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La bourse est un jeu à somme nulle

24/05/2009 - Une conclusion qui ne fera pas l’unanimité

THÉMATIQUE DE CET ARTICLE

La bourse est-elle un jeu à somme nulle où l’on ne fait que s’échanger du papier ?

Je délimite le sujet uniquement aux marchés actions, j’exclus les marchés obligataires ou de dérivés.

Preuve par l’exemple

Soit Pierre, Paul et Jacques (pas de filles, car les elles sont plus malignes que nous et n’investissent pas en bourse !) et une entreprise ABC, non cotée pour le moment.

Jean, le dirigeant-fondateur d’ABC décide de l’introduire en bourse et 1000 actions nouvelles sont émises à un prix de 10 €.

Pierre et Paul ont souscris chacun pour 500 titres :

Individu Nbr d’actions Valorisation Trésorerie
Pierre 500 5000 € -5000 €
Paul 500 5000 € -5000 €
Jacques 0 0 € 0 €

Les 10 000 € de Pierre et Paul sont maintenant dans l’entreprise ABC, dont Pierre et Paul sont partiellement propriétaires avec Jean, le dirigeant-fondateur.

La capitalisation boursière d’ABC est de 10 000 € (je ne tiens pas compte des titres de Jean pour simplifier).

ABC est une nano-caps, sans contrat d’animation, avec aucune transaction quotidienne.

Six mois plus tard, Pierre demande Marie en mariage et souhaite vendre ses actions. Comme Marie est gourmande, il n’hésite pas et place un ordre de vente de ses 500 titres à 20 €.

A ce prix-là, pas grand monde n’est intéressé, à part Jacques, mais seulement pour 100 titres (donc 2000 €).

La répartition des actionnaires d’ABC est donc maintenant la suivante :

Individu Nbr d’actions Valorisation Trésorerie
Pierre 400 8000 € -3000 €
Paul 500 10000 € -5000 €
Jacques 100 2000 € -2000 €

La capitalisation boursière d’ABC est maintenant de 20 000 € et les titres de Pierre et Paul se retrouvent valorisés à 8000 € et 10 000 € sur la base du cours de la dernière transaction.

Mais c’est une valorisation doublement virtuelle : d’une part Pierre et Paul devraient vendre leur titre pour concrétiser leurs gains et d’autre part il n’y simplement aucun acheteur à ce prix là !

Ce biais est extrêmement fréquent sur les action peu liquides de la place : la capitalisation boursière et la valorisation des parts sont “fausses”, car basées uniquement sur le prix de la dernière transaction, alors que celle-ci n’a parfois eu lieu que sur quelques titres et qu’il n’y a aucun acheteur à ce cours. Si vous faîtes la chasse aux small-caps, vous pouvez même trouver des valeurs où le carnet d’ordre est complètement vide à l’achat.

Finalement, Pierre a la pression de sa femme Marie qui veut un gros diamant pour épater sa copine Mireille et annule le reste (400 titres) de son ordre de vente à 20 € et en place un nouveau de 400 à 5 €.

Ça tombe bien, Paul a récemment hérité, il a de l’argent à investir, et décide d’acheter les 400 titres à 5 €, pour un total de 2000 €. Une bonne affaire vue que le titre a été introduit il y a 6 mois à 10 € !

La nouvelle répartition est donc :

Individu Nbr d’actions Valorisation Trésorerie
Pierre 0 0 € -1000 €
Paul 900 4500 € -7000 €
Jacques 100 500 € -2000 €

La capitalisation boursière d’ABC est de 5000 €, les médias (même le 20 heures de TF1 !) parlent de la descente aux enfers des marchés boursiers, de 15 000 € partis en fumé !

Parti en fumé où ? On se demande bien ! Jean de l’entreprise ABC a pu investir les 10 000 € perçu lors de l’introduction en bourse dans des machines toutes neuves, a doublé son salaire (c’est qu’il est dirigeant d’une entreprise cotée en bourse quand même !) et ABC continue à prospérer loin des vicissitudes boursières.

D’ailleurs, lassé des caprices boursiers, Jean décide de lancer une opération de retrait ! Généreux, il offre une prime royale de 100% sur la base du dernier cours (5 €), soit 10 € !

Paul et Jacques souscrivent à l’opération, trop contents de pouvoir se débarrasser du titre à deux fois le prix du dernier cours !

D’où le tableau final :

Individu Nbr d’actions Valorisation Trésorerie
Pierre 0 0 € -1000 €
Paul 0 0 € +2000 €
Jacques 0 0 € -1000 €

Caramba ! On s’aperçoit que les gains de Paul ont simplement été payés par Pierre et Jacques !

La bourse serait donc bien un jeu à somme nulle ?

Pas tout à fait. La situation aurait été différente si l’opération de retrait avait eu lieu à un cours différent (à la hausse ou à la baisse d’ailleurs !) du cours d’introduction, ce qui est systématiquement le cas.

Mais il est vrai que ces opérations de marché (OPR, OPA, OPE…) sont rares, à l‘échelle des montants échangés dans les marchés boursiers et des acteurs impliqués.

Dividendes

En soit, le versement de dividendes ne modifie pas le raisonnement, puisqu’au moment du détachement du coupon, les prix à l’achat et à la vente baissent d’autant.

Cependant, dans la réalité, les investisseurs (particulièrement ceux qui font de l’analyse graphique) ne “perçoivent” pas réellement le détachement du coupon et le cours de l’action continue sa vie comme si de rien était, retrouvant rapidement son prix d’avant détachement si la tendance était haussière ou continuant à baisser si la tendance était baissière.

En conséquence, en “grappillant” le dividende, les investisseurs concrétisent un gain tangible, indépendamment de la plus ou moins value virtuelle qu’ils peuvent avoir sur le titre.

Une entreprise peut-elle se ficher de son cours boursier ?

En soit, une fois que l’entreprise a perçu l’argent liée à l’introduction en bourse, elle se fiche de son cours boursier : ce n’est pas le cours de bourse qui dit si une entreprise va bien ou mal, mais ses états financiers.

A une exception près : si l’entreprise a besoin de se refinancer.

J’en ai déjà parlé plusieurs fois dans la série REIT et SIIC. Si l’entreprise doit rembourser un trop plein de dettes et n’a pas d’autres choix que lancer une augmentation de capital alors que le cours de bourse est en-dessous de la valeur intrinsèque, tous les actionnaires existants se retrouvent fortement dilués et perdent “injustement” des “droits de propriétés” sur la société et ses futurs dividendes.

Frais de transaction, droits de garde, impôts…

Dans l’exemple, j’ai exclu les frais (de transaction, sur arbitrage dans une assurance-vie, droits de garde…), les impôts (impôts sur les dividendes, les plus-values, les grosses transactions…) et les commissions (perçues par les banquiers et cabinets de conseils lors des introductions boursières…).

Ils ne remettent pas en cause le raisonnement mais rappellent qu’il y a aussi toute une économie qui “vit” grâce aux marchés financiers. Et il faut bien le dire, c’est un peu comme chez les chercheurs d’or : il est plus sûr de vendre des pioches et louer des concessions que d‘être chercheur !

Conclusion

Les marchés boursiers actions ne sont pas un jeu à somme nulle du fait de certaines opérations de marché, même si celles-ci sont relativement marginales.

Si le développement des trackers, fonds, fonds de fonds, CFD, warrants, options, produits dérivés de toutes sortes contribuent à nous le faire oublier, la raison d‘être des marchés boursiers reste le financement des entreprises et on ne fait pas “qu‘échanger” du papier.

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Une personne intelligente résout un problème. Une personne sage l’évite.” – Albert Einstein