Je me permet de partager avec vous quelques reflexions sur la gestion d’un portefeuille qui comporte une part de dérivés et qui est par conséquent plus sensible à la volatilité du marché qu’un portefeuille constitué seulement d’actions. Un partage de quelques convictions d’ordre plus général me semble également approprié, notamment en complément, ou en paraphrase, de l’excellente newsletter de Philippe citée en première page.
Précisons d’emblée qu’il n’y a aucune prétention à une quelconque vérité universelle dans ces quelques lignes, j’explicite juste une partie du process que j’applique dans ma gestion et qui me permet non seulement de bien dormir mais aussi de dépasser avec régularité les objectifs de performance que je me suis fixé.
C’est long et je m’en excuse - que les plus chevronnés et les impatients passent leur chemin !
Dans la période du 1er Janvier à hier, le 13 Avril, mon portefeuille a notamment subit une perte en une seule séance de 12% (!) mais a convenablement surperformé le S&P 500 de 9% pour 11,61% de progression :
De gauche à droite, les benchmarks standards d’IB : SPY / EFA / VT puis finalement mon compte. Le CAC40GR semble être à -2,5% sur cette période.
Tout d’abord, on remarquera que la volatilité marche dans les deux sens : tant à la baisse qu’à la hausse. Il est primordial de garder la tête froide et de raisonner de manière parfaitement dépassionnée et aussi rationnelle que possible : ne pas désespérer quand la valorisation s’effondre et ne pas se laisser griser quand celle-ci explose de nouveaux sommets.
J’ai commis 2 erreurs majeures qui expliquent en partie la volatilité excessive depuis le 1er janvier :
- j’attendais une somme d’argent issue d’un refinancement immobilier et avais déjà pris des positions en conséquence. Seulement : il y a eu près de 3 mois de retard dans le déblocage effectif des fonds, et entretemps un bear market sur certains types d’actifs… Naiveté inexcusable de ma part ! C’était partir avec un boulet au pieds pour entamer un marathon, d’autant plus que certaines de ces positions étaient sensibles à la volatilité implicite du marché. Taleb m’aurait mis des baffes - je m’en suis chargé pour lui !
- j’avais surestimé la décorrelation théorique des classes d’actifs dans lesquelles je suis investi. Evidemment, début 2016, tout était corrélé en mal, à l’exception notable des treasuries ! Même l’obligataire corporate pour peu que la notation ne soit pas d’excellente facture ! Cela m’a douloureusement rappelé la remarque de Buffett sur les placements qui se comportent comme du cash en tous temps, sauf quand il le faudrait absolument !
En préalable à une gestion active, à fortiori quand celle-ci implique des positions sensibles à la volatilité : avoir un plan d’action pour tous les scenarii.
Cela implique d’avoir une connaissance à minima solide mais idéalement intime des entreprises que vous avez en portefeuille et de celles que vous avez en watch-list. Cela vous permet de ne pas douter de votre raisonnement quand le marché applique des valorisations qui ne font pas sens selon votre compréhension des fondamentaux. Je pense que c’est, pour ma part, le fruit d’années de lectures de rapports annuels, c’est donc un travail de longue haleine, mais le travail paie toujours !
Il est important de ne pas douter sous l’influence des cotations. En effet, si celles-ci sont censées refléter toutes les informations existantes à un moment donné, le marché procède souvent par contagion : une entreprise annonce un problème spécifique et ses concurrents directs sont entrainés dans sa chute. Exemple récent : HCP annonce que les problèmes avec Brookdale sont plus sérieux encore qu’anticipés : -30% pour HCP sur quelques jours, et -15% par contagion pour ses concurrents Ventas et Welltower qui n’ont pas du tout la même concentration de locataires ni le même business mix, et un profil de croissance plus solide en l’état. C’était une opportunité criante : j’étais seulement actionnaire de Ventas début 2016, maintenant j’ai des actions des 2 autres acquises à des multiples de FFO tout à fait raisonnables.
En dehors des périodes de stress ou d’euphorie, regarder les cotations n’a guère d’utilité. Utiliser les périodes de calme pour s’assurer d’être parfaitement à l’aise avec les outils qu’on utilise est, au contraire, primordial. Je pense notamment aux logiciels d’analyse de portefeuille, qui permettent de simuler la sensibilité de celui-ci à différents environnements. Mais aussi aux banques de données, type Morningstar, qui permettent en quelques instants d’aller vérifier par exemple tel élément de bilan, de comparer les ratios de plusieurs entreprises etc. Ce n’est pas en pleine panique boursière qu’il faut aller vérifier comment ça marche : à ce moment-là, toute notre attention doit être mobilisée sur l’analyse de ce qui se passe en face de nous.
Je n’ai aucune illusion quand à mes capacités à faire du market timing : elles sont à peu près nulles, même si j’ai une idée des valorisations et que cela me donne un premier indicateur. Ceci étant dit, on me répète depuis que j’ai ouvert pour la première fois un journal boursier qu’il faut « acheter au son du canon et vendre au son du violon ». Encore s’agit-il d’avoir l’oreille suffisamment musicale pour distinguer l’un de l’autre ! Un indicateur du degré de stress environnant est le Vix. Un vix élevé n’est pas forcément un signal d’achat pris isolément, mais des valorisations basses et un vix élevé, des actifs qui baissent tous de concert sans discrimination, tendent à signaler qu’il peut faire sens d’engager du capital. Notamment parce que… :
- … cela permet de jouer sur un des 3 leviers par lesquels ont peut gagner de l’argent en bourse de manière pérenne et répétée sur le long terme.
Le premier et le plus évident est celui de l’actionnaire buy & hold : on acquiert des parts dans une entreprise qui, si elle est profitable, va nous faire participer à son développement et à ses profits. En somme, on engrange la prime de risque liée au fait d’être actionnaire et donc d’investir dans la tranche la plus risquée du capital d’une entreprise.
Le second et le plus difficile de tous, notamment du fait d’une concurrence immense de la part de gens parfaitement brilliants à travers le monde, est celui de fournir une analyse très approfondie d’une entreprise, de découvrir des éléments qui seraient encore ignorés par la valorisation attribuée par le marché à celle-ci : ça peut être une sous-valorisation par rapport à ses actifs ou par rapport à sa capacité bénéficiaire future, ou encore un catalyseur d’une autre nature (une entreprise qui a vocation à être retirée de la cote du fait de sa structure actionnariale, à être rachetée par un concurrent ou à se liquider etc).
Le troisième levier, plus mécanique et celui dont je voulais parler, est celui de la liquidité : il est paradoxal dans un environnement d’argent presque gratuit d’évoquer un manque de liquidité mais, sans rentrer dans les détails notamment de la régulation qui contribuent à cet état de fait, il faut bien avoir conscience que l’argent n’a pas la même valeur dans toutes les conditions de marché. Lors de chaque baisse forte et prolongée du marché il y a des acteurs qui se retrouvent en position de vendeurs forcés. Les raisons, levier excessif et appels de marge ou rachats de particuliers paniqués, importent peu : il faut juste retenir que si une baisse se prolonge, il y aura une ou plusieurs journées durant lesquelles des courants vendeurs forts et indiscriminés feront baisser les prix des actifs. Intervenir à ce moment-là pour offrir de la liquidité est très rémunérateur. Mieux : ça ne demande aucune compétence particulière si ce n’est celle d’un profond sang-froid.
Avec du recul, j’ai commencé à prendre conscience que le péché capital de l’investisseur c’est de se retrouver à court de munitions en rase campagne, c’est à dire en début de marché baissier. J’aurais vraiment voulu avoir compris cette évidence avant, je remercie Mohammed El-Erian de l’avoir si bien formalisé lors d’une de ses brillantes interventions ! Il ne s’agit pas de market timing ni de prétendre prévoir les évolutions du marché: il s’agit juste de garder, de manière structurelle, une capacité à intervenir. Comme les patrimoines ne sont typiquement pas illimités, cela peut notamment passer par :
- une allocation d’actifs. Exemple : 60% actions 40% obligataire/liquidités. On rebalance quand la part d’actions diminue, du fait de la baisse du marché. Et inversement quand le marché remonte !
- disposer d’un compte sur marge, celle-ci n’étant utilisée et par ailleurs de manière raisonnable que lorsque les conditions sont particulièrement attractives.
- l’utilisation sélective de dérivés qui permettent de démultiplier la force de frappe d’un même capital.
Tous ceux qui ont été nourris à la légende des Buffett, Schloss, Fischer, Lynch et consorts rêvent des fameux multi-baggers ! Du fait de la concurrence effrénée de nombreux investisseurs tout à fait compétents et formés aux meilleurs écoles d’une part, des moyens technologiques de scan et d’analyse de plus en plus performants et répandus d’autre part, j’ai l’intime conviction (qui n’engage que moi!) qu’il va être de plus en plus difficile de dénicher des situations analogues à celles qui ont fait la fortune de ces maîtres de l’investissement. Je ne dis pas que ce sera impossible, juste de plus en plus dur. Je suis par ailleurs aussi convaincu qu’il est beaucoup plus facile d’identifier des situations de sous-valorisation temporaire d’entreprises solides (c’est à dire de procéder à des analyses qui ne sont pas extraordinairement complexes), qui doivent amener à des revalorisations modestes de, disons, 15 à 30%. Récemment, c’était le cas de Pfizer et de United Technologies sur lesquels je me suis placé. En 2015, il y avait le rachat non seulement prévisible mais annoncé du REIT Campus Crest, dont j’avais parlé sur la file idoine, à une valorisation décevante mais supérieure de 25% au cours précédent. L’utilisation prudente de dérivés permet de transformer cette hausse, qui n’est pas en soi extraordinaire, en performance à 3 chiffres, soit en un bagger !
Ma préférence personnelle va vers une solide diversification. Les exemples récents des ravages d’un black swan sur une entreprise adoubée même par les plus grands sont parlants. Je parle évidemment d’Ackman/Pershing Square et par ailleurs du légendaire fonds Sequoia et leur surpondération sur Valeant. Par ailleurs, il n’y a pas que la perte temporaire ou définitive en capital sur le dossier en question à prendre en compte mais aussi le coût d’opportunité que cela engendre par rapport à d’autres dossiers, écartés, qui auront eux bien mieux performés entretemps.
Il ne faut pas tomber dans l’excès de la « diworsification » mais si un secteur spécifique subit la désaffection des marchés, et que plusieurs entreprises présentent des qualités semblables (position concurrentielle, ROI, génération de FCF, bilan, retours aux actionnaires, management capable…), je n’ai toujours pas compris la pertinence - sauf à être un génie comme Buffett -, d’en choisir seulement une au lieu de répartir les fonds sur un panier raisonnable de ces valeurs. Après tout : c’est bien ce qu’on fait dans le cadre d’un investissement quantitatif de type Graham sur un panier de dossiers net-net. Et pour peu qu’on ait fait un travail de sélection rigoureux en amont sur des critères bien définis, la technologie permet très facilement de garder à l’oeil ce panier et de remarquer toute détérioration significative dans les résultats d’une de ces entreprises.
Finalement, il importe de garder à l’esprit que la corrélation récente des classes d’actifs ou les effets de contagion au sein d’un secteur sont des aubaines : l’occasion d’augmenter la qualité d’un portefeuille (tel que mesuré par des critères concrets, comme les perspectives de croissances des sociétés, leurs bilan, leurs perspectives de CAGR sur dividendes etc.).
Là où je veux en venir ? A l’évidence : la volatilité, c’est une pure opportunité, pour peu qu’on s’organise pour être aussi souvent que possible du bon côté !