Actionnaire minoritaire et décote de la valeur boursière
THÉMATIQUE DE CET ARTICLE
Pourquoi les petites actions sont souvent décotées ? Cette décote est-elle légitime ou est-ce une opportunité ?
Nous avons vu dans Investir dans la valeur (1/2), qu’investir dans la valeur, c‘était acheter une action en payant un prix moins élevé que ne l’est sa valeur intrinsèque. L‘évaluation de la valeur intrinsèque peut se faire par une approche patrimoniale ou par une estimation des flux futurs.
Un point qui est rarement abordé est que la valeur intrinsèque varie aussi selon que vous êtes actionnaire majoritaire ou minoritaire. En tant qu’actionnaire minoritaire, la valeur subit nécessairement une décote, c’est l’objet de l’article d’aujourd’hui.
Exemple d’un fonds de commerce avec deux associés
Pour simplifier, nous allons prendre déjà le cas d’un fonds de commerce. Imaginez un commerce de 100 k€ que vous achetez avec votre conjoint. Votre conjoint met 51 k€ sur la table et vous 49 k€. Votre conjoint est gérant majoritaire et tient le commerce. Vous êtes investisseur minoritaire et ne participez pas à la gestion au quotidien du commerce.
Imaginons maintenant que vous vous fâchiez avec votre conjoint. Quelle valeur vaut votre participation ? L’approche patrimoniale nous dit que c’est 49 k€, l’approche par les flux nous dit que cela dépend des résultats futurs, dont vous êtes propriétaire à 49%, et qui vous serons en parti restitués sous forme de dividendes.
Mais dans la réalité, vous n‘êtes que minoritaire et rien ne dit que la gérante acceptera de verser des dividendes, surtout si vous êtes fâchés. Elle peut simplement choisir de les laisser en trésorerie ou d’augmenter sa rémunération mensuelle. Si elle les laisse en trésorerie, la valeur intrinsèque de vos parts augmente, puisque vous êtes propriétaire de 49% de la société et donc de la trésorerie. Toutefois, dans la mesure où la société ne verse aucun dividende, la seule façon de concrétiser cette valeur, c’est de revendre vos parts.
Mais à qui ? Qui voudra racheter 49% des parts d’une société qui ne verse pas de dividendes et sur laquelle il n’a aucun pouvoir de décision ? La réponse est : personne. Vos 49% ne valent en fait rien du tout !
Exemple d’un fonds de commerce avec trois associés
Imaginons maintenant la répartition suivante : 40% pour la gérante, 30% pour un premier investisseur et 30% pour un second. La gérante est toujours majoritaire par rapport aux deux autres, sur une base individuelle. Mais la situation est totalement différente : les deux investisseurs peuvent s’allier et décider du versement d’un dividende ou non. Ils peuvent même modifier la rémunération de la gérante, voir la mettre à la porte et choisir quelqu’un d’autre.
Les pièges à valeur
En bourse, il y a des actions que l’on appelle “value trap”, ou piège à valeur. Ce sont des actions très décotées, qui sur une base patrimoniale valent par exemple 10 € / action et cote en bourse 4 € par action. En France, elles se trouvent souvent sur le marché secondaire ou le marché libre.
Dans la quasi-totalité des cas, elles ont un actionnaire majoritaire individuel qui possède plus de 50% des parts, le flottant est donc réduit et les transactions quotidiennes peu nombreuses.
Un investisseur dans la valeur peut être tenté d’en acheter et attendre que d’autres investisseurs se rendent compte que l’action est bon marché. Avec un peu de chance il touchera quelques dividendes en patientant. Dans le pire des cas, il va attendre parfois… (très) longtemps ! Voilà, il est tombé dans un piège à valeur. Une action dont personne ne veut simplement parce que vous êtes à la merci du dirigeant, irrévocable car il est actionnaire majoritaire.
Vous ne pouvez pas non plus espérer d’OPA pour vous sauver, un rachat par un concurrent qui concrétiserait la valeur intrinsèque, simplement car le dirigeant n’apportera probablement jamais ses titres à une OPA, sa société étant son outil de travail, son bébé. D’ailleurs, pourquoi vendrait-il ? Il se rémunère grassement tous les mois pendant que vous patientez !
Un jour peut-être, il lancera une OPR et retirera les titres de la cote, offrant aux actionnaires minoritaires la moyenne des vingt dernières cotations et une petite prime de 10%. Avec un peu de chance, vous ferez une petite plus-value à ce moment-là !
En attendant, vous ne pouvez que squatter les forums Boursorama pour dire du bien de cette société, de sa forte décote, et espérer que le titre remonte sous le coup de quelques achats, pendant que vous vendrez les vôtres à un autre “pigeon” qui prendra votre place.
Les véritables opportunités
Si vous trouvez une action qui se paye manifestement nettement moins que sa valeur intrinsèque, elle n’est une opportunité que sous l’une de ses deux conditions :
- Il y a un actionnaire qui détient plus de 50% des parts, mais le dirigeant est sérieux, respecte ses actionnaires et verser des dividendes est inscrit dans la stratégie de l’entreprise (ou une obligation légale dans le cas d’un REIT). Souvent, la société communique beaucoup, sur son site Web ou ailleurs.
- Aucun actionnaire ou groupe d’actionnaires ayant signé un pacte, ne détient plus de 50% des parts.
Dans tous les autres cas, vous êtes à la merci de l’actionnaire majoritaire, et il est donc légitime que la société subisse une forte décote. Votre marge de sécurité à l’achat doit en tenir compte et ce type de titres ne doit représenter qu’une part marginale de votre portefeuille boursier.
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“Une personne intelligente résout un problème. Une personne sage l’évite.” – Albert Einstein