Bonjour,
Un peu de lecture pour votre dimanche
Comme convenu avec certains que ça intéresse, je vais essayer de décrire les cercles vicieux dont je parlais.
Avant cela je pense qu’il faut évoquer un certain nombre de préalables, revenir sur le contexte légal qui a amené à la situation actuelle.
Nous sommes également dans un contexte particulier tel que nous l’avons évoqué partiellement avec Mevo sur les changements de paradigme.
De nombreuses disruptions se combinent en ce moment :
- La génération des millennials, n’a rien à voir avec les générations précédentes (baby-boomer, X et Y), leurs attentes sont bien différentes
- Un climat de dégagisme de tout ce qui a trait au passé
- Grande défiance des modèles actuels
- Fake-news et réseaux sociaux
- Digitalisation et importance de la data
- Sujets environnementaux (plastique etc)
- Recherche de nouveaux modes d’achats/consommation
- Baisse constante du budget alimentaire voir déconsommation
- Retour au naturel / bio / vegan / sans (sucre/sel/graisse/gluten/conservateurs/colorants/arômes/huile de palme etc)
- Éternelle contradiction entre qualité et prix, ce que les consommateurs disent vouloir et ce qu’ils font réellement
- Sur-information et extrême transparence via Yuka & co
- Food bashing et émissions à charge
- Volonté d’avoir plus de produits frais et/ou local/français
- Baisse de part de marché des hypermarchés et augmentations de la proximité
- Déflation
- Alliances aux achats + centrales internationales
- Crainte autour du e-commerce et des GAFA ou même d’Ali-Baba et autres plateformes de ce type
L’environnement légal autour de la distribution et par extension ensuite aux relations avec les fournisseurs.
Ces législations n’ont eu que 2 buts au fil du temps, maintenir le pouvoir d’achat des français et protéger le petit commerce
- 1958 Ouverture du 1er supermarché, concept du tout sous le même toit.
- 1960 Circulaire Fontanet => interdiction des pratiques commerciales restreignant la concurrence : Interdiction du refus de vente, des prix imposés et des pratiques discriminatoires telle qu’entrave à la concurrence.
Les prémices de la GD se battent contre les détaillants traditionnels et c’est le début de leur déclin.
- 1963 Invention et ouverture du 1er hypermarché.
- 1973 Loi Royer dites « anti-Leclerc » => autorisation administrative obligatoire pour toute ouverture de +1000m² : elle visait à protéger le commerce indépendant et les PME en limitant les ouvertures.
En réalité cette loi a eu pour effet pervers de réduire la concurrence.
- 1996 Loi Galland/Raffarin => Objectif d’avoir un prix facturé identique, d’équilibrer les relations, limiter la vente à perte, l’impossibilité de réintégrer les marges arrières et limiter les ouvertures de +300m².
En résultat cela à donner des PVC identiques, la baisse des marges avant (voir zéro), augmentation des tarifs pour payer les larges arrières, concentration de 20 à 7 GD, augmentation des MDD + offres Eco + Hard Discount et augmentation des nouveaux instruments promotionnels ou NIP (cagnottage, offres fédératives, lots virtuels, bons d’achat ticket, cartes de fidélisation) ; ‘est à partir de ce moment-là que les baisses techniques tarifaires que j’évoquais ont commencé.
- 2000 Invention et ouverture du 1er Drive par Auchan, le vrai développement se fera 10 ans après
- 2004 Décret Sarkozy => Objectif de faire baisser les PVC de 2% sur 5000 produits : les prix ont baissé en réalité de 3.6%
- 2006-2007 Loi Dutreil => Objectif baisse de 5% des PVC, possibilité de réintégrer les marges arrières dans les prix en gardant 20% en 2006 et 15% en 2007, instauration des CGV + différentiation tarifaire + coopération commerciale + services distincts et des pratiques abusives
En résultat cela à augmenter la concurrence entre enseignes, baisse du résultat des magasins, l’augmentation des marges arrières et la mise en place des pénalités.
- 2008 Loi Chatel pour le développement de la concurrence au service des consommateurs => Objectif clair de faire baisser les prix du fait de la crise et de partir sur un cercle vertueux (ou virtuel on se pose la question) baisse des prix - hausse du pouvoir d’achat - hausse de la consommation: Intégration de toutes les marges dans le PVC.
Résultat, il n’y a plus de marge "garantie", le PVC est décidé par le distributeur, la rentabilité des marques nationales baisse.
- 2008 LME dites "Loi Leclerc" et soufflé par la commission Attali => Objectif de relancer la concurrence: Intégration de toutes les marges et services dans les PVC, plafonnement des délais de paiement à 60 jours, liberté de négocier les prix avec comme but de supprimer le système des marges arrières, les CGV deviennent négociables, un renforcement d’un contrat unique, les ouvertures de magasins sont de nouveau plus facilement permises. La collaboration contient les CPV, la coopération commerciale, les services distincts et les NIP (j’y reviendrai plus bas).
- 2014 Loi Hamon / 2016 Loi Macron et Sapin II => renforcement des conditions de contractualisation ou changement sur les CGV, rétroactivité, intangibilité du prix convenu, clause de révision, pluriannualité etc pas fondamental et complètent les précédentes lois.
- 2018 EGALIM => Objectif de mettre fin à la guerre des prix en plus de l’aspect nutrition, environnemental etc: les 3 mesures principal sont l’obligation du relèvement du SRP (Seuil de Revente à Perte) de 10% (qui correspond au coût moyen de distribution), remises promotionnels maxi à 34%, le volume sous promo ne doit pas dépasser 25%.
De nombreuses jurisprudence ont également court suite à de nombreux jugements contre les distributeurs (et ce n’est jamais un fournisseur qu’il l’a attaqué).
On le voit, il s’agit d’une véritable surenchère législative évoluant au gré des humeurs et des tendances politiques selon que l’on veut favoriser le pouvoir d’achat ou l’emploi, l’industrie ou le commerce, les multinationales ou les PME.
Autant la loi Galland a permis à la distribution d’avoir de grosses marges arrières et de s’enrichir, autant la LME a été le parfait contraire en permettant aux distributeurs d’investir dans les PVC le moindre centime capté aux fournisseurs pour se positionner dans la guerre des prix en se mettant eux-mêmes dans une fâcheuse situation en se positionnant au SRP voir en dessous. Un 1er cercle vicieux se mets en place en réclamant toujours plus aux fournisseurs dont de la déflation, 10 à 15% en 5 ans selon les catégories, pour nourrir cette guerre des prix.
Côté fournisseurs et notamment industriels
La libéralisation du travail des femmes dans les années 60-70 a vraiment été un élément déclencheur d’expansion forte. Il suffit de regarder les vielles pubs pour voir à quel point les produits "services" ont vu le jour pour que la femme moderne puisse à la fois travailler mais aussi s’occuper de sa famille et notamment l’alimentation (auparavant fait quasiment uniquement de produits frais, donc peu de place pour les produits packagés).
Les produits à longue conservation voient le jour avec les conservateurs, colorants, arômes etc pour rendre les produits beaux avec le merchandising et rendre encore plus de service à la mère de famille.
La consommation de masse est née.
L’industrialisation du process a amené des dérives qu’on connait et entre autres les scandales sanitaires et/ou nutritionnels ou tromperie ou (…)-washing. Sur les 1ères parties, les législations ont pas mal nettoyé tout ça et aujourd’hui on mange sans doute bien moins de cochonneries que nous (génération X) en avons manger (type veau aux hormones etc)
Des cartels dans l’univers des PGC ont été assez nombreux, jambons, farine, endive, croquette, saumon, lessive, banane, yaourt etc
Aujourd’hui les industriels n’ont pas vu venir aussi rapidement les changements que je décrivais plus haut et l’outil industriel a du retard pour répondre aux besoins et attentes d’une nouvelle demande alimentaire ou seul le goût/prix ne suffit plus, il faut les valeurs de responsabilités sociales autour qui d’ailleurs viennent en contradiction avec la notion de prix bas et/ou de faire ses courses 1 fois/semaine par ex.
Là aussi il y a une certaine concentration mondiale de certains grands groupes, vous connaissez sans doute cette infographie où on voit des centaines de marques appartenant à 5-6 entreprises, mais il faut savoir que ces entreprises (les 100 premières si j’ai bonne mémoire) n’ont que moins de 2% de part de marché de l’alimentation mondiale, c’est pour cette raison qu’elles se disent qu’elles ont encore un potentiel de malade d’où les forts investissements dans les émergents.
Comment se constitue un contrat/un prix final: la descente tarifaire et les conditions
Comme indiqué plus haut la collaboration contient 4 éléments, les 3 1ers faisant partie du contrat unique:
- Les CPV =>Remises souvent inconditionnelle qui doivent avoir des contreparties, elles peuvent soit servir à déterminer le tarif facturé, soit promotionnel, soit progressive et dans ce cas, conditionnel et hors facture , réglé par avoir. Aujourd’hui la majorité des contrats on la plus grosse partie ici.
- La coopération commerciale => Tout ce qui est lié à la revente des produits, les TG, les tracts etc chaque service doit être indiqué dans l’accord. Le distributeur doit démontrer la réalisation de la condition et émettre une facture.
- Les services distincts nommé dorénavant autres obligations => Tout ce qui favorisent la relation commerciale, les statistiques, référencement etc. Idem sur la preuve que ci-dessus.
- Les NIP => Ce sont les avantages consommateurs comme les cartes fidélités mais surtout le financement de la promo. Cette partie se fait via des contrats de mandat donnant lieu à facturation de la part du distributeur. Ce poste a été une vraie dérive de la LME avec des 100% remboursés, des BOGOF, c’est pour cette raison que cela a été encadré dans la nouvelle loi EGALIM.
Officiellement on parle de 5 net, 5 déductions appliquées au tarif brut de base.
Net 1 => Tarif - CGV (remises souvent logistiques pour nombre de palettes etc)
Net 2 => Net 1 - remises et conditions sur factures (souvent CPV)
Net 3 => Net 2 - remises et conditions différés et coopération commerciale
Net 4 => Net 3 - NIP (coûts promo)
Net 5 => Net 4 - accords internationaux
Net 6 officieux => Net 5 - pénalités logistiques
Les effets néfastes
La quête constante du prix bas (pousser par les pouvoirs publics) peut se résumer de manière simpliste, que cela tire tout ce qu’il y a autour vers le bas et finalement assez destructeurs pour chaque acteur de la chaîne de valeur, producteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs.
Pour résumer :
- La déflation apporte une perte de masse de valeur pour les entreprises puisque ce n’est pas compensé par des volumes ( la taille du gâteau n’a pas changé).
- Perte de repère complet du prix « normal » d’un produit (promos embrouillant tout en plus) et incohérence (1L de lait bio moins cher que 1L « conventionnel »
- Impact sur la qualité des produits
- Impact sur les employés de cette chaîne (pression, qualité de travail etc.)
- Impact sur l’emploi et le tissu économique local et pas uniquement l’alimentaire
Le cercle vicieux principal est lui aussi « simple » :
=> Baisse des marges voir négatives
=> Chasse extrêmes des coûts (ZBB & Cie)
=> Moins bonne rémunération des producteurs (dont agriculteurs)
=> Moindre qualité gustative/nutritionnelle/environnementale
=> Approvisionnements hors de France
=> Des fermetures d’usines/externalisations/ délocalisations/faillites
=> Des désinvestissements pour la France
=> Report de pression sur les catégories non-alimentaires et rebelote sur d’autre secteurs
Kabal, serenitis et carignan99 ont déjà évoqués en partie ces éléments.
Nous l’avons vu, c’est un fait et je ne fais que constater (dans le sens, je ne fais pas une analyse de dingo), mais les distributeurs obligeant les fournisseurs (qui devrait apprendre à dire "non", pour faire plaisir à Mevo:)) à vendre moins cher et obtenir des meilleures conditions ont pour effet de compresser les marges.
Les distributeurs en recherche de croissance en panne et dans leur course effrénée de guerre des prix d’après 2008, réintègrent quasi tout ce qu’il touche dans les prix, leurs marges s’en retrouvent fortement érodées et dans de nombreux cas ne respectent pas les contreparties ou sont disproportionnées.
Les pratiques sont également très discutables, comme des demandes de compensation de marges. « Mon concurrent a vendu à tel prix, je ne sais pas le faire, j’ai dû m’aligner, voici la facture ». S’il y a refus total, le distributeur ne se gênera pas et se déduira directement de ses paiements de marchandises, donc après pour récupérer, cela peut prendre plusieurs années. De même les pressions lors des négos avec du déréférencement de 60% de l’assortiment par ex. La partie litiges et pénalités est devenue un vrai poste de marge, donc il y a des pratiques visant à faire plus de pénalités, le moindre carton manquant, la moindre minute de retard etc.
A aujourd’hui, les indépendants (Leclerc, Intermarché- qui pour la petite histoire est une scission du 1er- et Système U) s’en sortent bien mieux que les intégrés (Carrefour, Casino et Auchan) qui ont compressé leurs coûts d’abord par des plans en interne (licenciement) puis en commençant à vendre des activités secondaires ou autres).
Le hard discount est dans une situation convenable car les prix ne sont pas tirés auprès des fournisseurs mais surtout du fait du modèle « frugal ».
Les centrales d’achats locales, internationales ou avec d’autres distributeurs ont été créés à cet effet afin d’être plus gros pour mettre plus de pression sur les fournisseurs. La concentration locale s’est faite il y a plus d’une dizaine d’années et dorénavant fort peu possible (il y a le cas du refus de fusion Sainsbury’s et Asda).
La guerre des prix se fait souvent autours des grandes marques et non pas des MDD, cela a pour conséquence de vendre ses grandes marques au SRP et donc de mettre une grosse pression sur les PME ou producteurs de produits frais.
Les distributeurs cherchant les consommateurs là où ils sont, ils font leur marché dans les centres villes en implantant des magasins de proximité, mettant au tapis les derniers commerces traditionnels. Le nombre d’épiciers indépendants est en chute libre.
Il en est de même avec le Drive ou les magasins dédiés (type bio…) mais aussi la diversification e-commerce comme l’a fait Carrefour en rachetant Rue Du Commerce, Greenweez, Croquetteland, Quitoque.
En revanche, la vraie livraison à domicile (avec achat sur le net) n’a pas trouvé son modèle avec des échecs et une faible part de marché.
Les fournisseurs du coup entreprennent des stratégies qui n’ont aucun but consommateur :
- En créant des produits bidons
- Des innovations faibles (voire pas d’inno)
- Des hausses de tarifs disproportionnées et décorélées des coûts matières pour avoir des contreparties à négocier. Hausse de 9% pour en rendre 8.95%
- Des « relancements » de produits dans le seul but de faire remonter le prix via un nouveau gencod qui va relancer le système pour 6 mois – 1 an
- Des changements de formats intempestifs avec des downsizing au même prix (cas Coca entres autres mais « tous » le font)
- Des matières premières moins qualitatives
Le consommateur croit faire un bon coup en achetant très bas mais il scie inconsciement la branche sur laquelle il est assis en mangeant de moins bonne qualité (potentiellement dangereux) en faisant perdre des emplois, en provoquant des fermetures/faillites et rendant la France moins attractive pour les grosses sociétés qui vont préférer investir ailleurs après avoir fait de nombreux PSE. On en revient d’ailleurs au modèle 3G qui a montré ses limites avec Kraft.
Dans cette histoire, toute la chaîne de valeur est co-responsable mais il est tout de même dingue de devoir légiférer pour « obliger » les distributeurs à faire au minimum 10% de marge !