crosby a écrit :
Un des aspects que l’on peut considérer comme négatif de l’activité de rentier (et qui n’a pas été mentionné jusqu’ici je crois) se trouve à ma connaissance du point de vue de certaines religions (à ma connaissance, catholiques et protestantes).
En résumé, le rentier (celui qui thésaurise) met de l’argent de côté afin de se sentir plus en sécurité, alors qu’en principe il devrait avoir la foi, et avoir donc confiance en l’avenir, les autres etc…
Le problème des religions chrétiennes, c’est aussi un héritage de plusieurs traditions. D’abord, il y a le fait que la division de la société traditionnelle est basée sur le travail. On peut en discuter, mais la division sociale en trois ordres (ceux qui labourent, ceux qui se battent, ceux qui prient) par Adalbéron de Laon était vue comme trois types de travail. Chacun exerce son rôle social, et contribue. Du coup, se soustraire au travail, se soustraire à l’activité, c’est être en contradiction avec l’impératif social. Lorsque Dieu condamne Adam à gagner son pain à la sueur de son front, c’est interprété comme un commandement à participer activement à la société. Ainsi, l’idée du rentier qui ne travaille plus est aussi détestable que celle de la grève dans la théologie classique. Il en reste forcément quelque chose.
Un autre problème est que le rentier gagne du temps en prêtant à intérêt. C’est le temps (d’immobilisation de son argent) qui est à l’origine de sa richesse, et le temps appartient à Dieu : difficile d’être rentier lorsqu’on ne peut pas faire de profit par la perception des intérêts. Cette notion s’est beaucoup affaiblie avec le temps, bien évidemment, mais le rentier, longtemps objets de suspicion, reste toujours entouré d’une réputation fumeuse dans l’éducation religieuse.
En gros, s’il existe des produits d’investissement "compatibles avec la charia" pour contourner les interdits musulmans, il n’y a pas besoin de produits "compatible avec le catholicisme romain" (par exemple) parce qu’il est devenu admis qu’on puisse spéculer, mais il reste quand même une certaine "mauvaise réputation" associée à l’oisiveté qu’implique la rente. Je suis bien incapable de dire dans quelle mesure cet "héritage religieux historique" influe sur la perception négative du rentier dans les mentalités actuelles, largement déchristianisées. Il doit rester un substrat, clairement, qui ne s’exprime pas forcément uniquement contre les rentiers mais également contre les oisifs en général.
Celui qui défend l’existence d’une valeur travail, par exemple, va avoir beaucoup de mal à justifier une vie de rentier. On entend souvent dire "ah, il faut donner aux jeunes le goût du travail !" ou des variations autour de cette idée. Difficile pour ceux qui tiennent ce discours d’un côté (encenser le travail et en faire une valeur sociale) de dire d’un autre côté que le travail est une aliénation de la seule chose irremplaçable pour l’Homme, sa brève existence (et encore plus brève en bonne santé) et que la vie de rentier est celle à laquelle il faut aspirer. Je pense que la promotion morale du travail comme valeur, peut-être héritée justement d’un fonds de pensées d’origine religieuse (protestante ?) a plus de force de nos jours dans la réserve de beaucoup vis-à-vis du rentier.
Dernière modification par Hermann (10/02/2013 23h30)