Bon, Anne et Berthe ou Albert et Blandine ou Amélie et Bernard sont mariés sous le régime de la séparation de biens. Donc, pour continuer la tradition que vous avez lancée, j’appellerai un conjoint par n’importe quel prénom commençant par A, et l’autre par n’importe quel prénom commençant par B.
Ils ont par ailleurs acheté en indivision des biens locatifs et leur résidence principale. On va supposer que les indivisions sont à 50/50, puisque vous n’avez pas indiqué les taux effectifs. Si ce n’est pas le cas, il faudra corriger avec les taux réels.
Supposons que les biens locatifs ont été vendus pour 300 k€ et que la RP vaut 320 k€.
Dans un mariage en séparation de biens, le mariage n’a quasiment aucun impact sur le patrimoine. Certes, si, un peu, en allant dans le détail, mais dans les grandes lignes, non. Donc, c’est une erreur de lier les deux.
Donc, ces questions de RP et de biens locatifs en indivision sont avant tout une question d’INDIVISION.
Or, on peut être en indivision pour plein de raisons :
- indivision volontaire, comme c’est le cas ici. C’est très probablement l’acte authentique d’acquisition des biens qui créait et précisait cette indivision. Cette indivision peut être entre personnes non mariées et non apparentées, par exemple trois collègues de travail qui veulent investir ensemble dans l’immobilier locatif !
- indivision subie : c’est le cas des divorcés après un mariage en communauté, des héritiers, des associés d’une société en liquidation. Il y a toujours une phase où ces gens sont en indivision, avant le partage. Par exemple, une SCI de 3 associés possédant un immeuble. Pour une raison X, les 3 associés en ont marre de la SCI, ils voudraient être propriétaires indivis, ils trouvent que ça serait plus simple. Facile : il suffit de procéder à la liquidation volontaire de la SCI, et ils seront propriétaires indivis de l’immeuble, automatiquement.
Donc, à mon sens, c’est une erreur de raisonnement de lier le partage de l’indivision et le divorce. Ce sont deux sujets différents.
Donc, mon analyse :
I) Les biens locatifs.
Deux personnes ont vendu les biens locatifs qu’ils possédaient en indivision. Le notaire qui a tout viré sur un seul compte mérite des baffes. Ce qu’il aurait du faire : "ah, oui, séparation de biens, donc amenez chacun votre RIB d’un compte PERSONNEL et je virerai à chacun la quote-part, selon les taux de l’indivision". Sous -entendu : "que vous vous entendiez bien ou non, que votre ciel soit bleu ou gris, ce n’est pas mon problème de notaire. Mon problème de notaire, c’est de respecter le contrat de mariage d’une part, et l’application des taux d’indivision d’autre part. Le reste ne me regarde pas".
Puisque la somme a été virée sur le compte d’Anne, Anne doit à Berthe la moitié de cette somme. C’est très clairement une créance entre époux. Et, en fait, le mariage n’a aucun impact sur ce raisonnement. Si Anne et Berthe étaient de simple amies, la question serait identique.
II) La RP
Deux personnes possèdent ensemble un bien immobilier qui est une résidence principale. Bernard l’occupe seul. Là aussi, le cas est hyper classique.
Par exemple, un frère et une soeur ont hérité d’une maison de campagne en indivision.
2 a) Frère y va souvent pour les week-ends et les vacances. Soeur n’y va jamais. Soeur serait tentée de demander un loyer ou autre dédommagement. Sauf que Frère n’y est pas en permanence, donc il n’empêche pas Soeur d’exercer son droit concurrent (expression très importante) d’y aller aussi. Dans ce cas, Frère ne doit rien du tout (à la rigueur, les charges liées à son occupation saisonnière).
2 b) Frère y établit sa résidence principale. Il fait alors, bien évidemment, obstacle à Soeur d’y habiter. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, il doit payer un loyer à l’indivision et il doit prendre en charge les charges courantes (comme des charges locatives).
2c) dans le cas des époux, il y a le fait que c’est leur résidence principale, leur domicile conjugal. Ils y ont habité ensemble pendant des décennies. Le fait que Bernard y habite ne fait donc absolument pas obstacle au fait que Amélie y habite, comme ils ont toujours fait.
Donc, l’analyse de l’avocat sur le "loyer dû" me semble très douteuse. Rien n’empêche Amélie d’y habiter encore. C’était son choix d’aller ailleurs. En plus, en ne laissant quasiment aucune preuve qu’elle n’y habite plus (puisque c’est sa résidence officielle à tous points de vue et qu’elle y revient même de temps en temps), elle a fortement affaibli son cas. A mon sens, cette histoire de loyer ne tient pas la route, puisque 2c1) rien n’empêche Amélie d’habiter le domicile conjugal 2c2) elle n’a jamais officialisé son départ du domicile conjugal. Du coup, l’analyse de l’abandon de domicile conjugal ne tient guère non plus. A mon sens, il vaut mieux résoudre cette affaire à l’amiable (que les deux conjoints se mettent d’accord pour que Bernard rachète les parts d’Amélie sur la maison, puis continue à y habiter seul) plutôt que de "judiciariser" la question en parlant de loyer dû à l’indivision ou d’abandon de domicile conjugal, alors que l’argumentation en faveur de ces deux sujets est bien fragile voire inconsistante.
Patrimoine total hors produit mobilier (insignifiant dans les faits): 520 k€, soit 260 k€ par tête.
Arrêtez d’écrire des trucs pareils. C’est une abomination. Vous raisonnez une fois de plus comme s’il y avait une communauté, une masse totale à partager.
Or, les biens locatifs ont déjà été vendus, donc l’indivision a été partagée. Donc chaque co-indivisaire devrait avoir reçu sa moitié de ces biens locatifs. Le fait que ça n’ait pas été fait à cause d’un notaire distrait, cela a entraîné une créance entre époux.
Alors que la RP n’a pas été vendue. Donc le droit de chaque époux sur cette RP est indivis. Il n’y a pas à dire "moitié chacun" ou autre chose équivalente. Tant que le partage n’a pas été fait, ils ont chacun un droit d’une moitié de cette RP, mais sans que ça corresponde à des euros ou des m². Tant que le partage n’a pas été effectué, il est fondamentalement érroné de faire un partage virtuel.
Voilà pourquoi c’est une abomination : vous réunissez dans la même réflexion un ensemble de patrimoine, alors que cet ensemble n’existe pas. Il n’y a pas d’ensemble, puisqu’il y a séparation de biens. Il y a le patrimoine de Anne d’un côté, et le patrimoine de Berthe de l’autre. Il y a d’une part des biens déjà vendus, pour lesquels le partage a déjà été fait, donc une somme qui a déjà rejoint le patrimoine privé de chacun des conjoints (enfin, surtout l’un, mais ça c’est à cause de l’erreur du notaire) ; et un bien indivis, donc pas encore vendu, donc pour lequel le partage n’a pas été fait, et pour lequel il n’y donc pas à calculer tant d’euros chacun.
Pour sortir de là :
I) du strict point de vue patrimonial :
Biens locatifs : Anne doit la moitié des sous des biens locatifs. Il faudrait qu’elle les paie à Berthe.
RP : C’est une indivision. Si Anne veut des sous correspondant à sa part, elle dit à Berthe : "je voudrais que nous provoquions le partage". Premier solution : vendre la RP. Deuxième solution : Berthe rachète les parts d’Anne.
Si les deux sommes sont assez proches, la solution est simple. On passe chez un notaire, qui constate :
- Anne doit 150 k€ à Berthe suite à la vente des biens locatifs.
- Berthe veut racheter à Anne sa part de la maison commune. Ca tombe bien, ça vaut 160 k€, à peine plus.
Moyennant un peu de paperasse, quelques délais et quelques frais :
- Berthe devrait payer 10 000 € à Anne (en plus des 150 k€ appartenant à Berthe et qui sont déjà sur le compte de Anne) et sera pleinement propriétaire de la RP. Elle poussera un grand ouf d’être enfin pleinement chez elle.
- Anne aura 10000 € de plus. Sauf qu’au lieu d’avoir, à tort, l’intégralité des 300 k€ résultant de la vente des biens locatifs, elle aura sa moitié de la vente des biens locatifs, à savoir 150 k€, et la valeur des parts de la RP rachetées par Berthe, à savoir 160 k€. Il n’y aura que 10 k€ de différence avec la situation précédente, mais la différence, c’elle qu’elle sera en droit de les avoir, qu’elle ne devra plus rien. Tout sera à nouveau clair et carré.
2) Du point de vue vie conjugale :
Divorce, ou bien rester marié avec séparation de corps (pour garder notamment la possibilité de pension de réversion). C’est possible et sans doute souhaitable, mais ça ne doit pas venir polluer la réflexion sur la sortie de l’indivision.
Alain et Blandine peuvent très bien sortir de l’indivision sans modifier en rien leur régime conjugal.
Alain et Blandine peuvent aussi sortir de l’indivision et dans le même temps modifier leur régime conjugal en divorçant ou en se séparant de corps.
Les deux options sont possibles, et c’est pourquoi il ne faut pas les conditionner l’une à l’autre, car ça empêche de raisonner clairement.
C’est une analyse qui est encore un peu à grosses mailles, mais c’est parce que les erreurs et incompréhensions actuelles sont vraiment à grosses mailles aussi !
Pour affiner et résoudre : allez chez un notaire compétent qui prend la peine de faire les choses comme il faut.
Dernière modification par Bernard2K (29/07/2020 08h13)