Je profite de ce sujet un peu éloigné de l’investissement financier et bien plus proche de mon domaine professionnel pour donner un avis personnel sur ce type de test.
Dans le cadre de ma thèse (pharmacie/biologie) j’ai eu l’occasion de me familiariser avec ce genre de nouvelles techniques d’analyse moléculaire. Tout d’abord sur le type précis d’analyse que propose cette entreprise, à savoir le "whole genome sequencing", attention ! Certes c’est génial car on analyse TOUT le génome, mais cela est-il bien nécessaire ?
Sur le fond je suis personnellement impressionné par cette technique, aboutissement ultime d’une longue famille qui a permis d’aller identifier une unique base et maintenant les 6 milliards que compte notre ADN. De plus cette technique a été mise au point pour répondre à un problème scientifique bien réel : que se passe-t-il dans les parties de notre génome qui ne sont pas utilisés pour fabriquer des protéines (sachant que c’est le but premier de notre ADN) ? En effet la partie de notre ADN qui sert de support d’information, autrement dit les gènes, ne représente qu’une petite fraction faible de notre génome, et pour être parfaitement précis, la fraction de notre ADN qui va être finalement transcrite et traduite en protéines, ce qu’on appelle l’exome, est ridicule (le site de VeritasGenetics indique 1,5% et je pense qu’ils sont dans le vrai).
D’un point de vue scientifique il est donc intéressant d’aller voir au-delà car on trouve des séquences de régulation des gènes (d’une importance capitale), des restes de séquences parasites endormies (transmises par les virus notamment), des zones dont le rôle est purement mécanique (lors de la réplication cellulaire, elles peuvent servir d’ancre pour déplacer les chromosomes, etc.).
Mais pour le rentier soucieux de son bien-être, je pense personnellement que le "whole genome" n’apporte rien par rapport au "whole exome", et ce pour deux raisons.
La première c’est que, comme pour beaucoup de gènes encore aujourd’hui, on ne sait pas grand chose de ces séquences non géniques, tant sur leurs fonctions que sur leur rôle éventuel dans la physiologie et la pathologie. En gros on aime bien raconter depuis le premier séquençage du génome humain qu’on connait la génétique, mais la réalité est qu’on peut identifier et lire les séquences, mais pas forcément en tirer une information. Pour faire une métaphore, la médecine en génétique connait l’alphabet, commence à savoir lire, mais n’a pas de dictionnaire.
L’autre raison de ce manque de plus-value médicale, c’est que des tests plus limités permettent de répondre à ces nombreuses questions de façon précise et exhaustive. Par exemple les dépistages présentés sur la page d’accueil sont faisables par une simple analyse du gène en question si on veut se limiter à ça (dans le cadre héréditaire), et le "whole exome" sera aussi informatif que le "whole genome" si on veut une analyse globale puisqu’il s’agit toujours de mutations dans un gène.
En conclusion sur ce test phare de "whole genome", je pense qu’il essaye d’attirer le client avec leur technique tip-top trop bien, mais au final pour peu ou aucun avantage en termes d’interprétation clinique. Résultat on paye sans doute plus cher que pour une technique aussi informative, bien que je salue la performance de proposer ce genre de test à ce prix, étant dans le domaine je connais les coûts engagés dans le matériel et la R&D en amont. Seule consolation, ils constituent peut-être des bases de connaissance qui seront partagées avec les scientifiques pour améliorer les connaissances et rendre ces tests utiles, mais on est face à une entreprise privée américaine alors…
En ce qui concerne les autres tests proposés là aussi le prisme de la santé "made in USA" déforme un peu l’intérêt des choses :
- myPrenatal recherche les anomalies dites cytogénétiques, soit des anomalies au niveau des chromosomes, genre de test qu’on peut demander dans le cadre d’une grossesse naturelle ou assistée en France. La technique ici est d’ailleurs ancestrale, on regarde les chromosomes au microscope !
- myCarrier recherche les éventuels facteurs de risque génétiques des parents avant une grossesse, et ici aussi on le fait déjà en France, je pense même qu’il est systématiquement proposé dans certains cas (antécédents familiaux et origine ethnique à risque élevé).
- myBRCA et HiRisk sont peut-être les tests les plus connus car il existe aujourd’hui dans des cas limités à certains cancers, des facteurs de risque génétiques bien établis scientifiquement et pertinents (on ne parle pas de 1% de risque supplémentaire mais parfois de 50% de risque de développer un cancer, cf. Angelina Jolie). Ici c’est le prix qui est le facteur le plus souvent décrié (car limitant l’accès), mais finalement le risque de "sur-traiter" est aussi un problème pour la médecine moderne (car on augmente les couts de traitement). Cependant ce genre de débat n’est pas nouveau, le dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA et les ablations chez des jeunes hommes qui se retrouvent impuissants, ça laisse songeur quand on voit la mortalité de l’adénocarcinome prostatique et l’âge moyen auquel il tue.
- myNewborn ne m’inspire rien, je ne sais pas trop ce qu’ils peuvent rechercher qu’on n’aurait pas vu avec les tests précédents chez un bébé bien portant, mais on est aux USA alors tout est possible.
Là où je suis le plus critique face à ce type de démarche, c’est probablement sur les interprétations qui sont faites en dehors de tout contexte de dépistage : toute la partie "vivez plus longtemps et en meilleure santé" explique qu’on va vous détailler des traits génétiques déterminants mais je trouve qu’il s’agit un peu d’une forme de bonaventure. Certes certains paramètres contrôlés par une mutation unique d’un gène clairement identifié peuvent se manifester de manière flagrante, mais souvent l’utilité de ce savoir est mince, et je pense que le séquençage ne fera que confirmer ce que la personne a déjà observé d’elle-même. Et quand bien même le paramètre serait utile, la génétique ne fait pas tout : une chinoise citadine de 25 ans pourrait avoir une ménopause prévue génétiquement à 50 ans, avec les perturbateurs endocriniens qu’elle mange/boit/respire, elle l’aura peut-être à 35… Finalement ce "service", qui sera sûrement attractif pour le riche soucieux de savoir s’il est de bonne lignée, est ce qui fait souvent tourner ce genre de boite, mais niveau intérêt en santé publique, est proche de 0.
Mais tout n’est pas à jeter dans ce type de test, et la démarche générale de sensibiliser le public à se connaître au plus profond est louable, notamment pour ce qui est d’ajuster les traitements médicamenteux (ce qu’on appelle la pharmacogénétique). Un nombre incroyable de médicaments pourraient bénéficier de ces adaptations, avec au final un meilleur effet et moins d’effets indésirables (l’exemple des statines cité par VeritasGenetics est d’ailleurs parfait, cette famille ayant une mauvaise image à cause des effets secondaires). Cette démarche sera sans doute courante dans un avenir plus ou moins proche et c’est une bonne chose pour le pharmacien que je suis.
Pour les dépistages de cancers, je suis plus prudent, car la démarche proposée ici, à savoir la recherche des facteurs de risque peut amener à prendre des mesures drastiques qui n’ont potentiellement pas lieu d’être. Il y a encore trop de variables qu’on doit préciser : quels gènes sont importants, quel pourcentage de risque ils confèrent… Et puis il y a toujours la roulette, une personne avec les pires facteurs de risque ne développera pas le cancer, quand une qui traite son corps comme un temple en mourra à 25 ans. Finalement je pense qu’une bonne alternative qui se développe rapidement est celle des tests de recherche de cellules cancéreuses dans le sang. Ils sont très simples, encore assez couteux, mais leur efficacité les rendra sans doute très intéressants dans quelques années. Certes il faut déjà avoir un cancer débutant mais au moins on le prend à temps, ce qui n’a pas de prix en termes de chances de guérison, et on n’agit pas sans savoir.
Pour conclure ce pavé (félicitations à ceux qui ont tenu bon), je dirai personnellement que la médecine préventive a fait des bonds de géant grâce à la génétique, mais qu’il faut encore être critique vis-à-vis des tests proposés, les généticiens sont loin d’avoir toutes les réponses. Je pense que la France propose un bon niveau de dépistage et continue à innover par sa recherche pour proposer des dépisages adaptés au plus grand nombre. Après, libre à chacun de compléter en fonction de son envie de savoir et de ses moyens, car même si les coûts ont diminué, on est loin d’une consultation chez le généraliste.
Sur ce portez-vous bien !