Bonjour,
voici une approche d’ensemble de la forêt privée française, grâce à une enquête de 2012 sur la structure de la forêt privée française, réalisé par le Ministère de l’agriculture (Agreste, service spécialisé dans la statistique agricole). Elle est très intéressante pour comprendre comment cette forêt privée est répartie, gérée (ou non gérée), et comment leurs propriétaires la considèrent.
Voici un document bien complet de 40 pages :
http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/ … tegral.pdf
Un autre document plus court :
http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/ … eur306.pdf
Quelques constats rapides :
Au total, 3,3 millions de propriétaires détiennent 10,4 millions d’hectares de forêt en 2012, pour la forêt cadastrée (à laquelle il faudrait rajouter un peu de propriété non cadastrée en forêt, voir en fin de message).
La forêt est très morcelée : 2,2 millions de propriétaires détiennent moins de 1 ha, et 0,7 million détiennent entre 1 et 4 ha. A l’inverse, seulement 57 000 propriétaires détiennent plus de 25 ha, mais cela constitue 47 % de la surface totale (1er doc, page 11). On voit qu’il y a donc un grand nombre de propriétaires avec de petites surfaces, et un petit nombre de propriétaires avec de grandes surfaces, ces derniers représentant toutefois une part très importante de la surface totale.
Cette surface détenue par chaque propriétaire est elle-même scindée en parcelles ou îlots plus petits, ce qui ajoute encore au morcellement. Cf 1er doc, page 14.
Or, le morcellement est un frein très important à l’exploitation forestière. Un exploitant forestier, qui achète des bois sur pied pour les exploiter, est intéressé par une coupe de 4 ha accessible. S’il n’y a que 0,4 ha et qu’il faut crée une piste, le bois est quasi-invendable.
Ces propriétés de grande taille sont gérées de façon plus active (quand on a plus de 25 ha, et a fortiori plus de 100 ha, c’est dans l’objectif que ça rapporte) : cf. leur part prépondérante dans la récolte totale de bois issu de forêt privée (doc 1, page 18).
On retrouve cette dichotomie en ce qui concerne les documents de gestion (cf. doc 2 page 3) : seulement 6 % des propriétaires ont un document de gestion mais ils ont 42 % de la surface totale.
Il est aussi très intéressant de regarder les "attentes" des propriétaires forestiers envers leur forêt (doc 2 page 3, graphique en haut à droite).
66 % des propriétaires ont un lien affectif à leur forêt, c’est la première réponse et de loin. Ce lien affectif est souvent dû au fait que c’est une forêt héritée, donc le lien avec les parents, grand-parents, souvent avec les origines rurales de la famille…
Seulement 35 % des propriétaires ont une attente de constitution de patrimoine et seulement 34 % de production de bois.
Comme il faut vendre du bois pour avoir des revenus (sauf exception type domaine de chasse), ça veut dire quand même qu’il n’y a qu’un tiers des propriétaires qui est en attente d’un revenu de sa forêt ! Triste constat d’une forêt trop souvent économiquement improductive !
Un autre constat renforce cette analyse : c’est lorsqu’on demande au propriétaire les raisons d’une exploitation insuffisante de sa forêt, il cite en premier lieu (à 42 % en moyenne) le manque de temps et/ou de connaissances.
Ca dessine le portrait d’une forêt qu’on sait qu’on a, mais dont on n’a pas le temps ou l’envie de s’en occuper. C’est typique des petites forêts héritées : un bout de forêt dans la montagne d’où la famille est originaire, alors que le propriétaire actuel vit dans une grande ville : ça lui fait une sorte de souvenir, d’attache symbolique à la terre, mais il ne la gère pas du tout ! Ca relève plus du portrait de l’aïeul sur la cheminée, que d’une part de patrimoine qu’on gère et qu’on fait fructifier !
Enfin, dans un forum sur l’investissement, où beaucoup n’envisageraient d’acheter éventuellement de la forêt qu’au travers de parts d’un groupements ou de société foncière, un point très important est la nature juridique de la propriété.
On voit (pages 16 et 17 du document que :
- la possession en nom propre est majoritaire en nombre : 83 % des propriétaires. Si on y ajoute les indivisions, on monte à 93 % des propriétaires ! Par contre, ils ne représentent à eux tous que 75 % de la surface. C’est là qu’on trouve beaucoup de cette petite forêt familiale, souvent héritée. Ainsi, 60 % d’entre eux environ ont moins de 4 ha.
- par contre, les groupements forestiers ne constituent que 1 % des propriétaires mais 14 % de la surface. On voit en page suivante qu’ils sont souvent propriétaires de grandes surfaces, et très peu de petites surfaces. 29% ont plus de 100 ha, 35 % entre 25 et 100 ha.
- les "autres personnes morales" sont 6 % des propriétaires avec 10% de la surface. 60 % a moins de 4 ha. Ces personnes morales sont une catégorie sans doute très hétérogène : on doit y trouver des gros propriétaires, type banques, assurances, sociétés foncières, et à l’autre extrême des petits propriétaires, qui se rapprochent de la forêt familiale dans leur taille et leur fonctionnement mais qui sont sous forme de personne morale.
Au final, même s’il y a une infinité de cas, on voit clairement se dessiner une dichotomie :
- d’un côté les propriétaires actifs, qui gèrent leurs forêt et en attendent des revenus. Ils ont souvent de grande surfaces, plutôt en résineux (rapport davantage et plus souvent que les feuillus), et sous document de gestion.
- de l’autre côté, des propriétaires moins actifs ou inactifs, avec des petites surfaces, plus souvent en feuillus, qui n’en attendent pas grand chose. Ils ne gèrent pas leur forêt, ou alors en font une gestion "a minima" pour la production de bois de chauffage.
Evidemment, si on veut tirer des revenus de son patrimoine forestier, il faut être dans cette première catégorie. Ca se fait :
- soit en achetant en nom propre une surface suffisamment importante pour avoir une gestion dynamique, productrice de bois et génératrice de revenu. On visera 4 ha grand minimum, mais plus de 10 ha, c’est mieux, et plus de 25 ha, c’est encore mieux.
- soit on veut avoir un peu de forêt sans s’embêter à la gérer, et on va alors acheter au travers d’un groupement forestier ou autre structure foncière. Ainsi, on prend une petite part dans une propriété forestière qui fait partie de ces forêts vastes, bien gérées et donc productives.
En moyenne, la forêt reste peu rémunératrice : s’attendre à 1 à 3 % de rendement dans le cas général. Quelques malins s’en tirent mieux (par un prix d’achat exceptionnellement bas par rapport à la qualité de la forêt ; par une gestion optimum de la production de bois ; ou bien encore par la valorisation économique des autres services de la forêt, comme de constituer et louer un domaine de chasse).
Ne pas oublier que la forêt a beau donner une apparence très solide et rassurante, c’est un investissement risqué. En effet, sa valeur peut être dévastée par une tempête, un incendie, ou une attaque de maladie. Il existe des assurances mais leur montant est élevé en proportion du revenu très modeste ; donc souvent cette assurance, tout en sécurisant le capital, vient bouffer le revenu.
Il est à noter que cette enquête ne porte que sur les propriétaires de plus de 1 ha déclarés au cadastre. Il faut donc y ajouter une floppée de petites propriétés (moins de 1ha cadastrées) et de forêts non cadastrés (souvent des accrus naturels, c’est à dire des forêts qui ont poussé sur des terres agricoles non entretenues et dont le propriétaire n’a jamais déclaré au cadastre que c’était devenu de la forêt). Ces petites propriétés viennent encore grossir les rangs de la très petite forêt, peu ou pas gérée.
Dernière modification par Bernard2K (11/02/2016 10h53)