@AleaJactaEst : L’"idéologie du QI" pose question à la fois sur le plan scientifique et sur le plan politique et moral. Vous relevez à raison les grandes imperfections des tests de QI, et le champ lexical assez nauséabond qui l’accompagne ("haut potentiel" : qu’est-ce que cela signifie sur les autres ?). Mais ce ne sont pas des points de détail. Ce sont des problèmes majeurs avec cette idéologie.
Sur le plan scientifique : La science, c’est comme l’honnêteté, c’est tout ou rien. Jusqu’à preuve (scientifique) du contraire, le QI appartient au champ de la pseudo-science.
Perso je n’ai rien contre les tests, de QI ou autre, c’est toujours amusant. Ce qui pose problème, c’est que sur la base de ces tests dont la portée scientifique, pour être poli, est très incertaine, on commence à coller des étiquettes sur des enfants ("haut potentiel", "zèbres" etc.), donc aussi par défaut des étiquettes (moins positives) sur les autres enfants. Et ce qui pose un problème plus grand encore, c’est que sur cette base très incertaine, on prenne des décisions pédagogiques très hasardeuses - comme l’éloignement de certains enfants d’un cursus scolaire normal.
Je comprends bien que toutes ces fariboles sur le QI alimentent à la fois un business juteux (consultations, tests, livres, éducation spécialisée etc.) et répondent à un désir narcissique de parents inquiets ("même cancre, mon enfant ne saurait être qu’exceptionnel, puisque je suis moi-même extraordinaire"), mais la réalité c’est que l’intelligence est le résultat d’une construction, d’un parcours éducatif, social, intellectuel.
L’une des expériences les plus célèbres est celle réalisée par le Hongrois Laszlo Polgar sur ses 3 filles, dont il a voulu faire des prodiges aux échecs. Le résultat a été atteint, elles ont fini 1e, 2e et 6e mondiales !
Wikipedia a écrit :
László Polgár (born 11 May 1946 in Gyöngyös), is a Hungarian chess teacher and educational psychologist. He is the father of the famous Polgár sisters: Zsuzsa, Zsófia, and Judit, whom he raised to be chess prodigies, with Judit and Zsuzsa becoming the best and second best female chess players in the world, respectively. Judit is widely considered to be the greatest female chess player ever as she is the only woman to have been ranked in the top 10 worldwide, while Susan became the Women’s World Chess Champion.
He has written well-known chess books such as Chess: 5334 Problems, Combinations, and Games and Reform Chess, a survey of chess variants. He is also considered a pioneer theorist in child-rearing, who believes "geniuses are made, not born". Polgár’s experiment with his daughters has been called "one of the most amazing experiments…in the history of human education." He has been "portrayed by his detractors as a Dr. Frankenstein" and viewed by his admirers as "a Houdini", noted Peter Maas in the Washington Post in 1992.
Polgár studied intelligence when he was a university student. He later recalled that "when I looked at the life stories of geniuses" during his student years, "I found the same thing….They all started at a very young age and studied intensively." He prepared for fatherhood prior to marriage, reported People Magazine in 1987, by studying the biographies of 400 great intellectuals, from Socrates to Einstein. He concluded that if he took the right approach to child-rearing, he could turn "any healthy newborn" into "a genius." In 1992, Polgár told the Washington Post: "A genius is not born but is educated and trained….When a child is born healthy, it is a potential genius."
In 1965 Polgár "conducted an epistolary courtship with a Ukrainian foreign language teacher named Klara." In his letters, he outlined the pedagogical project he had in mind. In reading those biographies, he had "identified a common theme—early and intensive specialization in a particular subject." Certain that "he could turn any healthy child into a prodigy," he "needed a wife willing to jump on board."
He and Klara married in the USSR, whereupon she moved to Hungary to be with him. They had three daughters together, whom Polgár home-schooled, primarily in chess but also in Esperanto, German, Russian, English, and high-level math. Polgár and his wife considered various possible subjects in which to drill their children, "including mathematics and foreign languages," but they settled on chess. "We could do the same thing with any subject, if you start early, spend lots of time and give great love to that one subject," Klara later explained. "But we chose chess. Chess is very objective and easy to measure." Susan described chess as having been her own choice: "Yes, he could have put us in any field, but it was I who chose chess as a four-year-old…. I liked the chessmen; they were toys for me."
The experiment began in 1970 "with a simple premise: that any child has the innate capacity to become a genius in any chosen field, as long as education starts before their third birthday and they begin to specialise at six." Polgár "battled Hungarian authorities for permission" to home-school the girls. (…)
Comme vous le notez, je ne suis certainement pas expert de ce sujet, mais mon expérience en matière pédagogique va dans le même sens. Bon élève, je me suis longtemps interrogé sur les raisons de l’imbécillité agressive des cours d’école (celle qui rend souvent pénible la vie scolaire à ceux qu’on accuse d’être "bûcheurs" ou "intellos") : déjà enfant, je notais que les comportements de mes camarades étaient très différents selon qu’ils étaient en groupe ou que je pouvais échanger calmement avec l’un d’eux, les yeux dans le yeux. (En d’autres termes, la pression sociale et le comportement de foule rendent souvent stupides des individus foncièrement gentils et intelligents - une observation qui est d’ailleurs aussi utile sur les marchés financiers…)
Pour en avoir le cœur net, pendant mes études et au début de ma vie professionnelle à Paris, j’ai fait pas mal de soutien scolaire au sein d’association caritatives. Même parmi les profils les plus compliqués (indiscipline, voire violence etc.), je n’ai jamais rencontré un enfant dont je puisse dire qu’il n’avait pas de "haut potentiel". Ce n’est pas de la démagogie, c’est la réalité objective, et ça a été une surprise pour moi à l’époque. Concrètement, je notais une énorme capacité d’absorption chez ces enfants, qui ne demandait qu’à être orientée et accompagnée (ce qui est malheureusement rarement le cas dans leur cercle familial, pour des raisons sociales ou culturelles). Par exemple des gamines de 9-10 ans qui parlaient un français très correct alors qu’elles venaient du bled, où elles ne parlaient qu’arabe, 1 an avant. Plus l’enfant est jeune, plus son intelligence est "plastique", elle peut être modelée facilement dans telle ou telle direction.
Fondamentalement, je ne crois pas en l’existence d’enfants "idiots". Je pense que n’importe quel enfant (en bonne santé) peut avoir un score > 130 à un test de QI, avec un entraînement approprié. C’est pourquoi cette idéologie du QI me semble à la fois scientifiquement douteuse et politiquement néfaste, car elle revient à identifier comme à "haut potentiel" des enfants qui, par leurs origines sociales, leur entourage familial, sont, plus que les autres, exposés à des sources d’éclairage intellectuel. Les inclinations et le caractère des enfants jouent sans doute aussi, mais là aussi c’est de l’acquis : pour un enfant des classes populaires, le plaisir de la lecture (par exemple) n’a rien d’évident - cela aussi s’apprend.
Sur le plan politique et moral, isoler ces profils des autres enfants me semble aussi indéfendable. C’est un appauvrissement, à la fois pour ces enfants supposément à "haut potentiel" qui se voient privés d’une scolarité normale, dans un environnement normal, et aussi pour la masse de ceux qui restent. La diversité est toujours une source d’apprentissage et d’enrichissement : enfant, on doit apprendre à cohabiter avec des enfants au profil différent - d’autres origines, d’autres classes sociales, et aussi, il le faut bien, des crétins (en tout cas quand ils sont en groupe). C’est une école de la tolérance. L’école ce n’est pas un champ de fleurs ou l’académie des bisounours, c’est une société en miniature - avec sa part de violence. J’y ai eu droit comme tout le monde, ça m’a fait les pieds, ça m’a appris à me défendre et à me préparer à la violence bien plus grande du monde des adultes. Cela fait aussi partie d’une éducation. De façon générale, je suis hostile à la scolarisation séparée des enfants handicapés pour la même raison : les enfants handicapés apprennent au côté des autres, et les autres apprennent au contact des enfants handicapés. (Evidemment, je sais bien que dans certains cas, une scolarisation séparée est parfois nécessaire.)
Fondamentalement, quand on commence à trier des enfants, à leur coller des étiquettes, on pose les germes dans leur esprit d’une condition "privilégiée", d’un exceptionnalisme. C’est mauvais pour eux, pour leur apprentissage de la vie en société, et pour tout le monde.
Par ailleurs, définir ces étiquettes sur la base d’une supposée "essence" - on voit sans peine derrière l’idéologie du QI poindre les idées d’hérédité - c’est simplement incompatible avec l’universalisme républicain, l’idée que nous avons tous, sans distinction d’origines ou de conditions sociales, le même potentiel. Les inégalités de parcours de vie sont suffisamment pénalisantes, on ne devrait pas y ajouter des distinctions de "potentiel" sur une base pseudo-scientifique.
Surtout, et pour finir, ces distinctions n’ont aucun sens quand on réfléchit à ce qu’est un être humain : ce potentiel immense - pas simplement dans l’intellect, mais aussi dans la créativité, dans l’amour, et aussi dans la destruction - c’est cela qui fait qu’un humain est humain. Chacun porte en soi l’ensemble des potentialités humaines (dans le bon et dans le mauvais) - et elles sont immenses. Vouloir y affecter un nombre est ridicule.
Dernière modification par Scipion8 (20/05/2020 21h51)