Avec le recul, je pense que ce fil de discussion est le plus important du forum.
En effet, à partir du moment où l’on arrive à vaincre la paresse et le manque d’initiative, pour être curieux, motivé et méthodique, on arrive à tout. Donc il "suffit" d’arriver à adopter une mentalité de progrès et de motivation pour que le reste suive : apprendre, entreprendre, investir, etc.
A mon humble avis, la "paresse", vient en grande partie de notre éducation. On nous apprend, très tôt, à être sage, à être silencieux, et à obéir. Les parents veulent des enfants sages. Les profs veulent des enfants sages. Tant pis s’ils ne sont pas curieux, entreprenants, et actifs, pourvu qu’on ait la paix.
J’ai été choqué, en première année d’école d’ingénieur, d’avoir des cours de communication. On nous a dit en substance, lors de la première séance de cette matière : "vous faites partie de l’élite, vous aurez à prendre la parole, présenter des exposés, animer des réunions, encadrer des équipes très probablement, alors vous devez apprendre à vous exprimer, animer un débat, etc". Ca faisait 18 ans qu’on m’apprenait à me taire, et on allait enfin m’apprendre à parler, parce que l’élite a besoin d’apprendre à parler. Les gens qui ne font pas partie de l’élite n’ont pas besoin d’apprendre cela, car ils n’ont qu’à continuer à se taire !
De même sur la gestion de projets : ce sont des choses qu’on n’apprend qu’aux futurs cadres. Les exécutants n’ont qu’à exécuter les ordres. Il ne savent pas prendre un projet par le début et le mener à la fin, et on va déplorer le manque de cette qualité professionnelle, et on va en prendre prétexte pour ne pas les faire progresser dans l’entreprise… Mais pourquoi la gestion de projets n’est-elle pas enseignée dès le plus jeune âge ?
Alors voilà, sur la base de cette éducation presque toujours délétère, presque toujours formatée pour faire de nous de bons petits soldats, de bons petits exécutants, ils faut compléter soi-même son éducation. De même que l’éducation financière est incroyablement inexistante, l’éducation à l’initiative, à la curiosité, à la méthode et à la persévérance, en gros à l’inverse de la paresse, n’existe pas. Je pense vraiment qu’on nous a appris la paresse à force de nous démotiver d’être trop bavard, turbulent, curieux, remuant, entreprenant etc. et en ne nous apprenant pas les savoir-faire nécessaires.
Quelques remarques :
- on peut être intelligent et avoir de sérieux problèmes de procrastination et de motivation. J’ai toujours eu tendance à faire les choses à la dernière minute (même s’il existe bien pire que moi en la matière. J’étais disons un cas moyen). Or, là-dessus aussi on peut travailler. Je citerai 3 sources de progrès sur ce point, dans mon cas : ma femme qui n’est pas procrastinatrice, et m’a montré, par l’exemple et par ses encouragements, que les choses se font mieux et de façon plus agréable quand on les fait à temps ; le livre de Bruno Koetz ; et des séances d’EMDR qui consistent tout simplement à intégrer vraiment dans sa tête les avantages de ne pas procrastiner, et les inconvénients de le faire. Les intégrer véritablement, à l’encontre des croyances et des habitudes reçues dans l’enfance, en l’occurence de la part de mes parents, les deux étant procrastinateurs, et mon père battant même des records dans cette discipline.
Exemple de choses dont je suis très fier (alors que ça peut sembler évident à d’autres) : il y a quelques jours, j’avais 3 tâches à réaliser dans la journée, dont une particulièrement chiante et pénible. Je me suis dit "j’attaque par celle-là, car j’arriverai sans trop de problèmes à la faire ce matin en étant frais et dispo, et je me garde les 2 autres, plus faciles, pour cette après-midi où ça coulera tout seul malgré la fatigue". Il y a encore peu, j’aurais commencé par les plus faciles, et en fin de journée, j’aurais attaqué la plus dure, en râlant à quel point c’était difficile à faire quand il fait chaud et qu’on est déjà fatigué… J’aurais sans doute fait des conneries, et j’aurais alors eu l’impression que la vie est vraiment trop injuste et cette tâche vraiment trop difficile, et je l’aurais peut-être remise au lendemain du coup. Alors qu’il suffisait de commencer par celle-là pour profiter de la faire en étant au mieux de mes capacités.
Mon père a notamment une spécialité. Il creuse des trous dans le jardin, avec à chaque fois une bonne excuse (déterrer la racine d’une mauvaise herbe, etc). Et puis il ne les rebouche pas. L’herbe pousse, on ne voit plus le trou. Il laisse pousser l’herbe trop haut, toujours, avant de tondre. Donc, passer la tondeuse est une tâche harassante, car d’une part l’herbe est trop haute, donc la tondeuse bourre et ça va 3 fois moins vite que si ça avait été pris à temps ; d’autre part, la tondeuse est tout le temps en train de faire des hauts et des bas car elle tombe dans des trous invisibles, donc on s’épuise à la manœuvrer pour la ressortir des trous et pour la remettre dans le droit chemin. C’est à peu près comme essayer de tondre un champ de bataille.
Concrètement, mon père construit ses propres chausses-trappes. Il creuse des trous, et après il dit "oh, je suis tombé dans un trou ! Mais c’est vraiment trop pénible !".
C’est valable au sens propre, avec cette manie de creuser des trous et de ne pas les reboucher, mais c’est valable aussi au sens figuré, dans bien des aspects de sa vie.
Ca peut être très dangereux les trous. Je connais quelqu’un qui était équipier de char, à l’armée. Son char est tombé dans un trou et il a eu la colonne sérieusement endommagée, il en portera les séquelles à vie. Et il a été réformé, ce qui a aussi détruit sa vie, car il était super bien à l’armée (les goûts et les couleurs…). Explication de la présence du trou : le génie avait le même terrain d’exercice qu’eux, et ils s’étaient entraînés à creuser une fosse anti-char, et ils avaient "oublié de reboucher", eux aussi, comme mon père. Ca a détruit la vie de mon copain.
Depuis que j’essaie de vaincre la procrastination et d’être plus efficace, j’ai souvent cette image en tête. Je fais en sorte d’éviter de creuser mes propres chausse-trappes. De ne pas laisser traîner les trucs dans lesquels je vais ensuite me prendre les pieds.
-on peut être très dur à la tâche et ne pas être entreprenant. Je connais un gars qui est ouvrier du bâtiment. Au boulot, il est très dur à la tâche, il travaille beaucoup, au point que les autres ont du mal à le suivre. Mais dans sa vie personnelle, il n’entreprend pas, il repousse tout, il dit qu’il fera un truc et il ne le fait jamais, il voudrait économiser mais il n’économise pas, etc. Manifestement, la faute à une mauvaise image de lui-même. Quel dommage, car il pourrait faire bien plus de choses, il est intelligent et courageux.
- outre la question de la motivation et de vaincre la paresse, il y a aussi une question de méthodologie. Comme dit plus haut, la gestion de projets, les différentes méthodes nécessaires pour prendre un projet à A et l’amener à Z ne sont jamais enseignées à l’école (ou alors ça a bien changé !). La plupart des exercices sur lesquels les élèves travaillent sont très très décomposés : on nous fait résoudre A, puis F, puis B, puis J, mais jamais on ne nous apprendre à prendre un sujet à A et à l’amener jusqu’à Z. Lorsqu’on a, parfois, un vrai projet global, comme de préparer un exposé à plusieurs, ça finit inévitablement avec le plus intelligent/travailleur qui se tape presque tout le boulot. C’est dû, d’une part par la paresse là aussi, mais aussi au manque de méthode : on ne nous a pas appris à prendre un projet à A et à l’amener à Z, et on ne nous a pas appris à travailler en groupe (comment se répartir les tâches puis comment réunir ensuite les travaux réalisés, en évitant les deux extrêmes : 1) que chacun fasse tout le boulot sans aucune répartition des tâches, ce qui ne gagne aucun temps, ou 2) que l’on décompose totalement mais sans assurer aucune cohérence, aucune réunification, entre ce qui est fait par chacun), alors on se retrouve comme une poule qui a trouvé un couteau.
Il y a très probablement un fondement biologique, philogénétique à la paresse : après tout, un animal va avoir tendance à ne pas faire grand chose tant qu’il n’a pas la faim ou le désir de reproduction pour le motiver à faire. Mais, pour autant, il y a sans doute une très grande part d’acquis.
C’est assez fou, car on vit dans une époque trépidante, où la plupart des gens ont des horaires, des obligations, des rendez-vous, etc. Il n’arrêtent pas. Dans leur vie, on a mis le contenu, mais on n’a pas mis la méthode ni la motivation. Ils sont occupés voire débordés, mais pas forcément efficaces, et surtout pas satisfaits, pas heureux de subir ces occupations.
Ne croyez pas que je me mets au-dessus du lot. J’ai ma bonne grosse part de tendance à la paresse, démotivation etc. Mais ce qu’il y a de sûr, c’est que ce site, le bouquin d’IH et la fréquentation virtuelle et IRL de gens efficaces, motivés, et entreprenants m’ont fait progresser, m’ont donné envie de faire ; m’ont permis d’acquérir la méthode et la motivation pour faire. Et comme je disais au début, à partir de là, le reste suit. Donc, vraiment, ce fil est le plus important.
Allez, pour finir cette longue diatribe sur une anecdote qui illustre bien l’ampleur et les méfaits de la paresse : sur l’un des biens que je retape, un interrupteur était en panne. Sous le doigt, il semblait bloqué. Mais la lumière de la pièce fonctionnait. Du coup, pour allumer ou éteindre cette pièce, c’était directement depuis le tableau électrique. J’ai (enfin) pris le temps de regarder quel était le problème. L’interrupteur est manifestement cassé. Il a été réparé en fourrant les deux fils dans le même bornier de l’interrupteur, pour avoir un contact permanent. Il y a quelqu’un qui a pris la peine de le démonter et le "réparer", mais qui n’a pas pris les 2 minutes de plus et les 3 € de plus pour changer l’interrupteur ce qui aurait été la vraie réparation. Non, il a transformé l’interrupteur en bornier, en sucre, et il a dit : "ça fera bien". Et TOUT est à l’avenant dans ce bien.
Je trouve cela hallucinant qu’on puisse faire cela. Comment peut-on faire ce genre de travail de merde, ce demi-travail de paresseux, et être content de soi ensuite ? Et juste continuer à vivre ? Moi ça me rendrait malade. On retombe sur la question de l’image de soi. Mais je ne vais pas repartir sur ce sujet, au risque de radoter en boucle !
Je vous laisse, il faut que j’aille acheter un interrupteur !
Dernière modification par Bernard2K (29/08/2019 08h59)