@Zendoi : Plus qu’une décorrélation (puisque sur votre graphique les CDS de l’Italie et de la Grèce semblent monter de façon assez corrélée), il s’agit probablement d’un repricing des risques de crédit souverain au sein de la zone euro, par rapport à la référence (l’Allemagne). On le retrouve aussi dans les spreads obligataires souverains (par rapport à l’Allemagne), qui ont tendance à augmenter après une longue période de contraction.
En l’absence de nouvelles spécifiques sur le front politique ou budgétaire dans les pays perçus comme les plus risqués, l’explication la plus probable est que ce repricing du risque souverain dans la zone euro est la conséquence d’une anticipation d’une politique monétaire un peu moins accommodante de la BCE ces prochaines années (car il s’agit ici de CDS à 5 ans), notamment d’une diminution des volumes (les « flux ») de QE (voire à terme d’un tapering, comme aux USA, c’est-à-dire une réduction progression du portefeuille de QE, c’est-à-dire du « stock »).
Le QE a tendance à comprimer les spreads obligataires souverains, car il évince les investisseurs des obligations les plus sûres (allemandes, par exemple), et les pousse à chercher ailleurs (par exemple en Grèce) des obligations avec des rendements plus attractifs.
A contrario, quand le marché anticipe une diminution des volumes de QE, les rendements obligataires peuvent s’écarter par le jeu des anticipations.
Une autre façon de voir, c’est qu’une politique moins accommodante de la BCE (sans doute pas dans l’immédiat, mais à l’horizon de 5 ans du CDS) rendra plus coûteux le refinancement des Etats lourdement endettés, augmentant ainsi leur probabilité perçue de défaut, alors que les Etats peu endettés sont peu affectés par ce resserrement monétaire.
(On voit la même chose en bourse : une augmentation importante des taux d’intérêt peut peser davantage sur des entreprises endettées qui vont devoir refinancer plus cher leur dette venant à maturité, que les entreprises cash-rich qui vont au contraire profiter d’une opportunité de mieux rémunérer leurs liquidités.)
Ce n’est pas la seule explication possible (mais c’est la plus probable). Un autre programme clef de la BCE qui comprime les spreads obligataires souverains, c’est le programme OMT (Outright Monetary Transactions), qui est le « bouclier » de la zone euro (créé par Draghi en 2012) contre les crises obligataires souveraines comme celles de 2011-2015. Il n’a jamais été activé mais sa seule existence réduit beaucoup le risque de défaut souverain. Toute mise en cause de la pérennité de ce bouclier peut entraîner un écartement des spreads obligataires et des CDS.
@Toufou : Si vous classez tous les pays de la zone euro du plus solide budgétairement au plus vulnérable, en les pondérant par leur poids économique (ou par leur part au capital de la BCE, par exemple), alors la médiane est la France. (A gauche de la distribution : Allemagne, Finlande, Pays-Bas, Autriche etc. A droite : Italie, Espagne, Portugal, Grèce etc.)
Cela signifie que pour les nombreux débats européens qui tendent à opposer les fourmis et les cigales (par exemple à la BCE mais pas seulement, aussi à Bruxelles, par exemple sur la mutualisation de la dette publique, cf. le débat sur les corona bonds), la position de la France est déterminante. Sans elle, sur tous ces sujets, il est difficile voire impossible de réunir une majorité d’Etats européens (majorité simple ou qualifiée). Je sais bien que beaucoup de Français ne le réalisent pas, mais quasiment rien ne se fait à Bruxelles ou à Francfort sans l’accord de la France – alors que les Allemands, malgré leur poids économique, ont été mis en minorité par des coalitions (autour de l’Italie et de la France) à Francfort, sur des dossiers clefs (OMT, QE…), et que l’Italie a fait parfois face à des reproches peu diplomatiques de l’UE.
Cette position privilégiée dans les équilibres politiques européens, la France la doit en partie à sa position barycentrique et à sa puissance économique, et au fait qu’elle continue à faire figure de partenaire crédible et responsable aux yeux de nos amis d’outre-Rhin (en tout cas les plus tolérants parmi eux).
Mais si la France continuait à laisser dériver ses dépenses publiques, elle pourrait à terme rejoindre le camp des mauvais élèves, voire se faire dépasser, dans le classement des cigales et des fourmis, par les plus réformateurs parmi eux (Espagne) ; cela changerait la balance des équilibres européens. Je préfère pour mon pays qu’il défende le QE ou les Eurobonds au nom de l’Europe, et non pas pour se sauver de difficultés budgétaires, comme certains (à tort ou à raison) ont pu en soupçonner l’Italie.
Dans le pire scénario (ce qu’à Dieu ne plaise), une dérive populiste et budgétairement irresponsable de la France mettrait en péril l’attachement européen et francophile des Allemands, qui est pour nous un atout précieux, politiquement et économiquement (même si je suis bien conscient que ce point de vue n’est pas partagé par de nombreux Français, qui préfèrent jalouser le bon élève plutôt que de s’en inspirer, et l’accuser des problèmes créés par leur propres turpitudes).
L’irresponsabilité budgétaire, qu’elle soit sous la forme douce actuelle ou sous la forme plus rapide que certains populistes proposent, conduit inéluctablement à une perte de souveraineté nationale, puisqu’elle revient à mettre le destin du pays dans les mains des créanciers. Par exemple le bouclier de la BCE (le programme OMT) n’est pas « gratuit » : il est conditionné à l’engagement pour le pays bénéficiaire de souscrire à un programme de réformes agréé avec les créanciers publics internationaux, l’UE, via le MES/ESM (Mécanisme européen de stabilité), accompagné généralement par le FMI. On ne peut pas souhaiter cela pour notre pays.