@Dooffy : Perso, j’ai tendance à penser que beaucoup plus d’argent a été perdu par une utilisation mal avisée de filtres value - conduisant à l’élimination d’entreprises de qualité, perçues commes "trop chères" - que par leur omission.
Quand on parcourt les files de portefeuilles du forum, notamment celles où il y a un historique suffisamment long, on voit très rarement (ou jamais ?) des remarques du style "X est une entreprise de qualité mais je l’ai achetée trop cher". Impossible de trouver des actionnaires LVMH, Safran, Vinci ou Air Liquide mécontents - quel que soit leur niveau d’entrée sur ces valeurs. Evidemment, un achat bien timé, à l’occasion d’une (rare !) correction sur des valeurs de qualité, améliore encore la performance, mais à mon sens les valeurs de qualité sont achetables presque à chaque instant (ou même toujours ?).
On me rétorquera qu’il y a un biais du survivant, que les valeurs de qualité à l’instant "T" ne sont pas nécessairement celles de l’instant "T+n années"… Mais la réalité empirique reste que les erreurs de stock-picking semblent le plus souvent dues à une erreur d’analyse sur les fondamentaux (= percevoir X comme une valeur de qualité alors qu’elle ne l’est pas), et non à un risque de valorisation (= surpayer X, valeur de qualité).
En revanche, il est très fréquent de lire des remarques du type "J’ai X en watchlist, c’est une belle valeur, mais elle est trop chère et j’attends un meilleur point d’entrée" généralement suivies quelques mois plus tard (sauf coup de bol / timing chanceux) de regrets "Je cours après X, j’aurais dû acheter".
Perso, je regarde bien sûr toujours les niveaux de valorisation (à l’origine mon approche était GARP même si elle est de plus en plus croissance), mais j’évite de définir des niveaux d’achat sur cette base, pour éviter ces regrets. A la place, j’utilise 2 tactiques et un "truc" psychologique :
1) Constituer ses lignes progressivement : si j’identifie une valeur de qualité avec un degré raisonnable de certitude, ma première "louche" suivra rapidement, quel que soit (quasiment) le niveau de valorisation. En revanche, pour les "louches" suivantes je serai plus exigeant sur les ratios de valorisation.
2) Avoir une buylist de krach / correction majeure : je maintiens en permanence une liste d’achat de mes 10-15 valeurs préférées (qui sont déjà en portefeuille, mais pas encore pour les volumes cibles), en cas de krach ou de correction majeure. Il s’agit de valeurs de grande qualité, mais souvent "chères" (LVMH, Visa, Mastercard etc.) du point de vue des ratios de valorisation. Etre déjà placé sur ces valeurs de conviction, tout en sachant que je les renforcerai en cas de krach, m’offre un certain confort psychologique (sans aller jusqu’à "espérer" un krach !)
3) Se référer au comportement d’un ETF : c’est un bon "truc" psychologique pour "déculpabiliser" avant l’achat d’une valeur de qualité - donc "chère" du point de vue des ratios de valo. L’ETF va bêtement acheter ces valeurs, même "chères", et plus leur cours augmentera plus il en achètera… et sa performance en bout de compte sera excellente ! Si l’on veut comparer sa performance à un indice, il est donc naturel de comparer ses propres choix avec le comportement de l’ETF correspondant. Dans mon cas, cela m’incite par exemple à augmenter ma position LVMH (pondéré à 11,5% dans le CAC 40), sur laquelle je suis déjà placé mais avec une pondération bien inférieure - même si moi aussi je la trouve un peu "chère"…
S’agissant de l’approche que vous mentionnez, elle me semble intéressante, même si elle a de nombreux biais (mais bon, si une approche de stock-picking était parfaite, ça se saurait). Par exemple :
a) L’accumulation de capitaux propres est à mon sens un indicateur ambivalent : bien sûr elle reflète l’accumulation de profits, mais des capitaux propres excessifs peuvent aussi indiquer un manque d’opportunités d’investissements (= entreprises matures) et/ou une politique de distribution un peu chiche envers les actionnaires (= pas assez de dividendes ou de rachats d’actions). Voire annoncer des investissements massifs mal avisés, du type M&A surpayé. Ou indiquer un recours insuffisant au levier de la dette (parfois pour cause de difficultés dans les relations avec les banques ?). Bref, ce n’est pas un indicateur qu’on peut prendre dans un screener sans aucune analyse.
b) L’utilisation de ratios de valorisation uniformes conduit à une sélection adverse, bénéficiant aux secteurs ou entreprises matures ou déclinants. Evidemment c’est l’argument clef contre les ratios du type PER, VE/EBITDA ou P/S. Perso je préfère toujours les mettre en rapport avec le potentiel de croissance (PEG, VE/EBITDA/G, P/S/G etc.), même si ça soulève d’autres difficultés techniques (difficile d’isoler la croissance organique passée, utilisation de prévisions par essence incertaines etc.).
c) L’utilisation d’une extrapolation linéaire pour les résultats trimestriels (= résultat annuel estimé = résultat du 1er trimestre * 4, par exemple) est problématique pour les secteurs avec une cyclicité annuelle. Normalement il est préférable de calculer des PER (par exemple) TTM (trailing twelve months) prenant en compte les 12 mois (ou 4 trimestres) passés, afin de neutraliser ce biais cyclique. Des sites du type Morningstar fournissent habituellement des PER TTM et PER forward (sur la base de la prévision de résultats pour l’exercice en cours, ou pour le prochain exercice).