roudoudou a écrit :
Attention je n’ai juste fait que relater ce qui était dans l’émission et que j’ai été choqué par les images. Maintenant, je sais que cash investigation n’est pas totalement neutre et que certaines images sont montées en épingle.
Cela dit le cas de la pensionnaire battue à mort par une résidente maintes fois signalée à la direction relève d’une faute grave du directeur de l’ephad et de l’établissement. La question c’est est ce un cas isolé monté en épingle ou plus répandu ?
Pour le cas des pensionnaires réclamant de l’eau et étant prêts à payer, je comprends vos propos, et y adhère cela ne démontre pas grand chose, mais il n’y avait pas que cela dans le reportage.
Bon, on peut penser ce qu’on veut de ce reportage, donc je ferai part de mon témoignage d’infirmier qui a travaillé en Ehpad en 2003-2004 dans un des groupes cités, et cette année dans cinq établissement différents faisant partie des trois catégories nommées, à savoir secteur public, privé associatif, et privé "commercial" (pour reprendre l’euphémisme de la déléguée des Ehpad de France dont j’admire la rhétorique-j’ai arrèté ma vision du docu deux minutes après l’écouter, j’ai senti que ça allait m’agacer).
Déjà, hormis tout catalogage d’émission grand public, émotionnelle, gaucho anticapitaliste, juste je la regarde comme un symptôme social, et toute émission est toujours une mise en scène, à savoir un point de vue partial. Tout comme mon témoignage, et donc le point de vue de chacun s’étant exprimé ici. Prétendre l’objectivité dans un sujet aussi sensible est une gageure: la seule chose réelle est d’écouter et comprendre les enjeux de chacun. On peut toujours déjà se poser la question des motifs des personnes qui se montrent dans une émission, par contre il y le nombre, immense, de celles (majoritairement femmes) et ceux qui ne disent rien mais voient tout, tous les jours.
Mon constat est que le peu que j’ai vu du secteur public était juste peu ragoutant. Pas de moyens, un encadrement défectueux (quand le directeur dirige plusieurs établissements ça disperse un peu la concentration requise), un travail au taquet où je devais en tant qu’IDE être partout à la fois, faire des toilettes le matin en plus du reste (ce qui signe non pas que je fuie cela mais juste le fait que les aide-soignantes sont ultra-serrées sur le nombre), repas donnés à coup de lance pierre, etc etc…
La différence est que les locaux sont comme dans le public: moches, pas rénovés, bref l’indigence visible, contrairement au secteur privé "commercial", où comme l’a si justement dit l’urgentiste, on a un aspect clinquant, et tout le reste à la ramasse.
Le secteur le moins pire est le privé associatif, c’est là que je trouve que les conditions sont les moins pires, les aide-soignantes les plus disponibles, qu’il y a le moins de maltraitance.
Cette semaine encore, une collègue au ménage, me racontait son licenciement d’un des deux groupes suscités vers 2000, elles ont été licenciées par wagon. Ayant travaillé sur le même lieu quelques années après, c’est bien la seule fois où j’ai arrèté une mission d’intérim en me mettant en arrêt maladie car j’ai eu peur que le directeur (arrivé peu après moi), commence à me menacer et me harceler. Une fois il était venu me prendre sous son aile pour me descendre les anciennes et les syndiquées, et me dire que ça allait être la guerre. Je pense qu’il n’a pas apprécié que je n’adhère pas à sa tentative de me rallier à des enjeux politiques internes qui étaient pour moi aux antipodes de la préoccupation qui devait nous animer, à savoir un travail bien fait autour du résident (ce qui d’ailleurs était le sujet que je partageais avec ces anciennes et syndiquées, qui, pour la plupart, avaient envie de bien travailler, et avec qui j’ai eu un bon lien).
Ceci peut donc déjà brosser un tableau: un management hors sol, plus obsédé par du chiffre que par l’humain.
Le test favori: aller dans une chambre et sonner, et chronométrer le temps que met une aide-soignante (ou aide-médico-psychologique, beaucoup employées alors), et l’engueuler copieusement parce que c’était forcément trop lent (sans se demander si elle était bloquée à changer seule un résident grabataire au lit de 85 kgs ou de faire manger quelqu’un dont le repas est presque froid, etc etc…).
Quand je suis parti, il y avait environ 20 arrèts maladie. Un AMP me dit qu’il avait eu un matin trois nouvelles recrues à encadrer. Ca faisait un an et demie qu’il bossait là, on pourrait dire qu’il était déjà un ancien!…cela peut donc présager de la qualité présente, et c’était donc il y seize ans maintenant.
Peu à peu j’entendais parler de la façon dominatrice de gèrer l’équipe du nouveau directeur: diviser pour règner en demandant à certains de produire des attestations contre d’autres (genre W a oublié deux piles sur le boitier d’alarme du 3e étage-pour situer le niveau), à des gens prèts à ce genre de bassesse pour une promotion de seconde zone. Menaces allant jusqu’à l’humiliation verbale dans le bureau. J’ai failli y avoir droit quand un jour il se pointa avec deux costards cravates dans l’encadrement du bureau infirmier, me disant que j’avais des choses à lui dire et que je devais passer dans son bureau. Comme je n’avais rien à lui dire, j’en ai déduit qu’il comptait me passer à la moulinette, et comme j’était en intérim avec un pied dehors, j’ai refusé d’accepter une nouvelle expérience de violence ordinaire du soignant…on vit beaucoup de trucs violents mais les soignants banalisent souvent la violence donnée et reçue!…
Cette année, l’Ehpad privé "commercial" où j’étais, était pas mal dans le genre non plus. Une aide-soignante y ayant bossé et refusé d’y retourner (on se demandera pourquoi mais beaucoup d’ancien(ne)s sont en maladie, et beaucoup d’’autres ne restent pas (une du ménage a fui après une matinée, elle a vite compris qu’elle ne supporterait pas!)….donc cette aide-soignante qui avait fait des nuits, me dit qu’elle avait été convoquée par la directrice car parfois elle utilisait plus d’une seule couche pour changer les résidents la nuit. Comme ils étaient changé souvent à partir de 18h30, et bien il pouvait arriver qu’un seul change ne suffisait pas…mais c’était trop pour la direction. Il faut pouvoir tenir plus de 12h donc sans chier ni trop pisser. On ne se posera pas la question du fait que ça puisse favoriser escarres et autres affections cutanées, ce doit être une autre enveloppe qui finance!…
Je ne parle pas des repas expédiés, parce que quand on est peu nombreux pour beaucoup, bah on bacle, on ne remonte pas assez bien les résidents dans le lit car ça prend trente secondes de trop, bref à travailler au taquet avec une tension permanente, on travaille mal, on maltraite de façon institutionnelle (et je dirais sans intention de le faire, mais juste parce qu’on ne peut le faire autrement, et aussi quand on est maltraité par une direction, et bien ça se ressent à tous les niveaux).
Cela pour des paiements mensuels de plus de 3000 euros par mois, sachant qu’une aide-soignante touche environ 1200-1300 euros par mois, se tapant moults horaires coupés (quand on habite loin et qu’on est limité dans le bassin d’emploi, ça coute cher en essence, en garde d’enfant), ça donne une idée du vécu de chacun, et je trouve que la plupart des AS prennent beaucoup sur elles et qu’on a beaucoup de chance qu’elles ne sombrent par plus dans la maltraitance quand on voit leur condition de rémunération et de travail.
Ce dernier endroit où j’ai bossé, cherchait sans cesse infirmière ou aide-soignante, car personne ne reste hormis certain(e)s irréductibles, qui souvent aussi habitent au plus prèts, ou comme m’a dit l’une d’elle, "sont habituées" (sous-entendu habituées au dysfonctionnements chroniques de l’institution). Je ne parle néanmoins pas des arrèts maladies, burn out divers, heureusement à certains niveaux que la solidarité de l’équipe entre elle a joué. Mais il est clair que dans la plupart des cas dysfonctionnants, le management se vit en conflit avec l’équipe car il est dans un posture de contrôle, au lieu de voir qu’il a souvent entre les mains des gens réellement capables à qui ils pourraient faire confiance (et qui en plus ne demandent même pas plus d’argent ou de pouvoir!).
Quand j’ai quitté le groupe X en 2004, plusieurs autres établissements étaient en conflit ouvert, avec moults procédures aux prudhommes (que le groupe a perdu dans la plupart des cas). La personne du ménage qui m’a raconté son licenciement m’a raconté qu’on l’a laissé s’habiller et commencer à prendre son poste avant de lui donner en main propre sa lettre de licenciement sans lui dire un seul mot. Elle a eu néanmoins gain de cause et indemnisations: on l’a accusé d’une faute commise sur un jour où elle était en vacances, et à un étage où elle ne travaillait pas!…elle soupçonne la directrice d’en avoir fait exprès car elle l’appréciait bien, afin d’être sûr qu’elle ne parte pas perdante). Bref, je me pose toujours la question de la rentabilité d’une gestion où l’on préfère payer du licenciement et de la procédure plutôt que de travailler à du relationnel correct avec ses employés. A mon avis il s’y perd énormément d’énergie, de temps, et ce au détriment de créer une atmosphère agréable qui se ressentira forcément sur le résident. Mais non.
Concernant la prise en charge médicale, c’est effectivement le bordel, car en général c’est pris en charge par des médecins libéraux. Toujours débordés si on a besoin en cas d’urgence.
Là je travaille en IME, en ville, préfécture d’un département rural de province. J’ai appelé le 15 et cinq médecins différents pour une gamine, ça a fini par le transfert en famille d’accueil pour être vue par son médecin habituel: vive la France!
Revenon donc à nos Ehpad: , certaines situations de détresse médicale comme celles dénoncée par l’urgentiste se produisent, car la lecture des symptômes est difficile chez une personne âgée: ils sont rarement clairs d’emblée, et il faut les contextualiser dans la masse de petits troubles quotidiens à gèrer tout le temps. Quand on est trop peu, on finit par ne plus voir. Certains se plaignent tout le temps, et le jour où, et bien on n’a pas vu, trompé par tant de faux signaux précédents. Certains ne se plaignent jamais et ne diront rien, et comme on le les voit pas, on ne les verra pas le jour où. Pour cela je ne jugerai pas si le travail a été bien ou mal fait: quand on n’a pas les moyens matériels, humains pour bien faire, on ne peut pas bien faire.
Après, je peux comprendre la souffrance des familles, mais je suis toujours sceptiques face à ces témoignages très démonstratifs et emphatiques: souvent ceux qui se plaignent le plus que leur parent est mal soigné sont ceux qui se déchargent le plus sur l’équipe soignante et ne veulent pas voir leur souffrance, pris dans l’ambivalence de leur sentiment. Un jour j’ai voulu alerter le fils d’une résident que sa mère allait moins bien et j’ai tenté en y mettant la forme de l’alerter sur le fait que son espérance de vie était fragile…il est allé par la suite se plaindre auprès de la direction que je n’avais pas donné un coussin pour faire reposer la jambe de sa mère sur le fauteuil roulant, qu’il ne m’a jamais demandé….donc je prends toujours les témoignages les plus "émotionnels" avec distance: il faudrait écouter l’équipe soignante en face, et savoir l’historique…bref, avoir une écoute distanciée.
Cela dit, le témoignage d’une équipe qui accompagne la fin de vie d’un résident jusqu’au bout, ça signe une qualité, même si parfois c’est tendu en termes de moyens: il faut un état d’esprit, et cela est souvent impulsé par le management..ou pas!
Pour finir, concernant la personne qui s’est faite frapper par son ou sa voisine sortant de psychiatrie, là aussi je m’abstiendrai de tout jugement hâtif…on n’a qu’un aspect des faits. Il faut savoir, je le vois dans le médico-social là où je suis en ce moment, que les CH psys ont vite fait de se débarrasser de leurs patients dès qu’ils peuvent, pour le coup leur responsabilité pourrait aussi être engagée…mais on pourrait alors engager la responsabilité de tout le système de santé, donc du ministère et de l’Etat, qui ont contribué largement à faire évoluer les choses vers cet état de fait. Il y a 20 ans dans mes études, on nous apprenait comment préparer une sortie, à s’assurer qu’il y aurait les moyens pour prendre en charge la personne, bref qu’elle pouvait sortir de façon sereine. Aujourd’hui c’est vite on se débarasse du patient sans plus se préoccuper de ce qu’il se passe hors du service, conséquence de gestions bien délimités à son propre service et ses dépenses générées.
D’ailleurs, ma dernière mission en Ehpad a consisté bien plus à devoir demander aux médecins généralistes de faire des bons de transport pour que les ambulanciers se fassent payer par la sécu, parfois six mois plus tôt, qu’être auprès des résidents. C’est ce genre de contrainte gestionnaires, dans lesquelles nos politiques de santé nous ont plongé de plus en plus depuis plusieurs années, qui contribuent au fait qu’on n’est plus des soignants, mais des intendants de matériel, des gestionnaires, secrétaires, et que tout ce temps passé pour satisfaire des N+1 (et plus souvent N+ 8 ou 9 probablement!…tellement loin de nous qu’on ne sait pas qui ou quoi c’est!), est du temps qui n’est plus disponible pour les gens qu’on est censé soigner.
D’ailleurs, pour finir vraiment, quand l’aide-soignante arrivait à l’ordi et branchait sa scanette pour décharger son contenu dans l’ordi et valider la quantité de soins effectuées, et bien…l’ordi refusait de reconnaître sa scanette et de charger le contenu, et elle devait donc refaire toute la manip à la main sur l’ordi. Tout cet investissement sur la technologie pour tracer la comptabilité et soit disant la qualité, prend donc du temps sur le temps des soins et donc sa qualité, c’est quand même grandement absurde, et un sujet d’épuisement, de révolte souvent tue, pour de nombreux soignants qui sont encore capables d’aimer leur travail, pour peu qu’ils puissent en fait vraiment l’exercer plutôt que des tâches bureaucratiques, comptables, destinées en fait à satisfaire les besoins non pas des personnes qui paient pour être prises en charge dans l’institution, mais de ceux qui sont payés pour diriger ou faire diriger cette institution.
Déontologie: pour tous ces motifs susdits, bien que j’ai eu conscience que j’aurais été gagnant financièrement à acheter des actions de ces groupes dont nous parlons ici, éthiquement, connaissant de l’intérieur comment ça fonctionne, je n’ai donc pas réussi à devenir actionnaire.