@stokes
Une intervention comme je les aime, sur le fond.
Quand je dis que le QE a échoué, je dois préciser : j’entends par là que l’extraordinaire inondation de liquidités en provenance des banques centrales n’a eu que très peu d’effet sur la croissance (en Europe et au Japon). C’est pour moi déjà un échec car l’explosion du bilan des banques centrales génère peu de croissance dans un contexte général où l’endettement des Etats continue de progresser presque partout. Pour le moment, c’est un peu la fuite en avant : planche à billets (taux négatifs), endettement et peu d’effets sur l’économie réelle (sauf un peu aux US, mais qui reste fragile et ne suffit pas à diminuer la dette). Le réveil va être très douloureux quand il faudra, un jour ou l’autre, stopper ces flux de liquidités…
Je n’ai pas de doute : sans l’action inédite des banques centrales, les marchés se seraient déjà effondrés. Ce n’est pour moi qu’une question de temps car nous ne parvenons plus à générer suffisamment de croissance, c’est vraiment dramatique… D’ailleurs, dès que la BCE ne garantit plus d’inonder le marché de toujours plus de liquidés, c’est le décrochage immédiat. Et c’est d’ailleurs un peu ce que vous dites quand vous écrivez qu’un PER de 20 peut se comprendre quand le niveau des OAT est si bas. Problème : que va-t-il se passer au prochain choc avec des banques centrales saturées de dettes et n’ayant plus de munitions pour agir ? Nous sommes potentiellement sur un véritable volcan.
En fait, c’est tout notre modèle de croissance alimentée par de la dette qui vacille. Le début de ce mouvement de fond date pour moi des années 1990 où l’économie s’est massivement financiarisée et libéralisée. Jamais les marchés ne s’étaient autant envolés avec une croissance alimentée par de la dette et une explosion de la valeur des actifs elle aussi alimentée par de la dette. On pourrait dire la même chose pour les prix de l’immobilier, actuellement toujours à des niveaux aberrants.
Les marchés financiers depuis 20 ans fabriquent des bulles successives qui se dégonflent aussi vite qu’elles se sont créées (valeurs internet, supprimes, immobilier…). L’envolée des valorisations s’est faite par la dette. Or il me semble qu’on va bientôt arriver au bout de ce cycle car le recours à la dette a forcément une fin, un jour ou l’autre.
Car c’est tout notre système économique et social qui fonctionne sur de la dette excessive, déconnectée de notre capacité à créer de la richesse. Les derniers exemples sont parlants : illusion de la création de richesse sur les valeurs internet en 2000, illusion de la création de richesse par l’achat massif d’immobilier américain par de la dette, illusion de l’enrichissement rapide de la Grèce (et de tant d’autres pays) encore et toujours par de la dette, illusion de notre pouvoir d’achat en France conservé, lui aussi, à coup d’un recours massif à la dette, illusion de notre protection sociale et de nos systèmes des retraites construits eux aussi sur de la dette.
Tout le monde dénonce la financiarisation de l’économie, mais nous en avons tous massivement profité (on se souvient du pathétique "Mon ennemi c’est la finance" de la part d’un François Hollande qui construit tous ses budgets sur la dette et la finance…). Car bien sûr, si on doit mettre un terme à ces surendettements, le niveau de vie va dégringoler (moins d’argent distribué), donc la capacité à créer des richesses, donc les valorisations des entreprises, les prix de l’immobilier… On comprend que l’on fasse tout pour l’éviter, le reporter le plus possible. Nos politiques se passent la patate chaude à chaque nouvelle élection, passant d’ailleurs une patate de plus en plus chaude car tous, toujours, terminent leurs mandats avec une dette plus élevée que quand ils l’ont débuté.
Le recours à la dette est sain s’il est temporaire et répond à une crise conjoncturelle ou encore pour mener de grands investissements. Nous n’en sommes plus là depuis longtemps. Tout le système fonctionne massivement à crédit, alimente des croissances de plus en plus fragiles et artificielles et génèrent autant de crises économiques et financières extrêmement violentes et destructrices (aussi bien d’un point de vue économique, que social et politique).
C’est la question de fond qui m’agite depuis des années maintenant : combien de temps le système va-t-il pouvoir poursuivre cette fuite en avant ? Je veux dire en fait : jusqu’à quel niveau l’endettement généralisé va-t-il être tenable ? On commence à voir des signaux qui se multiplient et qui semblent indiquer que nous approchons peut être de la dead line (c’est ce qu’illustre la crise de l’euro et la crise grecque, loin d’être terminé). Mais cela peut encore durer un peu… Les critères de Maastricht ont été désintégrés dans l’enthousiasme général. Mais le vrai danger est là.
Je rebondis par ailleurs sur le post de mehdi57 qui cite boursier.com illustrant ce que je voulais dire par le danger actuel lié à la chute des cours du pétrole. Car ce nouveau rush aux pétroles non conventionnels en Amérique s’est à nouveau et lui aussi construit sur… de la dette ! Avec des "frackers" (pour les gaz de schiste) qui ont alimenté un nouveau marché du high yield extrêmement dangereux. C’est une des bombes qui nous menacent actuellement…
Les probabilités de fortes chutes sur les marchés me semblent donc élevées, plus élevées qu’une possibilité de régler nos problèmes et de voir une nouvelle phase d’expansion et de hausse sur les marchés. Par quoi serait d’ailleurs alimentée une nouvelle phase de hausse ? Par de la croissance ? Il y en a de moins en moins, même la Chine lâche. Par de la dette ? Mais c’est déjà le cas ! La hausse des cours repose entièrement sur l’argent gratuit donné par les banques centrales. Alors encore plus et encore plus longtemps ?!
C’est là le problème de fond de la baisse des cours du pétrole : une explosion de la bulle de la dette liée à cette nouvelle industrie qui s’est jetée de manière folle sur les nouveaux pétroles. Ce n’est pas pour les risques déflationnistes qui ne me semblent en effet pas le plus problématique actuellement. La destruction créatrice dont parlait Schumpeter n’incluait pas une telle dépendance à la dette. Les pétrolières ne sont pas des banques mais elles ont entraîné une telle masse de créanciers avec elles qu’elles peuvent faire capoter en cas de défaut, c’est typiquement une nouvelle crise des supprimes en puissance.
C’est pourquoi je suis en désaccord avec votre conclusion : pour moi l’endettement est un souci quel que soit le niveau des taux car il finit toujours par trouver sa limite. Rappelons qu’au cours de l’histoire la majorité des grandes crises politiques ou économiques sont, à l’origine, une crise de la dette.
Pas de fatalité, je ne veux pas jouer les Cassandre, comme je l’ai dit, un scénario positif existe : réformes des Etats en Europe désendettement et reprise de la croissance, rebond durable des cours du pétrole. Une reprise réelle qui permettrait un désendettement lent et progressif : c’est le scénario sur lequel travaille la BCE. Mais la voie est clairement étroite, ça va être chaud…
Difficile, quand on fait un tel constat, d’être totalement investi quand la conjoncture est à ce point dégradée. Pour ma part, je n’ai aucun doute, nous n’attendrons pas de nombreuses années pour revoir le S&P500 à 1500 points ou le Dax à 8000 points. Espérons que je me trompe !
Dernière modification par nik66 (12/12/2015 13h56)