J’aimerais mettre la situation de la Grèce en perspective. Ce n’est pas si facile. Je crois qu’il faut commencer par un repérage historique pour décrypter le présent. Oui, je sais mes messages font un peu maître d’école !
La Grèce a évidemment une très longue et très riche histoire. Dans les commentaires politiques ou économiques actuels, il est souvent rappelé que la Grèce est à l’origine du mot « Europe », du concept de « démocratie », des « mathématiques », etc. Je ne répéterai pas toute la liste car je ne vois pas d’influence majeure de la Grèce antique dans la situation actuelle.
En revanche, la période immédiate après guerre est beaucoup plus symptomatique et rarement citée. Le sort du pays a été scellé dès la conférence de Moscou de 1944 : la Grèce serait sous influence occidentale. Pourtant, tant les résistants que les citoyens étaient majoritairement en faveur du communisme. Lorsque les communistes ont voulu prendre le pouvoir fin 1944, Staline a fait la sourde oreille, respectant ainsi les accords signés pendant la guerre. Pire, des organisations paramilitaires d’extrême droite, soutenues par les Occidentaux, en particulier les troupes britanniques présentes sur place, sont intervenues violemment. Il s’en est suivi une guerre civile et un effondrement du pays.
A partir de ce moment, la Grèce a été sous influence directe des Occidentaux. Dans les livres d’histoire, le plan Marshall est mis en avant mais pas le réseau Gladio. Pourtant, son rôle est essentiel : le régime des Colonels a été établi en 1967 par la CIA et des forces spéciales d’extrême droite de l’armée grecque. La dictature a tenu jusqu’en 1974. Mais, l’armée secrète de l’OTAN connue sous le nom de code « Peau de Mouton » a été active jusqu’en 1988 alors que le gouvernement socialiste démocratiquement élu en 1981 était laissé dans l’ignorance de son existence et que la Grèce ne faisait plus partie de l’OTAN entre 1974 et 1980. Par active, je veux dire que l’armée secrète a été responsable de nombreux attentats et d’actions de déstabilisation.
La Grèce est entrée dans la Communauté Européenne en 1981 suite à une formidable croissance économique et également pour ancrer le pays dans l’Occident car le bloc de l’Est était considéré comme menaçant. Il ne faut pas oublier que, parmi les voisins de la Grèce, il y avait l’Albanie, la Yougoslavie et la Bulgarie.
Ainsi, on comprend que la Grèce n’a été qu’un pion dans la guerre froide et que l’avis du peuple grec a été méprisé pendant 45 ans. Si leurs aspirations collectivistes avaient été respectées à l’époque, les Grecs (qui en seraient probablement revenus comme la plupart des autres pays ayant fait l’expérience) seraient dans une bien meilleure posture au moins psychologiquement. Je pense que c’est une clef fondamentale pour comprendre la mentalité des Grecs : à cause de leur histoire récente et des décennies de déni de démocratie, les Grecs sont convaincus que le destin de leur pays ne dépend pas de l’action individuelle ou politique mais de l’extérieur.
Car en fait, le souci de la Grèce est un problème psychologique à grande échelle. Plus je m’informe sur la crise économique grecque, plus j’en suis convaincu. Je n’ai pas de références irréfutables mais plutôt un faisceau d’indices factuels que je vous soumets rapidement (ce message est déjà beaucoup trop long).
Tous les Grecs d’aujourd’hui et d’hier ont passé leur vie à prendre de l’argent à l’Etat. C’est un état d’esprit. Les révélations sont tellement nombreuses et systématiques qu’il est impossible de prendre la mesure du phénomène. Quelques exemples :
• Le gouvernement votait un budget prévisionnel chaque année mais aucune comptabilité ne cherchait à vérifier ce qui avait effectivement été dépensé l’année précédente. Le déficit devait être de 7 milliards d’euros par an mais, en vérité, il était de 30 milliards. Ainsi, la dette s’élève à 1 billion d’euros environ selon les statistiques officielles (personne ne connait le vrai chiffre).
• Les fonctionnaires ont vu leur niveau de vie doublé en 12 ans. Un salaire est en moyenne 3 fois plus élevé dans le public que dans le privé.
• La société publique des chemins de fer a un chiffre d’affaire de 100 millions d’euros annuel et des dépenses de 700 millions d’euros. C’est la société grecque où le salaire moyen est le plus élevé : 65 000 euros par an et par employé.
• L’éducation nationale possède un ratio nombre de fonctionnaires par élève très élevé mais le niveau scolaire est parmi le plus faible en Europe.
• La quantité de fournitures par hôpital publique est parmi la plus élevée d’Europe. Il faut dire que les employés se servent tous les jours et ramènent ces fournitures chez eux.
• La retraite pour les métiers difficiles est de 55 ans pour les hommes et 50 ans pour les femmes. Le problème : sont considérés comme métiers difficiles 600 professions comme coiffeur, animateur radio, musicien, garçon de café, etc.
• Par ailleurs, personne ne paye ses impôts. Les inspecteurs des impôts sont corrompus et les rares qui ne le sont pas sont et ont tenté de faire leur travail ont été muté. Pendant les années d’élection, les inspecteurs des impôts ne doivent pas travailler. Ainsi, aucun Grec n’a jamais été puni pour ne pas avoir payé ses impôts.
• Par exemple, 2/3 des médecins grecs déclarent un revenu inférieur à 12 000 euros par an et ne payent donc pas d’impôt. Selon un ministre des finances, 100% des médecins fraudent le fisc.
• Autre exemple, 100% des députés n’ont pas déclaré la valeur réelle de leurs biens immobiliers.
La source de ces infos est un livre de Michael Lewis, Boomerang : Europe : voyage dans le nouveau tiers-monde, que je recommande chaudement.
Ce n’est pas en sortant de la zone euro ou en recevant une aide financière massive du reste de l’Europe que la Grèce pourra être sauvée, selon moi. Sans changement de mentalité, point de salut.