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4    #1 26/10/2018 14h43

Membre (2017)
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Je crée cette file, en complément de celle dédiée aux effets des programmes d’assouplissement quantitatif (QE) sur les marchés, pour échanger sur l’actualité des banques centrales - bien sûr surtout la BCE et la Fed (les 2 plus influentes sur les marchés), mais d’autres éventuellement.

Hier a eu lieu la conférence de presse du Conseil des Gouverneurs de la BCE (pour les anglophones, on peut la suivre en direct ou la revoir sur le site internet de la BCE).

A chaque réunion du Conseil des Gouverneurs, 3 documents sont mis à disposition du public sur le site de la BCE :

1) un communiqué de presse sur les décisions de politique monétaire : rien d’inattendu cette fois-ci :

- les taux de la BCE restent à 0% (c’est le "taux directeur", auquel la BCE injecte chaque semaine de la liquidité dans le système bancaire, contre du collatéral éligible), 0,25% (c’est le taux de facilité de prêt marginal, auquel toute banque éligible peut emprunter auprès de l’Eurosystème chaque fin de journée, contre du collatéral éligible), et -0,40% (c’est le taux de la facilité de dépôt, auquel les banques sont "rémunérées" pour leur liquidité excédentaire, qu’elles doivent placer auprès de l’Eurosystème, chaque fin de journée : il est négatif donc actuellement la BCE fait payer aux banques leur liquidité excédentaire) ;

- ces taux devraient rester à ces niveaux au moins jusqu’à l’été 2019 (c’est ce que la BCE appelle la forward guidance, qui permet de rassurer les agents économiques sur l’évolution à venir du prix de la liquidité) ;

- le QE/APP (Asset Purchase Programme) devrait continuer jusqu’à fin décembre 2018 au rythme mensuel de 15 milliards nets (nets = achats - tombées d’échéance) ;

- ensuite "aussi longtemps que nécessaire", la BCE poursuivra une politique de réinvestissements des tombées (c’est-à-dire achats = tombées), il n’y aura donc pas de retrait de liquidité pendant cette période prolongée (c’est pour cela qu’il faut nuancer les messages alarmistes sur la fin du QE).

2) la déclaration introductive suit toujours la même structure : (i) décisions de politique monétaire (conventionnelle = les taux, et non-conventionnelle = le QE et autres mesures spéciales), (ii) jugement d’ensemble de la situation, (iii) analyse économique (PIB, inflation, risques), (iv) analyse monétaire (agrégats monétaires - c’est là qu’on voit que la BCE est une banque centrale "monétariste", qui analyse l’inflation comme un "phénomène monétaire", résultant de l’expansion de la masse monétaire), et (v) finances publiques et politiques structurelles (la BCE encourage les Etats, dont c’est la responsabilité).

Cette déclaration introductive est préparée avec soin par le Conseil des Gouverneurs, chaque mot compte car cette déclaration reflète le consensus des membres du Conseil (avec parfois des points de vue très variés !). En comparant d’une réunion à l’autre les changements dans les versions successives, on peut lire "entre les lignes" l’évolution du jugement de la BCE sur la situation économique.

Cette fois-ci, rien de bien spécial : l’inflation évolue en gros selon les anticipations de la BCE, donc la BCE ne change rien à son plan s’agissant des taux et du QE. La BCE ne se contente pas de regarder l’indice d’inflation IHCP/HICP (Harmonised Index of Consumer Prices), elle regarde aussi l’inflation sous-jacente (core inflation, sans les effets des prix des matières premières) et les anticipations d’inflation.

3) les réponses du Président de la BCE aux questions des journalistes (Q&A) : c’est à mon sens le document le plus intéressant parmi les 3 ; malheureusement il n’est disponible qu’en anglais (après la déclaration introductive). Le Q&A est d’autant plus intéressant que le Président est un bon communicant (ce qui est le cas, avec Draghi). Il fournit beaucoup d’informations et de nuances importantes, il permet de voir si la discussion au sein du Conseil a été compliquée ou non, et il donne la position de la BCE sur des sujets d’actualité.

Quelques extraits que je trouve intéressants cette fois-ci :

- S’agissant d’un accord entre la Commission européenne et l’Italie sur son budget : confiant, mais pas trop… :

Draghi a écrit :

I’m personally – and that’s a personal perception so take it for what it’s worth – I am confident that an agreement will be found. (…) I didn’t say very confident. I said confident.

- … et l’Italie va bien devoir s’ajuster, sauf à payer un lourd prix économique :

Draghi (à propos de l’Italie) a écrit :

Interest rates have come up and are coming up. That means the lending rates are going up still moderately, I should say, for households and for firms. It means that households will have to pay more for borrowing from banks and so do companies. Of course in the case of companies that finance, fund themselves issuing bonds, the pass-through from the capital markets to the bond market – to the corporate bond market – is obviously faster. For them, the increase in borrowing rates has been more marked and quicker. Now, all this likely means that it will have effects on credit and ultimately on growth and, by the way, on the very same space that is needed for fiscal expansion. In a sense, if the interest rates keep on going up, the room that is available to expand the budget gets smaller.

- sur la fin du QE, Draghi a bien noté les craintes exprimées par certains (un Président allemand se serait exprimé bien différemment !)

Draghi a écrit :

I see that there are lots of concerns – well, not lots; some concerns about APP maybe ending at the end of this year. Let me tell you one thing that I’ve said on and on and on: even if it were to end, monetary policy will remain very accommodative by the reinvestment, especially the reinvestment of the considerable stock of assets that we have in our balance sheet and our forward guidance about interest rates.

- une extension du QE en 2019 semble improbable :

Draghi a écrit :

We haven’t talked about any extensions.

- des opérations ciblées de très longue maturité d’injection de liquidité (TLTRO, Targeted Longer-Term Refinancing Operations) ne semblent pas impossibles en cas de besoin :

Draghi a écrit :

We do think that we still have tools in our toolbox that we can use, different contingencies. We have not discussed any one of them today. The TLTRO was raised by two speakers only but not in any detail, but this is just an example of how the toolbox is still quite rich in terms of monetary policy instruments.

- si un pays a un gros problème, le programme disponible reste l’OMT (Outright Monetary Transactions) - et non le QE - mais il est conditionnel à des engagements du pays (un programme avec l’ESM = MSE = Mécanisme de Stabilité Européen) et il ne vise pas à financer l’Etat en difficulté :

Draghi a écrit :

What is available for the ECB towards a specific country is OMT. The OMT, as you remember, is subject to having a programme with ESM and is also subject to the assessment by the Governing Council of the ECB that the undertaking of the OMT doesn’t prejudge the monetary policy for the whole of the euro area, but that’s what’s there. Our mandate, as I said before, is a mandate towards price stability, not towards financing governments’ deficits or adhering to a fiscal dominance situation.

Voilà ce que je retiens de la conférence de presse d’hier. Pour ceux qui veulent suivre de près la politique monétaire et les autres sujets de politique économique de l’UE, ces conférences de presse sont un must, à mon avis.

EDIT : J’oubliais : pas de mention de la correction boursière par Draghi (sauf une mention de la "financial market volatility"). Cela montre bien qu’une banque centrale comme la BCE a beaucoup plus de recul sur les fluctuations de la bourse (hors krach) que ne le pensent souvent les boursicoteurs. Et effectivement ce genre de fluctuations n’a pas de grand effet économique, qui change l’évaluation par la banque centrale de la situation économique.

Mots-clés : banque centrale, bce, boc, boj, fed, politique monétaire, snb

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#2 06/11/2018 22h10

Membre (2017)
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Suite d’une discussion initiée ici et .

Lazard a écrit :

Très intéressant encore une fois mais vous ne trouvez pas que la FED (qui montent ses taux progressivement depuis 2015 ou 2016 de mémoire) n’a pas du tout fait réagir les marchés (même progressivement) depuis cette date ? Les marchés et les PER ont même continué de monter si je ne m’abuse. Que se passera-t-il quand les taux seront à plus de 5% et les PER toujours à 20-25 aux US ?

Quand vous dîtes que la FED est prévisible, sur quoi vous basez vous ? Vous partez du principe que le rythme d’augmentation des intérêts va perdurer ou vous allez plus long que cela ?

La FED base ses décisions à posteriori et  sur des réactions économiques qu’elle même ne peux pas prévoir non ? Je suppose que même la FED ne peut pas prévoir à l’avance si elle va pouvoir faire augmenter les intérêts  comme elle le désir… Enfin ça me paraîtrait vraiment gros…

Bien sûr la Fed et la BCE font réagir les marchés, mais en général de façon progressive et maîtrisée, sauf erreur de communication ou volonté délibérée de "choquer" les marchés (mais ce genre de tactique est désormais très rare).

Ces banques centrales ont un suivi très fin des anticipations de taux du marché : leur communication vise à "guider" les anticipations du marché vers ce que la banque centrale considère approprié.

Par exemple, avant chaque conférence de presse du Conseil des Gouverneurs, le Président de la BCE reçoit un document technique présentant exactement la courbe des anticipations du marché pour le taux directeur de la BCE. On regarde deux indicateurs :
- les futures Euribor
- les swaps EONIA


Sur la base de ces 2 indicateurs, on peut dire que d’ici fin 2019, par exemple, les marchés attendent 1,5 hausse de 25 points de base par la BCE (je dis ça au hasard, je n’ai pas vérifié le niveau actuel).

Si le Président considère que des anticipations de 2 hausses de 25 points de base d’ici fin 2019 seraient plus appropriées, il va adopter un ton assez hawkish pendant la conférence de presse, par exemple en insistant sur les pressions inflationnistes, ou en laissant entendre que le Conseil des Gouverneurs a discuté de hausses de taux à moyen terme.

Si le Président considère que des anticipations de 1 hausse de 25 points de base d’ici fin 2019 seraient plus appropriées, il va adopter un ton plus dovish pendant la conférence de presse, par exemple en insistant sur le fait que les pressions inflationnistes sont contenues et que la conjoncture économique reste fragile.

Dès la fin de la conférence de presse, le Président de la BCE reçoit une mise à jour des anticipations de marché : il peut ainsi juger si sa communication a atteint son objectif ou non. Si ce n’est pas le cas, il va normalement corriger les anticipations par d’autres interventions médiatiques.

Ainsi, les banques centrales ont normalement une grande maîtrise des anticipations du marché. C’est crucial pour la transmission de la politique monétaire aux banques et à l’économie réelle :

1) Les taux à très court terme (une semaine et jusqu’à 3 mois) sur le marché monétaire sont transmis par les opérations de la banque centrale avec les banques (injections ou ponctions de liquidité) ;

2) Les taux à plus long terme sur le marché monétaire reflètent les anticipations du marché sur les taux à court terme, donc sur le taux directeur de la banque centrale ;

3) Un manque de transparence sur l’orientation de la politique monétaire causerait une prime de risque dans les taux de financement des banques, donc des entreprises, ce qui pénaliserait l’activité économique.

C’est la nouvelle doctrine des banques centrales en termes de transparence, c’était différent il y a seulement 20 ans. Certains banques centrales sont pionnières en termes de transparence, par exemple la Riksbank suédoise (elle fournit depuis longtemps un fan chart de son taux directeur : une projection probabiliste de sa politique monétaire à moyen terme).

S’agissant de l’analyse économique, les banques centrales utilisent surtout des indicateurs avancés :

- indicateurs de sentiment des agents économiques (entreprises, par exemple) sur la conjoncture économique : indices PMI, par exemple. Les Feds régionales (Philadelphia, par exemple) ont aussi développé leurs indicateurs avancés sur la conjoncture économique (des sondages d’agents économiques) ;

- anticipations d’inflation : on utilise par exemple les taux d’inflation anticipés déduits du pricing des obligations indexées sur l’inflation (OATi, en France) : cela permet d’avoir les anticipations du marché pour le niveau moyen de l’inflation sur les 5 ou 10 prochaines années (selon la maturité des obligations). On utilise aussi des sondages d’agents économiques sur leurs anticipations d’inflation ;

- certaines banques centrales collectent beaucoup de données microéconomiques, qui doivent permettre d’anticiper la tendance macro : par exemple la Banque de France a une activité de notation des entreprises ;

- toutes les banques centrales font des projections macroéconomiques (PIB et inflation, notamment), qu’elles comparent avec les projections d’autres acteurs publics et privés.

Donc quand vous lisez le transcript de l’intervention de Draghi à la conférence de presse, il faut bien voir que cette intervention traduit à la fois :

- le jugement de la BCE sur la conjoncture économique et sur son évolution anticipée (sur la base de tout le travail technique mentionné ci-dessus), et

- le "plan" de la BCE sur l’évolution de sa politique monétaire.

Bien sûr ces 2 éléments peuvent changer d’une conférence de presse à l’autre, c’est pour cela qu’il est intéressant d’identifier les changements du discours du Président de la BCE. (Certains hedge funds s’en font une spécialité, en prenant position sur les futures Euribor ou les swaps EONIA.)

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#3 06/11/2018 23h51

Membre (2016)
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Vous parlez de l’évolution de la transparence des Banques centrales, j’en profite pour poser une question : pourquoi les choses ont changées ainsi ? Je sais qu’il y a eu des améliorations dans la théorie de la politique monétaire qui justifient ce changement, mais là je vois mal. D’autant que les changements sont assez radicaux comme manière de faire. Comme vous l’avez dit, les banques centrales d’avant aimaient faire des surprises aux marchés (par exemple, il arrivait que la FED d’avant Greenspan prenne tout le monde au dépourvu en n’annonçant même pas ses changements de taux). Plus maintenant : elles sont plus transparentes, préviennent à l’avance de leur politique, tentent de lisser l’évolution des taux d’intérêt, etc.

Je me doute que cela a un rapport avec l’introduction des anticipations rationnelles, la transparence des BC alimentant les anticipations d’informations intégrées dans les informations rationnelles des agents. Mais de là à connaitre la raison exacte, il y a un pas que je n’ai pas encore franchi.

D’où ma question : qu’est-ce qui justifie un changement aussi radical, un tel contrôle sur le canal des anticipations ?

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2    #4 07/11/2018 00h49

Membre (2017)
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@Mewtow : Au-delà de la justification théorique que vous mentionnez (l’information parfaite des agents économiques doit permettre d’atteindre l’optimum économique), je pense que l’évolution des banques centrales vers plus de transparence est due à un ensemble de facteurs, certains techniques, d’autres plus politiques / "philosophiques" :

1) Amélioration de l’analyse / prévision macroéconomique : ce n’est pas mon champ de spécialité, mais je pense que c’est un domaine où les banques centrales ont bien progressé depuis 20 ans. Il faut bien voir qu’une banque centrale peut difficilement se permettre une grosse erreur sur l’analyse de la situation économique : bien sûr, cela entraînerait de mauvaises décisions de politique monétaire dans l’immédiat, mais surtout ça porterait atteinte à sa crédibilité - causant un dommage persistant à l’efficacité de sa politique monétaire future. Je pense que le manque de transparence des banques centrales dans le passé était dû en partie à leur désir de préserver leur crédibilité, donc ne pas révéler l’incertitude dans leur analyse / prévision économique.

2) Développement du marché monétaire : J’ai travaillé à la mise en place du suivi systématique des anticipations de marché sur la politique monétaire (futures Euribor et swaps EONIA) par la BCE en 2006-2007, ce n’était pas fait auparavant. Les participants de marché ont commencé à utiliser ces produits au début des années 2000 pour se couvrir contre des hausses (ou baisses) de taux. Auparavant, je pense qu’il était plus difficile de suivre systématiquement les anticipations de marché (et en tout cas on ne le faisait pas vraiment en Europe avant 2006-2007 - aux USA ça a commencé sans doute avant). A partir du moment où la BCE a commencé à analyser systématiquement les anticipations de marché, elle a pu ajuster sa communication pour guider ces anticipations. La transparence est juste un moyen pour guider les anticipations plus efficacement.

3) Indépendance des banques centrales : La Banque de France n’est devenue indépendante qu’en 1993. Perso je pense que l’indépendance entraîne nécessairement un devoir de transparence : la banque centrale n’étant plus une simple annexe de l’Etat, mais une institution indépendante avec un mandat propre, elle doit communiquer sur la façon dont elle accomplit son mandat. En démocratie, le pouvoir immense qu’a une banque centrale indépendante doit nécessairement être équilibré par une transparence vis-à-vis du public. (Cela dit, la Fed était déjà indépendante sous Greenspan.)

4) Politique monétaire non-conventionnelle : la politique monétaire conventionnelle (les hausses / baisses du taux directeur) est relativement simple à comprendre pour les médias, les banques et les autres agents économiques. En revanche, la politique monétaire non-conventionnelle mise en oeuvre en Europe et aux USA à partir de 2007-2008 (QE, taux négatifs, opérations de très longue maturité…) demande une grande pédagogie, sinon elle est incomprise et critiquée. En témoignent les interprétations du QE comme "manipulation" des marchés ou financement d’Etats en faillite… Il est crucial de bien communiquer sur ces mesures non-conventionnelles, à la fois pour les "vendre" au public, et pour assurer leur efficacité. La "forward guidance" (les indications sur les taux à venir) est d’ailleurs perçue par la BCE comme une mesure de politique monétaire non-conventionnelle (alors qu’elle est depuis longtemps dans le cadre conventionnel de la Riksbank).

5) Changement de doctrine des banques centrales : Quand Ben Bernanke est devenu Fed Chairman en 2006, il était perçu comme un "original" minoritaire et un "outsider" - favorable à une politique monétaire proactive et transparente, aux mesures de politique monétaire non-standard, et à une banque centrale délibérément contracyclique (lean against the wind). Il représentait la critique de l’ère Greenspan : moins de transparence et un benign neglect face aux excès du marché. Au sein des banques centrales, la grande crise à partir de 2007 a été interprétée en partie comme le résultat de l’échec de l’approche de Greenspan, et Bernanke a prouvé la validité de son approche pendant la crise. (Sans lui, la crise en Europe en 2008-2009 aurait été beaucoup plus grave.) Beaucoup des concepts et idées de Bernanke ont ainsi intégré la doctrine majoritaire des banques centrales.

Il faut bien voir que la Fed, la BCE et la BoJ communiquent étroitement sur ces sujets : réunions trilatérales, échanges de personnel (on m’a envoyé au Japon pour préparer le QE), etc. La Fed a copié sur la BCE pour lancer sa conférence de presse, la BCE a copié sur la Fed pour introduire les "minutes" des réunions du Conseil des Gouverneurs, la Fed et la BCE ont copié sur la BoJ (leurs succès et leurs échecs) pour le QE. Ainsi, le corpus idéologique des grandes banques centrales évolue de concert, avec évidemment des nuances selon les cultures nationales et les idées des Gouverneurs.

Mon employeur actuel me paie pour diffuser ces "bonnes pratiques" auprès des banques centrales du monde entier (en ce moment, je travaille avec une banque centrale africaine justement pour la rendre plus transparente, en rénovant son site internet, en préparant des discours pour le Gouverneur etc.).

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1    #5 07/11/2018 01h21

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A propos d’indépendance des banques centrales, ne trouvez-vous pas singulier que la BoJ reste inféodée au pouvoir politique? Même si leur politique de QE ressemble beaucoup à celle des autres grandes banques centrales il est surprenant qu’un grand pays comme le Japon n’ai pas donné l’indépendance à son institut monétaire. Peut-être faut-il y voir un héritage culturel? J’ai probablement un regard trop occidental sur la question.
Mais vous-même?

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1    #6 07/11/2018 03h26

Exclu définitivement
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Le Japon est coincé dans ce qu’on appelle trappe à liquidités.

La banque centrale essaye par tout les moyens dont elle dispose de faire repartir l’inflation mais elle n’y arrivera jamais.

Dans le meilleur des cas elle évitera péniblement la déflation au prix d’un QE indéfini en limite de temps.

Le Japon a une situation très particulière car il souffre d’une chute démographique depuis un certain temps et il accueille très peu de nouveaux venus.
(L’Allemagne est dans une situation similaire pour ce qui est de la démographie mais fait le choix accueillir pour compenser.

La banque centrale du Japon roule pour l’état japonais qui dépense encore et encore pour stimuler un peu l’économie.
Elle l’aide a soutenir sa dette,  qui elle même détennj à la quasi totalité par des personne ou entité du Japon.
La banque centrale japonaise permet au gouvernement de financer ses réformes et ses relances via plan d’infrastructures.
Mais je crois que ca ne marchera pas.

Comment les gens peuvent être encouragés à dépenser plus si ils n’ont pas confiance?

Une population vieillissante veut nécessairement préparer sa retraite et si il faut beaucoup plus pour avoir le même niveau de vie a cause d’absence de rémunération alors il y a forcément plus d’épargne et moins de consommation.
Ainsi on touche à la limite du système des taux négatifs.

Si les gens ne consomment alors pas de bonne prévisions des entreprises,  pas d’augmentation de prix, rien de rien.

Le QE est positif si les agents économiques publics et ou privés sont au bord du précipice et  ca permet d’avoir du temps pour tenter se se relancer.
Mais un QE ne pourra jamais à lui tout seul redresser un pays qui a des problèmes tenant a sa démographie et changer le comportement des gens.

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#7 07/11/2018 10h07

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Scipion8 a écrit :

En témoignent les interprétations du QE comme "manipulation" des marchés

Peut-on décemment soutenir le contraire !? Le QE, comme les modifications de taux, ou tout ce qui s’apparente à la politique monétaire EST de la manipulation. Pas du marché "actions" en soi, mais de manière plus large ("des marchés" globalement, oui !). De toute façon, c’est bien le but, par exemple d’essayer de "manipuler" l’inflation, le niveau d’activité, essayer de pousser les gens à s’endetter / épargner / dépenser plus ou moins, etc, etc…

Je crois ne pas me tromper en disant que les pro-banques centrales sont convaincus que c’est de la "bonne manipulation" et qu’ils œuvrent par ce biais à "l’intérêt général" (si ce n’est au bien de l’humanité). Ca leur parait même "évident" (ainsi qu’à d’autres). Chacun aura éventuellement son avis sur la question.

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3    #8 07/11/2018 11h23

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@Flavius : La BoJ est indépendante, mais c’est vrai qu’elle l’est nettement moins que la BCE ou la Fed. Il y a en gros 3 dimensions à l’indépendance d’une banque centrale :

1) L’indépendance institutionnelle, c’est-à-dire la capacité de la banque centrale, sur la base d’un mandat légal (voire constitutionnel), de déterminer souverainement la politique monétaire (son orientation et son implémentation). Pour la Fed et la BCE, cette indépendance institutionnelle est garantie par des textes de portée légale (Fed) ou constitutionnelle (Article 130 TFUE pour la BCE). La BCE est sur le papier (et peut-être aussi dans les faits) la plus indépendante des 3 grandes banques centrales - c’était un point non négociable pour les Allemands (traumatisme du détournement de la Reichsbank par les Nazis). Comme Bernanke le rappelle dans ce discours, la conquête de son indépendance par la Fed a pris des décennies. Pour la BoJ, cette évolution est encore en cours : la capacité d’intervention du gouvernement (Ministère des Finances) dans les décisions de la BoJ s’est réduite, mais les représentants du MoF peuvent toujours assister aux réunions de politique monétaire de la BoJ, faire des propositions ou demander un report de certains sujets : inenvisageable en zone euro ou aux USA.

Sur l’implémentation de la politique monétaire (les opérations), la BoJ est autonome mais le MoF fait une vérification de la légalité de ces opérations. En zone euro et aux USA, le modèle est plutôt celui de l’accountability et de la transparence : la banque centrale rend compte régulièrement de ses actions, notamment devant le Congrès / le Parlement européen.

2) L’indépendance financière : il ne suffit pas que l’indépendance de la banque centrale soit inscrite sur le papier des lois, il faut aussi que la banque centrale ait les moyens financiers de ses actions (pour recruter du personnel qualifié, pour les équipements, etc.). Même en Europe (Hongrie, Chypre), certains gouvernements ont parfois la tentation de limiter l’indépendance de la banque centrale en lui "coupant les vivres". L’idéal, c’est que la banque centrale ait un bilan qui finance ses dépenses de fonctionnement : par exemple, la Banque de France a un large portefeuille d’investissement (distinct de son portefeuille de politique monétaire), qui contribue largement à son indépendance financière. Un autre volet de l’indépendance financière, c’est l’obligation légale pour l’Etat de recapitaliser la banque centrale en cas de besoin.

Dans le cas de la BoJ, le budget pour les opérations de politique monétaire requiert l’aval du Ministère des Finances (ça aussi, c’est inenvisageable aux USA ou en zone euro). Cela dit, je ne me fais pas trop de soucis sur l’indépendance financière de la BoJ car le QE est normalement générateur de profits pour la banque centrale (même si les rendements sont très bas, voire négatifs).

3) L’indépendance technique : Même si la banque centrale est indépendante institutionnellement et financièrement, son autonomie dépend largement de sa capacité technique à régler les problèmes, dans le rapport de forces avec l’Etat (le Ministère des Finances). Si je compare 6 banques centrales (BCE, Fed, BoJ, BoE, SNB et BdF) sur leur capacité technique (la compétence de leurs experts), je mettrais sans doute la BCE, la SNB et la BoJ en gros ex-aequo au premier rang, puis la Fed et la BoE, et en dernier la BdF. Cela s’explique largement par le prestige de la position de banquier central et par les avantages financiers et autres qui s’y attachent, dans ces différents pays.

La BCE bénéficie d’un large pool de pays pour recruter et attire des bons profils par des salaires attractifs (pour le secteur public). La BdF perd ses meilleurs éléments au profit de la BCE et du FMI. La Fed et la BoE recrutent des profils excellents mais en perdent beaucoup au bénéfice de Wall Street et de la City - juste de l’autre côté de la rue, avec des salaires 4x supérieurs (voire plus). Passer par la Fed ou la BoE est souvent vu comme une étape, un bonus sur le CV, dans un parcours de banquier privé, alors que la BCE offre une carrière à vie (très peu de turnover).

La BoJ bénéficie d’un grand prestige ; je ne connais pas les salaires (je pense qu’ils sont un peu plus modestes qu’à la BCE), mais dans mon domaine d’activité mes collègues japonais sont souvent excellents. Sur le QE ils avaient techniquement 10-15 ans d’avance sur tout le monde. Les salaires des banques japonaises ne sont pas très attractifs, donc la compétition de ce côté pour la BoJ n’est pas très forte. Donc même si la BoJ est moins indépendante que d’autres banques centrales sur le papier, dans les faits, je pense que la compétence de son staff la rend incontournable et véritablement autonome.

Sur le rôle particulier de l’Etat (MoF) auprès de la BoJ, je pense que cela s’explique par le désir de coordination entre politique monétaire et les autres politiques économiques (budgétaire et structurelles) sous la responsabilité de l’Etat. C’est un débat fondamental et 2 lignes s’affrontent :

a) Certains considèrent que la politique monétaire et la politique budgétaire doivent être coordonnées, puisque leurs objectifs sont comparables (la gestion contracyclique de la conjoncture économique). Il convient d’assurer que la politique monétaire reste toujours compatible avec les objectifs de l’Etat. C’est ce qui apparaît dans la communication de la BoJ :

BoJ a écrit :

To ensure that the Bank’s monetary policy and the basic stance of the government’s economic policy are compatible, the Act stipulates that the Bank shall always maintain close contact with the government and exchange views sufficiently (Article 4).

Parmi les partisans traditionnels de cette approche, on pourrait ranger les Français (cf. la proposition macronienne, mais prêchée depuis 20 ans à Sciences Po, d’un "gouvernement économique de la zone euro"). C’est un serpent de mer dans la discussion entre France et Allemagne sur la zone euro.

Dans un style moins sophistiqué, on pourrait ajouter Trump aux partisans de la coordination des politiques économiques (cf. ses critiques de la Fed).

b) La ligne "orthodoxe" parmi les banquiers centraux considère que la coordination des politiques économiques cache en fait une volonté des Etats de réduire l’indépendance des banque centrales. Le risque serait alors une gestion "électoraliste" de la politique monétaire, et par conséquent une perte de crédibilité de la banque centrale et des tensions inflationnistes.

Le temple de cette orthodoxie anti-coordination est la Bundesbank, et la BCE a largement repris cette doctrine. (J’avais des collègues économistes, la plupart ex-Bundesbank, entièrement spécialisés sur les questions d’indépendance et d’interdiction de financement monétaire des Etats. Leur faire admettre le QE a été une épopée…). Cf. ce discours récent de Draghi sur l’indépendance des banques centrales.

Draghi a écrit :

if central banks were to enter into a form of coordination with fiscal authorities that reduced their independence, it would ultimately be self-defeating.

While the mandate of the ECB is price stability, fiscal authorities have multiple mandates. So, if the central bank were to submit to political control, coordination with fiscal authorities would be unlikely to be limited to the lower bound.

Fiscal authorities would have an incentive to use monetary policy to achieve other objectives. And this would end up with monetary policy becoming fiscally dominated, which history shows is inconsistent with price stability in the long run.

En fait, au niveau mondial, la BCE est l’exception en termes de protection constitutionnelle de la banque centrale - en raison de l’histoire allemande. La BoJ suit en gros la même trajectoire de conquête graduelle de l’indépendance que la Fed, mais est en retard, avec un rôle toujours important de l’Etat. Des raisons culturelles / historiques expliquent sans doute ces différences : en Europe ou en Afrique, les banquiers centraux tendent à percevoir l’Etat comme "irresponsable", car gouverné par des préoccupations électoralistes (voire prédatrices, en Afrique) ; on cherche donc à garantir légalement l’indépendance de la banque centrale.

En Asie, l’Etat est vu comme le partenaire "senior" de la banque centrale : dans les 4 banques centrales asiatiques où j’ai travaillé (Japon, Cambodge, Bhoutan, Maldives), le principe de coordination entre banque centrale et Etat est mis en application. Sans doute cela est dû à la perception culturelle de l’Etat comme dépositaire légitime de l’intérêt général, alors que les USA et l’Europe sont dominés par la vision libérale d’un Etat parfois irresponsable.

Dernière modification par Scipion8 (07/11/2018 17h06)

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1    #9 07/11/2018 16h47

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@ scipion: le débat fondamental que vous soulevez est passionnant. Ma modeste opinion penche vers l’orthodoxie mais j’en connais la raison: les batailles électorales dans les pays occidentaux se gagnent à coup de dépenses publiques:  la politique budgétaire voit son rôle de gestion contracyclique de la conjoncture économique s’effacer au profit d’un clientélisme électoral. Peut-être ce clientélisme est-il moins prégnant au Japon et dans les pays asiatiques?

Dans cette perspective de dévoiement de la politique budgétaire, l’indépendance de la Banque Centrale est en général vue comme essentielle par les grands investisseurs. Et conjoncturellement, après quelques années de Quantitative Easing, il ne faut pas être surpris par l’engouement que suscitent ce que j’appelle des "actifs de défiance" envers les actifs monétaires, à savoir les actifs réels mais aussi cryptés.

La confiance financière envers les Etats a bien baissé et l’indépendance des Banques Centrales a été une réponse efficace à cette méfiance; sous le double effet du Quantitative easing et de la révolution technologique, les grandes Banques centrales pourraient être confrontées à une perte de crédibilité en faveur des algorithmes de la technologie blockchain. Mais nous n’en sommes pas là, heureusement. Et les QE touchent à leur fin. La confiance ne se décrète pas, elle se constate; puissent les banquiers centraux africains en prendre la mesure (au Zimbabwe entre autre…)

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2    #10 07/11/2018 17h50

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Scipion8 a écrit :

En fait, au niveau mondial, la BCE est l’exception en termes de protection constitutionnelle de la banque centrale - en raison de l’histoire allemande. La BoJ suit en gros la même trajectoire de conquête graduelle de l’indépendance que la Fed, mais est en retard, avec un rôle toujours important de l’Etat. Des raisons culturelles / historiques expliquent sans doute ces différences : en Europe ou en Afrique, les banquiers centraux tendent à percevoir l’Etat comme "irresponsable", car gouverné par des préoccupations électoralistes (voire prédatrices, en Afrique) ; on cherche donc à garantir légalement l’indépendance de la banque centrale.[/b]

Très bon point, le débat fait rage en ce moment en Afrique du Sud sur la nationalisation de la South African Reserve Bank (SARB) dont le capital appartient uniquement à des actionnaires privés mais qui sont en minorité au conseil d’administration (les administrateurs nommés par l’Etat représentent la majorité).

Economic Freedom Fighters (EFF) parti léniniste pro-confiscation et nationalisation des biens et moyens de production (6% des votes) a déposé un projet de loi pour la nationalisaton.

L’aile radicale populiste de l’ANC (62% des voix) - aile dont le Président ne fait pas partie - supporte l’EFF dans ce projet tandis que la SARB est vigoureusement contre ainsi que le Ministre des Finances et le Président.

EFF tables draft bill to nationalise SARB | Fin24

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2    #11 09/11/2018 09h21

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Un bon moyen pour analyser la perception de la Fed de la conjoncture économique américaine consiste à comparer les communiqués de presse successifs du FOMC (Federal Open Market Committee, qui prend les décisions de politique monétaire).

Les changements entre les communiqués du FOMC du 26 septembre et du 8 novembre sont très limités mais intéressants (entre les 2, il y a eu la correction boursière d’octobre) :



Mon interprétation :
- Pas de changements sur les intentions de la Fed de continuer à monter ses taux.
- Stabilité de l’inflation et des anticipations d’inflation. Les "risques" (de déviation de la cible symétrique de 2%) sont à peu équilibrés dans les 2 sens.
- La Fed souligne la décélération de l’investissement de l’entreprise (toujours en croissance, mais désormais plus modérée) : un signal un peu dovish, peut-être pour rassurer sur le fait que la Fed est attentive à ce genre de signaux et adaptera ses hausses de taux selon l’évolution macroéconomique.

Pas de gros changement dans les anticipations de hausse de taux du marché : le marché price 60 points de base de hausse de taux par la Fed d’ici fin 2019 (soit 2 hausses de 25 points de base + une troisième hausse de 25 points de base pricée à une probabilité de 40%), dont une première hausse de 25 points de base en décembre ou janvier.

On peut suivre ces anticipations de hausse (ou de baisse) des taux de la Fed en regardant par exemple les futures Eurodollar : ces futures reflètent les anticipations du marché pour le LIBOR USD 3 mois (un taux interbancaire USD). Actuellement le future Eurodollar Novembre 2018 est à 97,33, ce qui signifie que le LIBOR USD 3 mois est attendu à 100-97,33 = 2,67%. Par différence entre le contrat future novembre 2018 et des échéances plus lointaines, on peut mesurer les anticipations de hausse de taux de la Fed.

Par exemple : Eurodollar Decembre 2019 - Eurodollar Novembre 2018 = 96,73 - 97,33 = -0,60, soit 60 points de base de hausse de taux attendus d’ici fin 2019.


@Flavius : moi aussi, je suis plutôt sur la ligne orthodoxe s’agissant de l’indépendance des banques centrales - mais après 10 ans à Francfort et travaillant maintenant en Afrique, il pouvait difficilement en être autrement ;-)

@Ratpack : Le cas sud-africain est en effet intéressant. Une banque centrale peut tout à fait être indépendante tout en étant détenue par l’Etat, mais quand/si la nationalisation se fait dans un tel contexte politique, il y a en effet sans doute lieu de s’inquiéter…

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#12 09/11/2018 10h48

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En complément du message ci-dessus, si déjà on regarde les futures, il est alors à mon sens plus simple de regarder directement les "FED Funds" plutôt que l’Eurodollar. On aura dans ce cas une lecture directe des anticipations du taux de la FED sans "spread", qui varie légèrement dans le temps (le LIBOR étant la représentation du taux interbancaire: Le taux auxquelles les banques se prêtent entre elles, logiquement supérieur au taux directeur de la banque centrale).

C’est également disponible du le site du CME, sous le ticker "ZQ" au lieu de "GE" pour l’Eurodollar: 30 Day Federal Funds Futures Quotes - CME Group

La lecture se fait de manière identique à ce qui est décrit au message précédent (c’est sans doute un tout petit peu plus facile à "lire", je trouve: 100-ZQ = directement le taux de la FED attendu).

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1    #13 12/11/2018 22h57

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Bonjour Scipion8,

Cela n’a pas grand chose à voir avec l’actualité des banques centrales, mais j’étais curieux de connaître votre avis, en tant que banquer central, sur les actions des banques centrales cotées en bourse.

Pour rappel, les banques centrales suisse, belge, grecque, et japonaise sont cotées en bourse. Jusqu’à récemment, la banque centrale sud-africaine et la BRI (Banque des Règlements internationaux - qui a d’ailleurs été un des meilleurs investissement de Jean-Marie Eveillard) l’étaient également, avant d’avoir fait l’objet d’offres de retrait obligatoire. Plus d’infos dans le très bon article du magazine le Revenu sur le sujet : Un secteur ignoré de la cote : les banques centrales - Le Revenu

Comme l’explique l’article, une banque centrale peut "s’auto-recapitaliser", et ne peut donc pas faire faillite. Par ailleurs, les banques centrales de Suisse et du Japon cotent à des ratios P/B absolument ridicules (pour des raisons qui m’échappent, c’est moins le cas pour les Banques centrales de Grèce et de Belgique). Je comprends que les actionnaires majoritaires étant les autorités publiques, ces ratios n’ont pas beaucoup de sens, et que ces actions sont donc assimilées à des obligations perpétuelles à dividendes croissants. En effet, les banques centrales cotées versent des dividendes réguliers limités à un pourcentage prédéfini de la valeur nominale de leur action. Dans ce cas, comment valoriser une action de banque centrale ? Et quelle explication donner aux variations des cours, qui sont tout de même significatives ?

Dernière modification par Tembusu (12/11/2018 23h27)

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2    #14 13/11/2018 10h57

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Bonjour Tembusu,

Figurez-vous que j’étais précisément en train de m’intéresser à ce sujet ! J’ai fait une recherche après le message de Ratpack sur la possible nationalisation de la banque centrale sud-africaine SARB, et j’ai trouvé ce bon papier (sud-africain, d’ailleurs) faisant le point sur toutes les banques centrales ayant des actionnaires privés.


Si l’on laisse de côté la Banca d’Italia (qui a pour seuls actionnaires des institutions financières italiennes), les banques centrales de Grèce et de Turquie (qui restreignent l’actionnariat à leurs nationaux), et la SARB (risque de nationalisation / expropriation), il reste 3 banques centrales "investissables" pour nous : Belgique, Suisse et Japon.

Avant de parler d’investissement, quelques points généraux :
- Par définition, une banque centrale n’a pas de risque de liquidité en devise nationale (mais en devises étrangères, oui).
- Une banque centrale peut fonctionner indéfiniment en capital négatif.
- Mais la plupart des banques centrales "sérieuses" ont dans leurs Statuts une obligation pour l’Etat de les recapitaliser en cas de capital insuffisant / négatif.
- La distribution des dividendes est généralement déterminée par la loi - et non pas par les actionnaires.

Donc une banque centrale est, du point de vue de l’investisseur, une entité très particulière, qui échappe largement aux méthodes classiques d’évaluation du fait de ces spécificités. A mon sens les 3 principaux risques pour un actionnaire privé d’une banque centrale sont :
1) Un risque de coupe du dividende décidée par le législateur.
2) Un risque de dilution par recapitalisation par l’Etat.
3) Un risque de nationalisation / expropriation par l’Etat.


Pour évaluer une action de banque centrale, il faut donc à mon sens (i) bien comprendre le mécanisme de retour de cash à l’actionnaire (= le cadre juridique pour le versement du dividende) et (ii) bien évaluer ces 3 risques (par exemple, que prévoient les statuts de la banque centrale en cas de capital négatif).

S’agissant du Japon et de la Suisse, le dividende est fixé par la loi en pourcentage maximum (respectivement 5% et 6%) du capital nominal :

- En première analyse, les actions de la BoJ et de la BNS devraient donc se comporter peu ou prou comme des obligations perpétuelles sans risque de crédit, avec coupon fixe. Donc à privilégier pour des investisseurs désireux avant tout de préserver leur capital, par exemple en période de krach.

- En deuxième analyse, il faudrait vérifier (i) si historiquement, les dividendes versés par la BoJ et la SNB ont toujours été au maximum légal, et (ii) à quel niveau juridique (Statuts de la banque centrale, loi, règlement) a été défini le dividende, et quelle est la probabilité d’un changement de ce cadre juridique (en faveur ou en défaveur des actionnaires).

- En troisième analyse, il faut réfléchir au bilan de la banque centrale et à ses conséquences pour l’actionnaire : par exemple, la BNS détient un immense portefeuille d’actions US (elle figure parmi les premiers actionnaires d’Apple, Facebook etc.). En étant actionnaire de la BNS, on en est co-propriétaire… mais la loi suisse nous empêche d’en tirer les dividendes. Mais, sur le long-terme, avoir un tel portefeuille peut rendre la conduite de la politique monétaire difficile pour la BNS (car ce portefeuille se traduit par un énorme surplus de liquidité, que la BNS doit régulièrement absorber et qui, en déprimant les taux d’intérêt, peut conduire à un risque inflationniste). A terme, la BNS ne devrait-elle pas envisager de vendre tout ou partie de ce portefeuille, et d’en retourner une (petite) partie des profits à ses actionnaires… Je ne peux en être certain, mais j’envisage que ce genre de calculs explique la spéculation sur les titres de la BNS - qui ne se comportent absolument pas comme des obligations perpétuelles à coupon fixe, comme ils devraient le faire en première analyse.

Il faudrait conduire une réflexion comparable sur le bilan de la BoJ, avec son immense portefeuille de QE : quid en cas de retour de l’inflation ? Pas de problème pour les obligations, qui mécaniquement viendront à maturité, réduisant le bilan de la BoJ. Mais les actions et les REITs : ne devront-ils pas être vendus, à terme ? Quelles implications pour l’actionnaire ?

S’agissant de la Belgique, le mécanisme de versement du dividende est différent : il y a une partie fixe (comme en Suisse et au Japon), mais aussi une partie variable, indexée sur les résultats du portefeuille d’investisssement de la BNB. Il faudrait regarder préciser la taille et la composition de ce portefeuille (pas encore fait). En première analyse, j’imagine que ce portefeuille est largement composé d’obligations souveraines, donc que le dividende est intéressant en période de taux hauts, beaucoup moins en période de taux bas (comme maintenant - ce qui explique la baisse du cours de l’action BNB). Donc, en première analyse, l’action BNB devrait plus ou moins se comporter comme un hedge contre une hausse des taux.

Je pense que l’action BNB est aussi guidée par l’aversion au risque des investisseurs : belle performance en 2009-2010, notamment.

Il faudrait creuser l’analyse, notamment sur les aspects juridiques et sur les bilans de ces banques centrales. A terme, il est probable que je devienne actionnaire de ces 3 banques centrales, par intérêt professionnel et pour le "fun", mais compte tenu de l’illiquidité et de la volatilité de leurs cours, il vaut mieux bien choisir son point d’entrée. La BNB me semble a priori intéressante, aux niveaux actuels.

En revanche, j’ai loupé la fameuse action BRI, contrairement à l’estimé Larbinator.

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#15 13/11/2018 19h07

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Sujet passionant ; du côté de l’actionnaire quelle motivation sachant que l’intérêt (financier) de l’actionnaire est subordonné à celui de l’intérêt général, dont la politique monétaire devrait être garante? Dans le cas où l’Etat est un actionnaire significatif, quid de l’indépendance de l’institut monétaire? Tout cela est bien paradoxal je trouve.

Je n’imagine pas qu’il puisse y avoir dans les statuts de ces établissements monétaires côtés des conflits d’intérêts; il y a donc comme l’écrit Scipion8 une subordination. Mais cette subordination à la jouissance de ses pleins droits d’actionnaires, ne se traduit pas par un coupon élevé mais par un risque crédit quasi inexistant ( contrairement aux perpétuelles classiques). Mais sur un support volatile, peu liquide et…perpétuel.
Il faut donc voir si le rendement se compare favorablement aux obligations très long terme des pays concernés (ça ne doit pas être très difficile avec les taux négatifs ou autour de zéro des pays sous-jacents mais le rendement est certain). Faut-il acheter l’action BNS ou l’obligation 30 ans Suisse?
La corrélation négative de l’action BNB avec les actifs risqués est intéressante à creuser: et si c’était un support comme l’or mais avec un revenu?
Je vais faire mon homework sur ces titres forts singuliers, et propres à diversifier, décorréler des portefeuilles a priori de même nature.

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#16 19/11/2018 09h47

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Tembusu a écrit :

Bonjour Scipion8,

Cela n’a pas grand chose à voir avec l’actualité des banques centrales, mais j’étais curieux de connaître votre avis, en tant que banquer central, sur les actions des banques centrales cotées en bourse.

Pour rappel, les banques centrales suisse, belge, grecque, et japonaise sont cotées en bourse. Jusqu’à récemment, la banque centrale sud-africaine et la BRI (Banque des Règlements internationaux - qui a d’ailleurs été un des meilleurs investissement de Jean-Marie Eveillard) l’étaient également, avant d’avoir fait l’objet d’offres de retrait obligatoire. Plus d’infos dans le très bon article du magazine le Revenu sur le sujet : Un secteur ignoré de la cote : les banques centrales - Le Revenu

Il est toujours possible d’acheter des actions de la SARB mais en OTC uniquement.

Les transactions quotidiennes et carnets d’ordres sont visibles sur le site de la SARB:

https://www.resbank.co.za/Lists/News%20 … bility.pdf

Le dividende pour les actionnaires privés étant limité à 10c (depuis 89 ans) et le prix de l’action à R10 (le prix ne bouge pas vraiment), c’est un rendement de 1% sans croissance (vs un taux directeur de 6/7%…) donc un investissement négatif après inflation (ou affectif).

Le profit annuel est autour de 2 milliards, les actionnaires en touchent 200 000 et le gouvernment 90% du reste.

Aucun investisseur ne peut posséder plus de 10 000 actions (sur 2 000 000) donc impossible d’y investir plus de 6000€ grosso modo.

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#17 28/11/2018 19h53

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Changement de doctrine des banques centrales : Quand Ben Bernanke est devenu Fed Chairman en 2006, il était perçu comme un "original" minoritaire et un "outsider" - favorable à une politique monétaire proactive et transparente

Ces banques centrales ont un suivi très fin des anticipations de taux du marché : leur communication vise à "guider" les anticipations du marché vers ce que la banque centrale considère approprié.

Et quels guides transparents !
Jerome Powel le 3 octobre 2018: "we’re ’a long way’ from neutral on interest rates" Powell says we’re ’a long way’ from neutral on interest rates
Jerome Powel le 28 novembre 2018: "the central bank’s benchmark rate is currently ’just below’ the neutral rate" https://goo.gl/nq4jpy

La question à 100 points étant: Fallait-il ne pas l’écouter le mois dernier ou faut-il ne pas l’écouter maintenant ?
Je laisse la branche propagande de ces gens là nous expliquer maintenant pourquoi ce genre de revirement est exceptionnel (oh que ca ne l’est PAS !) et/ou pourquoi la situation a dramatiquement changé depuis le mois dernier ou toute autre explication que je ferais semblant de croire pour ne pas crier encore à nouveau à la mauvaise foi.

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#18 29/11/2018 23h14

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Souvenons nous d’Alan Greenspan: "Si vous avez compris ce que je viens de dire c’est que je me suis mal exprimé".

Ou encore dans un registre plus historique,  le cardinal de Retz: "on ne sort de l’ambigiuté qu’à son détriment".

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#19 24/12/2018 14h58

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Bonjour,
Voici une note intéressante critique envers le BCE.
Forecast errors and monetary policy normalisation in the euro area
http://bruegel.org/wp-content/uploads/2 … 4_2018.pdf

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#20 17/03/2019 11h49

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Bonjour,

Je voudrais profiter de la présence ici d’un pédagogue de haut niveau sur les questions monétaires pour poser une question naïve de mathématicien n’ayant pas reçu de formation solide en économie.

Une banque centrale n’est pas un établissement commercial comme un autre mais un institut d’émission monétaire, c’est à dire une institution étatique. Elle ne peut pas faire faillite mais elle peut être réorganisée en profondeur par la loi, son indépendance éventuelle est donc de même nature que celle de l’institution judiciaire.  L’état ou les états qui lui déléguent la régulation de la masse monétaire sont actionnaires, lui ont apporté du capital (possiblement avec des investisseurs privés) et touchent des dividendes fixés par la loi le cas échéant.

Elle a un bilan, elle a des actifs, elle fait des prêts donc elle peut aussi perdre du capital. Si ses actifs se déprécient, si les créances qu’elle détient s’avérent irrécouvrables, si ses dépenses et sa masse salariale dépassent ses recettes, etc…. Certes, elle a la capacité d’émettre de la monnaie sans être contrainte par autre chose que son mandat.

La question est: Quel est le niveau actuel du capital de la BCE? Quelle est l’évolution de ce capital depuis sa création? À quel niveau y a-t’il obligation de recapitalisation par les états? Et que se passe-t’il si les états ne sont pas en mesure de lever le capital nécessaire?

La question se pose bien entendu pour les autres banques centrales.

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#21 17/03/2019 12h52

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@Caratheodory : avec le QE presque permanent (la Fed a officiellement stoppé mais un retour du QE d’ici 2021 est déjà pricé par le marché quand on regarde les taux des treasuries suivant leurs échéances) et les discussions sur la MMT qui deviennent mainstream, je ne sais pas si ces considérations "classiques" ont encore un sens quand on parle de la Fed, ECB et BoJ.

Dans un tel système, la seule stratégie gagnante c’est de s’endetter le plus possible pour convertir la monnaie indésirable en assets productifs.


✯ Mangia bene, caca forte, e non aver paura della morte.

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#22 17/03/2019 14h06

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Le fait qu’une question est classique n’enlève pas sa pertinence pour qui n’en connait pas la réponse. D’ailleurs ce n’est pas seulement une question économique et financière, elle a un aspect politique. Tous les arguments sur l’aléa moral sont par nature politiques. Finalement la question porte sur un moment crucial du transfert des problèmes économiques dans le domaine politique.
Une chose est la tactique moyen terme de l’investisseur ou plutôt du spéculateur, une autre chose est l’arsenal de mesures non-conventionnelles que les structures politiques supérieures peuvent être amenées à prendre quand un institut d’émission monétaire s’est exposé  à et à couvert l’aléa moral d’un excès d’endettement privé.
L’idée de l’indépendance des banques centrales repose sur l’idée qu’il ne faut pas permettre un excès de dépenses et d’endettement publics.

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1    #23 17/03/2019 18h08

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Bonjour Caratheodory,

Je vous réponds sur les banques centrales en général, avant de focaliser sur la BCE, qui est une banque centrale très particulière, puisqu’elle est détenue par d’autres banques centrales (les BCNs, banques centrales nationales de la zone euro).

Comme toute banque, une banque centrale a effectivement un bilan, avec un actif et un passif qui s’équilibrent, un capital, des actionnaires, un compte de résultat et une distribution de dividendes. D’un point de vue financier, une banque centrale a toutefois 2 caractéristiques uniques :

a) La banque centrale n’a pas de risque de liquidité, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas faire défaut sur ses engagements, puisqu’elle pourra toujours "imprimer" la monnaie pour les régler. Donc le risque de crédit sur une banque centrale est nul.

[Il faut néanmoins garder à l’esprit que cela n’est vrai qu’en devise nationale (la seule monnaie que la banque centrale peut imprimer) ; techniquement une banque centrale peut faire défaut dans une devise étrangère - ce risque a motivé la création de lignes de swaps entre les grandes banques centrales pour faire face à des situations de crises potentielles. Ainsi la ligne de swap entre la BCE et la Bank of England vient d’être activée, dans le contexte du Brexit.]

b) La banque centrale peut indéfiniment fonctionner avec un capital négatif. Une banque commerciale avec un capital négatif ferait rapidement face à une perte de confiance de ses déposants et créditeurs, entraînant des retraits massifs et une crise de liquidité : c’est ce qui justifie les minima prudentielles de solvabilité, imposés par les superviseurs à toutes les banques. En revanche, une banque centrale peut conduire sa politique monétaire tout en ayant un capital négatif : c’est vrai à la fois en théorie et en pratique (certaines banques centrales comme en Finlande et en République Tchèque ont longtemps fonctionné avec un capital négatif). En effet, il n’y a pas de risque de liquidité : le risque de crédit sur la banque centrale reste nul même si elle a un capital négatif.

En fait, la seule vraie limite à la possibilité pour la banque centrale d’accumuler des pertes financières, c’est sa crédibilité :

- Si les agents économiques considèrent que ce n’est pas un souci pour la banque centrale d’avoir un capital négatif et s’ils lui maintiennent leur confiance dans son indépendance et dans sa capacité à maintenir la stabilité des prix, alors elle peut continuer indéfiniment ainsi.

- En revanche, si les agents économiques considèrent qu’un capital négatif (voire simplement faible) suggère une incapacité de la banque centrale, par exemple un signe de fiscal dominance (une banque centrale aux ordres de l’Etat, forcée par exemple de lui verser des dividendes excessifs), alors la banque centrale risque de perdre sa crédibilité et la stabilité des prix (c’est-à-dire la stabilité de la monnaie = le pouvoir d’achat des billets signés par le Gouverneur) est en péril.

Dans les faits, des banques centrales jugées "crédibles" (par exemple la Finlande) peuvent se permettre d’avoir un capital négatif, alors que pour des banques centrales dont l’indépendance est jugée plus fragile, ce serait beaucoup plus risqué.

Donc l’approche orthodoxe (qu’on essaie de diffuser dans le monde entier) est la suivante :

1) Pour une banque centrale, les objectifs financiers sont secondaires. L’important est qu’elle fasse le nécessaire pour maintenir la stabilité des prix. Par exemple, dans beaucoup de pays émergents la politique monétaire coûte de l’argent chaque année à la banque centrale parce qu’elle doit absorber un excès structurel de liquidité (contre rémunération versée aux banques).

2) La banque centrale doit maintenir un niveau de capital approprié pour que son indépendance ne soit jamais en doute. L’indépendance d’une banque centrale n’est pas uniquement institutionnelle (un mandat fixé par la loi, l’interdiction de financer directement l’Etat, l’interdiction de prendre des ordres de l’Etat) : elle est aussi fonctionnelle (la banque centrale doit pouvoir embaucher qui elle veut) et financière (elle doit pouvoir payer son staff correctement). Les banques centrales nationales de la zone euro ont des portefeuilles d’investissement gérés souverainement (en dehors des directives de la BCE), qui visent surtout à leur entière indépendance financière.

3) En cas de capital insuffisant (a fortiori négatif), l’Etat doit recapitaliser la banque centrale. Idéalement les règles pour la recapitalisation "automatique" de la banque centrale doivent être "sanctuarisées" dans la loi (les Statuts de la banque centrale). En pratique, c’est rarement le cas. Dans les pays émergents, c’est un sujet sur lequel le FMI est attentif : ainsi un programme FMI peut parfois être conditionné à une recapitalisation de la banque centrale par l’Etat (évidemment, le FMI promeut aussi l’indépendance des banques centrales et l’interdiction du financement monétaire des Etats).

Si l’Etat ne peut pas recapitaliser la banque centrale, la conséquence la plus évidente est que la banque centrale ne versera plus de dividendes à l’Etat (ou autres actionnaires) tant qu’elle n’aura pas rétabli un capital suffisant. Ainsi, les revenus du seigneuriage monétaire seraient entièrement affectés à la reconstitution du capital de la banque centrale.

[Ce sujet est pertinent dans un scénario hypothétique de sortie de l’Italie de la zone euro : certains promettent le désastre car "l’Allemagne" ferait une perte financière énorme liée aux balances TARGET2. La réalité c’est que dans ce scénario, c’est la Bundesbank (et non l’Etat allemand) qui ferait une perte, qu’elle effacerait en quelques décennies de seigneuriage. S’il y a une banque centrale au monde qui pourrait fonctionner longtemps / indéfiniment en capital négatif, c’est bien la Bundesbank.]

Le capital et réserves de la BCE s’élèvent actuellement à 7,6 milliards €, ceux de la Banque de France à 40,4 milliards €, et ceux de l’Eurosystème (BCE + BCNs) à 104,2 milliards € (données ici).

Un banquier central orthodoxe dirait peut-être que 104,2 milliards € de capital pour l’Eurosystème, c’est peu pour un total bilan de 4,7 trillions €. Un banquier central non-conventionnel dirait que ces 104,2 milliards € représentent une marge de manoeuvre minimale de prise de risque par l’Eurosystème, puisqu’on peut penser que la BCE / l’Eurosystème pourraient fonctionner sans souci avec un capital négatif.

L’an dernier la BCE a généré un profit de 1,6 milliard € (en hausse), qu’elle a intégralement distribué à ses actionnaires, les BCNs (les BCNs distribuant à leur tour des dividendes à leurs actionnaires, notamment les Etats, ainsi que des actionnaires privés pour la Belgique, la Grèce et l’Italie).

De façon générale, les temps de crise sont positifs pour les résultats financiers de la BCE et des BCNs :

- Toute les opérations de prêts sont strictement collatéralisées (avec une marge de sécurité). Même sur Lehman Brothers (des ABS en collatéral) la Bundesbank n’a pas fait de perte.

- Les prêts en dernier ressort (ELA / Emergency Liquidity Assistance) sont aussi collatéralisés et très rémunérateurs.

- Le portefeuille de QE génère des revenus en coupons.

- Le taux négatif imposé sur les réserves excédentaires des banques est un revenu nouveau pour l’Eurosystème.

Evidemment, l’objectif de la BCE n’est pas de faire de l’argent sur le dos des banques - a fortiori en temps de crise, mais de prendre toutes les mesures nécessaires à la préservation de la stabilité des prix. Milton Friedman disait que la meilleure gauge de la pertinence et du succès d’une intervention de la banque centrale sur les marchés, c’est son résultat financier (c’est particulièrement vrai sur le marché des changes).

Enfin, les règles relatives au capital de la BCE sont fixées par l’Article 28 de ses Statuts :

Article 28 des Statuts de la BCE a écrit :

28.1. Le capital de la BCE s’élève à 5 milliards d’euros. Le capital peut être augmenté, le cas échéant, par décision du conseil des gouverneurs statuant à la majorité qualifiée prévue à l’article 10.3, dans les limites et selon les conditions fixées par le Conseil conformément à la procédure prévue à l’article 41.

28.2. Les banques centrales nationales sont seules autorisées à souscrire et à détenir le capital de la BCE. La souscription du capital s’effectue selon la clé de répartition déterminée conformément à l’article 29.

28.3. Le conseil des gouverneurs, statuant à la majorité qualifiée prévue à l’article 10.3, détermine le montant exigible et les modalités de libération du capital.

28.4. Sous réserve de l’article 28.5, les parts des banques centrales nationales dans le capital souscrit de la BCE ne peuvent pas être cédées, nanties ou saisies.

28.5. Si la clé de répartition visée à l’article 29 est modifiée, les banques centrales nationales transfèrent entre elles les parts de capital correspondantes de sorte que la répartition de ces parts corresponde à la nouvelle clé. Le conseil des gouverneurs fixe les modalités de ces transferts.

Celles relatives au capital de la Banque de France sont fixées dans le Code monétaire et financier :

Code monétaire et financier a écrit :

Art. L. 142-1. - La Banque de France est une institution dont le capital appartient à l’État.

Art. L. 144-4. - Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent titre.
Il précise notamment le montant du capital de la Banque de France, les modalités d’établissement de son budget annuel, de financement de ses investissements, de présentation et d’arrêté des comptes, affectation du résultat annuel et de rémunération des membres du Conseil général ainsi que les modalités d’élection du représentant des salariés de la Banque de France au Conseil général.

On voit que dans les 2 cas il n’y a pas de règle automatique de recapitalisation de la banque centrale, contrairement à ce qu’on préconise souvent dans les pays émergents. (Un orthodoxe préfèrerait des règles automatiques, un économiste non-conventionnel dirait que c’est sous-optimal de limiter la capacité de la banque centrale d’accumuler indéfiniment des pertes - ce qui pourrait se justifier en temps de crise.)

La conclusion de tout cela, c’est que le niveau de capital est un indicateur important de l’indépendance d’une banque centrale, mais plus ou moins selon l’environnement institutionnel. Ce qui est crucial, plus que le niveau de capital, c’est l’indépendance institutionnelle de la banque centrale vis-à-vis de l’Etat (un mandat clair et sans équivoque de maintenir la stabilité des prix, l’interdiction du financement monétaire de l’Etat).

Dernière modification par Scipion8 (17/03/2019 18h53)

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2    #24 17/03/2019 21h49

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@Doubletrouble : Je rebondis sur votre mention de la MMT (Modern Monetary Theory), effectivement très à la mode aux USA.

J’ai suivi les débats entre les partisans de la MMT (Stephanie Kelton notamment) et ses critiques (Paul Krugman, Lawrence Summers… et tant d’autres !). Evidemment je me range résolument dans le 2nd camp.

De mon point de vue d’expert sur la politique monétaire (et plus particulièrement des opérations de gestion de la liquidité), ce qui me frappe c’est que les partisans de la MMT ignorent (ou semblent ignorer, je n’en suis pas sûr) :

1) La séparation entre l’Etat et la banque centrale (les 2 étant englobés dans le secteur public), alors que l’Etat (la politique budgétaire) et la banque centrale (la politique monétaire) sont guidés par des objectifs différents et des "fonctions" bien distinctes :
- la politique budgétaire est guidée par un objectif électoral (se faire réélire) avec une contrainte financière (le coût de la dette) ;
- la politique monétaire (US) est guidée par un objectif économique (soutenir la croissance, atteindre le plein emploi) avec une contrainte sur la stabilité des prix.

Les 2 politiques sont décidées séparément et avec un "calendrier" différent. Pour la banque centrale, la politique budgétaire (notamment la position financière de l’Etat) est une variable exogène dans sa gestion de la liquidité.

2) La stérilisation de la position financière de l’Etat par les opérations de gestion de la liquidité de la banque centrale. A la lecture de ses articles, j’ai vraiment l’impression que Mme Kelton ignore les bases de la gestion de la liquidité par une banque centrale. Pour une banque centrale, le compte du Trésor à la banque centrale est une variable exogène, un "facteur autonome", au même titre que les billets en circulation et les avoirs extérieurs nets : la banque centrale calibre ses opérations régulières de gestion de la liquidité bancaire pour stériliser / neutraliser les variations des facteurs autonomes. Ce qu’on appelle l’allocation de liquidité neutre, le montant que la banque centrale doit injecter ou absorber pour assurer une situation de liquidité neutre du système bancaire (optimale pour la transmission de la politique monétaire), se calcule chaque semaine en faisant la somme nette des facteurs autonomes, corrigée par les réserves obligatoires :

ALN = CF + CNG - AEN - APN - RO

ALN = allocation de liquidité neutre (le montant que la banque centrale doit injecter ou absorber)
CF = circulation fiduciaire (billets en circulation)
CNG = compte net du Gouvernement (dépôts du Trésor - créances au Trésor)
AEN = avoirs extérieurs nets (réserves de change, or)
APN = autres postes nets (dont portefeuilles d’investissement de la banque centrale à l’actif, capital de la banque centrale au passif)
RO = réserves obligatoires

Quand l’Etat effectue une dépense publique, CNG diminue, donc l’ALN diminue, donc la banque centrale injecte moins de liquidité dans le système bancaire. Ainsi la dépense publique n’a pas d’effet sur les réserves des banques, contrairement à ce qu’affirment les partisans de la MMT.

Et si la banque centrale n’effectuait pas cette stérilisation, l’effet serait un excès structurel de liquidité, avec toutes ses conséquences négatives pour l’économie :
- taux d’intérêt structurellement très bas, conduisant à une prise de risque excessive et à des bulles
- disparition du marché interbancaire, prolifération de banques zombies nageant dans la liquidité
- dépréciation de la devise sur le marché des changes
- à terme, hyper-inflation

[Actuellement j’essaie de remettre en marche la gestion de la liquidité / le marché monétaire dans une zone monétaire où le système bancaire a été noyé sous la liquidité excédentaire pendant des décennies. C’est compliqué.]

D’un point de vue plus politique, mon sentiment c’est que la MMT est :

1) Très (très) américaine : il n’y a qu’aux USA qu’on puisse penser que des déficits illimités ad infinitum n’auront aucun impact négatif sur la monnaie. Les USA sont le seul pays au monde qui peut accumuler des déficits abyssaux année après année, aimablement financés par la communauté internationale. Ils le peuvent grâce à leur rôle de super-puissance et grâce à la crédibilité acquise par le dollar US. Mais rien ne dit que tout cela est éternel, hein. Et en tout cas, aucun autre pays ne pourrait se permettre des déficits incontrôlés sans en payer rapidement le prix par (i) une hausse des coûts de financement, (ii) une dépréciation de la monnaie, et (iii) de l’inflation.

Les comparaisons faites par certains partisans de la MMT entre les USA (un pays à faible taux d’épargne qui finance sa dette par l’étranger) et le Japon (un pays à fort taux d’épargne qui s’auto-finance) sont franchement hilarantes.

2) Un (autre) rejeton maudit du QE : Le QE a créé chez certains des craintes infondées, et chez d’autres des illusions tout aussi infondées :

- D’une part, le QE a permis un renouveau de l’Ecole Autrichienne, qui ont vu une preuve de la "collusion" entre Etats et banques centrales, dont l’issue serait inévitablement une dépréciation des devises fiats et de l’hyper-inflation. Cela a fourni une base théorique à la bulle des cryptos.

- D’autre part, le QE a permis un renouveau de la MMT, qui y voit un signe que les banques centrales peuvent monétiser la dette publique sans conséquence inflationniste, et que donc on peut accumuler les déficits sans souci. Cela ne surprendra aucun banquier central qu’il y ait toujours des politiciens démagogues, du type Ocasio-Cortez (pas si éloignée de Trump sur ce sujet, d’ailleurs), pour saisir l’opportunité de politiques budgétaires irresponsables. On a toujours gagné plus de voix en promettant la Lune qu’en disant aux électeurs qu’il va falloir faire des choix douloureux pour assurer la continuité de l"Etat.

Dans la communauté académique, la MMT est largement discréditée, alors qu’on reconnaît au moins à l’Ecole Autrichienne certains mérites.

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#25 17/03/2019 22h32

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Oui, vraiment, il ne s’agit pas d’une institution étatique standard.

Ce qui est paradoxal est, qu’alors que son mandat se base sur un refus de financer directement les états, elle finit par garantir la liquidité et la solvabilité des banques commerciales et par ce biais par inciter les acteurs économiques privés et publics à s’endetter au maximum -ce qui est normalement très risqué. Pour les acteurs privés  s’ils achètent ainsi des actifs à prix élevé. 

La remarque de doubletrouble amène encore une question naïve voire bête: le prix des actifs fonciers ou mobiliers  est il pris en compte dans l’inflation que doit contrôler la BCE?

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