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5 #1 21/01/2020 11h16
- Laut
- Membre (2020)
- Réputation : 9
Un petit topo sur l’Indonésie, pays que je connais un peu professionnellement et que j’aime arpenter. Je ne prétends ni à l’exhaustivité ni à l’exactitude, je ne suis pas un économiste, c’est simplement un point de vue partiel et subjectif qui gagnera à être complété.
La bourse indonésienne est à ma connaissance la seule place boursière qui s’est effondrée au sens littéral du terme : le 15 janvier 2018, un étage mezzanine de l’immeuble hébergeant le stock exchange, situé en plein centre de Jakarta, s’est écroulé, blessant plus de 70 personnes… ce n’est évidemment pas de nature à rassurer des investisseurs boursiers !
Le cours boursier des entreprises indonésiens, synthétisé par l’indice IDX qui rassemble l’ensemble des capitalisations, est quant à lui flat depuis 2 ans, voire en légère baisse (6350 janvier 2018 VS 6290 janvier 2020), après une hausse constante de 2009 à 2013.
Plus de 650 compagnies sont cotées à l’Indonesia Stock Exchange. La capitalisation totale atteint 525 B$. Le lecteur intéressé pourra consulter les profils des 45 plus grosses capitalisations et leurs performances financières sur le site de l’IDX Indonesia Stock Exchange Les secteurs du charbon, de la mine, les banques, ou encore le tabac y sont fortement représentés, à contrario on n’y trouve aucune entreprise technologique. Un certain nombre de ces entreprises sont des conglomérats familiaux avec un flottant réduit et les intérêts des actionnaires minoritaires ne sont pas forcément leur priorité…
(Source : Google)
Ce cours est à rapprocher du taux de change $/IDR qui ramène la performance de la bourse indonésienne exprimée en dollar à des valeurs faibles voire médiocres sur la décennie 2010.
(Source : xe.com)
Il faut noter que la stabilité de la roupie indonésienne est un objectif majeur des pouvoirs en place. La baisse de la roupie au premier semestre 2018 a provoqué une inquiétude majeure, les indonésiens ont encore le souvenir de la crise de 1997/98 avec une valeur de la roupie divisée par 4 en quelques mois et les troubles sociaux qui ont suivi.
Le business en Indonésie est dominé par les SOE (state owned company) et les conglomérats privés.
Parmi les SOE les plus connues on retrouve PLN (l’EDF local), Pertamina (Oil&gas), Bank Mandiri, Garuda (compagnie aérienne), les Karya (construction)… Les SOE ne sont pas seulement présentes sur les secteurs stratégiques ou de service public, on en retrouve dans tous les grands domaines économiques. Ces SOE sont pour la plupart lourdement endettées et beaucoup sont maintenues sous perfusion grâce à l’orientation des politiques publiques. Le président Jokowi, en place depuis 2014 et réélu en 2019, a lancé un grand programme d’infrastructures dont ont bénéficié les SOE. Ce programme a également accentué leur endettement en les obligeant à participer au financement via notamment des montages PPP. Parmi les dernières actions lancées on peut citer le déplacement de la capitale de Jakarta vers Kalimantan, projet aujourd’hui estimé à plus de 40 B$ (chiffre très probablement bien en deçà de la réalité comme il est d’usage pour ce genre de projet !).
Les grands conglomérats privés locaux ont pour la plupart démarré dans la cigarette, les mines ou l’huile de palme, avant de s’étendre pour certains dans d’autres domaines (real estate, chimie…). Beaucoup de ces conglomérats ont été créés et sont toujours dirigés par des familles de chino-indonésiens, ces indonésiens d’origine chinoise qui, s’ils ne représentent qu’à peine plus de 1% de la population, détiennent une part importante du business local.
On peut citer notamment parmi les plus grosses entreprises privées familiales :
- Les frères Hartono, à la tête d’une fortune de plus de 37 B$, ont commencé par la cigarette (les fameuses kretek, cigarettes locales au clou de girofles) avant de se diversifier dans la banque, l’immobilier ou encore les produits électroniques (Polytron)
- L’empire Widjaja pesant 10 B$, contrôlé par 4 frères, qui a des intérêts dans la production de papier, l’immobilier, l’agrobusiness et les telecom
- Prajogo Pangestu (8 B$), fils d’un négociant de caoutchouc, qui a commencé dans le bois puis s’est reconverti dans la pétrochimie, la production d’énergie, l’immobilier et la logistique
- Susilo Wonowiddjojo (6,5 B$) qui a fait fortune dans les cigarettes (Gudang Garam)
- Sri Praskah Lohia (5,5 B$), d’origine indienne, pétrochimie
- Salim Group (5,5 B$), conglomérat incluant notamment Indofood l’un des plus gros producteurs mondiaux de nouilles instantanées
- Boenjamin Setiawan (4 B$), à la tête de Kalbe Farma, la plus grosse compagnie pharmaceutique indonésienne
L’économie indonésienne, on le voit bien dans les business des conglomérats, a longtemps été très dépendante de l’exportation des matières premières (huile de palme, charbon, nickel, caoutchouc…) et l’est encore aujourd’hui (60% des exportations sont des matières premières). La consommation intérieure joue cependant un rôle moteur dans l’économie : l’Indonésie c’est un marché de plus de 250 millions d’habitants et une classe moyenne de plus en plus importante dans les grands centres urbains. Le taux de croissance est en moyenne d’environ 5% ces dernières années, pour une inflation maîtrisée à moins de 4%.
Ont émergé ces dernières années des start-ups devenues licornes au succès fulgurant, portées par la consommation intérieure et l’émergence de la middle class indonésienne:
- GoJek, une plateforme digitale offrant des services de taxis, de livraisons de repas, de courrier ou encore de massage à domicile. Créé en 2010, GoJek pèse aujourd’hui plus de 10 B$. Parmi les investisseurs ayant contribué aux apports de fonds on retrouve Google ou encore Tencent. GoJek devrait selon toutes probabilités s’introduire en bourse dans les 2 ans qui viennent.
- Les marketplaces Tokopedia et Bukalapak, les équivalents locaux d’Amazon
- OVO, une plateforme de paiement en ligne utilisée par pas moins de 110 millions d’indonésiens
Le principal atout de l’Indonésie est à mon avis sa jeunesse. L’éducation supérieure est plutôt de bonne qualité et de plus en plus de jeunes partent étudier à l’étranger (Australie, Europe…). Cette jeunesse vient remettre en cause la structure gérontocratique de la société indonésienne dont les anciens dirigent et tirent les ficelles, que ce soit dans le business ou la politique (les deux domaines étant intimement liés, sans oublier l’armée). Les Indonésiens d’aujourd’hui ont dans l’ensemble un niveau de vie bien supérieur à ceux de leurs parents, il est fréquent de rencontrer des trentenaires cadres supérieurs dont les parents étaient paysans ou chauffeur de taxi. Cette dynamique entretient une vraie marche en avant. A la différence d’autres pays d’Asie du Sud-Est où on trouve que des très riches et des très pauvres, une vraie classe moyenne est en train d’émerger. Inexorablement cette population jeune et éduquée va pousser dehors la classe dirigeante ancienne et moderniser le pays.
En ce qui concerne les freins on peut citer notamment :
- Une classe dirigeante spécialiste du compromis permanent et de l’immobilisme (surtout ne pas créer de conflit), bien que ça soit en train de changer. En témoigne le dernier gouvernement Jokowi où on retrouve des jeunes issus de la société civile dont le patron de GoJek… mais aussi Prabowo, l’adversaire de Jokowi aux deux dernières élections présidentielles qui se retrouve propulsé ministre de la défense, opération très typique de l’art javanais du compromis… Prabowo est d’ailleurs un archétype du géronte indonésien, avec un pied dans le business (famille ayant fait fortune dans les plantations), un pied dans la politique et un autre dans l’armée (ancien militaire)
- La corruption, fléau de la société indonésienne qu’on retrouve à tous les niveaux. L’Indonésie est classée 89 sur 180 pays au dernier index de Transparency International, score peu brillant.
- Des complications administratives infinies pour monter un business, et ce d’autant plus si les investisseurs sont étrangers. C’est aussi une opportunité pour les entreprises déjà implantées qui bénéficient d’un moat administratif de fait…
- Un contexte législatif et réglementaire mouvant modulé à coups de directives, l’une annulant l’autre, et empêchant toute projection fiable pour les entreprises.
- Faible innovation technologique
Ces derniers mois des scandales financiers importants ont sérieusement ébranlé la confiance des investisseurs dans les entreprises. On peut citer notamment :
- La découverte de trous de plusieurs centaines de millions de dollars dans deux compagnies d’assurance, Jiwasraya et Asabri, toutes deux SOE. Les fonds placés ont perdu 60 à 90% de leur valeur et ce en piétinant allègrement toutes les règles prudentielles depuis au moins 2 ans. Les financial statements de ces deux entreprises ont pourtant été validés sans sourciller par PwC…
- Garuda, la compagnie aérienne indonésienne leader du marché, SOE également et cotée sur le marché boursier indonésien, a dû publier un rectificatif de ses comptes 2018 en les dégradant de 175 millions $ à la suite de rapports financiers « habillés ».
On pourrait citer bien d’autres exemples mais il en ressort qu’il faut prendre avec des pincettes les financial statements publiés par les entreprises indonésiennes, que les auditeurs appartiennent à de grands cabinets internationaux ou pas.
En ce qui concerne d’éventuels investissements immobiliers physiques, ma contribution sera très limitée dans la mesure où je ne m’y intéresse pas. L’accès à la propriété est très compliqué voire impossible pour les étrangers (lease de longue durée uniquement, ou prête nom). On pourrait imaginer que Jakarta, mégalopole de 30 millions d’habitants grossissant sans cesse, pourrait receler des opportunités… sauf que le rendement moyen brut locatif est de l’ordre de 4% et que, étant données les conditions climatiques, un condominium flambant neuf devient au bout de quelques années un immeuble décrépi qui ne se vend plus qu’à la casse. Ne pas oublier également que Jakarta a été construit sur des marécages et s’enfonce de 20 à 25cm chaque année avec les risques d’inondation afférents. Les taxes à la revente sont également fortement dissuasives.
Ma conclusion :
L’Indonésie me semble un exemple intéressant de pays émergent, avec ses atouts, ses faiblesses et ses chausse-trappes. Sa taille économique est significative (pour rappel l’Indonésie est membre du G20), mais elle est aujourd’hui en dehors des radars et pourrait receler des opportunités. Je ne me vois cependant pas investir aujourd’hui la moindre roupie en Indonésie, le ratio risques/opportunités me paraît trop défavorable. Je crois cependant beaucoup au futur de ce pays, et vais surveiller les éventuels IPOs des licornes locales qui pourraient être un point d’entrée intéressant pour monter dans le train de la croissance indonésienne.
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#2 22/01/2020 07h23
- BulleBier
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Bonjour, pourquoi vous de voyez pas y investir? Est ce en raison de la qualité faible des entreprises ou du risque pays?
J’ai des actions first Pacific, côté a Hong Kong, contrôlée par Selim group, qui détient principalement indofoods , Philippines Telecom et une entreprise d’infrastructures aux Philippines. Très decotée je pense en fonction d’une histoire récente faite de baisse des résultats dues aux mouvements monétaires, et de la folie du président Duterte. Le conglomérat est en gros 2/3 Philippines et 1/3 Indonésie. Indofoods performe bien.
Astra International est un gros conglomérat principalement auto/moto et équipements, bien géré car controllé par Jardine Matheson et son intermédiaire Jardine Cycle and Carriage qui est un bon investisseur de référence. Las, les actifs sont assez industriels et pas assez décotés selon moi. Pas de position.
J’ai des actions SoftBank qui est investi fortement dans Grab et je crois tokopedia , mais ce n’est qu’une petite partie des actifs.
En général sur les émergents les actions de consommation de base sont des bons achats. En Indonésie il y a aussi les entreprises du tabac mais, bien que la démographie soit excellente, vu la complexité du sujet je n’en ait pas.
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1 #3 22/01/2020 09h19
- Laut
- Membre (2020)
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Bonjour,
Je ne compte pas y investir pour l’instant car la thèse d’investissement ne me semble pas simple. On a un pays en croissance avec des vrais atouts dans une région du mode dynamique, mais le risque pays est effectivement élevé. Il y a pourtant sûrement des vraies opportunités à dénicher mais encore faudrait-il que je fasse mes devoirs et me penche plus en détail sur les entreprises. Ce travail pourrait d’ailleurs être assez passionnant.
Indofood est effectivement une entreprise solide, bien connue pour les Indomie et Pop mie, ces nouilles instantanées qu’on retrouve même au fin fond de l’Indonésie et qui se révèlent souvent le seul repas possible dans les petits warungs de village. Indofood est détenue à un peu plus de 50% par First Pacific et est cotée sur l’IDX. CA légèrement supérieur à 5 B$ en 2018, croissance régulière des revenus d’environ 5% par an, profits également réguliers avec 12,5% d’operating profit en 2018 et 6,8% de net profit. En moyenne 50% de payout ratio (sauf 2018 où le dividende a été fortement réduit, à creuser?). PER 15,7 fin 2018. Depuis 5 ans le cours oscille entre 5000 et 8500 IDR mais pas de tendance marquée à la hausse ou à la baisse.
Softbank est présent en Indonésie et a d’ailleurs annoncé récemment être prêt à participer à hauteur de 30 B$ à la création de la nouvelle capitale.
D’une manière générale les Japonais et Coréens sont extrêmement impliqués dans les infrastructures en Indonésie, ils investissent et amènent avec eux leurs constructeurs.
Jokowi pousse fortement à l’ouverture du pays aux capitaux étrangers et ce mouvement pourrait être un catalyseur important pour la dynamique de l’Indonésie.
Le tabac je préfère ne pas y toucher par déontologie, mais nul doute que cette industrie a encore de beaux jours devant elle en Indonésie. En débarquant de l’aéroport l’odeur des kreteks est la première chose que l’on remarque.
J’en profite en passant pour mentionner un article de ce jour sur l’huile de palme, un des principaux produits d’exportation de l’Indonésie, qui permettra de défaire un certain nombre d’idées reçues et me déculpabilisera quand je mangerai du Nutella… Il est cependant indéniable que la déforestation est un véritable fléau écologique sur Sumatra et Kalimantan.
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#4 22/01/2020 10h07
- BulleBier
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Merci pour vos détails.
Je ne sais pas si cela marchera, mais comme le monde émergent est en croissance mais a risque un peu élevé pour les entreprises, je diversifie les pays, un peu de Philippines, de chine, d’Afrique du Sud etc.. je ne pense pas qu’ils explosent tous en même temps ! D’ailleurs investir aux USA où en Europe est aussi un risque.
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#5 22/01/2020 10h35
Merci pour ce bon résumé. L’un de mes soucis avec ce marché c’est que pas mal d’investissements sont douteux d’un point de vue éthique (charbon, huile de palme, caoutchouc, tabac). J’ai des REITs via First REIT et Lippo Malls (tous deux côté à Singapour et dans la galaxie du groupe Lippo Karawaci)
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#6 22/01/2020 12h26
- Laut
- Membre (2020)
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Le cas de PT Lippo Karawaci est intéressant et illustre les risques de l’investissement en Indonésie. Elle appartient au groupe Lippo, fondé par Mochtar Riady, un chino-indonésien, et est cotée à l’IDX. Lippo Karawaci développe et opère des malls, des hôpitaux et des propriétés résidentielles.
A notamment été lancé un giga-projet de constructions résidentielles à l’est de Jakarta (20 B$), dont la première tranche (pas moins de 30 tours d’habitation) sera terminée cette année. Ce projet, présenté comme un nouveau Shenzhen par Mochtar Riady, a valu de sérieux déboires à l’entreprise: PT Lippo Karawaci a été accusée de corruption en 2018 pour l’obtention des permis de construire et quelques lampistes ont été condamnés. Ce scandale a stoppé momentanément l’avancée des travaux. En 2018 également l’entreprise a connu une sérieuse crise de liquidité causée notamment par des ventes d’appartements inférieures aux attentes, situation qui ne s’est bien sûr par arrangée avec l’incertitude pesant sur le projet liée aux accusations de corruption.
L’action PT Lippo Karawaci a vu en conséquence son prix dégringoler de 600 IDR en 2017 à 230 environ aujourd’hui. La crise de liquidité est semble-t-il partiellement résorbée (refinancement 1B$ via vente de malls début 2019 et émission d’actions) et un nouveau CEO, le petit fils de Mochtar Riady, a été nommé en 2019. Peut être une opportunité vu la chute du cours, mais hati hati comme on dit en bahasa (attention danger)!
Dernière modification par Laut (22/01/2020 14h36)
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