Oddo a écrit :
La période déclarative pour les revenus 2017, lancée le 10 avril dernier, s’accompagne de l’ouverture de la campagne déclarative du nouvel impôt sur la fortune immobilière (IFI), dont la date limite et l’échéancier coïncident désormais avec ceux de la déclaration de revenus.
L’IFI qui, à première vue, emprunte les règles de son prédécesseur (seuil d’assujettissement, fait générateur, barème, plafonnement…) révèle des modalités nouvelles qui, pour certaines, recèlent une grande complexité et trahissent la volonté du législateur de ratisser large : « Rien que l’immobilier mais tout l’immobilier » !
Les actifs immobiliers taxables, dont l’acception est très étendue grâce à la notion de « détention indirecte », sont traqués partout où ils se trouvent, de la classique société civile à la multinationale, en passant par les fonds d’investissement collectifs et même le contrat d’assurance vie. Et pour que rien n’échappe à l’assiette de l’impôt, le législateur, mu par une forme de paranoïa fiscale décelant l’abus potentiel partout ou presque, a doté l’administration d’un arsenal de garde-fous faisant échec aux montages susceptibles de contourner ou minorer l’imposition. Le nouvel impôt est d’ailleurs le prétexte à une nouvelle incursion du législateur sur le terrain sensible de l’abus dans sa dimension fiscale dont il tente une nouvelle fois d’élargir le champ, en dehors de la définition légale de l’abus de droit fiscal, en inoculant dans le texte le concept d’objectif « principalement fiscal ».
Autant de dispositions spécifiques et complexes que nous vous proposons d’exposer, de façon non exhaustive, en mettant en exergue certaines difficultés pratiques.
Un champ d’application très large
Tous les biens et droits immobiliers appartenant au contribuable entrent dans le champ d’application de l’IFI. Sont visés tous les immeubles bâtis (quelle qu’en soit l’affectation, privée ou professionnelle) ou non bâtis ou en cours de construction ainsi que tous les droits réels immobiliers (usufruit, droit d’usage, droit du preneur d’un bail à construction notamment). Les parts ou actions de sociétés détenant directement ou indirectement des biens immobiliers, quel que soit le nombre de niveaux d’interposition entre le bien et le contribuable, sont également susceptibles de donner lieu à imposition pour une fraction de leur valeur.
Nouveauté remarquée du nouvel impôt : les contrats d’assurance vie rachetables (ce qui exclut les assurances temporaires décès, les contrats Madelin, les PERP…) et les bons ou contrats de capitalisation exprimés en unités de compte (qu’il s’agisse de contrats français ou étrangers) doivent être déclarés par le souscripteur pour la fraction de leur valeur de rachat au 1er janvier de l’année d’imposition représentative des actifs immobiliers compris dans les unités de compte. Cette valeur sera, en principe, communiquée chaque début d’année par l’assureur.
Le législateur a, par ailleurs, prévu une série de mesures d’exclusion ou d’exonération pour certains biens ou certaines participations :
Tout d’abord, les parts ou actions de sociétés opérationnelles (sociétés ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale…), qu’elles soient cotées ou non, dont le redevable détient directement ou indirectement moins de 10 % du capital et des droits de vote, échappent à l’imposition.
Autre innovation du nouvel impôt : la valeur des actifs immobiliers sous-jacents détenus par un organisme de placement collectif est désormais imposée. Mais elle peut être exonérée à la double condition que le redevable détienne moins de 10 % des droits et que l’actif soit composé (directement ou indirectement) à hauteur de moins de 20 % de biens ou droits immobiliers imposables.
Ne sont pas non plus retenus pour l’assiette de l’impôt les biens ou droits immobiliers affectés à l’activité opérationnelle d’une société, détenus directement par le redevable ou par une filiale ; elle vise aussi les biens ou droits immobiliers détenus directement ou indirectement par une société opérationnelle dans laquelle le redevable détient (directement ou indirectement) des parts ou actions et affectés à l’activité opérationnelle d’une société du groupe (répondant à certaines caractéristiques).
Enfin, comme sous l’empire de l’ISF, la notion de biens professionnels exonérés a été conservée (immeubles affectés à une exploitation individuelle, immeubles affectés à l’activité d’une société dans laquelle le redevable exerce son activité professionnelle principale ou des fonctions dirigeantes).
Evaluation des biens : une appréciation difficile en cas de détention indirecte
Les règles d’évaluation demeurent globalement inchangées par rapport à l’ISF, le nouveau texte renvoyant, comme l’ancien, à la notion de valeur vénale (sauf règles particulières propres à l’IFI, comme par exemple l’abattement de 30% pour la résidence principale qui a été maintenu). Relativement simple à appréhender lorsque le bien est détenu directement par le redevable, la mise en œuvre de cette notion peut s’avérer éminemment complexe et incertaine lorsque le bien est détenu par une entité, qu’il s’agisse d’une société (société de capitaux, cotée ou non, SCPI, SIIC…), d’un organisme de placement collectif (OPCVM ou OPCI), d’un contrat d’assurance vie ou d’une fiducie.
En cas de détention de biens immobiliers par l’intermédiaire d’une société, seule la valeur de l’actif de la société représentative des immeubles imposables est soumise à l’IFI, sans notion aucune de prépondérance immobilière. Il convient dans un premier temps de déterminer la valeur réelle de la société (incluant le passif) puis la valeur représentative de l’immobilier qui s’obtient en appliquant à la valeur vénale des titres un prorata. Le calcul peut vite s’avérer très fastidieux si la société possède des biens bénéficiant d’une exonération ou des dettes dont la déductibilité est limitée ou encadrée.
Une des difficultés majeures sera d’appréhender la valeur des biens immobiliers sous-jacents détenus par la société ou par une des filiales du groupe. Pour ce faire, ladite entité doit fournir à l’associé / actionnaire les éléments nécessaires. La loi a renvoyé à un décret le soin de préciser les obligations déclaratives qui incombent aux sociétés… lequel n’a pas encore été publié à ce jour ! C’est donc sur les entreprises concernées que pèse, a priori, le fardeau de l’évaluation (que leur comptabilité à elle seule ne leur permettra pas nécessairement de déterminer), le législateur ayant pris le soin d’en décharger le contribuable… mais seulement s’il est minoritaire et de bonne foi.
En effet, le nouveau texte prévoit qu’aucun rehaussement n’est effectué si le redevable justifie une participation (directe ou indirecte) minoritaire dans la société, à savoir 10% ou moins du capital ou des droits de vote, et démontre, de bonne foi, qu’il n’était pas en mesure de disposer des informations nécessaires à l’estimation de la fraction imposable des titres qu’il possède. Mais tout en précisant que cette tolérance ne vaut pas si le contribuable, ou un membre de son foyer fiscal, se réserve la jouissance des biens ou s’il détient un contrôle de fait dans la société.
Ce tempérament n’a d’intérêt en pratique que pour le redevable qui détient une participation minoritaire dans une société non opérationnelle (telle une holding) puisque les participations minoritaires dans des sociétés opérationnelles échappent de plein droit à l’IFI.
Mais qu’en est-il si la société ne remplit pas ses obligations d’informations ou ne dispose pas elle-même des éléments pour apprécier la valeur des biens (on pense notamment aux très grosses sociétés ou aux sociétés étrangères) ? C’est précisément à l’aune de la bonne foi du contribuable que l’administration appréciera et acceptera une éventuelle défaillance déclarative : ce concept de bonne foi, éminemment subjectif dans son appréciation, implique que le contribuable conserve la charge de la preuve d’établir qu’il a fait le nécessaire (mais comment, nous ne le savons pas à ce stade) pour obtenir les informations lui permettant d’établir sa déclaration.
Démembrement de propriété : une nouvelle exception au principe de l’imposition de l’usufruitier
Comme cela était le cas pour l’IFI, le principe reste celui du redevable unique (pour la valeur du bien en pleine propriété) : l’usufruitier.
Ce principe connait des exceptions aux termes desquelles l’imposition est répartie entre usufruitier et nu-propriétaire, selon le barème prévu à l’article 669 du Code Général des Impôts. Ces exceptions correspondent aux cas dans lesquels le démembrement trouve sa source dans la loi (par opposition au démembrement « conventionnel »).
L’IFI reprend dans l’ensemble ces exceptions mais en ajoute une nouvelle : en cas de démembrement résultant d’un décès (hors testament ou donation entre époux) survenu à compter du 1er juillet 2002, lorsque le conjoint survivant bénéficie de l’usufruit légal sur la succession (prévu par l’article 757 du Code Civil), l’imposition est répartie entre usufruitier et nu(s)-propriétaire(s) à due proportion de leurs droits respectifs. Jusqu’à présent la règle d’imposition séparée ne valait que pour l’usufruit légal du conjoint survivant constitué jusqu’au 30 juin 2002. Dorénavant il n’y aura donc plus lieu de distinguer selon la date du décès.
Cette nouvelle règle d’imposition, qui a pour conséquence de rendre redevables des nus propriétaires qui ne l’étaient pas jusqu’à présent (et ne disposent pas des revenus du bien qui leur permettraient, le cas échéant, d’acquitter le nouvel impôt ou l’impôt supplémentaire), amènera les redevables à procéder une nouvelle analyse des situations de démembrement de propriété qui nécessiteront, dans certains cas, des arbitrages par le conjoint survivant entre sa vocation successorale et les effets fiscaux de ses choix.
Déductibilité des dettes : un champ limité et miné pour le contribuable
Si sous l’empire de l’ISF, toutes les dettes contractées par un redevable étaient déductibles à l’exception de celles relatives à des biens exonérés, avec l’IFI le principe tend à devenir l’exception : le passif n’est déductible que s’il est afférent à un bien imposable (et à proportion de la fraction de la valeur imposable de ce dernier). Et encore, ce principe se trouve-t-il affaibli par des exclusions, plafonnements ainsi que toute une batterie de mesures anti-abus.
Le tempérament le plus notable, et en même temps le plus surprenant, est celui apporté aux dettes afférentes à la résidence principale. La notice d’information accompagnant le nouvel imprimé déclaratif précise, en effet, que compte tenu de l’abattement de 30% pratiqué sur la valeur de la résidence principale, les dettes contractées pour son acquisition ne sont déductibles qu’à proportion de la valeur taxable, soit 70%. La résidence principale ne bénéficiant pas en tant que telle d’une exonération (partielle) mais d’un simple abattement de valeur, on ne voit pas pourquoi l’administration modifie une règle d’imposition qui, dans le texte, reste inchangée par rapport à l’ISF.
Elle pousse ainsi à son comble le principe d’affectation stricte des dettes, qui veut que seules les dettes afférentes à des actifs imposables soient admises au passif. Ce principe implique qu’une attention plus grande devra être apportée à l’objet d’un prêt contracté par le contribuable qui devra être en relation directe avec l’acquisition du bien ou les travaux réalisés.
Seules les dettes énumérées par la loi, de façon limitative, sont désormais déductibles et certaines dettes jusqu’alors admises en déduction sont passées à la trappe : c’est le cas de la taxe d’habitation et de l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux, quand bien même ils sont afférents à des biens taxables.
Certaines semblent avoir été oubliées par le législateur (simple amnésie ou omission volontaire ?) : c’est le cas des droits de succession dus sur des immeubles dont le paiement a été différé par l’héritier nu-propriétaire et dont la déductibilité, qui était prévue par l’ISF, parait néanmoins de bon sens.
D’autres ont vu leur déductibilité plafonnée : c’est le cas des prêts in fine qui ne sont désormais déductibles chaque année qu’à proportion du capital qui resterait dû si des échéances avaient été prévues annuellement (comme pour un prêt amortissable).
D’autres sont clairement frappés de suspicion : le redevable se voit, dans certaines hypothèses, érigé en présumé fraudeur et les dettes souscrites par lui, directement ou indirectement, refusées ou limitées en tant que passif déductible :
- Soit parce qu’il possède un patrimoine important- supérieur à 5 M€ - et a recours, de façon disproportionnée aux yeux du législateur, au levier de l’emprunt : la pleine déductibilité est alors limitée à 60% de la valeur taxable du patrimoine, et se trouve réduite de moitié au-delà… sauf si le redevable justifie que les dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal !
- Soit à raison de la qualité du prêteur, jugée trop « proche » du redevable : c’est le cas des dettes contractées personnellement par le redevable auprès de son foyer fiscal, de son groupe familial ou encore d’une société qu’il contrôle - sauf si, dans les deux derniers cas, il justifie du caractère normal des conditions du prêt (quant à sa durée, son échéancier, son coût…).
On retrouve cette suspicion et les garde-fous anti-abus qui en découlent s’agissant de certaines dettes souscrites directement ou indirectement par une entité dans laquelle le redevable possède une participation, là encore justifiés par l’origine du bien financé ou l’identité du créancier.
Plus qu’avant, le contribuable devra porter une attention toute particulière au choix des modes de financement de ses biens immobiliers (l’emprunt bancaire devra souvent être privilégié, et en particulier le prêt amortissable long) et à leurs modalités de mise en place.