Petite présentation, analyse, réflexions sur Netflix
Business model
Netflix est aujourd’hui le plus gros acteur de l’industrie SVOD (Subscrition Video On Demand).
Netflix propose à ses clients un abonnement mensuel de 7,99€ pour l’offre phare en France (les prix sont similaires aux US). En échange, l’entreprise fournit du contenu vidéo en streaming (séries, films, et documentaires). Les clients peuvent profiter de leur abonnement sur n’importe quel appareil (ordinateur, smartphones, télévision, tablette…) et bénéficier de l’algorithme de suggestion Netflix qui servira à leur proposer les meilleurs contenus en fonction de leurs goûts (75% des visionnages sont issus de la suggestion et seulement 25% de la fonction recherche).
Le succès actuel du modèle économique de Netflix est antagoniste au modèle économique de la télévision traditionnelle. En effet, Netflix permet à ses clients de regarder ce qu’ils veulent (VoD), où ils veulent (sur n’importe quel appareil) et quand ils veulent. Tout ceci constitue des avantages incontestables pour ce modèle.
On notera également qu’une des bases du modèle de Netflix est de ne pas imposer de publicité aux abonnés et de proposer un service 100% légal.
Netflix : Quelle(s) stratégie(s) ?
Clairement, le but est de croître très vite et d’acquérir un maximum d’abonnés dans le monde jusqu’à maturation. Ainsi, la top-line est aujourd’hui bien plus « chouchoutée » (+20% de croissance par an) que la bottom-line (marge nette inférieure à 2% et cash-burn énorme).
Aujourd’hui, Netflix dépense énormément dans les contenus, et est même en situation de cash-burn. L’idée est de continuer de faire croitre les dépenses de contenu et de marketing en proportion de la croissance des revenus. En 2020, la stratégie sera réévaluée. Le management compte continuer le free-cash-burn pendant quelques années encore. A terme, l’idée est de profiter d’une base d’abonnés considérable pour investir massivement dans le contenu tout en ayant des faibles coûts par abonné et ainsi dégager un bénéfice.
L’entreprise ne désire pas proposer du contenu supplémentaire à l’offre de base en contrepartie d’une augmentation du coût de l’abonnement. A priori, je trouvais cette politique peu intelligente : pourquoi passer d’un modèle où on imposait le contenu aux clients (télévision traditionnelle) à un modèle où on nous impose de payer pour un contenu que l’on va regarder que partiellement ? Mais après réflexion, je me dis que ce refus est plutôt intelligent car une telle statégie ouvrirait la porte à une multitude de concurrents plus petits qui pourrait produire du contenus thématiques correspondant à chaque segments de clientèle. Alors que là, Netflix pourrait simplement construire une base de contenus et d’abonnés tellement grosse qu’elle pourrait tuer toute concurrence d’acteurs plus modestes.
Un autre versant de la stratégie de Netflix consiste à "vendre" le contenu "hollywoodien" à ses abonnés partout dans le monde et d’acheter/produire du contenu "local" uniquement de façon ponctuelle. Or, je ne suis pas persuadé que le meilleur du contenu Netflix soit autant apprécié aux US qu’en Inde ou au Moyen-Orient. Mais il est clair qu’il y a une part de vérité dans cette hypothèse (Netflix ne repart pas à zéro quand ils attaquent un nouveau marché, surtout dans un marché où la culture est similaire à la culture US comme en France) et une part de faux (Netflix devra surement faire face à des producteurs de contenus locaux très solides qu’ils devront concurrencer directement s’ils veulent pénétrer certains marchés). Une autre faiblesse de cette stratégie est qu’en ce qui concerne les contenus sous licence, les contrats concernent souvent un pays particulier et Netflix doit payer à nouveau si l’entreprise veut proposer le contenu aux abonnés d’un nouveau marché.
Netflix cherche également à produire de plus en plus ses propres contenus et à acheter des licences pour des contenus exclusifs. Cette politique plus coûteuse devrait permettre à Netflix de se différencier et de ne pas subir une concurrence frontale avec d’autres acteurs (YouTube, AmazonPrime, HBO Now, Hulu, TV traditionnelle…). Aussi, les différents acteurs n’étant pas de parfaits substituts les uns à l’offre de l’autre, le management pense qu’à terme de nombreux clients s’abonneront à plusieurs services (Netflix et HBO Now par exemple). Personnellement, je pense qu’une marjorité de clients ne choisira qu’un seul service à terme (moins cher et plus confortable de n’avoir qu’une plateforme).
Netflix : des forces ?
Tout d’abord Netflix profite des avantages d’un « first-mover » : quand on pense SVOD, on pense Netflix avant tout.
Bien sûr, Netflix bénéficie d’un effet de cercle vertueux que le management n’oublie pas de mentionner : plus d’abonnés = plus de revenus = plus d’investissements = plus de contenus = plus d’abonnés
Aussi, Netflix récolte massivement des données auprès de ses millions d’abonnés :
-nombre d’heures de visionnage par contenu (chaque contenu étant classé parmi des milliers de catégories et sous-catégories correspondant chacune à des caractéristiques précises)
-les recherches des abonnés
-les actions des abonnés par contenu (les mises en pause, les accélérations, les retours en arrière, l’arrêt de visionnage, l’enchaînement avec un second épisode…)
-le mix de contenus pour chaque abonné
Tout cela permet à Netflix de :
-Proposer un algorithme de suggestion efficace
-Décider du renouvellement ou non des contenus sous licence
-Mieux décider du type de contenus à produire ou à acheter pour satisfaire les abonnés. (on pourrait voir ici un véritable moat, mais je pense pas que les big data suffise à faire un bon film ou une bonne serie)
Une autre force de Netflix est qu’elle bénéficie d’abonnés "collants". En effet, je suppose que la majorité des abonnés ne compare pas constamment la concurence (Hulu, HBO Now…) et se contente bien de leur abonnement Netflix (même si pour certains abonnés les plus « hardcore », le contenu de Netflix n’est pas suffisant). Enfin, d’autres abonnés ne prendront même pas la peine de se désabonner même s’ils font très peu de visionnages chaque mois.
Netflix : des faiblesses ?
A priori, on peut avoir à l’idée que plus le temps passe, plus la vidéothèque de Netflix grandit et plus Netflix creuse l’écart avec ses concurrents. Mais nous devons nuancer :
- Les contenus sous licences doivent être régulièrement renouvellés (et payés à nouveau) par Netflix pour rester dans leur vidéothèque.
- Un contenu produit par Netflix ne va pas satisfaire les abonnés indéfiniment (quelle que soit sa qualité). Netflix devra toujours investir dans du contenus. Les abonnés seront toujours friands de nouveaux films qui contiennent leurs acteurs préférés ainsi que les dernières innovations technologiques de l’industrie du cinéma. Aussi, ils seront toujours très friands des nouvelles series dont ils(elles) peuvent vivre "en live" avec leurs ami(es).
Ainsi, Netflix devra toujours proposer du contenu récent attractif pour satisfaire les abonnés. La taille de la vidéothèque ne compte pas tellement si celle-ci n’est pas récente.
Netflix est dans une démarche de production autonome de contenus pour se différencier. Selon moi, cela engendre un engagement risqué d’allocation du capital. On n’est pas au casino, mais on s’en rapproche. Un gros budget ne veut pas nécessairement dire une forte réussite, cela peut même être un fiasco total parfois. Pour résumer les ROI des investissements sont extrêmement aléatoires dans ce secteur.
Netflix : le bilan
Quand un contenu devient disponible pour les abonnés, le coût d’acquisition ou de production est capitalisé coté actif dans "current content assets" (droit valable moins d’un an) et "non-current content assets"(contenu produit en interne ou droit valable plus d’un an) et amorti sur 6 mois à 5 ans (en fonction de la durée de disponibilité du contenu) alors que les paiements restant dus apparaissent coté passif dans "current content liabilities" et "non-current content liabilities".
Netflix a 11 milliards d’engagements d’achats ou de production de contenu mais seulement 4,8 milliards sont au bilan. Le reste est lié à un contenu qui n’est pas encore disponible pour l’abonné. L’actif et la dette associés à ces engagements ne se retrouvent donc pas au bilan. Cela dit, 6 milliards d’engagement hors-bilan ne me semblent pas mettre en danger la santé de l’entreprise.
Au 31 décembre 2015, l’endettement reste résonnable à 2,4 milliards de dollars soit environ 1/3 du chiffre d’affaire. De plus, les intérêts sont faibles (entre 5 et 6%) et fixes (ce qui permet de couvrir partiellement une éventuelle remontée des taux). Enfin, les maturités sont assez éloignées (entre 2021 et 2025). L’entreprise avait une confortable postion de cash au 31 décembre 2015 (1,8 milliards) mais il semble qu’une bonne partie a été utilisée pour financer les investissements des trois premiers trimestres de 2016 (0,9 milliard).
En revanche, ces dernières années, Netflix a pu couvrir son free-cash-burn par de l’emission de dette (et d’actions dans une moindre mesure) à des conditions extrêmement favorables (cf ci-dessus). Or si Wall Street perd l’enthouiasme qu’il a actuellement pour cette entreprise, comment Netflix financera le cash-burn et la croissance ? A suivre.
Valorisation
Netflix n’a pas de pricing power. Il est possible que l’entreprise puisse se permettre d’augmenter ses tarifs de quelques dizaines de pourcents hors inflation mais cela s’arrêtera à cela car je suis persuadé que l’aspect low-cost de Netflix est la seule chose qui pousse un grand nombre d’abonnés à prendre un service légal plutôt qu’un service piraté gratuit comme Popcorn Time ou Stremio.
Quelques données financières :
Capitalisation boursière (décembre 2016) : 54 millards (usd)
Ventes (2015) : 6,8 milliards (usd) (en 2016 les ventes seront probablement de 8,8 milliards environ)
Bénéfice opérationnel (2015) : 0,3 milliards (usd)
Bénéfice net (2015) : 0,122 milliards (usd)
Netflix est valorisée à 54 milliards de dollars par le marché boursier. Cela implique que l’investisseur paye 8 fois les ventes de 2015, 180 fois le bénéfice opérationnel et plus de 360 fois le bénéfice net. Ici, je pense que le ratio Price-to-sales est pertinent mais pas le ratio Price-to-earning étant donné qu’actuellement l’entreprise cherche à faire croître la topline mais ne cherche pas spécialement à être bénéficiaire.
1) Scénario 1 : le cours actuel correspond à la valeur à long terme de Netflix (valeur actualisée négative)
Arrivé à maturité (c’est à dire sans les très bonnes perpectives de croissance d’aujourd’hui) Netflix pourra surement être valorisé à 15 fois ses profits. Avec 54B$ de mkt cap, il devra y avoir 3,6B$ de bénéfice pour soutenir le cours. Avec une marge sur bénéfice net de 10%, il devra donc y avoir 36B$ de ventes. Si cette maturité arrive dans 10 ans, la topline devra croitre annuellement d’environ 15%.
Comme je l’ai dit plus haut, Netflix ne pourra pas augmenter significativement les prix. Admettons que le revenu annuel par abonné soit à terme de 120$ (10$ par mois), Netflix devra donc revendiquer 300 millions d’abonnés (aujourd’hui il y a environ 85 millions d’abonnés payants). Or aux Etats-Unis, son marché domestique, Netflix espère avoir à terme entre 60 millions et 90 millions d’abonnés, soit entre 18% et 28% de la population américaine. 300 millions d’abonnés c’est 4% de la population mondiale.
Cela me semble faisable, mais ce scénario permettrait de soutenir le cours actuel mais pas de gagner de l’argent.
2) Scénario 2 : la croissance de Netflix se passe à merveille et les investisseurs longs gagnent de l’argent
Je pense que Netflix ne pourra jamais avoir autant d’utilisateurs que Youtube ou Facebook (c’est à dire environ 1 milliard). Si dans 10 ans, Netflix compte 500 millions d’abonnés, cela sera pour moi le scénario le plus optimiste.
Ce scénario suppose une croissance de 20%/an pendant 10 ans du nombre d’abonnés. On arriverait à un chiffre d’affaire de 60 milliards et un bénéfice de 9 milliards (ici, j’ai supposé une marge nette de 15%).
Si le marché valorise alors Netflix à 15 fois les profits, cela nous donnerait une market cap de 135 milliards soit un rendement de 150% par rapport au cours actuel. En 10 ans cela donnerait un rendement annualisé de 10%.
PS : Pour ces deux scénarios, pour simplifier, je suis parti de l’hypothèse que l’arrivée à maturité du business se fera dans 10 ans, qu’aucun cash-flow ne sera redistribué aux actionnaires, et qu’il n’y aura pas d’augmentation de capital massive.
3) Scénario 3 : la croissance de Netflix échoue et l’investissement tourne mal
Je pense que tous les scénarios où Netflix n’a pas assez de croissance (<15%/an), sont des scénarios où les investisseurs aux cours actuels perdront de l’argent. En effet, on voit bien qu’actuellement, Netflix brûle de l’argent et que sa survie est due à l’apport de capitaux par Wall Steet. A terme, la croissance est indispensable pour Netflix.
Or, Netflix fait fâce à des concurrents qui possèdent des avantages comparatifs. L’abonnement à Amazon Prime coûte 99$ par an (8,33$/mois) et permet d’accéder au catalogue vidéos d’Amazon mais aussi aux frais de transport gratuits en 2 jours pour tout achat sur Amazon.
Pour moi, c’est typiquement le genre d’offre qui a une capacité de pénétration du marché mondial plus importante que Netflix (le client gagne sur deux tableaux : Retail et SVOD, pour le même prix). Personnellement, je ne consomme pas assez de vidéos pour m’abonner à Netflix, mais il est possible que je m’abonne un jour à Amazon Prime.
De plus, je pense qu’Amazon et son chiffre d’affaire de 110 milliards de dollars à bien plus de moyens d’investir massivement dans les contenus que Netflix. Et, avec les abonnés Prime qui dépensent beaucoup plus que les clients non-Prime, Amazon peut se permettre d’avoir quelques pertes sur la partie vidéo.
Enfin, je pense que si Netflix ne domine pas à terme le marché de la vidéo à la demande, il sera très compliqué de dégager des bénéfices réguliers car une « guerre » pour les dépenses de contenus sera très probable.
Conclusion :
Pour résumer très brièvement mon avis actuel, je dirais qu’il est très difficile d’être convaincu de quoi que ce soit au sujet de l’avenir de Netflix. Sous un scénario optimiste mais pas délirant, Netflix est bien valorisé. En revanche, il est clair que sous un regard pessimiste, Netflix est complètement surévaluéé.
Si Netflix se maintient loin devant les autres en terme d’offre (une videothèque incomparable avec celle d’Amazon Prime et un prix deux fois moins cher qu’HBO Now) je pense que l’investissement ne tournera pas trop mal. En revanche, je suis persuadé que tout va se jouer autour d’Amazon : Est-ce qu’Amazon va essayer de concurrencer directement Netflix avec des investissements massifs dans le contenu ? (dans ce cas, je ne donne pas cher de la peau de Netflix) Ou est-ce qu’Amazon va faire des investissements raisonnés et proposer un service complémentaire à Netflix ? (dans ce cas, Netflix pourrait bien s’en sortir).
La réponse qui semble se dessiner depuis quelques mois n’est pas favorable à Netflix : Amazon investit des milliards et de plus en plus dans son contenu…
A suivre
Dernière modification par Lazard (27/12/2016 10h16)