Il est clair que l’environnement rappelle beaucoup 1999 entre la multiplication des IPOs et des SPACs, y compris sur des entreprises pré-revenus (quand il ne s’agit pas de quasi-fraudes, ou qui en tout cas cherchent à tromper les investisseurs, comme Nikola).
Les petits investisseurs se mettent à jouer avec les options de certaines valeurs, sans comprendre l’entreprise et encore moins passer 1 seconde à regarder les valorisations. C’est de la spéculation pure, et les messages postés sur le Reddit Wallstreetbet sont affligeants.
A coté de ça, de vrais investisseurs comme Puru Saxena (un gourou growth sur Twitter, en tout cas pour ceux qui suivent cette tendance) investissent sans considération des valorisations, et une croissance élevée des revenus semble suffire à justifier des valorisations démesurées et des multiplications du cours qui n’en finissent plus. Pourtant si vous regardez son track record, il était pendant des années au mieux en ligne avec la performance des marchés, et n’a commencé à superformer que depuis avril et la montée de la bulle des valeurs techno. Si vous regardez les portefeuilles de ce type d’investisseurs, on retrouve toujours les même valeurs: Snowflake, Fastly, Cloudflare, Crowdstrike, Zoom, Palantir, Twilio, … Une collection de business non profitables, qui ont des stock-based compensation énormes, avec souvent un tarif minimum à 50x les ventes (difficile de valoriser autrement!).
Ceux-ci ont bien profité de la hausse et tant mieux pour eux (pourvu qu’ils arrivent à sortir à temps); mais j’ai du mal à comprendre ceux qui espèrent continuer à surfer sur cette vague en rentrant aujourd’hui car il me semble que c’est déjà bien tard. Le meilleur exemple est Snowflake, à plus de 200 les ventes (c’est encore pire en tenant compte de la dilution à venir). Je ne sais pas quand tout ça va se terminer, mais j’imagine que d’ici un an on aura un retour sur terre compliqué pour certains (une fois que ces entreprises passeront des comparables difficiles liés au boost covid).
La narration est simple: le Covid a transformé le monde et tout va désormais se faire sur internet; les taux de croissance de cette année peuvent donc être projetés ad vitam aeternam. J’ai une vision opposée: non seulement l’explosion de la croissance risque de freiner fortement même si nous restions confinés pendant des années (si une entreprise n’a pas pris de licence Zoom cette année alors que tout le monde était en télétravail, va-t-elle le faire l’an prochain?); de plus les consommateurs reprendront vite leurs habitudes (l’explosion du e-commerce est assez logique quand tous les magasins sont fermés…).
Le plus étrange dans ce marché, c’est que (1) les valeurs techno pricent un confinement à vie, et (2) les valeurs exposées au Covid pricent un retour rapide à la normal. J’exagère à peine - les EV des compagnies aériennes sont plus élevées aujourd’hui qu’en début d’année! Reste à savoir qui aura raison, mais il y aura forcément des perdants.
Juste pour remettre les choses en perspective: l’IPO de Facebook (une entreprise très qualitative, en forte croissance, déjà profitable, et avec un moat fort) s’est faite à environ 15x les revenus prévisionnels de l’année suivante. L’entreprise a retourné depuis 25% annualisé - en grande partie grâce également à son rachat d’Instagram, sans ce deal il est très probable que le retour aurait été bien moins intéressant. Pour ce business de très grande qualité, avec un avantage compétitif, en forte croissance, et qui a bénéficié d’une acquisition qui aura été un coup phénoménal, vous n’auriez généré que 10% annualisé en payant 40 fois les ventes (j’imagine que ce retour aurait été négatif sans le rachat d’Instagram).
Il est assez facile d’imaginer le résultat qui attendra ceux qui paient aujourd’hui 60x, 80x ou 100x les ventes, soit 4 à 5 fois le multiple de Facebook lors de son IPO, pour des business de qualité bien inférieure (ou du moins qui ont bien moins prouvé leur qualité jusqu’à présent)… Ils pourront également regarder du côté de TripAdvisor pour évaluer les risques: IPO à 5x les ventes, alors que le business était en croissance de 40% et déjà très profitable. Je vous laisse regarder l’évolution du cours depuis, y compris en excluant la période Covid.
Je vous laisse avec Jim Chanos, qui en parlait il y a quelques jours:
Short-seller Chanos Sees `Golden Age of Fraud? in Speculative Market - YouTube