Que dire?
Le biais est-il seulement de mon côté?
Quand je lis des gens ici avoir écrit que les critiques concernant la gestion Orpea ou les Ehpad est biaisée, et voir l’évolution de la situation depuis deux mois et plus, j’ai juste le sentiment que les évènements ont parlé de façon largement plus criante que mes dires.
Orpea est le seul établissement qui m’a contacté en direct par téléphone pour m’embaucher pas plus tard qu’en Février, alors que je suis sans emploi depuis mars 2021. Ca en dit long sur l’état patent de manque criant de volonté des soignants d’aller y travailler (ce qui au passage en dit aussi beaucoup sur les conditions de rémunérations et la qualité du milieu de travail).
Après, biais pour biais, quand on sait ce qu’il se passe de l’intérieur, on peut aussi se faire une idée de la qualité du travail, du management, etc…Après tout, des gens comme Peter Lynch prônaient une approche basée sur la rumeur au sujet des boîtes dans lesquels on investit. Elles ne sont pas toujours mensongères.
Pour ma part, éthiquement je n’ai jamais réussi à investir dans une telle entreprise, ayant vu comment on traite le personnel, et les résidents (c’est le seul endroit où j’ai fui le poste de travail sur un arrêt maladie face aux menaces de harcèlement du directeur)…D’ailleurs, lorsque j’en suis parti, ils étaient face à des procès dans de multiples établissements, car le harcèlement moral sur le personnel était légion dans plusieurs établissements.
J’aurais pu pourtant m’enrichir facilement, ayant lorgné le titre en 2005.
Mais je maintiens mon point de vue, biais pour biais.
N’est-ce pas un biais que de ne vouloir considérer que l’aspect brutalement et uniquement comptable?
La grande différence entre Orpea et Nestlé et Lockheed, c’est que Nestlé et Lockheed, vendent des produits concrets, mesurables, quantifiables.
Orpea vend une prestation concernant à la fois un hébergement, l’hotellerie,et les services de soins concernant la dépendance. La dépendance ne concerne pas seulement les personnes hébergées dans les établissements, mais aussi les familles autour pour qui l’intégration dans ces établissements est souvent le signe qu’elles ont touché une limite à prendre en charge leur parent. Ces familles sont aussi dépendantes, et je peux vous dire pour l’avoir vu, que certains directeurs le savent parfaitement.
Et que la question de fond qui se pose est savoir si les résidents bénéficient d’un service convenable pour le prix qu’ils paient.
Vous parlez de l’intéressement: les salariés sont pas payés dans les grilles salariales les plus favorables, je ne crois pas qu’ils soient bénéficiaires de rémunérations en action autant que le seront les dirigeants, bref on pourrait se poser la question de la participation aux bénéfices des employés. Personne n’en parle vraiment. Certaines boîtes incluent leurs salariés dans les gains. Orpea le fait-il?
En tant qu’infirmier, Orpea a été un des employeurs (nombreux) que j’ai eux qui m’a payé le plus mal.
Ce que j’ai constaté depuis que j’ai connu Orpea depuis 15 ans, c’est juste un turn over permanent des salariés. On a la même chez DomusVi qui n’est pas coté, mais j’y ai vécu il y a trois ans les mêmes genre de conditions dégradées de travail: manque de personnel, personnel mal payé, donc nombreux arrêts maladies, et toutes les dégradations à l’actif de la qualité de travail qui vont avec cela. Quand on paye mal son personnel, faut pas attendre qu’il donne plus. D’ailleurs quand on bosse en sous nombre avec un turn over permanent, on ne peut juste pas bien travailler, même avec les meilleures volontés du monde. Car la plupart des personnes que j’ai vues travailler, étaient loin d’être de mauvaise volonté. Mais la pénibilité de ce travail, couplé à des conditions dégradées, usent phyquement et psychiquement ces employés. On parle peu de cela, mais c’est un vrai problème.
Alors je veux bien être biaisé, simplement j’ai pu être témoin en première place, et pas que dans cet Ehpad, mais dans de multiples autres, et avec toujours les mêmes conséquences liées aux mêmes causes, de l’impact humain que génère une gestion où les critères comptables semblent passer par dessus des critères humains: c’est toujours les personnes les plus vulnérables et dépendantes qui en souffrent.
Et là on ne vend pas des produits alimentaires, ni des armes, ni du service digital, mais une prestation dont le but premier est quand même, ainsi que dit sur leur site internet: "une offre globale de services et de soins pour prendre en charge les personnes fragiles et en perte d’autonomie."
Donc il s’agit de prendre en charge des personnes en perte d’autonomie, donc vulnérables. Pas d’en faire des clients captifs et des sources pérennes de rémunération: on peut faire du business, mais avec un échange équitable entre la rémunération et le service rendu. Ce qui est dans le cas d’Orpea, fort discutable. Et aussi difficilement mesurable en chiffres.
Dans ce modèle dont comme je disais, les familles aussi sont dépendantes à cause du manque cruel d’offre, la réaction est majoritairement de peu se plaindre des services rendus: quand le rapport de force est en votre défaveur, et bien vous vous inclinez et vous subissez, les repas non donnés aux personnes incapables de manger par elles-mêmes faute d’assez de personnel, le change fait pas très souvent, pas assez souvent, car idem (mais pas grave, les infirmières feront les pansements d’escarres, les produits de soins seront payés par la sécu), les chutes liées au manque de surveillance possible (toujours par manque de personnel), avec donc les fractures du col du fémur allant avec, la perte d’autonomie plus rapide, etc….tout ceci étant un (tout) petit échantillon des possibilités offertes par une gestion dégradée.
Que penser aussi des bricolages comptables sur le temps de présence obligatoire qu’Orpea a fait, avec le quota en temps de présence de médecins coordinateurs? On légitime clairement de la prise en charge au rabais.
On ne parlera pas des bricolages contractuels concernant le nombre de soignants. Sur ce point-là je ne leur jetterai pas la pierre: s’il n’y en a pas assez, c’est difficile d’en avoir plus. Par contre leur façon de les traiter, de les rémunérer, ne donne pas envie d’y aller. Le peu que j’y ai travaillé, le directeur, arrivé après moi, au bout de deux mois de présence, m’avait confié clairement son but de taper sur les anciennes et syndiquées. Je crois que ma réticence à suivre son "orientation" avait pesé dans sa velléité à vouloir me tomber dessus qui m’a fait fuir. Clairement c’était potentiellement fort violent. Et les anciennes et syndiquées, avec tout mes biais de professionnels, que j’assume, étaient les personnes sur qui je pouvais le plus compter au travail, car elles avaient un truc que la direction n’avait pas: l’expérience du soin au quotidien aux résidents et la connaissance du terrain et de l’outil de travail. Je comptais beaucoup sur elles.
Donc éthique de côté, pourquoi pas. Pour analyser à froid des bilans comptables, soit.
Mais quand il s’agit d’une activité concernant directement la prise en charge du soin à l’autre, donc au bien-être physique et psychique d’êtres humains sensibles, clairement il est impossible de contourner les questions éthiques, et l’actualité Orpea pointe clairement cette problématique. On peut ne pas vouloir s’emmerder avec cela, mon expérience de terrain qui est aussi mon biais (assumé), me fait penser que faire fi de ce point, c’est s’exposer à voir revenir par la fenètre les problèmes qu’on fait partir par la porte.
Cela dit, j’ai effectivement des scrupules moraux, qui me mènent à ne pas être capable d’investir ni dans l’armement, ni dans le tabac, ni dans les pharmaceutiques (dont je pense que l’approche voulant de la rentabilité crée beaucoup de problématiques dans l’approvisionnement en médicaments dans nombres d’établissements, qui se trouvent en rupture régulières de stocks des médicaments considérés non rentables, de plus en plus), ni dans les boîtes dont le management pense plus à ses profits qu’au bien-être de ses salariés. Mon portefeuille ne s’en porte pas mal du tout d’ailleurs. Je persiste à croire qu’on peut être éthique et gagnant à l’être, mais je conçois que ma vision ne soit pas à la mode du tout.
Après concernant le (non-)alignement des intérêts de la direction avec celui des employés, effectivement on est loin d’être sur un modèle où le management partage ses intérêts avec ses employés. Et c’est fort dommage en fait. Ca pourrait faire aller beaucoup mieux ce genre d’établissement.
D’ailleurs, je viens de voir que de nombreuses grèves sont en cours aujourd’hui dans plusieurs établissements. On se demandera pourquoi!
Et Orpea vient de se découvrir une vocation en ouvrant des candidatures à son comité éthique. Si c’est pareil que le pseudo-syndicat qui avait été créé pour squeezer la CGT, on va faire de la cosm-éthique, probablement.
Si on parle d’argent public, je réitère mes questions sur l’absence de vision, de prévention, de repérage des dysfonctionnements, alors que légalement ont fleuri nombre d’instances de contrôles, de commissions ad hoc, sur tous les tableaux, financiers, sanitaires…Vous trouvez normal que malgré cela, personne n’ait jamais rien vu, et qu’il faille qu’un journaliste fasse pèter le scandale au grand jour par un ouvrage pour que d’un coup on découvre qu’il faille règler certains problèmes?
On a un nombre incroyable d’organismes de contrôle, mais rien, nada, nitz, alors qu’en fait la situation est incroyablement frauduleuse et catastrophique depuis des années! Le tout pour un coût conséquent.
Alors c’est peut-être mon biais, mais ayant travaillé en 2004 chez Orpea, travaillant depuis 1997 (et donc insider du système de santé depuis 1994), je peux vous assurer, puisqu’ayant été mobile tout au long de ma carrière, rien des conditions de travail ne se sont améliorées structurellement. Nulle part. Les mêmes problématiques perdurent, elles sont juste noyéees sous des flots croissants de procédures administratives de contrôles destinées à montrer qu’on fait semblant de bien travailler, sachant que le temps passé devant l’ordi pour coter ses actes, c’est du temps en moins face aux patients, et que cette charge administrative augmente en temps sans moyen alloué en plus. Le turn over des soignants et des résidents permet que rien ne change, au final, les uns et les autres finissant toujours par partir, les problématiques elles, restant.
Et ayant travaillé en Suisse, pays où l’on donne les moyens de faire ce que l’on dit, je peux effectivement avoir pu voir ce qu’était un système de soin qui fonctionne. En France, on n’a pas les moyens de faire ce que l’on dit, mais on doit faire semblant pour maintenir le mythe et l’image de notre prestige passé, du temps où l’on était censé être le meilleur système de santé du monde. Sauf que c’était avant.
Donc biais pour biais, ce que je vois c’est que mon intuition d’un modèle pourri, en 2005, s’est juste avérée vraie 18 ans après. J’aurais pu gagner de l’argent avec, mais je préfère largement en gagner autrement.
Et peut-être aussi que ce qu’on appelle biais, est aussi une expérience, et une vision d’éléments qu’un rapport comptable ne fera jamais apparaître.
Et cela ne retire rien mon opinion conclusive de mon dernier post, qu’acheter Orpea au vu du tableau entier de cette entreprise, c’est de la spéculation, et pas de l’investissement. A moins d’aimer la surprise de sensations fortes.
Acheter des actifs bradés quand la structure est pourrie partout autour, est-ce vraiment de l’investissement dans la valeur?