Il n’est pas dans mes habitudes de c/c des articles lus ici ou là mais l’auteur de ce point de vue paru il y a quelques semaines dans un quotidien économique me le pardonnera bien !
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Amazon pratique la vente à perte. Il compense la non-rentabilité de cette activité par la location - juteuse, elle - d’espace sur le cloud. Ce faisant on laisse ce géant concurrencer de façon déloyale les enseignes classiques. A terme, ce sont les magasins qui disparaîtront en masse. Il est temps de réagir.
Alors que s’achève l’écriture d’un livre sur l’histoire des magasins Darty qui sera publié au mois de septembre 2018, il me semble nécessaire de publier sans attendre un extrait de sa postface.
Des challenges d’un nouveau genre se présentent à l’ensemble des acteurs du commerce, qu’ils soient petits ou grands, organisés ou non, artisanaux ou multinationaux. Je veux ici parler de la menace que représentent Amazon ainsi que l’arrivée du géant chinois Alibaba. Si aucune mesure n’est prise, le commerce classique que nous connaissons à travers ses installations physiques et ses magasins, déjà gravement atteint, risque d’être complètement dévasté.
Tirer la sonnette d’alarme
Pour tenir ces propos, je m’appuie sur les points de vue et les études menées par de nombreux économistes, professeurs en stratégie et autres experts qui nous alertent sur l’irréversibilité des dommages qui sont en train d’être causés. Au moment où j’écris ces lignes, j’apprends que le tiers des centres commerciaux américains est sur le point de fermer.
En France, ils commencent à être « mités », ce qui signifie que de nombreux locaux ne trouvent pas preneur. Les performances du commerce classique sont pour la plupart en décroissance. Nous devons donc nous attendre à ce que l’hécatombe qu’ont connue les libraires aux Etats-Unis, puis en Europe, devienne le sort commun de tous les acteurs du commerce. A l’image de la librairie, qui était l’activité initiale d’Amazon, tous les autres secteurs sont ou seront affectés par la pression concurrentielle sans précédent à laquelle il se livre. Je tiens à tirer la sonnette d’alarme, même s’il est peut-être déjà trop tard…
Monstre tentaculaire
On peut comprendre les vertus de la « destruction créatrice » énoncées par Joseph Schumpeter, dans le sens où celle-ci maintient des éléments de concurrence saine. Rappelons que la grande époque de l’ouverture des premiers hypermarchés n’a pas entraîné de situation de monopole, mais qu’au contraire elle a exacerbé la concurrence.
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Amazon est devenu un monstre tentaculaire qui s’approprie le chiffre d’affaires marginal des autres entreprises en rongeant leur bénéfice, ce qui conduira immanquablement à leur disparition. La pieuvre Amazon va s’infiltrer dans tous les secteurs, de l’alimentaire aux produits technologiques en passant par l’assurance et peut-être même les soins de santé, avec des ruses de prédateur qui visent à détruire toute concurrence.
Le dernier exemple en date est celui de la vidéo à la demande. Amazon est brutalement entré sur ce marché en offrant gratuitement ce service à ses abonnés Prime. Que reste-t-il à ses concurrents pour se défendre face à la gratuité ? Cet exemple est riche d’enseignements sur la stratégie commerciale agressive d’Amazon. Observez son logo : vous y découvrirez une flèche en forme de sourire qui va de A jusqu’à Z, signifiant par là qu’aucun domaine n’échappera à l’emprise de ce géant.
La vente de détail « subventionnée » par le cloud
Les mots de « dumping » et de « concurrence déloyale » s’appliquent-ils à cette situation ? Si vous consultez les comptes d’Amazon, vous constaterez que son activité de vente au détail n’est pas ou peu rentable, et ce, depuis sa création. Un état de fait qui conduirait normalement la société à changer de modèle économique ou à disparaître. Et nous arrivons ici au coeur du problème.
Il apparaît que l’activité de commerce de détail d’Amazon est subventionnée par une autre, beaucoup plus rentable, qui génère même d’énormes profits : la location d’espace sur le cloud par le biais d’Amazon Web Services (AWS). Une activité qui vient compenser les pertes de la vente au détail, et qui détruira purement et simplement tous ses concurrents. Car qui peut résister face à un commerçant qui travaille à perte ?
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Envisageons à présent l’avenir à moyen terme : souhaitons-nous échanger très provisoirement une baisse des prix pour le consommateur qui les adore, contre une modification définitive de notre style de vie ? Nous pourrons dire adieu à nos rues commerçantes et n’aurons plus d’autre choix que d’aller faire nos courses dans des ruelles virtuelles qui mèneront toutes à la « marketplace » d’Amazon. Il lui sera alors facile d’imposer sa loi, ses loyers et ses conditions, et tous les anciens ou nouveaux acteurs du commerce deviendront les vassaux du seigneur Amazon.
Quelles solutions peut-on envisager ? Doit-on exiger qu’une séparation soit imposée entre AWS avec sa position dominante et l’activité commerce d’Amazon, pour éviter que l’une puisse subventionner l’autre au détriment d’une concurrence saine et loyale ? Le commerce saura-t-il trouver les ressources nécessaires pour résister à ce rouleau compresseur ? Ou faudra-t-il attendre l’intervention des législateurs et des gouvernements pour prendre des mesures aussi bien réglementaires que fiscales ?
En m’appuyant sur mon long passé de commerçant traditionnel déjà bien lointain, je me contente du rôle de lanceur d’alerte. Il appartiendra aux jeunes ou nouveaux commerçants de trouver des réponses et des solutions. Existe-t-il des hommes politiques suffisamment courageux, les yeux ouverts sur le futur ?… J’ai confiance !
Bernard Darty est cofondateur de Darty
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Stan
Dernière modification par stanny (21/09/2018 13h45)