Bonjour Assetum,
Merci pour votre question intéressante et un peu provocatrice.
L’investissement - Divergence prix / valeur
De mon point de vue (c’est à dire celui d’un investisseur actions valeur faisant du stock-picking), l’investissement consiste à identifier une divergence prix / valeur à l’avantage de l’investisseur.
Pour être caricatural, quand vous achetez un ETF, vous achetez certes un actif à un prix mais calculez-vous la valeur de ce que vous achetez ?
Il ne suffit pas d’acheter toutes les compagnies du monde entier, qui sont grosses, stables, fiables, et qui se regroupent sans aucune difficulté dans un fonds indiciel liquide, très peu coûteux, générique, comme vous l’écriviez. Il faut que le prix de ce que vous achetez soit (très) inférieur à sa valeur. Vous pouvez surpayer un diamant. Vous pouvez également sous-payer un vulgaire bout de bois. Si vous multipliez les opérations d’achat/vente de diamants surcotés (qui ont objectivement une valeur plus élevée que de vulgaires bouts de bois), votre patrimoine va se réduire. Si, à l’inverse, vous multipliez les opérations d’achat/vente de vulgaires bouts de bois sous-cotés, votre patrimoine va croître.
En conclusion, acheter un bien intrinsèquement de qualité n’est pas la garantie d’un bon investissement car l’acheteur peut acquérir ce bien à un prix très supérieur à sa valeur objective, certes élevée.
Bien entendu, il est théoriquement possible d’estimer une valeur d’un ETF (en estimant la valeur de chacune des entreprises constituant cet ETF et en utilisant la même pondération que celle utilisée pour leur prix dans l’indice pour ensuite calculer une divergance prix / valeur). Mais quel investisseur individuel en ETF calcule une estimation de cette valeur en pratique ?
Assetum a écrit :
Les fonds indiciels fonctionnent, cela se sait, et cela est confirmé jour après jour à travers leur domination sur les flux globaux.
Raisonnons à nouveau du point de vue de la divergence prix / valeur pour réfuter cette assertion. En admettant que l’investissement en ETF devienne de plus en plus populaire (ce que je ne discute pas), mécaniquement, les flux de capitaux arrosant ces actions feraient monter leur prix, à valeur constante. Il viendrait donc un moment (peut-être déjà survenu) où le prix serait supérieur à la valeur et où il ne serait plus pertinent d’investir. Si tout le monde achète selon la même approche, la divergence prix / valeur se résorbe et in fine se retourne au désavantage de l’investisseur. Donc, je me méfierais des arguments "ça fonctionne", "cette méthode domine les flux globaux", etc… non pas que je doute des performances passées mais que je m’interroge sur les performances futures pour les raisons évoquées.
Stock picking
Faire du stock picking permet potentiellement d’effectuer ce calcul de divergence prix / valeur sur base d’actions individuelles. Le stock picking me semble également permettre d’accéder à des entreprises qui passent sous le radar des investisseurs institutionnels.
De mon point de vue, faire du stock picking n’empêche pas non plus une saine diversification:
1/ du risque du point de vue du money management
2/ sectorielle, géographique, etc…
Big caps
Comme je l’ai montré plus haut, acheter une entreprise rassurante (Big cap dont le nom est connu et qui a une forte valeur intrinsèque) n’est pas gage d’un bon investissement (syndrome du diamant surpayé). Par ailleurs, les Big caps ont également leurs inconvénients:
1/ La concurrence sur ce marché est plus féroce que sur celui des smalls/mids, pour lesquelles l’investisseur est confronté à d’autres investisseurs individuels.
2/ En admettant que la valeur d’une entreprise est directement proportionnelle à sa taille (ce qui est faux mais permet de faire émerger un problème des Big caps), laquelle de ces entreprises aura-t-elle la probabilité la plus élevée de doubler de taille/valeur ? Une small/mid ou une Big cap ?
3/ Plus faible adaptabilité des Big caps. On ne manœuvre pas une frégate comme un paquebot.
Fonds monétaires
Je vous rejoins sur le fait qu’un fond monétaire n’est généralement pas une alternative pertinente. Quand des particuliers non avertis achètent des fonds monétaires, ils ont l’impression de se prémunir contre une perte en capital, ce qui peut être faux, du fait de l’inflation. Par ailleurs, le coût d’opportunité par rapport à d’autres supports d’investissement dont l’espérance mathématique est supérieure peut s’avérer dramatique.
Cela dit, pour l’investisseur averti, créer une poche de liquidité quand les marchés sont à des niveaux élevés dans l’optique d’acheter pendant les soldes (i.e. pendant un krach, quand les prix sont bas) ne me semble pas une aberration bien que cette approche s’apparente à du market timing, qui est controversé.
Gérants de fonds
Je vous rejoins sur le fait que, de manière générale, en moyenne, les gérants de fonds sous-performent par rapport à l’indice de référence. Ils doivent faire face à des contraintes qui ne sont pas celles de l’investisseur individuel (univers d’investissement réduit du fait de la profondeur de marché et des contraintes réglementaires ou spécifiques au fond, sorties de capitaux des clients en période de krach et afflux de capitaux en période euphorique). Par ailleurs, l’intérêt du gérant n’est pas nécessairement aligné à celui de l’actionnaire. De plus, pour l’investisseur dans un fond, il y a des coûts (droits d’entrée, rémunération à la performance, etc…).
Cela dit, il existe des gérants objectivement excellents. Par exemple, j’ai été frappé de retrouver de manière récurrente plusieurs fonds au capital des entreprises dont j’étais actionnaire (Bestinver du temps de Francisco Garcia Paramés, Financière de l’échiquier, Amiral Gestion). Si je souhaitais opter pour une approche "lazy" (sans connotation négative), dans l’optique de déléguer les décisions d’investissement à un tiers, je regarderais du côté des fonds qui sont au capital des entreprises dont je suis moi-même actionnaire.
Si vous appréciez Warren Buffett et pensez qu’il peut battre le marché, pourquoi ne pas acheter Berkshire Hathaway plutôt qu’un ETF / Yomoni, pour pousser votre raisonnement jusqu’au bout ?
Enfin, les investisseurs individuels ont un univers d’investissement beaucoup plus large que celui des investisseurs institutionnels. Je ne pense pas qu’il soit possible de conclure que la sous-performance des gérants professionnels devrait invalider la pertinence potentielle d’un investissement en titres vifs par un investisseur individuel. Je pense qu’un investisseur individuel doit comprendre grosso modo ce dans quoi il investit, d’un point de vue financier, et prendre une marge de sécurité pour se prémunir du risque. Et le stock-picking permet justement cela, en particulier, plutôt que de faire aveuglément confiance à un professionnel (investissement dans un fond), en n’effectuant pas soi-même le cœur du travail de l’investisseur en le déléguant à un tiers, ou en "investissant" dans un ETF sans calculer sa valeur.
Yomoni
Je ne pense pas qu’une personne de votre groupe 1 ait nécessairement intérêt à passer chez Yomoni ou à acheter un ETF. Tout dépend de sa capacité à identifier des divergences prix / valeur et à supporter psychologiquement la volatilité. Hors problématique de volatilité, j’aurais pour ma part tendance à dire qu’une personne investissant son argent en fond monétaire a intérêt à acheter un ETF en creux de krach mais je pense précisément qu’en moyenne, ces personnes auront tendance à acheter après plusieurs années de hausse (maintenant) plutôt qu’après 18 mois de baisse (début 2009), par exemple.
Immobilier
L’immobilier me semble pour ma part avoir des avantages que vous n’avez pas soulevés: l’effet de levier direct qu’il est possible d’obtenir dans des conditions de crédit avantageuses d’une part et, d’autre part, le niveau de levier raisonnable qu’il est possible d’obtenir sur ce support, plus élevé que sur les actions (un levier x 1.25 me semble être le maximum acceptable pour des actions alors qu’un levier x 2 me semble tout à fait possible pour de l’immobilier résidentiel locatif physique acheté dans de bonnes conditions).
De mon côté, l’immobilier me semble complémentaire à l’investissement en actions et non opposé, du fait du levier du crédit. Il ne me semble donc pas nécessairement pertinent de dire qu’une personne qui fait de l’immobilier aurait intérêt à prendre un ETF ou un compte Yomoni à la place car c’est un peu comparer une poire à une citrouille, même si je préfère intrinsèquement à titre personnel l’investissement en actions à l’investissement immobilier.
Conclusions
J’espère avoir donné un autre éclairage montrant que l’investissement direct en titres vifs n’est pas nécessairement l’aberration que vous semblez y voir et qu’elle peut être pertinente, au-delà des questions d’ego ou de casino, à commencer par la possibilité d’identifier et de constater par soi-même des divergences prix / valeur, au cœur de la problématique de l’investissement, quel que soit le support (fond, ETF, titres vifs et d’ailleurs immobilier), qui me semble-t-il est le point déterminant qui vous a échappé pour répondre à votre question initiale. Bien sûr, cela nécessite un travail de fond. Plusieurs membres du forum ont des stratégies de stock-picking diversifiées de smalls / mids qui n’ont pas une performance si mauvaise. À confirmer dans la durée.
Par ailleurs, je ne suis pas convaincu qu’un ETF soit actuellement la meilleure approche pour l’investisseur débutant. Peut-être vaut-il mieux opter pour un fond en euros et attendre un creux de krach pour déployer son capital et l’investir en actions à ce moment-là, ce qui permet de démarrer dans de bonnes conditions. Mais cela ne signifie bien entendu pas que j’entrevois un krach imminent (si le niveau des marchés me semble élevé, j’y trouve encore des opportunités et les taux d’intérêt sont bas).
Il me semble que le meilleur moyen de transférer de l’argent dans le futur dans une optique d’investissement est d’acheter deux euros pour un euro. Mais la méthode que vous proposez ne se place pas dans cette optique même si elle n’est pas nécessairement en contradiction avec cette idée, par exemple si le prix des ETF est inférieur à leur valeur, ce qui reste à prouver (en tous cas, ce n’est pas nécessairement le cas à tout moment).
Bien entendu, il ne s’agit que de mon opinion personnelle sur la question, que je ne prétends pas a priori meilleure qu’une autre et que je ne souhaite imposer à personne.
Cordialement,
Vauban
Dernière modification par vauban (04/03/2018 21h17)