Risque, corrélation et diversification en bourse
THÉMATIQUE DE CET ARTICLE
Qu’est-ce que le risque ? Risque et théorie moderne du portefeuille. Réduire le risque avec la diversification sur des actifs non corrélés.
Partie 1
Risque
Qu’est-ce que le risque ?
En Management des Systèmes d’Information, on m’a appris que le risque était une incertitude, mathématisable éventuellement par une probabilité. Est risqué ce qui est incertain. N’est pas risqué ce qui est sûr.
On y associe aussi la notion d’impact, de sorte que ce qui est peu risqué (donc peu probable) mais à fort impact doit certainement être anticipé au même titre que tout ce qui est risqué (donc probable). Essentiellement, on calcule un coût en fonction de la probabilité et de l’impact, et si le coût d’anticipation est moins élevé, on essaye de réduire ou anticiper le risque, sinon on ne fait rien.
Un événement très peu risqué (donc hautement improbable), mais avec un impact extrêmement important est appelé joliment cygne noir par Nassim Nicholas Taleb dans son livre Le cygne noir : la puissance de l’imprévisible.
Risque et investissement dans la valeur
Pour l’investisseur dans la valeur, les marchés financiers ne sont pas efficients, et le risque est simplement l’opposé de la marge de sécurité. La marge de sécurité, nous l’avons vu dans les billets précédents, c’est la différence entre le prix d’achat d’une action et sa valeur intrinsèque. Est risquée une action que l’on paye plus cher que sa valeur intrinsèque, l’est moins une action que l’on paye beaucoup moins que sa valeur intrinsèque. Benjamin Graham parle de 50% de marge de sécurité comme une bonne pratique pour réduire le risque de perdre de l’argent.
Graham aborde la notion de risque d’un portefeuille uniquement en terme de nombre de lignes (10 à 30 lignes recommandées) et d’allocation d’actifs : 25% d’actions 75% d’obligations quand les marchés sont haut, 75% d’obligations 25% d’actions quand les marchés sont bas et 50-50% dans le doute.
Risque et théorie moderne du portefeuille
L’hypothèse de base de la théorie moderne du portefeuille est que les marchés sont efficients et qu’il est impossible de les surperformer. Par contre, par rapport à son profil de risque, il est possible d’optimiser son portefeuille grâce à une allocation d’actifs adéquate, et d’obtenir ainsi le portefeuille optimal : celui avec le meilleur rendement pour le risque choisi.
La théorie moderne du portefeuille mesure le risque d’une action par sa volatilité, et par extension le risque d’un portefeuille par la volatilité de celui-ci.
Plus une action a tendance à s‘écarter de sa moyenne, plus elle est volatile. La volatilité peut aussi se mesurer par rapport à un indice comme le S&P 500, on l’appelle alors le beta. Enfin, la volatilité est spécifique à une période, et change dans le temps.
Entergy Missippi (EMQ) est une société à la volatilité faible et donc peu risquée selon la théorie du portefeuille :
Cela n’a pas empêché un trou d’air entre Octobre et Décembre 2008 (probablement d’ailleurs une excellente opportunité pour se positionner), mais sinon le cours brille par sa régularité.
A contrario, sur les six derniers mois, Bank of Ireland (IRE) est méchamment volatile et donc risqué selon la théorie du portefeuille :
Sur cinq ans, c’est moins apparent, car le cours a longtemps été relativement régulier :
D’une façon générale, les actions des secteurs pharmaceutiques, services aux collectivités et télécommunications sont les moins volatiles.
Pour autant, cette façon de calculer le risque déplait aux investisseurs dans la valeur, car elle ne tient pas compte du prix d’achat. Toute chose égale par ailleurs, acheter France Telecom (FTE) a 16,5 € (ce que votre serviteur a fait il y a quelques semaines) est moins risqué pour l’investisseur que de l’acheter à 26 €, quelque soit sa volatilité.
Diversification
Diversification et risque
Mais le fait est que l’investissement dans la valeur ne protège pas des changements systémiques (politiques, sociales, environnementales…).
Par exemple, le président Obama prévoit une importante réforme de la santé qui fait plonger toutes les valeurs pharmaceutiques américaines. Régulièrement le secteur pétrolier, et Total (FP) en particulier, est pris à parti en France pour ses bénéfices jugés trop importants. Qui ne nous dit pas que prochainement, FP ne devra pas s’acquitter d’une super taxe sur les profits ? La “pire” industrie étant celle du tabac, qui subit toujours plus de contraintes et changements législatifs. Ne sous-estimons pas les capacités imaginatives de nos gouvernants à changer les règles en cours de route.
Sans prendre en compte les risques systémiques, les affaires Enron et Satyam montrent que l’on ne peut se fier à 100% aux informations comptables des entreprises, même certifiées. L’investisseur dans la valeur peut mettre toute son énergie dans l’analyse de la valeur intrinsèque, il ne peut rien faire contre des bilans et résultats faux.
Enfin, nous ne sommes pas à l’abri des velléités de grandeurs des dirigeants (qui confondent augmentation du chiffre d’affaires et augmentation du retour sur investissement), capables de plomber une entreprise en deux temps trois mouvements, avec des rachats coûteux et inutiles financés par l’emprunt, le tout justifier par des synergies, qui n’arrivent jamais, même si entre-temps on a licencié la moitié du personnel des fonctions supports (informatique, marketing…).
Diversification et corrélation
Comme bien des moyens statistiques de gestion du portefeuille, la notion de corrélation entre actifs est devenue populaire avec les nouvelles possibilités de calcul permises par l’informatique.
La corrélation est une mesure statistique, comprise entre -1 (ou -100%) et 1 (ou 100%), entre deux séries de valeurs. En terme de cours boursiers, deux actions sont corrélées si elles ont évolué de la même façon dans le passé.
Le REIT de bureaux Silic (SIL) :
et le REIT de centres commerciaux et bureaux Unibail-Rodamco (UL) sont ainsi fortement corrélés :
La corrélation peut aussi être négative. Le prix des actions a évolué dans les mêmes proportions, mais en sens opposé. C’est plus rare.
Enfin, deux actions peuvent être décorrélées, si les cours ont évolué de façon “indépendante”.
Tout comme la volatilité, la corrélation n’est pas constante et évolue dans le temps, comme toute mesure statistique, c’est une mesure sur le passé.
D’une façon générale, les sociétés d’un même secteur sont souvent corrélées entre elles. C’est tout à fait rationnel : par exemple, si le cours du pétrole baisse, a priori le profit de toutes les majors pétrolières va baisser et cela aura forcément un impact sur le prix que les investisseurs voudront payer pour les actions.
Stratégies pour l’investisseur dans la valeur
Ces outils statistiques ne remettent pas en cause les recommandations de Graham.
Ils peuvent nous aider de deux façons :
- Avec des screeners, en nous permettant d’identifier les actions à faible volatilité, souvent solides, qui se négocient à leur plus-bas, présentant peut-être une opportunité d’achat.
- Avec des outils de gestion de portefeuilles, pour nous garantir une décorrélation entre les différentes lignes de notre portefeuille. Dans les faits, cela se traduira souvent simplement par une forte dispersion sectorielle et sous-sectorielle.
Partie 2
Précédemment, nous avons vu la nécessité de diversifier son portefeuille, même pour l’investisseur dans la valeur.
Le sujet n’est pas si compliqué, il suffit d’investir dans différentes régions géographiques, devises, secteurs ou actifs (actions, obligations, monétaires, immobilier physique, vin, forêts, matières premières…). Plus votre patrimoine est important, plus la diversification est aisée et plus il est protégé (l’argent appelle l’argent !).
Nous avons vu la limite des indicateurs de corrélation et volatilité, mais pour autant, nous allons essayer de les mettre en application.
Corrélations
Corrélations entre actifs (diversification verticale)
La matrice suivante, issue d’Asset Correlations nous montre la corrélation entre les principaux actifs, sur les trois derniers mois :
En rouge, les actifs sont fortement corrélés. On constate que tous les marchés boursiers, qu’ils soient US, EUR ou émergents sont corrélés à plus de 79% ! C’est absolument énorme, mais rappelez-vous que ce n’est qu’une mesure du passé qui ne préjuge rien de l’avenir.
Si l’avenir était le prolongement de ces chiffres, cela nous indique qu’un portefeuille investit sur les actions US et EUR et émergents n’est en fait pas réellement diversifié.
Par contre, trois actifs sortent du lot : l’or, les bons du trésor américains et les obligations américaines. Ils sont légèrement corrélés entre eux, mais surtout ont une corrélation négative sur la période avec les marchés actions. Une “vraie” diversification serait donc d’avoir en portefeuille des actions, des obligations d’entreprises, des obligations d’Etat et de l’or ; ce que tout le monde savait déjà !
Voici cette fois-ci la même matrice, mais sur la période récente de deux ans :
Les corrélations sont dans l’ensemble légèrement plus élevées mais ne remettent pas en cause les résultats précédents.
Corrélation entre actions (diversification horizontale)
Cette fois-ci, j’utilise cette feuille Excel, qui calcule les corrélations entre les actions, sous réserve qu’elles disposent d’un historique de cours sur Yahoo! finance. Si vous souhaitez l’utiliser, pensez à configurer temporairement votre Windows au format anglais (Panneau de configuration > Options régionales et linguistiques).
Les actions sont issues des secteurs suivants :
- REIT : Public Storage (PSA), Realty Income (O)
- technologie : Microsoft (MSFT), Google (GOOG)
- télécommunication : AT&T (T), Verizon (VZ)
- biens de consommation non durable : PepsiCo (PEP), Coca Cola (KO),
- utilities : Consolidated Edison (ED), Exelon (EXC),
- santé : Merck & Co (MRK), Pfizer (PFE),
- finance : Well’s Fargo (WFC), Bank of America (BOA),
- énergie : Exxon Mobil (XOM), Chevron (CVX),
- biens de consommation durable : General Motor (GM), Ford (F)
Voici la matrice obtenues en données hebdomadaires, depuis mai 2001 :
A première vue, c’est pas si mal ! Il n’y a que PSA vs O (75%) et T vs VZ (69%) qui montrent une corrélation importante.
Mais concrètement, une corrélation de 55% cela donne quoi ?
Voici PFE vs MRK :
55%, cela parait peu, mais finalement en lecture graphique, on s’aperçoit que les deux valeurs sont malgré tout assez liées.
Ici PFE vs EXC, corrélés à 26% en données hebdomadaires sur la période :
En visuel, on constate qu’entre 2005 et 2008, une corrélation négative est évidente alors que cela n’est plus le cas après 2008. Cela montre une fois de plus s’il en est que la corrélation est une mesure du passé.
Et enfin PFE vs GOOG, corrélés à -5% en données hebdomadaires sur la période :
Que conclure ? Finalement beaucoup de savants calculs pour s’apercevoir que des actions d’un même secteur sont plus corrélées que des actions de secteurs différents…
Voici maintenant la même matrice, mais en données mensuelles :
et journalière :
Si entre PSA vs O ou T vs VZ, on obtient à peu de chose près les mêmes nombres, d’autres varient fortement. Par exemple, PSA et GM sont corrélés à 47% en journalier, 32% en hebdomadaire mais seulement 12% en mensuel !
Quelle interprétation peut-on faire ?
Ce que l’on savait déjà : à court terme, les marchés sont moutonniers, et une mauvaise journée boursière est une mauvaise journée pour de nombreuses valeurs. C’est au fil du temps que les petits écarts journaliers font de gros écarts mensuels.
En pratique, l’investisseur long terme regardera les corrélations mensuelles ou hebdomadaires, tandis que le swing trader regardera les corrélations quotidiennes.
Intérêts pour l’investisseur dans la valeur
Comme indiqué au début du billet, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de connaitre les corrélations pour diversifier un portefeuille. Le bon sens suffit.
Cependant, ici nous n’avons fait que constater les corrélations a posteriori de l‘élaboration du portefeuille.
Ce qui est plus pertinent, c’est à partir d’une action donnée, trouver directement les actions qui ont une faible ou mieux une corrélation négative avec celle-ci. Ensuite, à partir de liste obtenue, on cherche les actions qui se négocient sous leur valeur intrinsèque.
L’objectif étant d’avoir un portefeuille d’actions :
- où chaque action respecte les critères de l’investisseur dans la valeur,
- où le portefeuille dans sa globalité supporte au mieux le risque systémique.
Malheureusement, pour l’heure, je n’ai trouvé aucun screener [gratuit] proposant cette possibilité.
Partie 3
Pour conclure, voici un exemple concret de l’intérêt d‘être diversifié.
Mon portefeuille Patrimoine comporte une dizaine de sociétés cotées de différents secteurs et zones géographiques :
Voici les variations du jour sur ces valeurs :
Reed Elsevier (REN) est une société d‘éditions atypique car une grande partie de son CA provient d’abonnements récurrents auprès de professionnels.
Mais manifestement, pas assez, puisque REN vient d’annoncer de façon inattendue, des résultats en chute libre et une augmentation de capital, et donc je me prends un -14% sur la valeur en une seule journée !
Pour un portefeuille qui se veut aussi peu volatile que possible, ça fait mal !
Pourtant, il y a une semaine, REN était même conseillé par Crédit Suisse :
22/07/2009 – 09:55 – Alors que le Crédit Suisse est repassé hier à “surpondérer” sur les actions, le courtier affine ce matin ses préférences stratégiques. “Nous pensons que les investisseurs doivent se concentrer sur les dividendes élevés, la valeur et désorMais la dynamique de résultats et cesser de se focaliser sur le risque et l’endettement”, explique le bureau d‘études. Dans la catégorie valeur, les analystes apprécient Morrison, Santander, Meggitt et Unibail-Rodamco. Côté rendement, il signale Finmeccanica, Portugal Telecom, Reed Elsevier et Terna. En dynamique des résultats, Compass, BNP Paribas, Johnson Matthey, Xstrata et Morrison sont sur les tablettes.
Même si je fais peu de cas des recommandations, ça faisait toujours plaisir d’avoir deux valeurs (REN et Unibail-Rodamco) en portefeuille mises en exergue par une banque Suisse.
REN représentait 7,4% de la composante actions du portefeuille Patrimoine et 5% si je tiens compte des liquidités. Donc, cette baisse de 14% n’a finalement un impact “que” de 0,7% sur le portefeuille et est plus ou moins compensée par les variations positives sur d’autres valeurs.
Mais, cela confirme s’il en est l’intérêt de la diversification contre le risque spécifique.
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“J’ai enfreint la règle de Noé : prédire la pluie ne compte pas. Ce qui est important, c’est de construire des arches.” – Warren Buffett