Bonsoir
Ne comprenant pas bien l’intérêt que nombre de personnes sur ce forum portait à la valeur SEARS, j’ai décidé il y a 2 jours de me plonger dans cette file de 20 pages (sans compter les PDF et autres articles) pour bien comprendre de quoi il retournait.
Je dois dire que je n’ai pas été déçu. C’est un cas très complexe, et intellectuellement parlant, très intéressant, qui amène à se poser beaucoup de questions. J’avais décidé de ne pas intervenir car je ne possède pas cette action et n’envisage pas d’en acquérir. Mais avec le recul, j’ai considéré que certains aspects importants de ce dossier n’avaient pas été traités. Et pour être honnête, la lecture de cette file m’a mis mal à l’aise, et même choqué quelquefois.
Au préalable, je dois dire que bien que n’ayant pas le dossier complet je suppose remis aux membres du club IF justifiant l’investissement sur cette action, je pense avoir compris les raisons qui ont motivées cette décision. A mon avis, c’est une analyse financière de qualité qui a été réalisée par l’IF, et les chiffres avancés me paraissent cohérents.
Mais je diverge sur les conclusions, et aussi sur la philosophie sous-jacente.
Premièrement, on ne retrouve dans cette file aucun des messages habituels échangés par les actionnaires qui suivent une valeur, à savoir jusqu’à quand va monter le cours, ou que penser de la baisse d’hier, ou quand tombe le dividende, etc…. Non. On ne parle, rarement, du cours que pour constater qu’il baisse. Quant aux dividendes, il n’y en a pas. Macabre.
Deuxièmement, je suis choqué de la froideur avec laquelle on parle de la valeur des actifs, de l’immobilier, de la marge de sécurité, des péripéties financières. A-t-on oublié qu’il s’agit d’une entreprise de plus de 200.000 personnes ? Y aurait-il le même détachement s’il s’agissait d’une entreprise française au bord d’un méga dépôt de bilan ? Si personnellement vous connaissiez certains salariés ?
Troisièmement. Je ne vois pas en quoi il s’agit d’un investissement dans la valeur selon la philosophie de Benjamin Graham, contrairement à ce qui est affirmé une fois ou deux.
Dans les années 30, suite à la crise de 29, il devait y avoir des cadavres et des morts-vivants dans tous les placards. C’est pour aider les investisseurs à bien choisir les entreprises capables de se développer avec succès que Graham publie. On s’assure que l’entreprise a la capacité de repartir sur de bonnes bases, et pour limiter les risques d’erreur, on achète quand le cours est inférieur à la valeur des actifs (je simplifie). C’est ce qu’a fait Buffett avec Berkshire Hathaway, qu’il a redressé, même s’il n’a pas réussi autant qu’il le souhaitait.
Lampert fait-il la même chose ?
Pour en avoir le cœur net, j’ai donc commencé par étudier le CA de Sears (chiffres issus du FT). Il est en baisse depuis 5 ans. Bon, c’est difficile de redresser un tel mastodonte.
Je regarde la marge brute sur le cost of sale. Surprise. Elle baisse elle aussi. 27,64 % en 2010, puis 27,33 %, 25,81 %, 26,46 %, et enfin 24,35 % en 2014. Mine de rien, de 27,64 % à 24,35 %, c’est un manque à gagner de 1190 millions de $ pour 2014. Manifestement, la capacité de négociation de Sears avec ses fournisseurs se détériore. Si Lampert s’attelait à relancer l’entreprise, l’un de ces deux chiffres au moins devrait s’améliorer. Or ce n’est pas le cas. Je ne vois pas comment on peut redresser un groupe de distribution si la marge brute sur le cost of sale ne s’améliore pas. C’est la condition sine qua non.
En regardant mieux le groupe, on note qu’il recèle à priori deux sources de profits. D’abord de l’immobilier enregistré dans les comptes pour une valeur comptable inférieure au prix de vente probable sur le marché actuel, et d’autres part des activités qui pourraient être réorganisées, restructurées, filialisées, puis cédées, avec ou sans l’immobilier, mais surtout avec le personnel. C’est l’impression que me donnent les opérations réalisées. Et la plateforme online relève à mon avis de cette stratégie. Après tout, même les mastodontes du net ont besoin de nouvelles activités pour se développer, et de dépôts régionaux.
La baisse du cours peut aussi favoriser l’émergence de propositions pour des rachats d’activité. Rien n’indique qu’il ne plongera pas davantage.
Pour moi, Lampert est simplement un pur financier en train de réorganiser le groupe pour le revendre par appartement avec de substantielles plus values à la clef. Mais il a besoin de temps, car son principal problème, c’est le personnel. D’accord pour devenir le plus grand financier de ce nouveau siècle, mais pas le plus grand fossoyeur d’emplois des Etats Unis. A priori, je ne crois pas à la liquidation, ce n’est pas son intérêt, du moins tant qu’il génère assez de cash dans les filiales pour maintenir l’ensemble à flot, continuer à filialiser, sans sacrifier toutefois ses marges de sécurité.
Sa démarche est parfaitement cohérente, à mon avis définie dès le début, et je la comprends car redresser un moribond de cette taille est probablement trop dur, trop consommateur de capital, et peut-être même qu’il est trop tard pour y parvenir. Il n’est ni le premier ni le dernier à mettre en œuvre une telle stratégie. Mais c’est celle d’un prédateur, pas d’un investisseur dans la valeur.
Et là, je coince.
Moi aussi je veux gagner en bourse, percevoir des dividendes, mais je ne souhaite pas que mes réussites boursières soient fondées sur des enterrements, même de première classe, d’entreprises, où qu’elles se trouvent. Pour reprendre un slogan à la mode, « Not in my name ». Je suis peiné quand je lis le choix de certains de shorter Sears. C’est clairement jouer la liquidation le plus vite possible, sans laisser à Lampert le temps de filialiser d’autres activités, et donc au final sacrifier le personnel non recasé.
J’espère que Lampert aura suffisamment de cash et de temps pour réussir.
Quatrièmement. Scénario extrême, peu probable mais qu’il faut quand même envisager, la liquidation. Qu’adviendra-t-il des actionnaires français avec leurs paquets de quelques centaines ou milliers de titres ? Quand et comment recouvriront-ils leurs mises ? Quand l’immobilier sera vendu ? A coup sûr, ce sont des années de galère.
En conclusion, personnellement, je n’aurais pas recommandé cette valeur à l’achat.
Parce que :
a) Je n’achète pas tant que le cours baisse,
b) C’est davantage le démembrement d’un groupe qu’un réel investissement dans la valeur,
c) Trop de risques pour de petits actionnaires français, en particulier si liquidation.
Ayant réalisé une analyse approfondie de l’offre de conseils boursiers en France, je peux affirmer que l’offre de conseils de L’Investisseur Français est sérieuse et de qualité. Et c’est loin d’être la norme. Indéniablement il y a du talent dans cette équipe et ils iront loin. Sears est un cas extrême. Je leur souhaite de prendre ce cas comme une expérience enrichissante sur le plan des relations humaines, à disséquer à tête reposée, même s’il y a eu quelques accrochages par ci par là.
Durun