Bonjour Portefeuille,
2 distinctions importantes à comprendre :
1) Quand vous avez un dépôt chez une banque, vous êtes créditeur de la banque. Tout dépôt porte donc un risque de crédit sur l’établissement bancaire. En dessous de 100k€, ce risque de crédit est couvert par une garantie de l’Etat. Il est important pour tout épargnant de bien comprendre l’étendue de cette garantie des dépôts. En effet, on peut passer au-dessus de ce seuil de 100k€ garantis sans être nécessairement "riche" : si l’on a dans un même établissement bancaire un compte courant, un (gros) PEL et un PEA et/ou CTO où l’on garde des liquidités, on peut atteindre rapidement les 100k€.
Exemple : M. X a toutes ses économies dans la Banque Y : 10k€ sur son compte courant, 50k€ sur un PEL et un PEA de 100k€ en titres. Une crise éclate : M. X décide de liquider les titres sur son PEA "pour se protéger", en passant 100% liquide. Il a alors 10+50+100 = 160k€ en liquidités chez la Banque Y. Si elle est en difficulté et nécessite une résolution, 160-100 = 60k€ des économies de M. X sont exposées aux mesures de résolution, telles qu’un bail-in (renflouement interne).
Une solution possible pour M. X de se protéger (avant la résolution !) est de transférer 60k€ de liquidités dans un autre établissement bancaire, ou bien de transférer des liquidités sur son compte courant et de désigner Mme X comme co-titulaire de ce compte chez la Banque Y.
La garantie des dépôts de 100k€ est intouchable (à la baisse), sauf effondrement complet de l’Etat (révolution, guerre civile, dictature, invasion etc.). Elle a été respectée en Grèce et à Chypre, dans des situations extrêmement critiques (défaut souverain + crise bancaire systémique).
En revanche, quand vous détenez des actions et des OPC sur un PEA ou CTO chez une banque, la banque n’est que dépositaire de ces titres. Ces placements ne portent pas de risque de crédit sur l’établissement bancaire. La banque ne peut y accéder sans votre accord préalable. Si elle le fait malgré tout, ou, si pour une raison quelconque (problème opérationnel, hack, employés indélicats etc.), elle "perd" vos titres, il s’agit d’une fraude, qui expose les responsables à des sanctions pénales. Votre perte potentielle est couverte par une autre garantie jusqu’à 70k€ (il s’agit de cas rarissimes).
Donc vos titres sont à l’abri de mesures de résolution (comme le bail-in) touchant les banques chez lesquelles ils sont conservés. (Cela a bien sûr été le cas à Chypre.)
Par ailleurs, si l’Etat devenait prédateur, il y aurait des moyens beaucoup plus simples et "honorables" pour lui de vous exproprier que la saisie (illégale) de vos titres : il lui suffit de nationaliser les entreprises dont vous êtes actionnaire. Le risque politique majeur sur vos titres n’est donc pas une saisie (illégale), mais leur dilution complète par la prise de participation par l’Etat d’une participation au capital des entreprises. C’est arrivé plusieurs fois en France dans l’histoire récente, pour des raisons légitimes (1945) ou pas (1981).
2) Il faut distinguer le gel (ou blocage) d’un compte bancaire et le bail-in (conversion en capital). Le gel (ou blocage) des comptes n’est qu’une mesure temporaire d’urgence (parfois pour de longues durées), pour empêcher les fonds de sortir de la banque et préserver sa liquidité. Il peut ou non être suivi d’un bail-in, qui est une mesure visant à rétablir la solvabilité de la banque.
Pour le comprendre, voici une chronologie résumée des mesures d’assainissement du système bancaire chypriote en 2013 :
a) La solvabilité (= le niveau de capital = la capacité d’absorption de pertes) des 2 plus grandes banques chypriotes est mise en doute par l’accumulation de pertes sur les obligations souveraines grecques et sur leurs prêts immobiliers. Une banque non solvable ne peut plus accéder aux refinancements de l’Eurosystème (y compris ELA = Emergency Liquidity Assistance = apport de liquidité d’urgence). Cela conduit la BCE à refuser sa non-objection à l’apport d’ELA par la banque centrale chypriote à ces 2 banques, conduisant à un risque extrême sur la liquidité de ces banques (= leur capacité à honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs créditeurs et déposants : sorties de fonds, remboursement de prêts interbancaires etc.).
b) L’Etat chypriote, dans l’incapacité de recapitaliser les 2 banques et face à l’imminence de leur faillite, demande un programme de financement UE/FMI.
c) L’Allemagne L’UE décide que le renflouement de ces 2 banques doit se faire sur leurs ressources internes, et non par des fonds des contribuables européens. Après l’idée (heureusement avortée) d’une taxe générale sur tous les dépôts (garantis ou non) de toutes la banques chypriotes, les autorités chypriotes se rangent à l’avis de l’UE et annoncent publiquement la résolution des 2 banques (par renflouement interne et fusion).
d) Pour savoir combien de ressources internes (emprunts non sécurisés, dépôts non garantis) il faut convertir en capital afin d’atteindre un niveau approprié de solvabilité, il faut conduire un audit approfondi des 2 banques (pour avoir une idée précise des pertes potentielles, souvent "cachées"). Cela prend du temps. Pendant cette période, afin d’empêcher les ressources internes de sortir des 2 banques, il faut les bloquer : cela se fait notamment par des conversions des comptes à vue en comptes à terme sans possibilité de retrait (avec des durées de blocage plus ou moins longues, par tranches). Il s’agit de préserver la liquidité de la banque (lui permettre un fonctionnement minimal) et bien sûr d’empêcher une fuite des ressources touchées par le renflouement programmé.
e) Une fois l’audit réalisé, on a une idée plus précise du niveau requis de renflouement interne pour avoir une banque solvable. On peut alors annoncer le pourcentage de bail-in sur les dépôts non-garantis. Les dépôts non-garantis concernés sont convertis en actions de la banque (qui ne valent évidemment pas grand’ chose à ce moment). Cela signifie que les déposants non-garantis deviennent actionnaires de la banque, en prenant le contrôle par dilution des "vieux" actionnaires (concrètement, beaucoup de gros déposants russes étant touchés par le bail-in, on a vu arriver un ex-KGB comme nouveau #2 de la banque).
f) Les dépôts non touchés par le bail-in sont progressivement débloqués, le temps que la confiance dans la banque revienne (ce qui prend évidemment du temps).
Dans le cas chypriote, on a donc eu un bail-in (= une conversion de dépôts en actions) précédé et suivi de blocages de comptes (= formellement, une conversion de comptes à vue ou à court-terme en comptes à terme sans possibilité de retrait préalable).
Il faut garder à l’esprit que le blocage (ou gel) de comptes bancaires est une mesure de liquidité, alors que le bail-in est une mesure de solvabilité.
En temps normal, ce genre de mesures est heureusement exceptionnel, mais peut survenir en cas de problème bancaire idiosyncratique. Ces mesures sont potentiellement dangereuses en termes de risque de contagion pour le système bancaire, donc les autorités de résolution ont tendance à préférer des mesures de résolution plus "douces", comme une séparation good bank / bad bank (comme cela a été le cas en 2014 pour Banco Espirito Santo au Portugal), ou une reprise par une autre banque (comme l’achat en 2017 pour 1€ de Banco Popular par Santander en Espagne). Dans ces cas-là, les déposants et emprunteurs (même non garantis) sont entièrement préservés, alors que les actionnaires font évidemment une perte totale ou quasi- totale.
Dans les pays émergents, les blocages de comptes et, à une moindre mesure, les renflouements internes sont beaucoup plus fréquents. Les déposants russes, notamment, les connaissent bien, ce qui explique pourquoi ils reviennent en force dans les banques chypriotes, sans rancune ;-)