Suite à l’engouement communicatif sur cette valeur de la part de Super-Pognon, avec qui je partage un grand nombre de lignes et de convictions (Signaux Girod, Total, CRCAs, oblig perpétuelles…), je me suis penché sur le dernier rapport annuel d’Esso.
Mon approche est résolument value, et je cherche à connaître la valeur patrimoniale de l’entreprise sans vraiment m’intéresser à la dynamique et à la rentabilité, et encore moins aux perspectives du secteur, avouant volontiers mon incapacité à deviner le futur du marché du raffinage/marketing européen.
Qu’avons-nous donc dans le bilan d’Esso qui cote ce soir 41.44 €/action ?
- Un petit peu de cash : 1.15 €/action
- Beaucoup de stocks. Valeur comptable de près de 80 €/action ! En plus, il s’agit de produits pétroliers, très fongibles et probablement liquides et faciles à écouler. On ne leur appliquera donc qu’une mini-décote de 5 %. En revanche, ils étaient évalués au cours du 31/12/2014 et le pétrole a encore baissé depuis. La valeur de ces stocks est donc de nouveau plus faible aujourd’hui. En utilisant le cours du Brent pour les dévaloriser (il faudrait aussi prendre le cours des produits dérivés pour valoriser les produits finis, mais la corrélation est énorme, donc le Brent est un bon proxy), on obtient des stocks pour 46.54 €/action.
- Des créances clients pour 34.97 €/action. Au lieu de mes 20% habituels, je ne les ai décoté que de 5 % pour les créances intra-groupe Exxon (c’est quand même du solide) et 10 % pour les autres.
Le volume des créances (6 jours de CA) et des stocks (12 jours) démontrant une rotation très rapide et des paiements quasi-systématiques à la livraison [ou plus probablement des escomptes de receivables] et n’appelant pas de vigilance particulière.
- D’autres créances (fiscales, prêts intra-groupe, etc.) de 12.54 €/action après petite décote de marge de précaution.
Soit un total d’actif net brut de 95.21 € par action
- Les dettes financières et fournisseurs représentent 105.78 €/action
- A cela s’ajoutent des provisions importantes, notamment pour engagement de retraite, dont je débats sur ce fil, et qui m’ont fait me poser pas mal de questions. On en a en effet pour près de 115 €/action au bilan ! Cela représente la bagatelle de 30 années de primes de départ au rythme actuel. Étant donné que mon horizon de valorisation est à disons 10 ans et qu’on ne raisonne pas vraiment dans une optique liquidative mais plus de valorisation pour une OPR, j’ai plafonné ces provisions à 10 ans de dépenses au rythme actuel, soit tout de même 41.01 €/action. N’hésitez pas à donner votre avis dans le fil dédié si cela vous interpelle, je serais ravi de revoir ma position sur ce point.
On a donc un actif net courant (le fameux net-net) bien négatif de -50.77 €/action !
- Peu d’immobilisations incorporelles qu’on comptabilise à zéro dans notre approche (même si les marques Esso / Mobil Oil doivent bien valoir un petit quelque chose, mais on le prendrait comme un bonus)
- Et dans les corporelles on avait encore des stations services et les deux raffineries. On connait le prix de vente des stations-services (125.6 MEUR pour une comptabilisation à 182.5 MEUR dans le bilan). Ces actifs ont été vendus à ce prix, cela rapporte donc 9.77 €/action
Les raffineries sont évaluées à 67.03 €/action dans le bilan et une note nous dit qu’elles sont revalorisées au dessus de leur juste valeur par une méthode d’actualisation des flux futurs, même en considérant un taux de croissance à l’infini nul (ce qui est l’approche la plus conservatrice possible). Cependant, deux éléments viennent mitiger ce constat : en cas de vente, les acheteurs potentiels se comptent sur les doigts d’une main et on se souvient avec quelle difficulté Petroplus a par exemple tenté de céder Petit-Couronne… J’appliquerais donc une décote de 40 %. Deuxième point : la vente des stations-services ont fait apparaître une sérieuse décote par rapport à une valorisation qui était censé être également au marché. Hors, les stations-services me semblent plus facile à écouler que les raffineries. Autre décote d’environ 40 % (l’écart entre la valeur comptable et la valeur réalisées de la branche distribution cédée). Ouf. Au total, je valorise les raffineries à 27.68 €/action.
- Enfin, tout un tas de participations plus modestes pour lesquelles on a pas mal de détails qui permettent de valoriser précisément. Je vous passe les calculs et hypothèses que j’ai utilisées. Tout comme des crédits d’impôts déjà dévalorisés par le groupe que je reprends à 50 %. Soit encore 22.61 €/action.
Avec tous ces ajustements, j’arrive à une valeur d’actifs nets de 4.31 € par action, bien trop basse pour envisager de rentrer sur Esso avec mes critères (très conservateurs j’en conviens, mais j’aime être très strict avec les comptes et que mon tableur finisse par me dire qu’il y a toujours une décote même en prenant le pire des scénarios)
Par ailleurs, les derniers exercices montrent une activité qui crame du cash (surtout en 2013 avec de forts Capex et un auto-financement négatifs et certes un retour à l’équilibre en 2014 sur la tréso)
Cependant, il est à noter l’extrême sensibilité de mon modèle aux hypothèses. Il suffit de valoriser plus agressivement les raffineries ou de considérer 100 % des crédits d’impôts (bref, d’être bullish sur le marché du raffinage en France) pour percevoir une décote importante. De même, il est tout à fait possible que les cash-flows de 2015 soient très bons (les rapports trimestriels pointant du doigt de très fortes marges de raffinage, des résultats opérationnels de 102 MEUR au premier semestre (8€/action), un baisse de l’endettement de 58 MEUR (4.51€/action) rien que sur le troisième trimestre, une baisse importante de nos fameuses provisions pour retraites mais malheureusement aussi des arrêts ne permettant pas de bénéficier pleinement de l’environnement et un programme de Capex plus important que l’année dernière) et servent de catalyseur au marché.
La thèse est donc très belle pour quiconque anticipe le maintien de marge de raffinage importantes, mais Esso ne me semble pas présenter de marge de sécurité suffisante pour que je m’y sente confortable en tant qu’actionnaire pour le moment.