4 #1 26/10/2018 14h43
- Scipion8
- Membre (2017)
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Je crée cette file, en complément de celle dédiée aux effets des programmes d’assouplissement quantitatif (QE) sur les marchés, pour échanger sur l’actualité des banques centrales - bien sûr surtout la BCE et la Fed (les 2 plus influentes sur les marchés), mais d’autres éventuellement.
Hier a eu lieu la conférence de presse du Conseil des Gouverneurs de la BCE (pour les anglophones, on peut la suivre en direct ou la revoir sur le site internet de la BCE).
A chaque réunion du Conseil des Gouverneurs, 3 documents sont mis à disposition du public sur le site de la BCE :
1) un communiqué de presse sur les décisions de politique monétaire : rien d’inattendu cette fois-ci :
- les taux de la BCE restent à 0% (c’est le "taux directeur", auquel la BCE injecte chaque semaine de la liquidité dans le système bancaire, contre du collatéral éligible), 0,25% (c’est le taux de facilité de prêt marginal, auquel toute banque éligible peut emprunter auprès de l’Eurosystème chaque fin de journée, contre du collatéral éligible), et -0,40% (c’est le taux de la facilité de dépôt, auquel les banques sont "rémunérées" pour leur liquidité excédentaire, qu’elles doivent placer auprès de l’Eurosystème, chaque fin de journée : il est négatif donc actuellement la BCE fait payer aux banques leur liquidité excédentaire) ;
- ces taux devraient rester à ces niveaux au moins jusqu’à l’été 2019 (c’est ce que la BCE appelle la forward guidance, qui permet de rassurer les agents économiques sur l’évolution à venir du prix de la liquidité) ;
- le QE/APP (Asset Purchase Programme) devrait continuer jusqu’à fin décembre 2018 au rythme mensuel de 15 milliards nets (nets = achats - tombées d’échéance) ;
- ensuite "aussi longtemps que nécessaire", la BCE poursuivra une politique de réinvestissements des tombées (c’est-à-dire achats = tombées), il n’y aura donc pas de retrait de liquidité pendant cette période prolongée (c’est pour cela qu’il faut nuancer les messages alarmistes sur la fin du QE).
2) la déclaration introductive suit toujours la même structure : (i) décisions de politique monétaire (conventionnelle = les taux, et non-conventionnelle = le QE et autres mesures spéciales), (ii) jugement d’ensemble de la situation, (iii) analyse économique (PIB, inflation, risques), (iv) analyse monétaire (agrégats monétaires - c’est là qu’on voit que la BCE est une banque centrale "monétariste", qui analyse l’inflation comme un "phénomène monétaire", résultant de l’expansion de la masse monétaire), et (v) finances publiques et politiques structurelles (la BCE encourage les Etats, dont c’est la responsabilité).
Cette déclaration introductive est préparée avec soin par le Conseil des Gouverneurs, chaque mot compte car cette déclaration reflète le consensus des membres du Conseil (avec parfois des points de vue très variés !). En comparant d’une réunion à l’autre les changements dans les versions successives, on peut lire "entre les lignes" l’évolution du jugement de la BCE sur la situation économique.
Cette fois-ci, rien de bien spécial : l’inflation évolue en gros selon les anticipations de la BCE, donc la BCE ne change rien à son plan s’agissant des taux et du QE. La BCE ne se contente pas de regarder l’indice d’inflation IHCP/HICP (Harmonised Index of Consumer Prices), elle regarde aussi l’inflation sous-jacente (core inflation, sans les effets des prix des matières premières) et les anticipations d’inflation.
3) les réponses du Président de la BCE aux questions des journalistes (Q&A) : c’est à mon sens le document le plus intéressant parmi les 3 ; malheureusement il n’est disponible qu’en anglais (après la déclaration introductive). Le Q&A est d’autant plus intéressant que le Président est un bon communicant (ce qui est le cas, avec Draghi). Il fournit beaucoup d’informations et de nuances importantes, il permet de voir si la discussion au sein du Conseil a été compliquée ou non, et il donne la position de la BCE sur des sujets d’actualité.
Quelques extraits que je trouve intéressants cette fois-ci :
- S’agissant d’un accord entre la Commission européenne et l’Italie sur son budget : confiant, mais pas trop… :
Draghi a écrit :
I’m personally – and that’s a personal perception so take it for what it’s worth – I am confident that an agreement will be found. (…) I didn’t say very confident. I said confident.
- … et l’Italie va bien devoir s’ajuster, sauf à payer un lourd prix économique :
Draghi (à propos de l’Italie) a écrit :
Interest rates have come up and are coming up. That means the lending rates are going up still moderately, I should say, for households and for firms. It means that households will have to pay more for borrowing from banks and so do companies. Of course in the case of companies that finance, fund themselves issuing bonds, the pass-through from the capital markets to the bond market – to the corporate bond market – is obviously faster. For them, the increase in borrowing rates has been more marked and quicker. Now, all this likely means that it will have effects on credit and ultimately on growth and, by the way, on the very same space that is needed for fiscal expansion. In a sense, if the interest rates keep on going up, the room that is available to expand the budget gets smaller.
- sur la fin du QE, Draghi a bien noté les craintes exprimées par certains (un Président allemand se serait exprimé bien différemment !)
Draghi a écrit :
I see that there are lots of concerns – well, not lots; some concerns about APP maybe ending at the end of this year. Let me tell you one thing that I’ve said on and on and on: even if it were to end, monetary policy will remain very accommodative by the reinvestment, especially the reinvestment of the considerable stock of assets that we have in our balance sheet and our forward guidance about interest rates.
- une extension du QE en 2019 semble improbable :
Draghi a écrit :
We haven’t talked about any extensions.
- des opérations ciblées de très longue maturité d’injection de liquidité (TLTRO, Targeted Longer-Term Refinancing Operations) ne semblent pas impossibles en cas de besoin :
Draghi a écrit :
We do think that we still have tools in our toolbox that we can use, different contingencies. We have not discussed any one of them today. The TLTRO was raised by two speakers only but not in any detail, but this is just an example of how the toolbox is still quite rich in terms of monetary policy instruments.
- si un pays a un gros problème, le programme disponible reste l’OMT (Outright Monetary Transactions) - et non le QE - mais il est conditionnel à des engagements du pays (un programme avec l’ESM = MSE = Mécanisme de Stabilité Européen) et il ne vise pas à financer l’Etat en difficulté :
Draghi a écrit :
What is available for the ECB towards a specific country is OMT. The OMT, as you remember, is subject to having a programme with ESM and is also subject to the assessment by the Governing Council of the ECB that the undertaking of the OMT doesn’t prejudge the monetary policy for the whole of the euro area, but that’s what’s there. Our mandate, as I said before, is a mandate towards price stability, not towards financing governments’ deficits or adhering to a fiscal dominance situation.
Voilà ce que je retiens de la conférence de presse d’hier. Pour ceux qui veulent suivre de près la politique monétaire et les autres sujets de politique économique de l’UE, ces conférences de presse sont un must, à mon avis.
EDIT : J’oubliais : pas de mention de la correction boursière par Draghi (sauf une mention de la "financial market volatility"). Cela montre bien qu’une banque centrale comme la BCE a beaucoup plus de recul sur les fluctuations de la bourse (hors krach) que ne le pensent souvent les boursicoteurs. Et effectivement ce genre de fluctuations n’a pas de grand effet économique, qui change l’évaluation par la banque centrale de la situation économique.
Mots-clés : banque centrale, bce, boc, boj, fed, politique monétaire, snb
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