5 #51 20/11/2017 01h53
- Scipion8
- Membre (2017)
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Quelques éléments de réflexion :
1) Les politiques d’assouplissement quantitatif (QE) ont effectivement un impact positif sur les valorisations des actions, par des effets directs et indirects :
- baisse du taux sans risque
- baisse des primes de risque
- effets d’éviction des actifs "sans risque" (obligations d’Etat) achetés massivement par les banques centrales, vers les actifs risqués (actions notamment)
2) On peut essayer d’évaluer certains de ces effets, notamment l’effet de la baisse du taux sans risque sur les prix des actions. Par exemple en partant de la formule de Gordon (c’est l’équivalent de la formule des cash-flows actualisés, en faisant l’hypothèse d’une croissance des dividendes à taux constant):
P = D(+1) / (r-g)
avec : P = prix de l’action, D(+1) = dividende de la prochaine période, r = taux de return requis par l’investisseur, g = croissance attendue des dividendes
Le QE fait baisser r (ou le coût pondéré du capital dans l’approche des cash-flows actualisés), tout d’abord par la baisse de sa composante "sans risque", et ensuite par l’effet indirect de compression des primes de risque.
En faisant l’hypothèse de fondamentaux inchangés des entreprises (mêmes dividendes, même croissance), le QE multiplie les valorisations des actions par un facteur = (r avant QE - g) / (r avec QE - g).
Un exemple quantitatif pour illustrer la puissance de cet effet : si le QE fait passer r de 10% à 7% (par exemple baisse du taux sans risque de 4% à 1%) et si g reste constant à 5%, les valorisations des actions sont multipliées par un facteur de (10%-5%) / (7%-5%) = 2.5 !
La croissance des marchés actions (surtout aux USA) ces dernières années s’est essentiellement faite par une hausse des multiples de valorisation - beaucoup plus que par une hausse des résultats. A mon sens, le QE a grandement participé à la hausse des multiples de valorisation.
3) Un marché actions dans un contexte de QE est particulièrement sensible à 2 risques :
- les hypothèses de croissance à long-terme : le taux d’actualisation des cash-flows étant très bas, la "valeur terminale" d’une action dans l’approche des cash-flows actualisés (c’est-à-dire la valeur des cash-flows sur la période de long-terme, dépassant l’horizon normal de prévision, disons 5 ans) pèse beaucoup plus dans la valorisation. En conséquence, la moindre remise en cause de la croissance à long-terme (g dans les calculs ci-dessus) a un fort impact sur les valorisations. Pour reprendre mon exemple ci-dessus, si g passe de 5% à 3%, le prix de l’action baisse de 30%.
- la continuité du QE : toute remise en cause du QE fait baisser les valorisations, particulièrement si le QE est arrêté brutalement. C’est pourquoi la Fed comme la BCE sont très prudentes et graduelles dans leurs ajustements du QE. Néanmoins les banques centrales n’hésiteront pas à mettre fin au QE et à accélérer la réduction de leurs bilans si elles perçoivent un risque inflationniste.
4) Nous vivons dans un monde à QE différencié, ce qui doit avoir une implication sur l’allocation géographique d’un portefeuille actions : la Fed, la BCE, la BoJ sont à des stades différents de leur politiques d’assouplissement quantitatif. Cela devrait se traduire par des niveaux de valorisation différents des marchés actions, et des flux importants entre ces marchés actions lors des changements importants annoncés par les banques centrales sur le QE. Donc un risque de change important, à prendre en compte pour un portefeuille actions géographiquement diversifié.
5) Il y a un précédent d’une politique d’assouplissement quantitatif menée sur très longue période : le Japon. La BoJ intervient même directement sur le marché actions, en achetant des REITs.
Qu’observe-t-on sur longue période sur le marché actions japonais ? Une certaine volatilité, une sensibilité aux annonces de la BoJ, une performance plutôt médiocre sur longue période si on la compare aux autres grands marchés actions. Cela suggère, à mon sens, que l’effet de "boost" du QE sur un marché actions ne garantit ni des valorisations constamment élevées, ni une bonne performance sur le long terme - plutôt même l’inverse.
Le climat économique qui justifie une politique de QE n’est en effet pas propice pour les marchés actions en général : croissance anémique, risque déflationniste. Des taux d’intérêt trop bas sont aussi pénalisants pour le secteur financier - une composante essentielle des marchés actions.
6) Le CAPE (PER ajusté des variations cycliques) développé par Shiller a l’avantage de lisser les effets des variations de l’inflation sur les marchés actions. A mon sens, ça reste une des mesures les plus fiables pour savoir si un marché est sur-valorisé ou non, et on ne doit pas ignorer cet indicateur sur le simple fait du QE.
Au final, personnellement je considère les valorisations des marchés US (notamment) élevées (sur la base notamment du CAPE), ce qui les expose fortement à une accélération de la réduction du bilan de la Fed en cas de risque inflationniste et à une remise en cause de l’hypothèse dominante d’une forte croissance dans le secteur technologique (qui n’est peut-être pas soutenable, à mon sens). Donc je continue à préférer les marchés actions européens, et des secteurs à faible beta.
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