EDIT : j’avais fait une réponse très courte, et puis finalement je pense que la réponse longue peut intéresser les lecteurs. Ca va bien plus loin que les robiniers, mais c’est bien dans le thème du fil :
Lemouz, à mon avis, vous faites un contresens sur le "but" des espèces pionnières, en disant qu’elles ont pour but d’implanter d’autres espèces. Les espèces vivantes ont un seul "but" : se reproduire au maximum. Tout simplement parce que, dans l’histoire de l’évolution, les espèces qui n’avaient pas ce but ont été supplantées par des espèces qui avaient ce but. Donc, les organismes vivants ont pour principal but : se reproduire au maximum.
Donc, les robiniers eux aussi ont comme seul "but" de se reproduire au maximum. S’il n’y avait pas d’espèces secondaires (celles qui supplantent les espèces pionnières dans une succession écologique), ils proliféreraient. Imaginez une île où la seule espèce ligneuse serait le robinier, il y aurait une forêt de robiniers, tout le temps. C’est cela le "but" des robiniers.
Les espèces qui ont le but de supplanter les robiniers, ce sont les espèces d’implantation secondaire (chêne, sapins, etc). Mais les robiniers n’ont pas le "but" de se faire remplacer.
Accessoirement, "but", ça implique un dessein, un objectif conscient. Attention à l’anthropomorphisme ! J’ai écrit que les organisme vivant ont le "but" de se reproduire, mais il serait plus précis de dire que c’est une "caractéristique". Je ne pense pas qu’on puisse dire qu’une amibe ou un arbre ait un "but" conscient. Si quelqu’un a le "but", l"objectif" que les espèces pionnières facilitent l’implantation des espèces secondaires, ça ne peut être qu’un architecte extérieur, genre le Créateur, ou Gaïa, qui voit l’ensemble et dit que c’est bien. Ce qui nous emmène un peu loin ! Je prefère considérer que cette succession résulte des caractéristiques des espèces : les espèces pionnières ont une forte capacité d’envahissement et arrivent à pousser dans l’herbe ; les espèces secondaires sont capables de supplanter le robinier (car elles montent plus haut et lui piquent la lumière), mais en revanche elles ne sont pas bien capables de s’implanter directement dans un sol herbeux. C’est cette différence dans les caractéristiques écologiques des espèces qui fait qu’il y a une succession herbe -> espèces pionnières -> espèces secondaires. Ca ne résulte pas d’un but ou d’un objectif de qui que ce soit (sauf à croire au Créateur ou à Gaïa).
Ca peut paraître un détail, mais je trouve que c’est important. Il y a 25 ans, j’ai joué un petit rôle (très modeste) dans l’élaboration d’une thèse de doctorat en biologie, qui parlait de compétition et de "succès reproducteur". Ca a fortement contribué à ma formation. Depuis que je sais que les espèces vivantes sont obnubilées par la reproduction, car c’est leur raison d’être, je comprends mieux le monde !
Second point : vous dites que savoir que ça tend vers la forêt peut m’aider à faire quelque chose, dans l’idée de "faire avec" plutôt que "faire contre". Je pense l’invers. Ca tend vers la forêt, or moi je tends vers un jardin, DONC je dois éradiquer les robiniers (et les ronces). La forêt et moi, nous avons des "buts" bien différents. Je dois faire "contre" car je ne veux pas de ronces et de robinier dans ce jardin, donc je dois les éradiquer.
Les agriculteurs passent leur temps à empêcher la forêt de reprendre dans leurs pâtures. Ils fauchent les refus, chaque année, pour empêcher les frênes et autres espèces pionnières de s’implanter. Quand un arbre réussit quand même à pousser, ils vont l’arracher. L’agriculteur et le jardinier sont engagés, depuis toujours, dans une longue lutte contre la forêt.
L’homme veut avoir dans son jardin des espèces d’agrément (jolies, ombre…) et/ou productives de nourriture. La tendance naturelle, elle, veut que le terrain soit envahi par les plantes les plus efficaces sur ce couple sol + climat.
Il suffit de visiter des jardins abandonnés pour voir à quelle vitesse les plantes sauvages reprennent le dessus sur les plantes cultivées. Celui qui veut manger des bonnes choses issues de son jardin doit donc lutter contre l’ensauvagement.
On peut certes travailler avec la nature :
- déjà, essayer de trouver des usages aux espèces spontanées. "Manger des mauvaises herbes", pour caricaturer.
- ensuite, implanter de préférence les espèces végétales qui "réussissent bien" sur ce couple sol + climat. On peut essayer de le déterminer par la théorie (observer le sol, observer la flore en place, en déduire queles espèces de jardin y réussiraient bien). Ce qui nécessite de bonnes connaissances naturalistes/écologie/jardinage. Mais il y a une façon encore plus simple : demander à ses voisins jardiniers : "dites, qu’est-ce qui réussit bien par ici ?". Les espèces qui réussissent bien vont avoir besoin de très peu de soin. A l’inverse, plus une espèce est implantée dans une situation éloignée de son optimum écologique, plus il va falloir la soutenir à bouts de bras (désherber, arroser, apporter de l’engrais, etc). Le voisin va vous prévenir sur ces espèces, en vous disant des trucs du type "tel arbre, il faut traiter, et même comme ça, les fruits sont moches. Les carottes, pas moyen, elles sont courtes et elles fourchent". Etc. Vous saurez donc quelles espèces il faut éviter, sauf à passer beaucoup de temps et d’énergie à modifier le terrain pour cette espèce (par exemple, si, sur un carré de terre, on vire les cailloux et qu’on apporte du sable, on devrait finir par réussir à faire de belles carottes).
- ensuite, on peut trouver des bienfaits dans les associations de plantes, ou même dans une association de tel élevage + telles plantes. On peut aussi chercher à s’inspirer d’une lisière forestière, en associant les différentes strates (herbes, arbustes, arbres), tout en choisissant des plantes comestibles : au ras du sol, des plantes comestibles (mais pérennes) ; au niveau arbustes, groseilliers et cassisiers, par exemple. Et au niveau arbres, des fruitiers. C’est le principe du "jardin forestier" (ou forest garden en VO). Je me suis formé à la permaculture en général, et au jardin forestier en particulier, il y a 25 ans environ. Il y a de bonnes idées, mais il y aussi une bonne part d’angélisme, de vision "bisounours" ("les plantes s’entraident", etc). Les permaculturistes passent leurs temps à essayer d’implanter des systèmes qui sont censés être pérennes, "s’inspirer de la forêt", et donc qui sont censés fonctionner "tous seuls", où il est censé y avoir "synergies", etc… puis, ils passent beaucoup d’effort à entretenir ces systèmes ! De temps en temps, je vois un reportage sur les permaculturistes qui expliquent à quel point leurs techniques de no-dig, de mulching, d’associations de plantes etc. permettent que ça pousse "tout seul". Ils oublient juste de dire que leur centre de démonstration, qu’on nous montre en exemple dans ce reportage, bénéficie de la main d’oeuvre gratuite d’une dizaine de stagiaires (et parfois même ce sont les stagiaires qui paient pour travailler). S’il fallait payer au SMIC tous les gens qui travaillent dans le centre, il ne serait pas rentable à cause du coût du travail ; preuve qu’il y a besoin de beaucoup de travail dans un jardin en permaculture aussi. Car, même avec les meilleures idées permaculturistes, si on veut avoir dans son jardin autre chose que la forêt qui pousserait là spontanément, si on veut autre chose que du chêne, du hêtre et du sapin, et bien il faut lutter contre la forêt. Il faut, comme tous les jardiniers, favoriser les plantes que l’on veut, et défavoriser les plantes que l’on ne veut pas.
Donc, au total : je vais virer ces robiniers, car je sais que je veux un jardin et pas une forêt.
Dernière modification par Bernard2K (09/01/2023 17h31)