3 #51 18/04/2018 12h31
- Scipion8
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BriochePainPerdu a écrit :
C’est quand même une façon très manichéenne de voir les choses
Surin a écrit :
C’est non seulement manichéen mais c’est surtout d’une candeur !
Le dirigeants se moquent éperdument des femmes et enfants massacrés, c’est juste un prétexte pour justifier une action qui bien sûr a un tout autre objectif que de rétablir l’arc-en-ciel dans le monde de Oui-Oui.
Il faut être d’une naïveté incroyable pour encore croire en ces fables que nous assènent les médias
Trois observations :
1) Parfois, oui, il faut être manichéen. Plutôt que de faire des rappels historiques qui nous amèneraient rapidement au point Godwin, une parabole :
Quelque part dans le monde, un dictateur tue un enfant. Le naïf, le manichéen, s’émeut, se révolte : il demande justice pour l’enfant tué, il exige que cela cesse. L’esprit fin, lui, s’interroge sur les responsabilités respectives du dictateur et de l’enfant…
2) Oui, les Etats sont des monstres froids qui agissent pour leurs intérêts, mais oui, les démocraties sont plus "morales" que les autres régimes. Pour le comprendre :
- Mme (ou M. !) Michu regarde tranquillement le journal de JP Pernaut quand, juste avant le fromage, on lui montre des images d’enfants morts, gazés (alors que ce qu’elle aime, elle, ce sont les reportages sur le dernier luthier artisanal de France, dans le Jura). Cela la choque, l’émeut, la révolte. Elle est comme ça, Mme Michu : elle ne comprend rien à la géopolitique, par contre, elle, elle sait que tuer un enfant, c’est mal (elle est manichéenne, elle aussi, elle n’a pas l’esprit fin qui peut conduire à justifier le meurtre d’un enfant).
- Il se trouve que Mme Michu, elle vote, et elle est largement majoritaire dans le pays. Le Président démocratiquement élu, quand bien même il n’en aurait rien à faire des enfants morts, ne peut faire abstraction de l’émotion de Mme Michu. Et là, il a un choix avec 3 options : (1) ne rien faire l’exposerait à la critique d’indifférence, surtout si Mme Michu voit des images d’enfants morts à chaque JT (c’est vrai qu’en Syrie, cela ne dure que depuis 7 ans) ; (2) faire un beau discours exprimant sa révolte (aka la stratégie Obama) peut fonctionner si on est éloquent, mais pour un temps seulement ; (3) agir pour mettre fin aux tueries, de façon plus ou moins brutale ou symbolique.
- Pour la Syrie, Macron et Trump ont choisi la 3e option. Certainement pas pour le plaisir, pas pour des intérêts cachés (du genre attaquer les Illuminati qui se cachent en Syrie ou montrer leur virilité à Brigitte et Melania), mais parce qu’en démocratie, une action morale ou immorale d’un dirigeant a un impact politique immédiat. (Il est vrai, toutefois, qu’avec la montée en puissance des adeptes de la théorie du complot dans l’électorat occidental au détriment de la gentille et naïve Mme Michu, cet impact devient peu à peu moins net.)
3) Le relativisme, ça se soigne :
- Non, on ne peut pas mettre Le Monde et RT/Spoutnik sur le même plan. Dans une démocratie et une économie de marché, le succès commercial d’un média d’informations doit dépendre, sur le long terme, de sa crédibilité. Je peux lire des tribunes d’opinion de temps en temps, mais j’ai surtout besoin d’informations réelles, vérifiées de façon crédible, et si possible accompagnées d’une analyse qui me permet de mieux comprendre les événements. C’est ça qui me conduit à payer pour un média. En revanche, dans un régime autoritaire (par exemple la Russie), des médias comme RT ou Spoutnik n’ont qu’un rôle de propagande : leur existence ne dépend pas de la qualité de leur travail de "journalistes", ou de leur crédibilité, mais de leur productivité en termes de "fake news". Il est intellectuellement malhonnête de disqualifier systématiquement toute information rapportée par nos médias (de façon unanime), et de préférer la propagande éhontée de Poutine.
- Non, on ne peut pas mettre Macron et Poutine/Assad sur le même plan. Je trouve étonnant que ceux qui se plaignent du niveau excessif des impôts en France et du caractère parfois trop personnel ("Jupiter") du pouvoir actuel en France fassent l’éloge de Poutine (laissons Assad de côté)… C’est sûr, Poutine aurait des solutions assez radicales et efficaces à la grève de la SNCF et à la ZAD. Perso, je suis très attaché à la liberté : la mienne, celle de mes concitoyens, mais aussi celle de tous les humains (oui, c’est idéaliste).
[Je précise que je dis cela tout en étant très critique à la fois des médias dominants en France et de Macron, dont je suis un opposant résolu.]
Le relativisme systématique et absolu dont témoignent certains messages conduit à ne plus croire en rien, à se désintéresser de tout, à accepter la barbarie du monde comme une fatalité, et au bout du compte, à se réfugier tout seul sur son Aventin ou sur son île - ce qui est finalement assez cohérent, Surin ;-) (je vous taquine, moi-même je n’exclus pas de me réfugier un jour dans mon "île" aveyronnaise, abritée du tumulte du monde)
Igorgonzola a écrit :
on est allé chasser sur leurs terres et on s’étonne ensuite qu’ils montrent les dents.
Qui définit à qui appartient telle ou telle "terre" ? C’est vous, c’est Poutine, on tire à pile ou face ? Parce que le peuple ukrainien, auquel justement ces "terres" appartiennent, il s’est exprimé à de nombreuses reprises, par les urnes et par des révoltes populaires, pour un rapprochement avec l’Europe (pas très étonnant : un choix entre une dictature impériale pauvre et un espace démocratique prospère). On leur dit quoi ? "Désolé, on ne peut rien pour vous, votre pays est sur les terres de Poutine" ?
Il y a deux façons de voir les choses, le droit et la force :
- La logique du droit, c’est que le peuple ukrainien seul - et non Poutine - devrait décider de son destin.
- La logique de la force (celle que vous semblez prôner - et c’est vrai que c’est souvent celle qui prévaut), c’est que l’économie russe pèse un pouillième des économies occidentales, que les Russes ont besoin économiquement des Occidentaux et non l’inverse, et que le rapport de forces militaire (budgets militaires, rapports de forces quantitatifs et surtout qualitatifs) est de façon écrasante favorable aux Occidentaux.
Dans les 2 cas, cela conduit à considérer que l’Ukraine compte désormais parmi les "terres" occidentales - ce qui doit être assez insupportable pour Poutine, je le comprends bien.
Mon ressenti personnel est marqué par mes liens personnels avec certains pays d’Europe centrale et orientale (j’ai de nombreux amis dans ces pays, ma copine est lituanienne) : dans ces pays, on aime la liberté, et on s’est senti "abandonnés" (et même trahis) par les Occidentaux lorsqu’ils sont passés sous domination soviétique après la Seconde Guerre Mondiale. Si on se sent un peu Européen, il est de notre devoir d’être à leurs côtés pour les protéger d’une nouvelle tentative de domination impériale sous le "Tsar" Poutine (la protection la plus efficace étant une double appartenance à l’UE et à l’OTAN).
Pour revenir à la Syrie, si on adopte votre approche de la logique des "terres", vous observerez que la Syrie est bordée, (1) au Nord, par la Turquie (membre de l’OTAN), (2) à l’Est, par l’Irak (pays ami des Occidentaux, qui l’ont aidé dans sa lutte contre le terrorisme), (3) au Sud, par la Jordanie (allié des Occidentaux), (4) à l’Ouest, par Israël (allié des Occidentaux), le Liban (également proche des Occidentaux et de l’Arabie Saoudite, un allié), et la Méditerranée (une mer dont à peu près tous les Etats riverains sont membres de l’OTAN ou alliés). Donc je propose qu’on applique votre logique des "terres", et qu’on dise que la Russie n’a rien à faire en Syrie, et qu’ils rapatrient leurs avions et leurs troupes, sans oublier leur valet sanguinaire Assad. Cela simplifierait vraiment les choses pour tout le monde. Il ne reste plus qu’à convaincre Poutine.
Plus sérieusement, si on applique à nouveau les 2 logiques, le droit et la force, rien ne justifie le maintien au pouvoir d’Assad (et en tout cas tout justifie les récentes représailles occidentales).
Igorgonzola a écrit :
Appelez moi complotiste, mais je ne vois pas bien pourquoi Assad utiliserait des armes chimiques au moment où il gagne la guerre. C’est comme si Macron ordonnait une bavure pour virer le dernier zadiste, pour prendre un parallèle plus proche de chez nous. Aucun gain, juste de la "mauvaise publicité".
C’est une question légitime. Je n’ai évidemment pas la réponse, mais il y a des explications possibles :
1) une "erreur", une "bavure" au niveau opérationnel (un général qui n’a pas bien compris qu’on n’a plus le droit d’utiliser les armes chimiques - par contre l’artillerie lourde, les tapis de bombes, les exécutions et les viols, ça c’est toujours OK) ;
2) un ordre délibéré d’Assad pour "tester" les dirigeants occidentaux (voir où sont les nouvelles lignes jaunes, oranges et rouges - avec le renouvellement des dirigeants occidentaux, il faut des mises à jour de temps en temps) ;
3) une provocation délibérée d’Assad pour dire aux Occidentaux : "vous voyez, j’ai gagné la guerre, maintenant je fais ce que je veux, je peux même gazer des civils, et je vous em…"
Perso je penche pour la 3e interprétation, mais c’est secondaire, dans les 3 cas des représailles étaient indispensables.
Surtout, je pense que vous vous méprenez complètement sur le rapport du régime Assad à l’usage de la violence. Ce n’est pas une démocratie ! La violence est consubstantielle à ce régime, depuis 1970. Assis sur une base démographique très restreinte (les Alaouites, 11% de la population), il ne se maintient au pouvoir que par la violence. Sans cette violence, le régime ne serait plus craint et il tomberait immédiatement sous la pression du peuple. De ce point de vue, le gazage de civils n’est pas pour le régime une "mauvaise publicité", mais exactement le contraire : une démonstration éclatante de sa puissance, par le massacre de tous ceux qui s’opposent à lui (femmes et enfants compris).
PS : Désolé pour le hors-sujet partiel dans ce message, mais au vu de la prolifération sur les forums (sur celui-ci moins que sur d’autres, heureusement) du cynisme, du relativisme, de la théorie du complot, et de l’admiration idiote (désolé, mais c’est vraiment le cas) pour des tyrans (particulièrement dans mon camp politique, ce que je déplore profondément), je pensais utile d’apporter un contrepoint par ces messages.
Dernière modification par Scipion8 (18/04/2018 13h19)
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