carpediem a écrit :
Dans mon cas personnel, c’est un très gros ras-le-bol professionnel qui m’a fait sauter le pas. Cela a commencé par le calcul du nombre d’années que je pourrai vivre avec mon capital et après avoir fait le calcul la décision a été prise. Dire que cela ne pas empêché de dormir quelques nuits serait faux.
Peut-être vous confonds-je avec un autre intervenant, mais n’aviez-vous pas adopté la formule :
(patrimoine accumulé) / (dépenses annuelles * 2) ? J’aurais cru qu’une telle approche particulièrement prudente aurait permis d’éviter le plus gros du stress.
J’ai repris une formation, j’exercerai peut-être un nouveau métier.
En tout cas, à presque un an jour pour jour d’avoir sauter le pas, je commence à m’ennuyer …
je dois être guéri.
C’est un autre aspect de la réflexion à mener sur soi. Je voulais à la limite en discuter dans une file à part, mais puisque vous le mentionnez… Oui, nos vies professionnelles nous occupent au minimum 35 heures par semaine, sans compter d’éventuelles heures supplémentaires et de probables temps de transports. Je pense que durant une vie active, la moitié du temps de veille est occupé par le boulot, la décompression des soucis du boulot, les migrations pendulaires et des temps semi-libres mais peu exploitables, comme les pauses déjeuner qui imposent là-encore des pertes de temps. Récupérer tout ce temps libre, au-delà d’une période initiale d’euphorie, peut entraîner l’ennui… On se retrouve confronté à la question : chic, je suis rentier… mais pourquoi faire ?.
Là où nous avons de la chance, c’est que beaucoup de gens arrivent chaque année dans la même situation, sans s’y être davantage préparé : les retraités. Je pense que l’observation de leurs comportements est riche d’enseignements. D’abord, il semble qu’il soit indispensable de conserver un lien social et une activité intellectuelle. Je ne suis pas certain qu’il n’y ait qu’une composante "âge" dans le déclin des facultés, conserver des stimulations doit jouer aussi et cela peut s’appliquer à celui qui saute le pas de la rente également. Pour ceux qui n’ont pas prévu une rente complètement passive (consommation progressive du capital placé sur des produits sans gestion comme les fonds en euros d’assurance-vie), je pense que le suivi économique fournit ces stimulations. L’investisseur qui s’est construit un portefeuille par stock-picking (ou bond-picking) a probablement un intérêt pour les affaires économiques et n’aura pas de mal à s’atteler à un suivi culturel.
Après… C’est plus compliqué. Le problème n’est pas nouveau : Sénèque, rentier qui ferait rêver l’immense majorité d’entre nous, vantait l’otium, qu’on traduit par oisiveté… pourtant il n’arrêtait pas d’avoir des activités. La différence principale, c’est déjà de ne pas être obligé, donc d’être libre, mais il disait que ça ne sert à rien si c’est pour se lancer dans une poursuite effrénée des plaisirs, et que l’oisiveté doit être consacrée à un travail socialement utile.
Ses écrits sont intéressants, même de nos jours, car finalement les problématiques n’ont pas réellement évolué. Si on regarde les retraités, que voit-on, hors des cas, qui se raréfient, de jeunes retraités très pauvres comme il y a pu y en avoir dans la génération précédente : on assiste au développement d’une offre de loisirs spécifiques à destination des seniors. Parce qu’ils ont besoin de s’occuper, ils se tournent vers la consommation de produits de confort, de vacances, etc. C’est particulièrement sensible en regardant les publicités autour de l’émission Des chiffres et des lettres Je pense que c’est le pendant contemporain de cette recherche effrénée des plaisirs dont parlais Sénèque.
C’est la "voix naturelle", qui semble la plus fréquente. En effet, si on regarde les calculateurs de retraites américains (l’idée m’est venue suite à un article du blog MMM) on constate quq’ils surestiment les besoins financiers. Pareillement, les gens sont matraqués ici en France de messages leur disant que leur niveau de vie va chuter à la retraite. S’il y a une partie de publicité dans le message (en général, diffusé par un gentil conseiller en gestion de patrimoine qui va proposer un gentil bien défiscalisant à louer pour compléter les revenus de notre futur retraité…), tout n’est pas faux. Les gens aux revenus les plus élevés connaîtront bien une chute sensible de leurs revenus à la retraite, mais comme ils n’auront plus les dépenses liées au travail et auront dépassé l’âge du pic de consommation des ménages, on pourrait penser que ce n’est pas un gros problème… Sauf qu’inactifs, l’ennui les menaces et leur propension à consommer des loisirs augmente. Surtout quand les liens familiaux se distendent et que s’occuper des petits-enfants n’est pas une activité réellement possible (façon XIXe siècle, où trois générations cohabitaient sous le même toit : ce changement n’est pas forcément une régression, hein). Résultat : les retraités ont besoin (où pensent avoir besoin), paradoxalement, d’un revenu discrétionnaire supérieur à ce qu’il était lors de leur période d’activité. Je pense que c’est également un des risques qui guette le rentier, surtout s’il ne s’est pas assuré dès le départ qu’il avait le bon état d’esprit pour réussir le parcours qu’il imagine.
Car s’il découvrait qu’il a finalement "besoin" de partir en WE tous les 4 matins, le rentier peut se retrouver confronté à l’ennui sans possibilité évidente d’en sortir, faute d’avoir prévu un budget correct. Il se retrouverait alors dans une situation bâtarde où il ne risque pas la ruine (admettons qu’il ait calculé correctement et que ses hypothèses économiques se réalisent) mais où il mène une vie qui finalement ne le satisfait guère… Là, Carpe Diem, au bout d’un an vous vous rendez compte que l’ennui pointe à l’horizon, mais votre situation est loin d’être défavorable : vous avez repris des études et la coupure a été courte : si jamais vous vouliez reprendre une activité, l’interruption est très facile à justifier sur un CV. En revanche, si le problème apparaît au bout de 6 à 7 ans chez un rentier déjà âgé, se réinsérer dans l’emploi, même comme passe-temps, risque d’être plus délicat.
Je pense que la problématique de l’activité à conserver doit être, tout comme celle de la crainte qu’elle cause, au coeur d’une réflexion très tôt dans le parcours vers la rente vu qu’elle conditionne le niveau de dépenses futures, donc le capital à obtenir. Là encore, c’est tout bénef pour ceux qui pourront résister aux sirènes des "besoins nouveaux" liés à l’oisiveté.
Il y a plusieurs pistes. Jacob du blog ERE annonce la couleur : il se choisit un loisir, et ambitionne d’y exceller, et y consacre tout son temps libre. C’est un bon moyen de s’occuper, que cela soit les arts martiaux ou la pratique de la cornemuse : il y a quantité de domaines où devenir excellent est chronophage plutôt que coûteux… Autant en profiter.
La solution de Sénèque (et de Cicéron, qui se définissait finalement comme oisif alors qu’on le dirait plutôt avocat de nos jours) c’est de s’engager dans la vie politique. Au sens large : engagement politique, mais également associatif, par exemple. Problème : ces activités peuvent imposer des déplacements coûteux et paradoxalement, le bénévolat a un donc un coût. Ce n’est pas seulement de son temps qu’on fait le don, c’est de la plupart des frais annexes qu’il entraîne si on veut s’investir beaucoup.
Heureusement, en France, pour peu que l’on habite une ville moyenne, la solution des études est une bonne troisième voie. C’est relativement statique, c’est quasiment gratuit (l’inscription en auditeur libre ne revient pas bien cher, moins cher qu’un abonnement de téléphone), c’est intellectuellement stimulant, et l’offre est généralement abondante. Sans compter que sans le stress de l’examen, la formation est beaucoup plus agréable. C’est à mon avis une très bonne solution à condition d’aimer ce type d’activité intellectuelle ; autant que les impôts payés durant la phase d’accumulation soient amortis par la consommation des services publics comme l’éducation durant la phase de rente, d’ailleurs
Sinon, il ne reste que la reprise d’une activité. Mais dans ce cas, on retombe sur le cas précédent : l’objectif devient non plus une vie de rente mais la constitution d’un matelas financier (comme dans le cas de la personne qui n’arrive pas à sauter le pas) augmenté du financement d’un congé sabbatique (qui est probablement la meilleure façon d’expérimenter la vie de rentier pour celui qui en a les moyens mais a un travail qu’il hésite à lâcher). Du coup, le patrimoine à accumuler change, et les efforts d’épargne changent également (toujours pour celui qui n’épargne pas par inclination personnelle et désintérêt pour la consommation à tout crin).