2 7 #1 21/09/2022 12h05
- Ursule
- Membre (2019)
Top 10 Année 2022
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Bonsoir à tous,
Je souhaitais initialement écrire ce post au début de la pandémie, mi-2020, mais ai décidé de ne pas le faire pour éviter que celui-ci soit pris, déformé et utilisé à tort contre ma volonté ou pour me coller une étiquette pro/anti quoi que ce soit. Cela m’était depuis sorti de la tête jusqu’à la survenue d’un évènement cette semaine : j’ai assisté à un débat (dans ma sphère privée, sinon je vous aurais fait passer un lien) sur l’utilité du jeûne entre une personne ne faisant pas partie du milieu médical et un médecin-chercheur. En substance, les arguments du premier étaient les suivants : "j’ai vu une vidéo qui affirme X", "les médecins ne sont pas tous d’accord avec toi", "j’ai lu moi-même l’étude qui dit Y". Cette personne était manifestement de bonne foi, mais sa méthodologie était incorrecte malgré le travail apparemment fourni.
Comme on le dit chez les Américains principalement, le "DYOR" (Do Your Own Research = Faites Vos Propres Recherches) est une excellente idée, mais le plus important est de savoir comment le faire correctement.
1. Lire l’étude plutôt que l’article.
Je vois souvent des citations d’articles de presse qui se font l’échos d’une étude ou d’une autre. Cela peut être une bonne chose, mais c’est en réalité souvent problématique pour (au moins) deux raisons :
- le journaliste n’est souvent pas spécialiste du sujet qu’il traite, et fait souvent un médiocre résumé (au mieux) d’une étude complexe, voire même se trompe complètement dans la conclusion qu’il tire de celle-ci ;
- le journaliste n’est pas qualifié (la fonction principale d’une bonne part des journalistes est de mettre en forme des dépêches de l’AFP, pas de contextualiser/filtrer son contenu), n’a pas intérêt (pour le sensationnalisme), ou ne prend pas la peine (par manque de temps) de renseigner le lecteur sur la crédibilité de ladite étude.
Résultat, on tombe souvent sur un journaliste qui cite une étude de seconde zone, tirée d’un magazine scientifique au rabais (voire même une revue "prédatrice" **) en transformant complètement la conclusion pour la rendre plus attrayante pour le lecteur. On colporte donc des erreurs, des inexactitudes, voire même de la désinformation ou des pseudosciences.
Wikipedia a écrit :
La pseudoscience1 ou pseudo-science2 (du grec ancien : ψευδἡς : « faux, trompeur, mensonge » et du latin : scientia : « savoir ») est une discipline qui est présentée sous des apparences scientifiques ou « faussement attribué[e] à la science », mais qui n’en a pas la démarche, ni la reconnaissance. Elle se situe en opposition à la science.
** Une revue prédatrice est une revue qui exploite une faille du fonctionnement de la recherche ; un scientifique est poussé à publier beaucoup d’études pour son avancement professionnel et la reconnaissance vis-à-vis de ses pairs. Ce faisant, certains, par besoin d’argent lié à des manques de financement, sous la pression du management ou par carriérisme zélé, sont poussés à publier dans des revues peu sérieuses - c’est à dire des revues qui publient les études sans les faire valider par des pairs ou sans vérifier les données. Voir cette étude de l’IAP pour en savoir plus sur les revues et conférences prédatrices (les définitions sont à la page 5).
L’exemple le plus emblématique à mes yeux est celui du Pr Raoult et de son étude sur l’hydroxychloroquine au tout début de la pandémie de Covid-19, qui a fait de la France la risée des scientifiques les plus sérieux du monde pendant quelques temps. Cet homme a fait le tour des plateaux TV, relayé par tous les médias, grâce à des propos appuyés sur l’étude en question, et nombreux sont ceux qui lui ont donné voix au chapitre. Ladite étude a été publiée dans le journal "Asian Journal of Medicine and Health", revue depuis démontrée comme étant une revue prédatrice par excellence***.
*** A la suite de la publication du Pr Raoult dans l’Asian Journal of Medicine and Health, le collectif "Laissons les vendeur de trottinettes prescrire" (en réponse au collectif très sérieux "laissons les médecins prescrire" qui souhaitait pousser le législateur à laisser les médecins se prescrire de l’hydroxchloroquine) a réussi à publier une étude franchement comique et tristement caricaturale dans le même magazine. L’étude est hilarante et faite pour faire rire (version française, et version originale en Anglais) et tout le process de son écriture a été publié ici (il est tout aussi hilarant). En substance, cette étude affirmait que comme les patients à qui l’on administrait l’hydroxychloroquine puis qui dévalait une pente sur une trottinette en bon état avait beaucoup plus de chances de survie que ceux à qui l’on en administrait pas et qui dévalait la même pente mais qui se terminant par un mur sur des trottinettes en mauvais état, il était urgent de prescrire le traitement (véridique, vous pouvez aller consulter toutes les sources que je vous ai fournies si vous doutez de mon résumé ou de mon intégrité…). Cela a achevé de discréditer le Pr Raoult et la revue dans laquelle il avait publié cette étude incroyablement malhonnête. Je vous invite à lire les (faux) noms des chercheurs indiqués dans l’étude comique (publiée !) et leur description des rôles de chacun sur la première page de la soumission - screenshot ci-dessous.
2. Déterminer si la source dans laquelle l’étude a été publiée est fiable.
Il est donc indispensable de vérifier la crédibilité de sa source directement, plutôt que de se fier à son intermédiaire. Pour ce faire, il existe plusieurs indicateurs, et plusieurs moyens de trouver ses sources. Par exemple, Google Scholar est un moyen de faire les deux : c’est un moteur de recherche de publications scientifiques qui indique également certains moyens habituels d’estimer la crédibilité d’une étude : en l’occurrence, l’indice H5 et la médiane H5.
Ces deux indicateurs sont définis par Google comme suit :
Google Scholar a écrit :
L’indice h5 est l’indice des articles publiés au cours des cinq dernières années révolues. Il correspond à la valeur la plus élevée de h de façon que h articles publiés entre 2017 et 2021 sont cités au moins h fois chacun.
La médiane h5 d’une publication correspond au nombre médian de fois que les articles composant son indice h5 sont cités.
Pour faire court, ces deux indicateurs sont un des (nombreux) moyens d’estimer l’impact d’une publication dans son domaine en calculant notamment le nombre de citations de l’article par d’autres scientifiques (et donc en partie son utilité pour eux) dans les années à venir. Dans l’image ci-dessus, on observe par exemple que Nature est la revue la plus prestigieuse sur ces points, notamment parce qu’elle publie des articles qui sont plus souvent cités que toutes les autres revues. Cela signifie au passage qu’il est extrêmement difficile de publier dans ces revues - il faut publier quelque chose de très significatif dans son domaine - et que le process pour y arriver est très compliqué ; le magazine, pour maintenir son image prestigieuse, va challenger fortement les conclusions de l’étude grâce à l’analyse de celle-ci par des pairs et ne pas hésiter à vérifier les données. Cela n’empêche pas certains trous dans la raquette parfois, mais c’est en énorme majorité très sérieux).
Plus ces indicateurs sont bas, plus il faut se méfier.
Pour ceux qui préfèrent les vidéos, voici deux vidéos sur le sujet :
- Le Youtuber Sciences étonnantes (physicien, PhD) : Comment fact checker une étude scientifique ?.
- Le Youtuber DirtyBiology (biologiste) : La mafia scientifique dont vous n’avez jamais entendu parler au sujet du fonctionnement de la recherche.
3. Douter de tout et vérifier ses doutes
- Êtes-vous sûrs que les moustiques sont attirés par la lumière ?
- Êtes-vous sûrs qu’on "attrape froid" parce qu’il fait froid ?
- Êtes-vous sûr que l’or protège des chocs et de l’inflation ?
- Êtes-vous sûrs que le rachat d’action fait augmenter le cours d’un titre ? Pas selon la Lettre numéro 197.pdf du prestigieux Vernimmen (qui vient par ailleurs de sortir sa version 2023 si cela peut vous intéresser).
- …
En cas de doute, une recherche sur Google Scholar pourrait vous permettre de trouver une source scientifique fiable. Et si celle-ci est payante, il existe le portail Sci-Hub qui permet souvent de trouver l’étude que l’on cherche gratuitement. C’est illégal puisqu’il s’agit d’un "ThePirateBay" (plateforme de téléchargement illégale) pour la science, et je ne vous encourage pas à l’utiliser. Libre à chacun de profiter de cette plateforme selon ses convictions (…).
Bref, il faut tout vérifier par soi-même et ne pas affirmer sans avoir vérifié l’information d’une manière ou d’une autre. D’ailleurs…
Charte du forum a écrit :
2. Des rumeurs, vous ne propagerez
…
10. Vos sources, toujours, vous préciserez
Disclaimer : ce poste est à vocation pédagogique et n’a pas pour objectif de lancer un débat sur la vaccination, le Covid, ou l’intérêt du jeûne, merci de respecter son but principal.
Amicalement,
Ursule
Mots-clés : dirtybiology, google scholar, indice h5, raoult, sciences étonnantes, sources, vérification des sources, études scientifiques
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