Au sujet du droit : j’ai retenu de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris de 2014 que l’annonce publiée par un particulier est seulement considérée comme une "invitation à entrer en pourparlers". On en parlait déjà ici : p.6 Vendeur qui refuse de vendre juste avant de signer le compromis ?
Cette avocate fait la même lecture que Me Ronit Antebi précédemment cité : "L’accord sur la chose et le prix", Me Caroline Dubuis Talayrach, avocat - Journal de l’Agence
Cela semble aller à l’encontre de jurisprudences plus anciennes, qui considéraient que l’annonce était une offre de vente, et que donc une offre au prix était la rencontre des volontés. La tendance des juges est donc de pardonner au vendeur qui ne sait pas ce qu’il fait, le pauvre : il annonce un prix qui n’est pas une offre ferme mais seulement une invitation à discuter.
Dans votre cas, vous avez soumis une offre (écrite, précise, et signée, on suppose), au prix de l’annonce. Le vendeur n’a pas accepté formellement l’offre, puis vous dit qu’il faut monter davantage. Vous êtes donc dans la phase de pourparlers. Ces pourparlers s’avèrent être des enchères montantes, à votre grand dam. Au vu de cette jurisprudence de 2014, je ne vois rien qui interdise cette sorte de pourparlers.
Maintenant qu’on a vu le droit, la pratique :
- les vendeurs font ce qu’ils veulent : ils font des enchères montantes (surtout en ce moment !), ils se rétractent sur leur acceptation, etc. S’ils vendent en direct, ils sont protégés car l’annonce n’est qu’une "invitation à entrer en pourparlers". S’ils vendent via un AI, ils sont protégés car le mandat d’entremise ne permet pas à l’AI d’engager son mandant.
- les acheteurs font aussi ce qu’ils veulent (et sans doute bien pire) : ils font des offres dont ils savent qu’elles ne les engagent pas vraiment puisqu’ils ont les 10 jours de rétractation après le compromis et, même au-delà des 10 jours, la possibilité de fournir un refus de prêt. Ils exigent des trucs (des études, des travaux, du nettoyage, une baisse de prix, plusieurs contrevisites..), et puis finalement : "ah non, on ne donnera pas suite". La dernière tendance, dans un marché immobilier en forte ébullition, c’est de faire plusieurs offres en parallèle, sur plusieurs biens (pour les bloquer), puis seulement ensuite de se poser des questions sur ces biens puis, encore quelques jours plus tard, annoncer à l’un des vendeurs qu’on va honorer l’offre, et donc annoncer aux autres vendeurs qu’on vient de les bananer et que ce qu’ils ont pris pour une offre ferme était en fait du pipeau.
Face à grand n’importe quoi, tout le monde râle, tout le monde brandit la loi, mais personne ne va jusqu’au procès. En pratique, le vendeur floué est pressé de passer à l’acquéreur suivant. L’acheteur, voyant qu’il n’aura de toute façon pas cette maison-là, est pressé de rechercher une autre maison. Donc, tout le monde passe au sujet suivant, après avoir bien râlé.
Une anecdote : récemment, à titre personnel, je vendais un objet sur ebay, aux enchères. Ca monte, ça monte, et ça atteint un prix sympathique. Le meilleur enchérisseur ne paie pas et ne donne aucun signe de vie. Je consulte les pages d’aide ebay, et ça dit "au bout de 4 jours, vous pouvez ouvrir un litige pour non paiement". Ce que je fais. L’acquéreur fait toujours le mort. Je regarde à nouveau : "au bout de tant de jours, vous pouvez clotûrer le litige". Ce que je fais : cela annule la vente et me rembourse la commission ebay.
Voilà donc le fonctionnement "officiel" d’eBay : on a en rien à foutre du code civil qui dit que la vente est parfaite dès lors qu’il y a accord sur la chose et le prix. On ne force pas l’acheteur à payer. On ne lui met même pas un point négatif de réputation. Non, on efface l’ardoise, on oublie qu’il s’est engagé à acheter et à payer.
Pourtant, ebay est une grosse boîte sérieuse. Ils ont des juristes compétents. Ils connaissent la loi. Ils ont décidé sciemment de s’asseoir dessus. C’est trop compliqué de forcer un client à payer, alors tant pis. Et puis, le client est roi, n’est-ce pas ?
J’ai dû remettre en vente. La seconde fois, il y avait moins de compétition entre les enchérisseurs et c’est parti 12 % moins cher. Au total, j’y passe le double de temps, je perds de l’argent, et le petit plaisantin qui met des enchères bidon puis fait le mort, il peut continuer ses méfaits. C’est fou, non ?
Autre cas, encore mieux : l’acheteur paie, reçoit le colis au relais Mondial Relay, mais ne va pas le chercher (il avait dû changer d’avis entre temps, peut-être parce qu’il a trouvé qu’il avait payé trop cher). Le colis me revient. L’acheteur obtient le remboursement de la vente. J’ai fait encore plus de boulot pour rien : emballer l’objet, faire le colis, imprimer l’étiquette, porter le colis au relais (trajet en voiture), expliquer à l’acquéreur dans le détail à quel relais est son colis et pourquoi et comment le retirer… et puis second trajet en voiture pour récupérer le colis de retour.
Et dans ce second cas, il est où l’accord sur la chose et le prix ? La vente est annulée et l’acheteur remboursé, juste parce qu’il est trop flemmard ou trop hon pour aller le chercher au relais ? J’ai cherché le moyen de me plaindre, ou de lui coller un commentaire négatif : impossible !
Alors certes, les enjeux ne sont pas les mêmes, mais c’est juste pour dire : la vente parfaite par accord sur la chose et le prix, c’est dans les livres. La pratique, c’est que tout le monde fait n’importe quoi et que personne n’est inquiété.
Dernière modification par Bernard2K (05/05/2021 21h02)