à mon sens. Néanmoins, au fur et à mesure que mon portefeuille boursier grossit, se pose la question du risque de disproportion avec mes revenus professionnels et mes placements sécurisés - 2 mécanismes de "coupe-feu" essentiels. A terme, cela devrait a priori me conduire à un pilotage plus prudent du levier (par exemple un plafond de 1,3 hors grosse correction).

A l’occasion de mon dernier apport de cash de 2020, j’ai fait baisser le levier de ce portefeuille IB à 1,37 : dans la perspective d’une probable correction, je vise un levier de 1,2-1,3 en début de correction, afin de pouvoir renforcer pendant la baisse, comme je l’ai fait en février/mars 2020. Les autres portefeuilles n’ont aucun levier (et je n’ai aucun autre endettement - ni personnel, ni immobilier).

Malgré la forte croissance des valeurs technologiques en 2020, j’ai réussi à empêcher une concentration excessive de mon portefeuille IB sur le secteur technologique, qui n’en représente "que" 44% - une proportion à peu près stable ces derniers mois. J’ai en effet orienté une large part de mes renforcements vers d’autres secteurs - notamment la santé. Je vais continuer sur cette voie en 2021, car je crains une correction d’ampleur sur les valeurs technologiques. De ce point de vue, je suis beaucoup plus à l’aise avec mon portefeuille IB bien diversifié sectoriellement (même s’il a une forte pondération technologique) qu’avec un ETF NASDAQ avec un levier équivalent.

Ce portefeuille IB est aussi (un peu) diversifié géographiquement, n’étant américain "qu’à" 84%. Je vais continuer à renforcer cette diversification géographique, via des renforcements orientés vers les pays émergents et l’Australie dans ce portefeuille (et bien sûr via des renforcements de mes autres portefeuilles, notamment mon portefeuille européen).

Les 25 premières lignes de ce portefeuille IB (sa composition complète dans l’ordre alphabétique des tickers est plus bas) :

Les indicateurs de performance et de risque de ce portefeuille IB montrent que l’alpha et le beta (1,36, soit plus ou moins le levier moyen sur l’année) ont tous les 2 contribué à son excellente performance en 2020, avec des ratios Sharpe et Sortino doubles de ceux du S&P500. En revanche, le maximum drawdown, à -42%, a été pire que celui de l’indice (-34%), reflétant le caractère offensif de ce portefeuille. Le portefeuille global est beaucoup plus équilibré, en raison de mon stock-picking globalement défensif en France.

Les mêmes indicateurs de performance et de risque depuis la création du portefeuille (juin 2018) suggèrent que 2020 est dans la continuité des bonnes performances de ce portefeuille depuis ses débuts, même si le beta a augmenté en 2020.

Un point technique qui intéressera peut-être les utilisateurs d’IB en attente du transfert de leur portefeuille du Royaume-Uni vers la zone euro (Irlande ou Luxembourg) : ce transfert conduit à un nouveau numéro de compte IB (seul le premier chiffre change). Les rapports automatiques d’IB agrègent l’ancien compte (Royaume-Uni) et le nouveau compte (zone euro), en les distinguant, comme ci-dessous. C’est clair et bien fait, aucun problème à ce niveau (même si ça m’a un peu perturbé au début). Je reste très mécontent de l’impossibilité de retirer des fonds de mon portefeuille IB tant que ma position cash est négative (et dans mon cas, elle l’est beaucoup, à -233k€, et avec mon style buy & hold je peux difficilement revenir rapidement à une position cash positive - transformant de fait mon CTO IB en quasi PEA bloqué).

Je publie maintenant la composition exhaustive de mon portefeuille IB.

Quelques avertissements :

- La calibration des lignes est plus importante, dans mon approche, que le choix des valeurs : j’ai beaucoup de valeurs très risquées (par exemple Nikola, en forte moins-value), mais je les calibre prudemment (parfois ma mise initiale n’est que de 500$, sur des valeurs que je juge risquées). En revanche, je calibre fortement les valeurs dans lesquelles je crois, parfois dès l’initiation des lignes.

- De même, je suis exigeant sur mes renforcements : je les destine à des entreprises qui performent bien sur le plan fondamental, et je suis extrêmement prudent dans mes renforcements à la baisse : je préfère renforcer à la baisse à l’occasion de corrections générales.

- J’ai déjà expliqué sur ce forum ma construction de patrimoine par "couches" (suivant la pyramide de Maslow), avec une prise de risque plus importante à chaque couche successive. Je peux me permettre aujourd’hui d’investir dans des valeurs risquées parce que mon patrimoine est bien diversifié (ce portefeuille IB représente moins d’un quart de mon patrimoine, je ferai un point dans ma file de présentation).

- Ce portefeuille a très bien performé jusqu’ici (depuis sa création mi-2018), mais il est fortement exposé au facteur croissance, aujourd’hui très bien valorisé aux USA. Il y a un risque important de correction sur ces valeurs, à mon avis (j’y reviendrai dans mon message sur les perspectives pour 2021).

- Bien comprendre qu’il s’agit là d’une forme quasi-indicielle de gestion boursière, où je raisonne de façon probabiliste : je n’ai pas besoin d’avoir raison à tous les coups ; il me faut simplement avoir un nombre de paris réussis (surperformant l’indice) > x% et orienter mes renforcements de façon rigoureuse pour battre l’indice. Je peux donc parfois me permettre des paris particulièrement risqués, qu’il serait mal avisé de copier dans un portefeuille concentré.

Donc ne pas "répliquer" ce portefeuille (ou y "piocher" dedans) "à l’aveugle", sans faire le travail nécessaire de (1) stratégie patrimoniale, (2) stratégie boursière, et (3) analyse fondamentale (les 2 premiers aspects variant fortement d’une personne à l’autre).






















Dans le message suivant je publierai mes autres portefeuilles (France et Europe).

Dernière modification par Scipion8 (07/03/2021 04h12)

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#797 02/01/2021 12h11

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Bonjour Scipion,

Meilleurs voeux pour cette nouvelle année 2021.

Bravo pour cette performance et votre rigueur dans la sélection des titres.
Comme déjà évoqué, je serai intéressé par une comparaison entre votre portefeuille IB et un indice composite 50% JPM US technology et 50% MS global opportunity.

J’ai également pris le parti d’être en levier sur mon CTO Degiro à 1.4 et cela m’a permis un fort rattrapage de performance. Par contre quid du levier en cas de correction de 20% à 50%…

Avez-vous une idée du temps passé à la recherche, suivi de votre portif même si l’analyse est une de vos passions ?

Je vous rejoins sur le risque de correction en 2021 malgré le soutien massif des BC. Ce risque pourrait être activé par l’éclatement de la bulle obligataire (corporate et états).
Que pensez-vous du secteur économie verte qui a explosé cette année ?

L’année 2020 nous aura encore rappelé l’importance de bâtir une stratégie à adopter en temps de crise et il me semble pertinent d’évoquer à nouveau une telle stratégie pour 2021 dans la file perspective 2021.

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#798 02/01/2021 16h40

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Scipion8, le 01/01/2021 a écrit :

[En passant : à la lecture de certaines files de portefeuille, j’ai parfois de gros doutes sur la mesure des performances : les 2 mesures standard, ce sont le TWR et le MWR/TRI. Je ne suis pas sûr de la façon de calculer la "valeur de la part", mais enfin si on y intègre les apports, ce n’est évidemment pas une mesure de performance.]

La valeur de la part c’est la même chose que le TWR.
Je partage votre scepticisme sur un certain nombre de calculs faits ici et là.
Pour tempérer, pas mal sont effectués avec XlsPortofolio, ce qui limite grandement les erreurs. Par contre je ne sais pas si XlsPortfolio mesure la part ou le TRI (pas clair, les deux sont mentionnés sur la page de présentation)

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#799 02/01/2021 17h15

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Je ne suis pas certain de suivre : le TRI est biaisé? Y a t-il un autre moyen de calculer la performance d’un PTF avec des apports? (en dehors de la valeur de part, à laquelle je n’ai jamais rien compris).

Personnellement, j’utilise la fonction TRI.PAIEMENTS d’Excel (qu’il suffit ensuite d’annualiser). Est-ce similaire au TRI (MWR = money-weighted return) que vous utilisez Scipion?

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2    #800 02/01/2021 17h56

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carignan99 a écrit :

Personnellement, j’utilise la fonction TRI.PAIEMENTS d’Excel (qu’il suffit ensuite d’annualiser). Est-ce similaire au TRI (MWR = money-weighted return) que vous utilisez Scipion?

Oui c’est pareil.
Donc si vous utilisez TRI.PAIEMENTS correctement et avec tous les apports/retraits en capital, c’est juste.

carignan99 a écrit :

Je ne suis pas certain de suivre : le TRI est biaisé? Y a t-il un autre moyen de calculer la performance d’un PTF avec des apports? (en dehors de la valeur de part, à laquelle je n’ai jamais rien compris).

Il y a deux façons usuelles de calculer une perf : la part (= TWR) ou le TRI (= MWR). Aucun n’est "biaisé", ils sont différents. J’ai écrit un article complet sur le sujet, mais je vous concède que ce n’est pas simple. La part est un calcul de rendement composé entre chaque apport en capital dans votre portefeuille.

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