Depuis un an, le risque sur la dette publique italienne, tel que perçu par les participants de marché, a nettement baissé : le Credit Default Swap (CDS) à 5 ans sur l’Etat italien (= la prime d’assurance sur un défaut de l’Italie à un horizon de 5 ans) a quasiment été divisé par 2. Selon l’hypothèse que l’on fait sur le taux de recouvrement en cas de défaut (qui influence le pricing du CDS), le niveau actuel du CDS 5 ans sur l’Italie suggère une probabilité de défaut, à un horizon de 5 ans, de moins de 5%. Ce niveau de risque est bien moins important que les pics atteints pendant la crise, en 2012.
Mon interprétation politique de cette nette baisse de la perception du risque d’un défaut italien, c’est une relative "normalisation" des 2 partis "populistes" qui ont accédé au pouvoir en 2018, le Movimento 5 Stelle et la Lega Nord. Quand des populistes arrivent au pouvoir, il y a 2 scénarios possibles : (1) la mise en oeuvre de leurs idées irréalistes / dangereuses, ou (2) le retour à la réalité et le pragmatisme. En Italie, c’est le 2e scénario qui a prévalu, et c’est heureux pour ce pays. On voit d’ailleurs le M5S gouverner désormais avec le centre-gauche traditionnel, alors que la Lega Nord prend la tête de l’opposition de droite.
Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer les munitions disponibles pour faire face à une hypothétique crise de la dette en Italie :
1) Il ne s’agit jamais de remplacer d’un coup toute la dette publique existante par des financements publics : comme cela a été le cas pour la Grèce, cette substitution serait (i) très progressive (au fil des tombées d’échéance des obligations) et (ii) partielle.
2) Le Mécanisme de Stabilité Européen (MES/ESM) n’est que l’une des sources de financement en cas d’urgence. Comme cela a été le cas pour la Grèce, le Portugal, l’Irlande etc., en cas de crise en Italie ce serait aussi le rôle du FMI (en coordination avec l’UE) d’intervenir.
3) Ne pas oublier que l’Eurosystème (BCE + Banques Centrales Nationales) détient une part importante de la dette publique italienne, notamment 365 milliards € au titre de son QE. On peut penser que l’Eurosystème aurait une attitude facilitatrice en cas de crise de la dette en Italie, par exemple en consentant à roller ses expositions à chaque échéance.
4) Comme cela a été le cas lors de la dernière crise, il est probable que la BCE inonderait le système bancaire de liquidités à faible coût et sur de longues maturités, encourageant de fait les banques (notamment italienne) à acheter de la dette publique italienne (carry trade).
5) Outre le QE, la BCE a un programme ciblé d’intervention sur le marché obligataire d’un pays en crise, les OMT (Outright Monetary Transactions), qui peut être activé si le pays consent à un programme UE/FMI. (Cet outil créé en 2012 n’a jamais été activé jusqu’ici.)
6) Contrairement à la Grèce, les ménages italiens sont riches, donc taxables en cas de besoin. Une politique d’austérité, en complément d’un programme UE/FMI et des diverses mesures de soutien, aurait beaucoup plus d’efficacité en Italie qu’en Grèce ou au Portugal, à mon avis.
Bref, quand bien même il y aurait une crise de la dette publique en Italie, la zone euro dispose des mécanismes de coupe-feu pour y répondre. La seule vraie limite à la puissance de feu d’une banque centrale c’est le risque inflationniste. Or, nous vivons désormais dans un monde déflationniste…
S’agissant de la critique sur "l’interventionnisme" de la banque centrale sur les marchés, perso je réfléchis toujours aux valorisations sur les marchés actions selon l’approche DCF (Discounted Cash-Flows) :
Capitalisation boursière = somme des cash-flows futurs actualisés = CF1 / (1+Tsr + primes de risque) + CF2 / (1+Tsr + primes de risque)2 + …
où :
- CF1 est le cash-flow prévu en l’an 1, CF2 le cash-flow prévu en l’an 2
- Tsr est le taux sans risque
- les primes de risques sont liées au pays (risque politique, fiscal etc.), au secteur et à l’entreprise
C’est le rôle et la mission de la banque centrale d’influencer le taux sans risque. C’est sa raison d’être. Il s’agit de contrebalancer les risques macroéconomiques pour éviter une hyper-inflation ou une déflation, et de lisser (un peu) le cycle économique.
Il y a de nombreux pays dans le monde où la banque centrale ne peut pas faire ce travail efficacement (notamment parce qu’elle n’est pas indépendante, et/ou qu’elle n’a pas les outils nécessaires) : le cycle économique y est très violent : chaque récession a des effets très destructeurs pour la population (concrètement, dans certains pays où je travaille, baisse des prix du pétrole = la moitié de la population au chômage), suscitant des troubles politiques et sociaux, voire des guerres. Les récessions y causent aussi fréquemment des dévaluations massives, d’où une perte de confiance dans la monnaie et une dollarisation rampante (donc une perte de souveraineté économique). Tous ces pays sans banque centrale efficace sont évidemment pauvres et économiquement en retard.
La banque centrale est la productrice unique de la monnaie. C’est son rôle d’en influencer l’offre et la demande, et donc le prix, afin d’obtenir le meilleur équilibre en termes de croissance et d’inflation.
En ce sens, il n’y aucune différence entre la politique monétaire conventionnelle (les mouvements de taux directeur) et le QE : dans les 2 cas, il s’agit d’influencer le taux sans risque.
Quant à Trump et ses tweets, on peut dire qu’ils influencent la prime de risque politique.
Mais c’est bien le marché qui forme librement ses anticipations sur les cash-flows futurs, et qui interprète librement les développements économiques / politiques pour mettre continuellement à jour les primes de risque.
Dernière modification par Scipion8 (30/08/2019 11h06)