Benoît Faure-Jarrosson : entretien avec un analyste-financier
THÉMATIQUE DE CET ARTICLE
Retranscription d’un entretien avec Benoît Faure-Jarrosson, analyste-financier spécialisé dans les foncières cotées.
Mercredi 16 Mars 2011, j’ai été accueilli dans les locaux de Invest Securities par Benoît Faure-Jarrosson, qui a eu la gentillesse d’accepter un entretien en vue d’une publication sur ce site.
Benoît travaille chez Invest Securities depuis 2006, comme analyste-financier spécialisé dans le secteur de l’immobilier, après avoir travaillé onze ans chez Fideuram-Wargny. Il est membre de la Société Française des Analystes Financiers et responsable de son groupe sectoriel immobilier, membre du comité des indices IPD et administrateur de plusieurs sociétés. Il est titulaire d’un DEA d’Histoire du droit, d’un DESS de droit bancaire, du Master en Administration des Entreprises de l’IAE de Paris et du diplôme d’expert-comptable DESCF.
Benoît Faure-Jarrosson n’a pas pu relire la transcription faute de temps, mais il a été convenu qu’elle soit publiée malgré tout. Tous les droits liés à cet entretien sont donc strictement réservés à Monsieur Faure-Jarrosson, même si ma transcription peut comporter des erreurs.
Bonjour Benoît, merci d’avoir accepté cet entretien et merci à Invest Securities de m’accueillir en leur locaux.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
J’ai quarante-sept ans, je travaille dans le secteur de la bourse depuis mes débuts professionnels, depuis vingt-quatre ans.
Sur le site de Invest Securities, on peut lire que vous avez un DEA d’histoire du droit. Des études en sciences sociales, c’est inattendu alors que vous travaillez dans la finance : les historiens ne sont généralement pas portés sur les chiffres !
Vous appuyez au bon endroit ! Je pense que les matheux sont le pire danger en bourse. S’il y a un message que je peux faire passer, en tant qu’analyse-financier, c’est que qu’il n’y a aucun besoin d’avoir de grandes connaissances mathématiques pour investir en bourse. Au contraire ! Mes bons résultats sont là pour le confirmer, alors que je n’ai jamais dépassé le simple exposant dans la complexité mathématique dans le cadre des mes activités boursières.
La bourse est une science humaine. C’est l‘étude et l’anticipation des comportements humains : des comportements des entreprises, clients, des managers, des salariés des entreprises et très accessoirement des intervenants sur les marchés boursiers. Tout cela, c’est le comportement de l’espèce humaine, et aucun modèle mathématique ne peut le modéliser à ce jour.
Par exemple, on ne peut pas modéliser si dans un ou cinq ans, l’iPhone sera toujours incontournable et votre dictaphone obsolète !
Aujourd’hui, je passe énormément de temps à faire des recherches dans les archives et n’ai pas l’impression d’une étrangeté complète avec le métier de la bourse, il s’agit toujours d’une observation de l’espèce humaine.
Vous avez fait une formation en histoire, mais vous avez aussi un diplôme d’expert-comptable et un Master en Administration des Entreprises de l’IAE de Paris... D’ailleurs, j’ai fait mon Master en Management des Systèmes d’Information là-bas, nous avons cette école en commun…
En effet !
Vous avez travaillé onze ans chez Fideuram-Wargny, et j’ai retrouvé sur Internet un Guide de l’immobilier cotée, n°11 et écrit par vous. Est-ce que les dix précédents étaient aussi de vous ?
Oui, tout à fait.
Après avoir tant écrit sur les foncières cotées, n’avez-vous pas eu envie d‘écrire un livre sur le sujet ou n’avez-vous pas été sollicité pour en écrire un ?
Les deux. J’ai écrit environ 150 pages mais me suis arrêté. J’ai la matière pour le faire, mais préfère consacrer mon temps d‘écriture à un autre ouvrage, sur un autre sujet et sur lequel j’ai déjà écrit 500 pages…
Vous êtes analyste depuis longtemps, n’avez-vous jamais eu envie de gérer un fonds d’investissement, par exemple sur les foncières cotées ?
J’ai eu envie de gérer des fonds mais pas immobilier. J’ai tenu une chronique dans le magazine Challenges pendant seize ans, en suivant le track record de mes recommandations pour pouvoir m’en servir pour devenir gérant. Mon TRI était très bon, de l’ordre de 26% les huit dernières années.
D’ailleurs, on m’a fait une proposition fin 2006 pour gérer un milliard d’euros, mais je l’ai décliné.
C’est paradoxal ! Pour quelle raison avez-vous décliné ?
D’une part parce que nous étions en haut de cycle, et je ne me sentais pas du tout de gérer un milliard d’euros dans ce genre de marché, ça n‘était pas raisonnable.
D’autre part, car finalement, ce qui m’intéresse, c’est la recherche avant tout. Le métier de gérant est plutôt un métier de “brocanteur”…
…vous voulez dire dans le sens d’aller chercher les clients ou d’aller chercher les sociétés ?
Allez chercher les idées d’investissement. “Brocanteur” dans le sens où il ne faut acheter les plus belles choses, mais plutôt acheter des choses moins chères que leur valeur.
Pour cela, pour continuer sur cette analogie, on doit manier beaucoup de cartons qui contiennent des choses pas très intéressantes ! Il faut un gros travail d’ingestion d’informations pour sélectionner ses titres. J’aime bien le faire, et je gère mon portefeuille de façon active, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus.
En quoi consiste votre travail d’analyste chez Invest Securities ? Vous devez analyser des sociétés à la demande des clients ou l’ensemble du marché ?
J’ai en charge le secteur de l’immobilier. Comme tous les analystes je me tiens informé en permanence de tout ce qui concerne les marchés immobiliers. De là, je fais des études sur les sociétés avec éventuellement des recommandations boursières.
Donc, les clients d’Invest Securities vont être les gérants d’OPCVM immobiliers ?
Exactement. Un grand nombre de gérants de fonds immobilier sont clients d’Invest Securities.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose avant de passer à la suite ?
Si un analyste est toujours spécialisé dans un secteur ou plusieurs sociétés, il conserve toujours une vision d’ensemble des marchés et de l‘économie, de façon à pouvoir dire que son secteur n’est pas cher, mais que le marché dans son ensemble l’est encore moins ou inversement.
C’est contradictoire avec la philosophie d’investissement dans la valeur de Benjamin Graham, où il faut faire fi de l‘économie dans son ensemble, car elle est de toute façon imprévisible et se concentrer uniquement sur la société, qui peut être appréhendée de façon objective.
C‘était vrai à l‘époque de Benjamin Graham, où si vous étiez producteur de patates, vos concurrents étaient à 20 km à la ronde… Aujourd’hui, vous êtes producteurs de patates, vos concurrents vont être en Chine ou ailleurs.
De nos jours, vous êtes obligé de comprendre les mécanismes globaux, pour savoir s’ils vont interférer avec l’entreprise. Nous sommes dans un monde trop ouvert, trop interconnecté pour les éluder. A l’instant où l’on parle, nous avons un problème de centrale nucléaire au Japon, c’est cela notre préoccupation première. Ce genre d‘évènement aurait paru aberrant du temps de Benjamin Graham, pas seulement d’un point de vue technique, mais aussi le fait que l’on s’intéresse à quelque chose qui se passe au Japon.
On pourrait arguer que la centrale nucléaire au Japon n’aura pas d’impact sur Selectirente, foncière française qui loue des murs de magasins uniquement en France…
Pas directement mais peut-être indirectement.
Pour reprendre cet exemple, depuis une quinzaine d’années, les foncières commerciales ont pris beaucoup de valeurs et gagné beaucoup d’argent car elles ont pu augmenter fortement leur loyer dans les centres commerciaux. Ceci pour trois raisons.
Premièrement, car le point de départ était anormalement faible sans doute.
Deuxièmement, car il y a eu une mutation sociologique qui fait que là où dans les années 60-70, on dépensait son argent dans les hypermarchés, l’hypermarché s’est aujourd’hui restreint aux courses hebdomadaires ou quotidiennes de nécessité, alors que le pouvoir d’achat est allé dans les galeries marchandes ou centres commerciaux. La croissance de l‘économie s’est donc concentrée sur ce genre de place. En parallèle nous avons eu une désindustrialisation massive et une concentration de la distribution. Au lieu d’avoir dans le même centre commercial Madame Michu qui vend quelques paires de collants, vous avez GAP, H&M et autres enseignes, qui vendent certes 20% moins chers qu’il y a dix ans, mais produisent aussi pour cinq fois moins chers qu’il y a dix ans, grâce à la sous-traitance chinoise.
Les chinois ont appliqués ce que vous avez du voir à l’IAE : pour tuer les concurrents, on fait du dumping et une fois que les concurrents sont morts, on relève ses marges, on relève ses prix.
C’est ce qui arrive en ce moment en Chine. La chine a tué l’industrie textile en europe et ailleurs, et maintenant est en train de remonter ses prix.
Ainsi, Unibail-Rodamco qui a augmenté ses loyers parce que les marges de Zara augmentaient fortement, aura pour locataire dans les prochaines années des distributeurs de textile dont les marges vont cette fois se pincer. Premièrement parce que le pouvoir d’achat des consommateurs européens n’a pas de perspectives significatives car la croissance des pays européens est molle et les prélèvements sociaux vont augmenter fortement, et deuxièmement du fait de l’augmentation des prix d’achat en Chine.
Pour résumé, le client direct, le locataire du centre commercial va s’appauvrir, voir sa marge diminuée au m2. La croissance forte que nous avons eu des loyers de 1990 à 2007 devrait donc connaitre une interruption, voir peut-être un retournement.
Il y a donc une vraie rupture, qui tient notamment au fait que l’essentiel de l’exode rural en Chine est fait, et donc la possibilité de casser les prix avec de nouveaux arrivants à tendance à s’essouffler. La Chine ne pourra maintenir des couts de production aussi faibles que ceux que nous connaissons, du fait des revendications sociales.
Je vous ai simplifié…
…Mais j’ai compris, c’est en ce sens que le macro peut avoir un impact sur le micro, c’est-à-dire que ce qui se passe en Chine a une influence sur une société pourtant franco-française.
Exactement. C’est pour cela que, d’après moi, on ne peut plus se contenter d’analyser une entreprise locale, localement, car l’interconnexion est telle que nous sommes obligés d’avoir, je pense, une vision d’ensemble.
Mais il est plus facile de prévoir la marée que la vague, et je me sens plus à l’aise en essayant de comprendre ses grands mouvements qui sur la durée seront inéluctables, que de prévoir ce qui va arriver dans quinze jours.
En 2008, quand le marché de petites valeurs s’est effondré, j’ai acheté des actions Rue du Commerce, en me disant, en plus d’un calcul de valorisation bien sûr, que cette tendance à l’accroissement du commerce électronique sera plus forte que la crise, que le taux de pénétration sera plus élevé dans cinq ans qu’aujourd’hui. Comme en plus, même en l‘état, la société n‘était pas chère, je m’appuie donc à la fois sur la valorisation et une tendance solide. Et cela s’est à peu près vérifié.
Pour moi, c’est vraiment cela qui est important : avoir une vision plus large. Encore une fois, ça n’a rien à voir avec les mathématiques. Il s’agit de comprendre les mécanismes à l’oeuvre, la tendance de fond. Voir que la mécanique de fond est la concurrence entre les salariés au niveau planétaire et que cette concurrence a toujours été déplacé d’un pays pauvre à un pays plus pauvre, et que nous arrivons au bout. Il n’y a plus de pays pauvres et organisés assez nombreux pour faire concurrence à la Chine.
Donc il faut trouver la tendance macro puis “surfer” sur celle-ci en achetant les sociétés les moins chères ?
En fait, il n’est pas forcément question de “surfer”, la valorisation doit simplement tenir compte des tendances. Pour reprendre l’exemple des foncières cotées, mais si la tendance future est moins favorable, on peut trouver des foncières qui vont être attractives, car à un prix tel, que cela absorbera la “mauvaise” tendance future.
Quand j’ai débuté en bourse, il y a un quart de siècle, il y avait encore en bourse des fabricants de tricots. Vous pouviez même les acheter pas chers du tout, on savait que les dame qui tricotent, c‘était la fin. Enfin, on savait… On sait aujourd’hui. A l‘époque, ça n‘était pas si évident que cela.
Le risque, c’est que les grandes tendances sont souvent déjà anticipées dans les prix. Quand le petit porteur investit sur la bourse chinoise car la “croissance est là-bas”, la bourse chinoise est déjà trop haute, quand il investit dans les sociétés d‘énergies alternatives, elles sont trop hautes… La tendance est déjà tellement anticipée dans le prix, que cela en devient un mauvais investissement, c’est trop tard !
Une remarque : il n’y a pas de différence entre vous, le petit porteur ou moi. Nous avons accès à la même information de base, même s’il est vrai que je peux y consacrer plus de temps.
Ce n’est pas parce que l’on décèle une tendance lourde, qu’il faut forcément acheter les sociétés les plus exposées à cette tendance. L’acte d’achat reste d’acheter pas cher. Simplement, il faut être un peu confiant sur les sous-jacents profonds.
Sans être spécialiste de la société, quand je vois par exemple la capitalisation d’Apple et la vitesse d’obsolescence des produits technologiques, je me demande sur quoi repose cette valorisation. Autant sur Microsoft, nous voyons bien l’effet de réseau qui empêche les gens de “sortir” du système, autant sur Apple… Ce que l’on observe, c’est que chaque année, les gens ont un même budget technologie, est comme les prix baissent, chaque année on augmente la gamme de ce que l’on possède : ordinateur, GPS, Smartphone… Des choses qui n’existaient pas il y a cinq ans !
Les foncières françaises sont par définition, aujourd’hui des sociétés à faible croissance. Elles ont un métier local, sensible à la démographie, qui reste médiocre. Cela n’empêche que l’on peut trouver des sociétés attractives.
Justement, est-ce qu’il existe un indicateur permettant de déceler si le marché des foncières cotées est sur ou sous-évalué ? Le NAREIT aux Etats-Unis, publie l‘écart entre le taux obligataires américain à 10 ans, dit “taux sans risque” et le rendement sur dividendes moyen de l’ensemble du secteur, depuis 1990. En moyenne, l‘écart est de 1%, c’est-à-dire, que le rendement sur dividendes doit être de 1% supérieur au taux sans risque.
J’ai essayé de reproduire la même chose en europe, avec le rendement sur dividende de l’indice EPRA european Property et le taux de l’Obligation d’Etat français à dix ans. Nous voyons qu’actuellement, l‘écart est inverse, que le taux de l’OAT à dix ans est de 200 points supérieur au rendement immobilier. N’est-ce pas une preuve manifeste de surévaluation ?
Je vais vous répondre au 2e dégrée. Vous avez vous-même utilisé le terme de “taux sans risque”. Mais nous ne sommes pas dans un monde figé, et cette idée de comparer tous les placements à un taux sans risque et que ce taux sans risque soit l’emprunt d’Etat ne date que d’il y a trente ans. Si vous reprenez ne serait-ce que le marché de l’immobilier français en 1982, vous aviez 12-13% d’inflation, l’OAT était à 17% et les bureaux à Paris rapportait 7-8%. Donc si on refaisait le même raisonnement qu’aujourd’hui, on était à 1000 points de base de prime négative.
Donc au fond, est-ce que ce qui a justifié ce modèle pendant trente ans et toujours valable aujourd’hui ? Ma réponse est plutôt non. Peut-être qu’effectivement les foncières sont chères, mais peut-être aussi que l’emprunt d’Etat n’est plus un emprunt sans risque…
…cependant, si je compare avec l’emprunt allemand, nous avons quand même une prime négative.
Tout à fait, mais est-ce que l’emprunt allemand est si différent de l’emprunt français ? La démographie allemande est catastrophique…
Donc si ce modèle a pu marcher, il ne s’applique plus aujourd’hui ?
Oui, et pour reprendre votre allusion initiale à ma formation d’historien, l’histoire c’est aussi prendre les choses sur une perspective plus longue, de “changer de lunette”.
La difficulté est de trouver des données longues sur les foncières cotées. En France, nous n’avons pas grand-chose à se mettre sous la dent, car le régime SIIC date de début 2000 et aux USA, le NAREIT propose des statistiques qui débutent souvent début 1990 et au mieux 1970, mais c’est vrai que finalement ce n’est pas si long.
Pour moi, il y a la question de la qualité de la signature des emprunts d’Etat, mais aussi des taux courts et de l’inflation. Le paradoxe aujourd’hui est que nous avons une qualité des emprunts d’Etat absolument abominable, mais en même temps en valeur absolu, ils n’ont jamais été aussi bas.
Ils remontent un peu…
Oui, mais ces taux restent anormalement bas du fait que les taux courts sont aussi anormalement bas. Premièrement pour sauvegarder le système bancaire, deuxièmement pour permettre justement à l’Etat d’emprunter pas cher et parce que c’est aussi une forme de transfert de richesse, une façon de résorber la crise de la dette.
Quand l’inflation est à plus de 2%, on ne devrait pas avoir des taux aussi faibles, qui viennent polluer toutes cette hiérarchie des taux d’intérêts. Nous avons une inflation importée par les matières première et le renchérissement des impôts en Chine, et une inflation sur les actifs, lié à la faiblesse des taux d’intérêts.
Mais si le taux des emprunts d’Etat devrait être encore plus élevé, la prime négative sur le rendement des foncières serait encore plus importante ?
Oui, mais il faut peut-être penser que dans le futur nous aurons des immeubles à Paris qui rapporteront du 5% et des emprunts d’Etat à 6%. Cela peut arriver. Nous avons déjà eu 7% et 17%…
C’est pour cela qu’un de mes autres repères est de raisonner en délai de recouvrement, d‘éviter d‘être toujours en spread. Les taux des emprunts d’Etat étaient déjà faibles en l’an 2000, et on vous expliquait qu’il était normal que la bourse soit haute car elle est l’inverse des taux. Aujourd’hui, quand les taux sont tombés à 2,5 ; personne n’a été dire que le PER de la bourse devait être à 40…
Il y a une limite à l’exercice qui est la prévisibilité. On peut avoir une bonne idée de ce qui va se passer dans trois ans, un peu moins à cinq ans. La prévisibilité diminue avec la durée et au-delà de quelques dizaines d’années, nous sommes dans l’inconnu complet. Quelque part, les flux financiers que l’on nous promet au-delà de vingt ou trente ans comptent pour zéro.
Pour situer la façon de poser le problème sur les spreads, il y a un moment où la baisse du taux des emprunts ne peut plus entrainer celle des placements longs, car on compare une durée finie, de type cinq à dix ans, à une rente perpétuelle.
C’est pour cela que je n’aime pas raisonner par spread. C’est ce qui a piégé Klepierre qui a acheté en haut de cycle, Steen & Strøm, une foncière norvégienne à un prix très élevé. Elle a raisonné en spread au lieu de raisonner aussi en valeur absolue, en se disant qu’on est arrivé à un niveau de rendement tel qu’il faudra vingt ans pour récupérer la valeur des actifs. [Note : pas sûr d’avoir bien compris et retranscrit cette phrase]
Ça n’empêche qu’effectivement il est possible que les cours des foncières soient un peu élevés.
Justement ! Puisque le spread ne semble pas un bon indicateur, peut-on se servir juste du rendement sur dividende dans son ensemble, en valeur absolue ? Les statistiques à long terme du NAREIT montre un rendement moyen de 5-6% et nous sommes actuellement à 2,5% sur le EPRA european Property, vraiment très très bas.
Le problème c’est que le rendement sur dividendes est lié effectivement à un cours de bourse, mais est lui-même un résultat multiplié par un taux de distribution.
…oui, mais dans le cadre du régime SIIC ou REIT, ce taux de distribution est forcé…
Non ! Le régime SIIC n’est pas du tout contraignant. Vous pouvez avoir des taux de distribution assez divergents. Concrètement sur les foncières françaises, Unibail-Rodamco au titre de 2010 a distribué la quasi-totalité de son résultat récurrent, et Klepierre, de mémoire, de l’ordre de 70%.
D’accord, mais ici, nous parlons de l’indice dans sa globalité, donc nous pouvons imaginer que le taux de distribution est assez constant du fait de compensation à l’intérieur de l’indice.
Justement non, il n’est pas constant. D’ailleurs, nous sommes dans une période où les taux de distribution sont paradoxalement en train d’augmenter. Ce n’est pas ce que j’imaginais, car les distributions ont été assez fortes en 2007 et je pensais que les banquiers seraient en position forte, d’imposer par le covenant des taux de distribution plus faible, de façon à être moins en risque. Mais en fait, non ! Les banques n’ont pas utilisé ce rapport de force. Klepierre dont le résultat était stable a augmenté sensiblement son dividende, Mercialys l’a augmenté de 26%, Unibail-Rodamco alors qu’ils ont distribué 1,8 Md€ à leurs actionnaires, ce qui à par définition un impact sur le résultat courant, l’a maintenu.
Nous sommes plutôt dans une phase de distribution plus élevée. Ma boussole avant même le versement du dividende est plutôt le multiple de résultat récurrent, comme on dirait le PER dans un autre secteur.
Justement ! Nous savons que le PER ne s’applique pas aux foncières cotées : soit avec les normes comptables françaises il est faussé par les amortissements, soit avec les normes comptables IFRS, il est faussé par les ajustements de valeurs. Un ratio alternatif est l’EV/Ebitda, qui à l’avantage aussi de tenir compte de la dette. Est-ce que ce ratio vous semble pertinent, en particulier pour les foncières avec peu d’activité de promotions immobilières et donc essentiellement des revenus récurrents ?
En comparant aussi les EV/Ebitda des plus grosses foncières commerciales de divers pays, j’ai constaté la dispersion suivante : autour de 18 en France ou aux USA, 21 en Angleterre et à Singapour, 14 voir moins en Australie ! L’Australie a un taux directeur à 4%, est-ce peut-être une explication ?
Enfin, Coca Cola a un EV/Ebitda de 11, tandis qu’Unibail-Rodamco a un EV/Ebitda de 18. Pourtant Coca Cola est plus sûr qu’Unibail et sa croissance future a de très grande chance d‘être plus élevée. Pourquoi les foncières cotés ont des EV/Ebitda si élevé ?
Pour la comparaison avec Coca Cola, l’Ebitda ou EBE est un résultat avant amortissements et provisions, et n’est pas la somme qui restera aux actionnaires. Les foncières ont un métier très capitalistique, le résultat est avant tout la somme qu’elles ont investi. Il n’y a pas beaucoup de CapEx, donc l’Ebitda n’est pas très différent de ce que l’actionnaire gagnera indirectement.
Chez Coca Cola, il y a quand même un outil de production à renouveler, et comme dans toutes les sociétés industrielles, il y a un écart fort entre l’Ebit et l’Ebitda, et c’est ce qui explique probablement la divergence que vous notez.
Donc si j’avais comparé l’EV/Free Cash Flow de Coca Cola et l’EV/Free Cash Flow ou équivalent d’Unibail-Rodamco, les ratios auraient été plus proches ?
Oui il y a de grandes chances que ça resserre fortement la fourchette !
L’Australie, la Grande-Bretagne ou la France… J’ai toujours trouvé les foncières britanniques a des multiples incompréhensibles.
Oui, elles sont toujours plus chères !
Oui et ça ouvre une nouvelle porte. L‘épargne n’est peut-être pas si fluide que cela, il y a des biais de localisation.
Je pense que si les foncières belges sont chères par exemple, c’est que la richesse / habitant y est plus élevé, et que du fait de la préférence locale dans les investissements, il est normal quelque part que les prix y soient plus élevés. Je pense qu‘à Londres il y a aussi ce phénomène qui doit jouer.
Pour l’Australie, je ne connais pas grand-chose, mais je pense que ça n’a pas grand-chose à voir, mais plutôt à la nature des marchés immobiliers. On peut comparer Londres ou Paris, par leur fonctionnement, parce que ce sont deux mégalopoles, deux capitales financières, deux capitales politiques et donc c’est la même mécanique qui est à l‘œuvre. Ici nous sommes au 73 boulevard Haussman, si vous voulez loger 5 000 personnes, vous ne pouvez pas construire d’immeuble pour les loger à moins de trente minutes du site, dans le meilleur des cas. Il y a une rareté foncière. En plus si vous voulez être ici c’est que vous êtes une banque, et donc vous avez une création de valeur par salarié extrêmement élevée et êtes capables de payer des loyers élevés.
A ma connaissance, mais je ne connais pas très bien, le marché Australien est différent car vous n’avez pas ces mégalopoles et pas le même pouvoir d’achat. L’Australie est aussi le pays dans le monde qui a le plus externalisé ses murs dans des foncières. Il y a eu aussi quelques chocs pendant la crise financière, avec des foncières qui ont eu des difficultés et donc les rendements australiens sont sensiblement plus élevés.
Sur le site IPD, vous avez les rendements, avec des iso-méthodologies soignées et vous pourrez comparer l’Australie, la France et la Grande Bretagne, et vous corrigerez probablement une partie de vos ratios.
Encore une fois, ses différences de rendement ont un substrat économique. Il est normal d’exiger un rendement plus faible dans une mégalopole parce que le risque de vacances est plus faible.
Dans ce cas, peut-on dire que l’EV/Ebitda reste intéressant pour comparer des foncières avec la même localisation géographique et le même type d’actifs ?
Tournez autrement, ce ratio n’est rien d’autre qu’un rendement locatif net, corrigé de la bourse. L’Ebitda n’est rien d’autre que les loyers moins les frais. Et l’EV, la valeur des immeubles corrigé de la décote.
…ou surcote, dans le cas d’Unibail-Rodamco ou Mercialys !
Oui…
Je vois que vous cherchez le ou les bons ratios pertinents…
Je cherche la simplicité…
Je vais vous faire passer un article que j’ai écrit dans la Revue d’Analyse Financière : Est-ce que la crise financière ébranlera les inconditionnels du DCF.
Qu’est-ce qui fait la valeur d’une action ? C’est l’acheteur !
Et il y a deux catégories d’acheteurs. Les minoritaires et les majoritaires.
Comme pour un appartement, il y a celui qui veut acheter pour le donner en location, celui qui veut l’acheter pour l’occuper et le voisin qui veut s’agrandir. Chacun est prêt à payer un prix différent et chacun est rationnel.
Pour la même action, il y a aussi des prix différents.
Oui, j’en parle sur le blog dans l’article Actionnaire minoritaire et décote de la valeur. Un minoritaire doit forcément supporter une décote car il ne touche que le dividende alors que le majoritaire possède l’intégralité du Free Cash Flow…
Tout à fait, c’est un point essentiel.
Pour moi, la valeur d’une action en bourse est un prix de minoritaire, sauf s’il y a une espérance d’OPA, car au moment de l’OPA, tous les minoritaires peuvent avoir le prix du majoritaire.
Donc ma première grille de lecture, c’est cela. Est-ce qu’il y a un intérêt spéculatif ou pas ?
Plus l’intérêt spéculatif est faible, plus nous sommes dans l’actualisation du dividende seul et on ne touchera jamais rien d’autres. Plus l’intérêt spéculatif est fort, plus on peut aller vers l’appréciation du prix de changement de contrôle, qui peut être un DCF ou la valeur d’actualisation des immeubles, etc.
On l’a vu la semaine dernière, quand Unibail-Rodamco rachète 7% de Foncière Lyonnaise, les gens se disent, il va y avoir une OPA sur Foncière Lyonnaise et comme le titre cote sous la valeur de ses immeubles, il décale de 10%.
Dernièrement, j’avais justement conseillé à l’achat Foncière Lyonnaise, car c’est évident qu’il y aura un changement de contrôle dans les cinq ans qui viennent. Quand vous aviez un cours entre 25-35 et une valeur des immeubles, avec un ANR à 45, il n’y a pas besoin d’avoir fait des études sophistiquées pour se dire qu’un jour cette société sera vendu à plus de 40 €.
Justement ! J’ai remarqué qu’en France on publiait les ANR, alors qu’aux Etats-Unis on publie le Funds From Operations, une sorte de Free Cash Flow pour les foncières. L’ANR parait plus subjectif, car c’est une estimation par des experts. Sur les forums du site Devenir rentier, nous surveillons beaucoup les ANR, mais finalement est-ce que l’on peut lui donner du crédit ? Est-ce que ces estimations sont fiables ? De ce que vous dîtes sur Foncière Lyonnaise, vous le considérez comme pertinent ?
Je le considère comme pertinent dans le cadre de Foncière Lyonnaise, car l’ANR est la valeur du majoritaire. Il est pertinent quand on pense qu’il va y avoir une OPA.
Si on pense qu’il n’y a pas d’OPA… Prenons un exemple. Gecina et Foncière Lyonnaise sont deux sociétés qui se ressemblent car ce sont des espagnols qui les contrôlent et qui ce sont cassés la figure et vont devoir ressortir. Simplement, il peut y avoir un acheteur pour la totalité de Foncière Lyonnaise, car ça fait 3 Md€ et le patrimoine est pile dans la cible de ce que veux tout le monde sur la planète. Par contre Gecina, c’est plus de 10 Md€, c’est plus hétérogène, et donc c’est trop gros, et je ne vois aucun acheteur sur la planète pour prendre le contrôle.
Je vais donc pondérer différemment le poids de l’ANR dans ma décision chez Foncière Lyonnaise que chez Gecina.
D’accord. Mais donc vous pensez que l’ANR qui est donné par la société est fiable ?
Sur ce sujet, je fais parti du Comité des indices chez IPD France, qui agrège tous les expertises professionnelles de tous les immeubles, soit une très large majorité du marché. IPD collecte aussi toutes les transactions sur les mêmes immeubles et mesure les écarts.
Dans l’ensemble, l‘écart en masse est de quelques pourcents. En masse, les expertises sont à peu près justes. On peut avoir des années à + de 5% d‘écart (en ayant fait une interpolation linéaire pour tenir compte des achats en cours d’années alors que le marché a bougé).
Pourquoi ? Parce que l’on demande à un expert non pas de prévoir l’avenir mais de constater le présent, et il ne peut constater celui-ci que par le passé, par les transactions récentes. Il faut donc qu’il remonte dans le temps pour avoir assez de chiffres. Concrètement, on voit bien que les ventes se font en-dessous de l’expertise quand le marché baisse et au-dessus de l’expertise quand le marché monte, car l’expert en est retard, de quelques “points”. Si on regarde les “points” pour une année donnée, la dispersion peut être considérable, avec des immeubles vendus à la moitié de l’expertise ou 50% au-dessus.
Le cas le plus frappant est Gecina qui a annoncé la vente d’un patrimoine d’entrepôts, si vous faîtes des recoupements, vous vous apercevez que cela a été vendu à la moitié de la valeur d’expertise d’un an plus tôt. Pourquoi ? Parce que ce sont des entrepôts vides et aujourd’hui il n’y a personne pour acheter un entrepôt vide. Donc aujourd’hui, quand vous avez un dirigeant qui chante la chanson habituelle “mes prédécesseurs étaient des imbéciles et je fais le ménage”, sans faire attention aux prix, et bien vous avez des cessions qui n’ont rien à voir avec la valeur d’expertise. D’autre part, comme il n’y pas de marché pour les entrepôts vides, un expert a du mal à expertiser. Ces entrepôts neufs ont même été vendu ⅓ sous leur coût de construction hors terrain…
Grosso-modo, sur ces grandes sociétés, les chiffres d’ANR sont à peu près pertinents. Mais encore une fois, il faut rentrer dans le détail concret. Unibail-Rodamco, dans les très grands centres commerciaux, il y a très peu de transactions, donc il n’y a pas de comparable. En France, il y a eu une seule transaction importante l’année dernière, CAP 3000, à Nice. Elle s’est faite de mémoire à un taux instantané de 4,65%. Donc la tentation pour les experts est de prendre un taux de capitalisation de 4,65% pour tous les centres commerciaux d’Unibail-Rodamco. Mais si vous interrogez l’acheteur, il vous explique que le vendeur était les galeries Lafayette, qui occupe une large part du centre ; plus que nécessaire et qui est d’accord pour se réduire et libérer de la place pour des boutiques qui payeront un loyer plus élevé. Il y aussi de la place pour étendre les emplacements : quelque part, l’acheteur a donc acheté en partie un bout de terrain, quelque chose qui ne rapporte pas à un instant t, mais qui créera de la richesse plus tard. Donc quel est le vrai taux à appliquer sur les centres d’Unibail-Rodamco, alors que vous n’avez qu’une seule transaction importante et qu’au fond, elle est difficile à analyser ?
Donc plus le marché est fluide sur les actifs que possède la foncière, plus on a de chance que l’ANR soit pertinent ?
Voilà ! Si vous reprenez Foncière Lyonnaise qui a des bureaux dans le 8e arrondissement, le marché est fluide et efficient, il y a peu de chance de se tromper.
Après c’est aussi une question de méthode. Gecina a des logements, donc là, c’est ce que je vous disais : pour le même actif vous allez avoir plusieurs prix. Le prix de celui qui achète l’immeuble entier et le prix de la vente par appartement vide. En un sens il n’y a pas de vérité, chaque prix est juste mais correspond à des perspectives différentes.
Ce qu’il faut se demander, c’est que va-t-il se passer ? Tant que Gecina vous dit “je vais garder ses immeubles”, vous êtes obligé quelque part de vous dire que ses immeubles ne valent que ce qu’ils rapportent, comme votre raisonnement sur le FFO, et donc là j’obtiens des valeurs métriques extrêmement faibles, parce que le loyer net de tous les frais d’un logement n’est pas grand-chose. Dès l’instant où le management dit “finalement on accélère le plan de cession”, et bien ces mêmes actifs peuvent valoir quasiment le double. L’ANR est à manier avec beaucoup de précautions car il faut comprendre quel est le marché sous-jacent à chaque typologie d’actifs.
Pour moi, le logement n’a pas sa place en bourse en France, car le marché est fait par les acheteurs occupants qui sont près à payer des prix beaucoup plus élevés que ceux qu’un investisseur boursier serait près à payer. L’acheteur résident français n’actualise pas ses économies de loyer pour se décider à acheter et il est capable d’acheter sur la base de rendements extrêmement faibles.
De toute façon, il ne reste plus beaucoup des foncières résidentielles, il n’y a que Gecina avec un faible patrimoine et ANF.
Oui, à cause de cela ! mais si vous étiez venu me voir il y a quinze ans, la quasi-totalité du patrimoine des foncières était du logement. Cela avait du sens à ce moment-là, car les rendements étaient plus élevés, mais aujourd’hui ça n’est plus le cas.
Je suis plus FFO qu’ANR. Pour moi avant tout une foncière est à regarder en fonction de ce qu’elle gagne, modulo son intérêt spéculatif.
Par exemple, j’ai recommandé récemment ANF, dont le multiple de résultat est très élevé, mais avec un ANR au-delà de 40 € et un cours à 33 €. ANF est une filiale d’Eurazeo, des financiers qui raisonnent en termes de TRI et ROE. Or, le rendement implicite d’ANF est autour de 5,5%, ce qui est faible. C’est très clair : ANF est en train de rénover son patrimoine, en particulier à Marseille, et il devrait être proche de sa maturité en 2013-2014. On voit bien que des purs financiers ne pourront conserver ce patrimoine à cette rentabilité là.
Donc, le cours va converger vers l’ANR car ils vont vendre les immeubles ?
Oui ! Donc, parce qu’il y a cet intérêt spéculatif, je donne dans ce cas-ci plus de poids à l’ANR.
Moins il y a d’intérêt spéculatif, plus on est face à une simple rente en dividendes. Donc la question va être de me dire, quel est mon rendement immédiat, et quel est la part du profit qui ne va pas être distribué et peut faire des petits chaque année et comment est-il réinvesti : typologie d’actifs et rendement, mais aussi quel degré de confiance que j’ai dans le management. C’est la partie la moins palpable mais quelque part la plus importante.
Unibail-Rodamco ou Mercialys ont une forte cote d’amour car on sait que ces gens-là, surtout Unibail-Rodamco, ont une très forte culture financière et ne garderont pas l’argent pour en faire quelque chose de pas très rentable. En plus, on sait que ce n’est pas seulement le président qui pense comme cela, mais toute la société qui a été “formatée” dans ce sens.
Il y a aussi le fonds de pension des Pays-Bas au capital d’Unibail-Rodamco.
Cela contribue, mais il y a a vraiment un état d’esprit qui inspire confiance.
Quand je vois Cisco Systems qui ne distribue rien aux actionnaires mais beaucoup de stock-options, c’est le travers inverse !
Oui, d’ailleurs si on prend Microsoft qui pendant longtemps n’a rien distribué… J’ai tendance à me dire qu’une société qui ne distribue rien…
…et qui a un actionnaire majoritaire qui fait qu’il n’y aura jamais d’OPA dessus, j’aurais tendance à dire zéro !
Et c’est zéro !
Sur les small-cap françaises, je vois des petits porteurs qui se jettent sur des sociétés qui ne versent aucun dividende et avec un actionnaire majoritaire qui ne vendra jamais, donc non opéable. Comme l’actionnaire majoritaire est souvent gérant, il peut décider de son salaire et piller s’il le souhaite la société. Pour autant des tas de petits porteurs vont vers ces sociétés sous prétexte d’une décote, mais la décote est normale, c’est la décote du minoritaire dont vous parliez tout à l’heure !
Il n’y a pas une formule simple. C’est un faisceau d’indices. Pour moi il y a d’abords l‘échelle de l’intérêt spéculatif avec le temps, parfois on croit que ça va arriver et ça n’arrive pas et inversement. D’ailleurs, quand j’ai acheté Rue du Commerce, j’ai vu que le capital était ouvert, alors que c’est un secteur en pleine concentration et que les rares actionnaires importants étaient des fonds dont la durée d’investissement est courte. Rallye a pris 10% du capital et il se passera quelque jour à un moment.
Chez Klepierre, le rendement aujourd’hui est médiocre, mais je pense que c’est parce que la dette est un peu forte. Ils se concentrent aujourd’hui sur la diminution de celle-ci, mais au fond, ils ont vocation à distribuer. Si on fait tourner la machine pendant deux ou trois ans, le bilan devrait s’alléger un peu. Ne serait-ce que par l’inflation : si vous avez 2% d’inflation qui se répercute sur les loyers, ça dilue très vite la dette. Chez Klepierre le rendement est beaucoup plus faible que chez Unibail-Rodamco, et on achète aujourd’hui, environ 12,5 le résultat 2012 de Klepierre en ayant enlevé le coupon et on doit être à 15 pour Unibail. J’ai tendance à penser que cet écart est excessif et que le taux de distribution de Klepierre devrait rejoindre celui d’Unibail plutôt que l’inverse.
Justement, l’EV/Ebitda de Klepierre est de 16,85 et Unibail-Rodamco, 17,92…
Pour revenir sur le fait que chaque cas est particulier, Klepierre étant filiale de Banque, j’ai tendance à penser que BNP Paribas se débrouillera toujours pour que Klepierre soit financé. Mais le même niveau d’endettement pour une foncière plus petite et non filiale de banque pourrait être plus délicat, et la valorisation ne sera pas la même.
Autre question, quels sont les frais de gestion “corrects” pour une foncière ? Les SCPI sont à 10%, Selectirente est à 8% et globalement les chiffres semblent souvent entre 5-8%. Comme d’habitude, le placement le plus populaire est celui dont les frais de gestion sont les plus élevés…
Un premier point est celui de la typologie des actifs. Selectirente gère des petites boutiques de pieds d’immeuble, dont la valeur unitaire est de l’ordre de quelques centaines de milliers d‘€ et plus rarement quelques millions d‘€. Dans le cadre d’une foncière de centre commerciaux, il faut mettre un ou deux zéros en plus… Or, en pratique, le travail est le même, mais vous allez avoir plus de travail quand il y a plein de petits que quelques gros. Si vous avez une boulangerie de pied d’immeuble, vous allez devoir assister à l’assemblé de copropriétaires de l’immeuble, pour le ravalement qui vous concerne à peine, etc. Et ça, vous allez devoir le faire pour cinquante copropriétés. Si vous avez un centre commercial et cinquante boutiques, vous avez une seule assemblée. Vos locataires vont être aussi des grandes chaînes, qui vous font des virements automatiques, etc. Le travail de gestion sera beaucoup plus faible.
D’accord, et quelle serait une fourchette de frais à peu près correcte alors ?
Vous l’a donné vous-même. Les 10% des SCPI me semblent excessif. Je pense que c’est historique et aussi parce qu’elles ont commencé petites et dans un marché inefficient. De mon point de vue ces frais sont maintenant hors-marché.
Après il faut voir aussi ce que l’on met dans les frais. Si vous prenez la marge des foncières, l’Ebitda comparé aux loyers, vous allez avoir des taux assez variables. Silic ou Foncière Lyonnaise vont être au alentour de 85% par exemple. Ces 15% incluent la gestion mais aussi toutes les charges non récupérables : soit des travaux courants que le locataire ne payent pas, soit des charges usuelles mais sur des locaux vides, ou le locataire n’est pas là pour les payer.
En pratique, le ratio le plus pertinent est de comparer ces taux de marge. L’Ebitda est compris en général entre 85 et 91% des loyers. Au-dessus c’est vraiment très bien, en-dessous, il faut comprendre si c’est parce que la barque est chargée ou si cela tient à la typologie du patrimoine.
Si vous êtes une foncière spécialisée dans les bureaux en province, votre nombre de factures et de lots par millions d‘€ de loyers est nécessairement plus élevé. Le nombre de vacances est aussi plus élevé, et les charges locatives se récupèrent moins biens car le rapport de force entre locataire/propriétaire n’est pas le même qu‘à Paris, et donc sur une foncière de bureaux en province on pourra être à un ratio de 75%. Autrefois, il y avait même des foncières de logement en province et on pouvait tomber à 50% !
Alors si je prends Cegereal, qui n’a que trois actifs qui sont en plus des gros immeubles à Paris, cela doit être très faible ?
Devrait être très faible…
…comme le management est externalisé, il charge un peu la barque ?
Dire cela est peut-être un peu excessif, mais en tout cas je n’ai pas l’impression que ce soit très économique.
Peut-on dire qu’en général, quand le management est externalisé, on a tendance à surpayer ?
Par définition le prestataire externe est obligé de rajouter sa marge.
Parfois le prestataire externe est plus ou moins filiale…
Absolument, après c’est une question de rapport de force et il faut voir aussi comment les choses sont montées.
Selectirente, les purs frais de gestion sont de 8%, mais la marge est assez élevée en pratique, parce que Selectirente est une filiale d’une société de gestion de SCPI, mais son premier actionnaire est aussi cette société. C’est plutôt positif, en tant qu’actionnaire, il a intérêt à ce qu’il n’y ait pas trop de pertes sur les frais. Que la gérance soit bien rémunérée est une chose, mais il ne faut pas qu’il y ait de gaspillage.
La question suivante concernait la règle des 85% de la législation SIIC, mais vous avez déjà implicitement répondu précédemment. C’est vrai que nous avons du mal à retrouver nos petits entre les loyers perçus et les dividendes versés.
En un mot, il faut comprendre que cette règle est calculée sur le résultat social français.
…qui tient compte des amortissements, etc. Un directeur financier de SIIC a indiqué aussi que le calcul était impossible à faire à partir des comptes consolidés et qu’il se faisait petits bouts par petits bouts.
En effet, vous allez avoir la perturbation de l’amortissement, mais aussi la perturbation de l‘épaisseur de l’organigramme. Si les immeubles sont détenus par une société, et qu’il y a trois holdings entre celle-ci et la maison mère concrètement cotée en bourse, le loyer comptablement va mettre cinq ans pour remonter de l’immeuble, jusqu‘à la société mère. Donc l’obligation de distribution va être décalée de cinq ans.
Si la maison mère dans l’intervalle à acheter un immeuble en haut de cycle qu’elle a du déprécier, elle a créé un déficit fiscal qui lui “mange” de toute façon son résultat pendant dix ans…
Le calcul est effectivement infaisable sans rentrer dans le détail.
La question suivante concerne l’endettement. Les petits porteurs que nous sommes ne comprennent pas vraiment pourquoi les foncières se sont autant endettées, alors qu’elles sont sensées être des véhicules stables de rendement. Pourquoi aller au-delà de 25% de LTV et créer de la volatilité et du risque ? Elles s’endettent pour créer du levier lorsque la tendance immobilière est haussière, mais elles n’arrivent pas à se désendetter à temps lorsque la tendance devient baissière. Au final l’effet de levier ne créée donc pas de valeurs mais juste de la volatilité ! Si on prend Mercialys vs Klepierre, Mercialys qui n’a aucune dette fait mieux que Klepierre sur les trois dernières années avec une volatilité moindre !
C’est un exemple d’erreur de management. Klepierre a non seulement acheté cher au mauvais moment, mais a aussi fait une augmentation de capital au pire moment, complètement dilutive. C’est pour cela que la performance est si mauvaise.
Du coup au niveau du cours de bourse, il le paye deux fois. En plus leur cote d’amour boursière devient plus faible que Mercialys, dont le multiple est plus élevé.
Unibail-Rodamco s’est endettée à 50% pour verser un dividende exceptionnel, c’est tout à fait en phase avec ce que vous disiez auparavant, où ils ont agi en purs financiers en profitant des taux bas. Cela dit, en tant que petit porteur, j’appréciais le dividende trimestriel et l’endettement faible. Aujourd’hui, l’endettement est de 50% et le dividende annuel !
Si les SCPI ont des frais élevés, elles ont l’avantage de la lisibilité : on est sûr que le versement reste trimestriel et qu’elles ne vont pas jouer sur l’endettement.
Vous avez prononcé la bonne phrase : c’est une question de lisibilité. Ce qui est important c’est le contrat social : quel est l’engagement de la société vis-à-vis de ses actionnaires. Le contrat social des SCPI est très clair, celui des foncières n’est pas clair. Le temps a passé, et parfois il n’y a plus de contrat social explicite. C’est bien le problème !
Une question de Zirk via le forum : est-ce qu’il y aurait un LTV idéal selon vous ? Il suggère qu’il serait lié à la typologie d’actifs et à la durée des baux.
Il s’agit des deux critères essentiels.
Sur une foncière comme Argan, dont les actifs sont des entrepôts, donc assez risqués, la dette est élevée, de l’ordre de 70%, mais on a en face des baux fermes très longs. Si vous mettez en regard la masse des loyers certains et la masse de la dette à rembourser, ça n’est pas très gênant.
Si vous prenez Foncière europe Logistique, aussi une foncière d’entrepôts, qui a des actifs moins bons, plus de vacances et une dette à deux ans et des baux très courts à deux ans aussi, là je me demande bien comment ils vont arriver à renouveler leur endettement !
Pour dire, que même sur un même secteur, on ne peut pas toujours arriver à la même conclusion.
Si vous avez des logements à Paris, ça n’est pas grave d’avoir des baux courts, car vous arriverez à retrouver un locataire facilement et il n’y aura pas de vacances. Par contre, des entrepôts en province, si vous n’avez pas de baux longs…
Voilà déjà 1h30 que dure notre entretien et il me reste plein de questions, dont ma question piège, est-ce que l’immobilier parisien est surévalué, mais cela va nous emmener loin…
Une question simple : des études basées sur la théorie moderne du portefeuille, ont montré, certes sur des durées d’analyses assez courtes, que 15% de foncières cotées en portefeuille serait idéal ?
C’est une théorie que je n’ai jamais comprise, qui me semble reposer sur des fondements curieux !
Pour la faire courte : tout cela repose sur des modèles de volatilité et corrélation historiques, et suppose que l’histoire passe toujours les mêmes plats.
C’est un postulat faux et à partir de là tout l‘édifice est branlant. Toutes ces théories ne servent à rien !
Vous-même dans votre portefeuille n’avez-vous pas un % dédié de foncières cotées ?
En tant qu’analyste, je n’ai pas le droit d’en acheter, donc mon cas personnel est un autre sujet…
Il n’y a pas de coefficient idéal : il peut y avoir des périodes où il y a intérêt à n’avoir que des foncières et d’autres où il n’en faut pas du tout.
De façon plus concrète, je pense que la prévisibilité des flux est quand même beaucoup plus élevé sur les foncières d’europe continentale et françaises en particulier, que sur beaucoup de métiers et donc effectivement, on peut accepter une rentabilité plus faible que sur beaucoup d’autres actifs.
Aujourd’hui, quand je vois Klepierre a 12,5 les profits, sur des profits plus proches du bas de cycle que du haut de cycle, avec un endettement diversifié, finalement raisonnable et adossé à une banque, le risque est assez faible sur ce type d’investissement.
Je ne pensais pas qu’1h30 passerait si vite. Je vous remercie pour ce riche entretien qui je suis sûr intéressera les lecteurs.
Je vous en prie.
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“C’est quand la mer se retire que l’on voit ceux qui se baignent nus.” – Warren Buffett