Ce serait intéressant d’avoir un débat purement technique sur la méthode d’allocation proposée par Charles Gave (plus loin CG) dans son livre “Cessez de vous faire avoir”, sans que ce débat soit pollué par les idées politiques du personnage.
Je propose donc en premier lieu un résumé de ce livre. Il comporte 14 “fiches” et une FAQ. Les 9 premières fiches, c’est a priori la présentation du portefeuille permanent d’Harry Brown (plus loin PFHB). Dans les 3 suivantes (10 à 12), il est proposé une version améliorée de cette méthode, le PF de l’Université de l’Épargne (plus loin PFUE). Des améliorations basées sur des analyses techniques. Les 2 dernières fiches sont intéressantes, mais apportent peu selon moi pour ce qui est de la conduite du PF.
NB : mon résumé ne concerne pas la FAQ, qui est selon moi secondaire.
Je finis pas une variante personnelle du portefeuille et l’étude de sa pertinence.
Fiche 1 : Etat de l’économie et actifs à privilégier en fonction
Deux composantes permettent de décrire l’état de l’économie : la croissance et l’inflation.
Cela permet de définir 4 états différents. On peut voir un diagramme correspondant ici
Boom inflationniste :
- Il faut avoir de l’or et des actions à duration courte (dividendes élevés et sûrs).
- Il est difficile de prévoir la fin d’une période inflationniste.
Récession inflationniste :
- La pire des situations : baisse des obligations et des actions.
- Il ne faut avoir que du cash et de l’or.
Dépression/déflation :
- Il ne faut pas avoir de dettes personnelles.
- Être investi en obligations D’État.
Croissance sans inflation (boom déflationniste) :
- Il faut avoir des actions à duration très longue (croissance forte des bénéfices).
Les 4 catégories d’actifs qu’il suffit donc d’avoir :
- Cash, ou bons du Trésor à 3 mois
- Obligations d’État à 10 ans
- Actions
- Or
Fiche 2 : Bons du Trésor à 3 mois
Possible par des ETF.
Ne protège pas de l’inflation sur les 24 dernières années.
Fiche 3 : Obligations d’Etat à 10 ans
Performance de 1,73% inflation déduite sur la période 2000-2024.
Fiche 4 : L’or
“L’or, c’est la monnaie, le reste, c’est du crédit.” (John Pierpont Morgan).
La seule réserve de valeur qui demeure quand la confiance a totalement disparu.
Fiche 5 : Les actions
Rendement de 5 à 7% sur le long terme inflation déduite (mais 3,36% annuel avec la “Bourse de Paris” du pic de 2007 à 2024, si l’on ne paye aucun prélèvement obligatoire).
Fiche 6 : Logique des 4 actifs
Il y a décorrélation entre les 4 actifs. Les actions sont les plus performantes sur le long terme.
Pourquoi ne pas avoir que des actions : on peut ne rien gagner pendant 15 ans.
Fiches 7 et 8 : Le portefeuille permanent de Harry Browne
Comment répartir les 4 actifs en fonction du cycle économique ?
Personne ne peut prévoir l’évolution entre les 4 scénarios. Donc on répartit en 4 parts égales et on y reste (donc rééquilibrer chaque trimestre).
Résultat : volatilité faible (perte max de 10% sur un an) et perf de 4% par an inflation déduite pour la France.
Résultat identique dans les autres pays : US 4%, Suisse 4,25%, Japon 3,75%, Chine 4,2%.
Fiche 9 : Les raisons de la stabilité du PP
Boom déflationniste :
- Scénario normal
- Tous les actifs montent sauf l’or
Boom inflationniste :
- Scénario typique des temps de guerre
- L’or et les actions montent
- Stabilité du cash
- Baisse des obligations
Récession inflationniste :
- Cash et or plutôt ok
- Problème pour les actions et les obligations
Dépression/déflation :
- Or plutôt stable
- Les obligations montent ainsi que le cash en pouvoir d’achat
- Les actions dégringolent
Dans 3 scénarios sur 4 : 2 actifs montent, 1 ne fait rien et 1 baisse.
Dans le 4ème scénario, 2 actifs montent et 2 baissent. Mais il ne dure jamais longtemps.
Et le rebalancement permet de prendre ses bénéfices sur les actifs qui ont monté pour acheter ceux qui ont baissé et qui vont donc remonter (notion de cycle).
Fiche 10 : Exclure le ou les perdants certains dans le portefeuille permanent
Il est difficile de savoir dans quel scénario (au sens de la fiche 1) on est, mais facile de savoir là où on n’est pas.
Cela n’a pas de sens d’avoir en même temps des obligations et de l’or, vu qu’ils varient à l’inverse l’un de l’autre.
CG propose donc une première amélioration du PFHB en n’ayant que 3 actifs en PF : 33% cash, 33% actions et 33% soit des obligations soit de l’or. Appelons ça le PFUEv1.
Pour l’arbitrage entre l’or et les obligations, il est proposé de se baser sur la tendance lourde de leur différentiel de rentabilité.
Concrètement, on juxtapose la courbe rouge du ratio de rentabilité totale or contre obligations au USA et en bleu la moyenne mobile à 7 ans de cette courbe. Et lorsque la MM coupe sa courbe, on fait l’arbitrage.
On peut voir ce graphique ici, avec 2 différences par rapport au livre de CG :
1) le graphique commence en 1950 au lieu de 1972 dans le livre
2) la MM est 5 ans. Et clairement, la MM à 7 ans permet d’éviter de nombreux arbitrages sur des périodes très courtes, ce qui montre que la MM 5 ans ne donne pas une tendance suffisamment lourde.
Selon CG, le PFUEv1 “semble pouvoir rapporter” 5 à 6% au lieu de 4% (déduction faite de l’inflation).
A ce stade, CG suggère de placer son PF “au Luxembourg, en Belgique ou, encore mieux en Suisse ou à Singapour”.
Fiche 11 : Le rôle de l’or dans la gestion de portefeuille
Cette fiche vient en préparation de la fiche suivante où CG va proposer une 2ème amélioration du PFHB.
CG commence par faire la distinction entre :
• les “valeurs de rareté” (l’or par excellence), "ancrées dans le passée" et "certaines"
• les “valeurs d’efficacité”, dont la somme est “représentée au mieux par les capitalisations boursières”. Elles trouvent leur "source dans l’espérance d’une rentabilité future", et sont donc "incertaines".
Il compare sur les 100 dernières années l’évolution de la valeur du S&P 500 en dollar constant et en or. On trouve l’équivalent ici avec la courbe du ratio S&P 500 / or (avec une échelle qui la rend assez aplatie, donc pas très parlante) et au-dessus le S&P 500 en dollars.
Le constat est que depuis que le dollar a cessé d’être convertible en or en 1971, l’évolution du S&P 500 diverge beaucoup selon qu’il est exprimé en dollar ou en or. En 2024 par rapport à 1971, la hausse en dollar est d’environ 600% alors qu’il est stable en or. CG en conclut que cette divergence est liée à une illusion monétaire, et qu’il n’y a pas eu de “création de valeur” entre 1971 et 2024.
Ma petite réflexion au passage : pas de création de valeur entre 1971 et 2024, c’est un peu dur à digérer, même si on sait bien que la planche à billet tourne à fond depuis des années. Mais il faut comprendre le mot valeur comme étant celle qui est donnée aux actions par les acteurs du marché. Donc oui, en 1929, juste avant le krach, le S&P a une valeur très élevée, mais aussi très subjective. Du coup, on pourrait en conclure aussi qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la forte hausse du S&P 500 depuis 2 ans, puisque ce n’est qu’une “illusion monétaire”, pour reprendre le terme de CG. En “monnaie” or, le S&P 500 est très stable depuis 2021.
Selon CG, le graphique permet de voir les “vraies” périodes de création et destruction de valeur :
- création : 1922-1929, 1950-1966, 1980-2000, 2012-2020
- destruction (baisse de plus de 50% et ensuite plus de 10 ans pour retrouver le niveau) : 1929-1934, 1971-1980, 2000-2012
Fiche 12 : Quand les valeurs d’efficacité sous-performent les valeurs de rareté
Il s’agit ici de faire un arbitrage entre l’or et les actions, pour soit être 1/3 cash + 1/3 ("ou plus") actions + 1/3 obligations soit seulement cash et or (CG ne donne pas de répartition mais de "position considérable en cash et/ou or").
Le principe est le même que pour l’arbitrage obligations/or : on compare le ratio S&P 500 / or et sa moyenne mobile à 7 ans : un arbitrage est fait lorsque les courbes se croisent, soit lorsqu’il y a une tendance de longue durée.
On trouve ce graphique ici. Appelons ça le PFUEvf
En termes simples, il s’agit de faire un arbitrage quand il y a une inversion ou un infléchissement de tendance par rapport à la tendance moyenne sur les 7 dernières années. Cette méthode n’a rien de magique : il s’agit simplement de constater une baisse ou un infléchissement durable et d’arbitrer à un moment où ce changement a déjà opéré depuis quelques temps, donc ça permet de limiter la casse. On voit qu’historiquement, on sort des actions 1 ou 2 ans après le début d’une grande chute des valorisations, mais quand même plutôt au début de cette chute.
A ce stade, malheureusement, le lecteur n’a aucune indication sur la surperformance qu’apporterait cette amélioration pour le portefeuille sur le long terme.
Fiche 13 : Valoriser le marché
CG donne des notions sur le multiple cours / bénéfice et présente son évolution sur 100 ans pour le S&P 500, en soulignant la forte volatilité.
Fiche 14 : De l’instabilité des multiples cours/bénéfice
CG présente un graphique avec 2 courbes : le ratio PIB / prix du baril WTI et le multiple cours / bénéfice (comme à la fiche 13). On peut le voir ici.
La corrélation est évidente, mais cela n’a pas d’intérêt pratique pour la conduite du portefeuille, il s’agit plus d’un éclairage sur les raisons pour lesquelles les marchés actions évoluent.
Étude critique d’une variante du PFUE plus orientée actions
NB : nous ne sommes plus dans le résumé du livre, mais dans une réflexion personnelle.
Actuellement, n’étant pas à la recherche de faible volatilité, mais plutôt de performance maximale, j’ai étudié la cas où on alterne entre :
- une allocation 100 % S&P 500 (alors qu’avec le PFUEvf, il y aurait 2 autres actifs plus défensifs)
- et une allocation prudente comme le préconise CG lorsqu’il s’agit de sortir des actions.
J’ai fait les calculs sur la période du 01/01/1979 au 01/01/2025 en utilisant le site de backtesting testfol.io (on ne peut pas remonter à plus loin que 1979 sur certaines séries). Résultat : on a bien une surperformance, avec 8,795 % annuel pour cette alternance, au lieu de 8,516 % en restant tout le temps 100 % S&P 500 (SPYTR ajusté de l’inflation).
Ceci étant, il me semble qu’il faut prendre du recul par rapport au backtesting, les grandes périodes de baisse se comptant sur les doigts de la main sur la période de 46 ans étudiée. L’échantillon est faible, donc pas forcément représentatif. J’ai donc essayé de prendre en défaut cette règle basée sur la moyenne mobile à 7 ans, en élaborant des scénarios différents (krach fulgurant, remontée très rapide, etc …). En vain, mais cela ne veut pas dire que la règle de CG ne pourrait pas être prise en défaut, mais je commence à en douter fortement.
L’autre question qui peut se poser : l’écart de 8,516 % à 8,795 % n’est pas énorme et il peut y avoir du frottement lors des arbitrages (retard, frais) qui peuvent impacter la rentabilité et éventuellement combler cet écart. Mais ça peut aussi être le contraire, si on arrive à profiter d’un rebond pour arbitrer.
Il y a aussi les cas où la moyenne mobile à 7ans coupe plusieurs fois sa courbe, sur des durées très courtes, et à intervalles rapprochés. Ce fut le cas après le krach du COVID et on est aussi dans ce cas actuellement, depuis 2 ans. Or, le backtesting ne prévoit pas d’arbitrage pour ces cas là. CG n’en prévoit pas sur son graphique pour le krach du COVID. A posteriori, c’est facile de voir que la courbe a été coupée puis très rapidement recoupée. Mais au moment où on est censé appliquer la règle, on n’en sait rien du tout.
Bref, au final, j’ai plutôt l’impression qu’il vaut mieux être en permanence 100 % actions ! (tant qu’on ne s’inquiète pas de la volatilité bien sûr)