Bonsoir Este59014,
1) La valeur réelle de l’euro, vous pouvez l’estimer chaque jour quand vous allez faire des courses. Quand il y a érosion de la confiance dans une monnaie, la conséquence automatique est une inflation élevée. Le rôle des banques centrales (leur mandat, par la loi), c’est de maintenir la stabilité des prix, donc l’inflation à un niveau raisonnable, et si possible optimal pour l’économie (dans la zone euro, un niveau inférieur, mais proche, de 2%).
Pour l’euro autant que pour le dollar, observe-t-on :
- une inflation anormalement élevée ? non, absolument pas (au contraire, jusqu’à récemment dans la zone euro la crainte était plutôt la déflation, ce qui a justifié le QE)
- des anticipations de hausse de l’inflation, reflétées par le prix des obligations indexées sur l’inflation ? non, absolument pas
- des anticipations de hausse de l’inflation, reflétées par des sondages de consommateurs ? non, absolument pas
- une dépréciation importante contre des devises de pays dont les banques centrales n’ont pas engagé de QE ? non, absolument pas
Donc les histoires de perte de confiance dans les devises fiat ne reposent (pour l’instant - il ne faut jamais dire jamais) sur aucune observation réelle, hormis les délires de libertariens amateurs qui voient dans le QE la main des Illuminati ou autres puissances obscures (alors que le QE a évité aux USA comme en Europe la menace de la déflation, dont le Japon a souffert pendant 15 ans).
Pour comparer les niveaux de confiance dans une monnaie fiat d’un pays sérieux (pas le Venezuela ou le Zimbabwe, disons la zone euro) et une crypto (disons le bitcoin, puisqu’il paraît que c’est la plus solide), imaginons une situation théorique extrême : on dit à une personne qu’il souffre d’une maladie incurable foudroyante, qu’il va mourir dans la journée, et qu’il doit décider immédiatement de transmettre tout son patrimoine financier (uniquement du cash) à ses proches dans une seule devise : l’euro ou le bitcoin. Je soutiens qu’il n’y a pas une seule personne dans le monde qui choisirait le bitcoin (à moins qu’il ne déteste ses enfants…) : c’est bien l’euro (ou toute autre devise fiat "sérieuse") qui aurait la confiance de chacun (même le plus acharné fan de cryptos), car l’euro a toutes les caractéristiques d’une monnaie, et le bitcoin n’en a strictement aucune.
Quelles sont les propriétés nécessaires d’une monnaie ? Il y en 4 selon l’approche classique de Jevons (1875) :
a) moyen d’échange : le bitcoin n’est quasiment pas utilisé comme moyen d’échange pour des transactions réelles, alors que l’euro si décrié permet à M. et Mme Michu de faire chaque jour leurs courses sans devoir (trop) se plaindre des prix qui montent ;
b) unité de compte : la volatilité délirante du bitcoin et autres cryptos rend absolument impossible leur utilisation comme unité de compte ;
c) moyen de paiement différé : on accepte de prêter 100€ à 5% pour 1 an, et donc de recevoir 105€ dans un an, car on peut estimer la valeur réelle de ces 105€ dans 1 an, car une banque centrale a le mandat de préserver la valeur de l’euro ; ce n’est absolument pas le cas pour le bitcoin ;
d) réserve de valeur : là aussi, la volatilité extrême du bitcoin empêche de le considérer comme réserve de valeur ; en outre, comment ne pas voir tous les risques sur la valeur du bitcoin : émergence possible d’autres cryptos (privées ou officielles) avec une technologie supérieure, intervention du régulateur, risques de perte (20% du stock émis de bitcoin se sont évaporés depuis ses débuts), transmission difficile… Alors que tous ces risques sont à la fois limités et mesurables pour une devise fiat "sérieuse", et a fortiori pour l’or.
Donc le bitcoin ou les autres cryptos sont très loin d’avoir les caractéristiques d’une monnaie, alors que le dollar, l’euro ou les autres devises fiat sérieuses les ont. Il faut bien voir que la confiance dans les devises fiat est le résultat d’une très longue histoire monétaire, avec l’émergence de banques centrales indépendantes avec pour mandat exclusif la stabilité des prix. Le spectre de l’hyper-inflation n’a été vaincu, aux USA et en Europe, qu’au début des années 1980 (notamment par Paul Volcker, Chairman de la Fed), et les banques centrales n’ont cessé de consolider cet héritage.
Il est illusoire de penser qu’une "monnaie" imaginée par 2 geeks dans leur garage qui ont trop lu des articles très approximatifs sur le QE puisse rivaliser avec cette longue histoire des devises fiat. [Cela ne signifie pas que la technologie de la blockchain ne puisse pas être intéressante à l’avenir, dans un cadre organisé et régulé, par exemple pour des cryptos de banques centrales.]
2) La question de la réaction des cryptos en cas de krach boursier est intéressante. La fonction de réaction habituelle des investisseurs en cas de krach boursier est le flight to quality (ou flight to safety), donc un changement d’allocation vers des actifs perçus comme plus sûrs et (a priori) moins volatiles.
Franchement, au vu des risques entourant le bitcoin et autres cryptos (par exemple l’impossibilité de couper rapidement les positions en cas de chute des prix) et la volatilité extrême de leurs prix, il est difficilement imaginable qu’un krach boursier ait des conséquences positives pour les cryptos - qui me semblent être au point extrême des actifs les plus risqués (bien plus que des warrants ou autres produits optionnels avec leverage avec des sous-jacents boursiers).
A priori face à un krach boursier, les investisseurs préfèreront les actifs perçus comme moins risqués : les obligations souveraines seraient la réponse normale (mais il est vrai que le QE a abaissé leurs rendements à des niveaux extrêmes); à défaut, le cash, l’or, les marchés émergents. (Personnellement je parie sur ces 2 dernières classes d’actifs et j’envisage d’y allouer une partie de mon portefeuille, en vue d’une possible correction boursière.)
A mon sens, le seul scénario théorique qui verrait les cryptos éventuellement bénéficier d’une crise financière serait celui d’un effondrement généralisé du "système" : fin de l’indépendance des banques centrales, effondrement du système bancaire, arrivée au pouvoir de démagogues. Donc pas un simple krach boursier, mais une véritable crise politique, avec une remise en cause des institutions.
C’est la situation actuelle, par exemple, du Venezuela ou du Zimbabwe (en espérant des améliorations pour ce dernier pays avec les récents changements politiques) : si j’étais un riche Vénézuélien sans accointances avec le pouvoir local, il est probable que je m’intéresserais au bitcoin ou à l’ethereum. Mais on parle vraiment d’une situation extrême, et fort heureusement on en est très loin en Europe, quoi qu’on pense de nos responsables politiques et de nos banquiers centraux.
Désolé, je suis toujours trop bavard sur ces sujets.
Dernière modification par Scipion8 (17/01/2018 17h13)