Bonjour,
vous êtes sympathique alors je vais me fendre d’une analyse relativement complète, gratuitement, alors que c’est un boulot considérable. Ca n’arrivera pas tous les jours et notamment envers les newbies.
Le marché sur lequel vous vous placez : l’immobilier locatif. Location nue, meublée longue durée ou meublé courte durée : vous ne savez pas vraiment. C’est embêtant. On ne peut pas lancer une entreprise (ce que vous faites est une entreprise) sans connaître son marché et sans savoir où l’on se place sur ce marché.
Aides disponibles : vous ne savez pas. C’est très embêtant.
Vous savez bien en tant que comptable : en France, la fiscalité est lourde ; réciproquement, certaines activités disposent d’incitation fiscale. Il faut donc étudier l’impact de cela de façon approfondie. Cela peut modeler la raison d’être et la rentabilité d’une entreprise. Qu’on pense une seconde aux entreprises vendant du "crédit impôt recherche" et aux gains énormes qu’elles se font : manifestement la fiscalité peut modeler totalement une activité.
Vous avez étudié le projet physique, réel, à savoir créer un immeuble de 9 logements. C’est un projet "vertueux" parce qu’il va fournir du logement à des gens et du revenu à vos enfants et à vous. Mais ça ne suffit pas. Je peux vous citer 1000 projets "vertueux", qui ne sont pas rentables, uniquement parce que les considérations fiscales et administratives n’ont pas été prises en comptes.
Quelles aides pouvez-vous avoir ? ANAH ? En contrepartie de quel engagement ?
A quels autres dispositifs est ouverte cette ville : Cosse ancien (louer abordable) ? Pinel ancien (a priori très contraignant mais sait-on jamais) ? Denormandie ? Subvention de la commune ?
On peut parfois cumuler plusieurs dispositifs, pour atteindre des niveaux de subventions impressionnants.
Attention au nombre maximum de logements qui peuvent être subventionnés à la fois. Ca varie d’un dispositif à l’autre. Pinel, par exemple, c’est 2 par an.
Il vous faut faire des rendez-vous avec l’ADIL, l’ANAH, l’"espace info énergie" et noter scrupuleusement toutes les aides disponibles. Il vous faut étudier les contraintes.
Il faut regarder l’avantage réel : vous êtes actuellement non imposable. Le seriez-vous toujours si vous aviez 36 k€ de revenus fonciers par an ? La plupart des dispositifs apportent un avantage fiscal qui est une réduction fiscale (Pinel, Denormandie) ou une minimisation des revenus fonciers (Cosse). Est-ce vraiment avantageux dans votre cas ? La réponse pourrait être, par exemple "le Cosse ancien ne va pas m’économiser un seul euro d’impôt, par contre je le fais quand même car c’est la seule façon d’avoir les subventions ANAH sur les travaux et qu’elles sont hyper intéressantes". Mais elle pourrait aussi être toute autre. D’où l’intérêt d’étudier précisément leur application, dans votre cas.
En première approche, si c’est suffisamment éligible, je dirais qu’il faut maximiser ces aides, quitte à à avoir un engagement de louer nu pendant X années et à avoir une certaine complexification des paperasses (et allongement des délais).
En SCI IS, il est assez probable que la plupart de ces aides disparaissent. Ces aides sont en général spécifiques au particulier. Il faut regarder tout cela très précisément.
Travaux : le chiffrage vous paraît fiable car fait par un architecte. Pourtant, cet argument n’est pas sérieux. Vous le savez sans doute, les architectes font des chiffrages de précisions croissante au fur et à mesure d’un projet : APS (avant-projet sommaire) puis APD (avant-projet détaillé) ; le chiffrage réel n’étant connu que lorsqu’il a reçu les offres de l’entreprise qui auront reçu un DCE (dossier de consultation des entreprises) ce qui suppose au préalable d’avoir conçu le projet dans les moindres détails. On voit bien que l’architecte ne va pas sauter direct au chiffrage hyper-détaillé parce que ça lui nécessite beaucoup de travail préalable. Est-ce qu’il a déjà les offres des entreprises ? Très probablement non. Posez-lui deux questions :
"- à quel stade du chiffrage êtes-vous : APS, APD, réponses des entreprises ?
- à ce stade du projet, votre chiffrage vous paraît fiable à + ou - combien de pourcents ? Réfléchissez-bien avant de répondre, ma survie financière en dépend ! "
Or, une évolution de 10 % ou plus du montant des travaux est probable, tant qu’on n’ a pas les offres en main (et même après…). Or, 10 % des travaux > montant de votre épargne. Très très embêtant.
Notez bien que, jusqu’ici, je n’ai pas parlé de prix d’achat ni de rentabilité. Jusqu’ici, il s’est agi d’avoir suffisamment étudié son projet pour savoir dans quoi on s’engage. A ce stade, il manque encore beaucoup, beaucoup, de travail de votre part. A ce stade du projet, on ne peut pas étudier sa rentabilité, car vous ne savez pas encore que ce que vous allez vraiment faire, à quel coût, avec quelles aides, et avec quelle fiscalité ! C’est très très très embêtant.
Pourquoi ? Parce que ce projet vous dépasse. Vous avez l’impression d’avoir étudié le projet, mais non, il reste de très nombreuses zones d’incertitudes.
Pourquoi ? Parce que vous vous attaquez à un projet hyper complexe. Le simple fait d’avoir 9 logements dans un immeuble à rénover entièrement produit une complexité terrible. Franchement, je pense qu’il n’y a que quelques foreumeurs sur ce forum qui seraient vraiment à l’aise sur un tel projet, et ils ont tous au moins 10 ans d’expérience sur plusieurs projets immobiliers de complexité croissante, et ils font tous une bonne partie des travaux eux-mêmes. Exemple de questions tordues qui se posent :
- opération soumise à PC ou DP ou rien ? Les services de l’urbanisme peuvent-ils décider qu’il s’agit d’une création de 9 logements, avec tout ce qu’il en découle ? Est-ce que votre architecte est 100 % sûr des réponses à ces questions ?
- on rénove à l’économie, en considérant que c’est une seule bâtisse, ou bien on donne comme consigne à l’architecte : "je veux que ça puisse être revendu à la découpe un jour, donc pour tout ce qui est réseaux, compteurs, et parties communes, pensez "future copropriété"". Personnellement, je trouve que cette seconde option aurait beaucoup de sagesse : si un jour vous ou vos enfants ne peuvent ou ne veulent plus gérer, ils peuvent revendre à la découpe, ce qui rapporte probablement une belle plus-value, alors qu’un immeuble de rendement complet se vend plus difficilement et moins cher.
- y aura-t-il plusieurs régimes locatifs dans le même immeuble (location nue, location meublée à l’année, location meublée saisonnière) ? Cela pourrait être pertinent, mais il faut regarder les conséquences sur les aides disponibles. Supposons que l’ANAH vous dise "on peut subventionner 5 logements maximum", c’est un argument pour faire les 4 autres en meublé. A l’inverse, l’ANAH vous dit "c’est tout ou rien", ça encourage à placer les 9 logements en location nue avec convention ANAH.
Vous dites en substance "j’aurais pu faire un petit projet après l’autre, c’aurait sans doute été plus raisonnable, mais le temps presse". Pourtant, c’est le bon sens même de procéder ainsi. La preuve en est que ce projet vous dépasse et que vous l’avez étudié de façon très très insuffisante.
Autre chose à prendre en compte : les conséquences de votre handicap. Sur un chantier "normal", la plupart des investisseurs mettent la main à la pâte, ce qui diminue les coûts. Même s’ils n’ont pas mis la main au chantier du tout, ils vont faire un certain nombre de petites choses en fin de chantier : gros nettoyage, pose de quelques étagères, etc. Vous vouliez louer meublé : la plupart des gens vont chercher les meubles et les montent eux-mêmes. Pouvez-vous le faire ? Ou bien avez-vous quelqu’un qui peut le faire, à quel coût ?
Idem en gestion locative : vous parliez de location saisonnière, mais c’est un boulot considérable : réservations, accueil, ménage, changer les draps. Pouvez-vous le faire ? Ou bien avez-vous quelqu’un qui peut le faire, à quel coût ? (une agence prend 30 % des loyers rien pour la gestion, sans parler de la conciergerie et du ménage, sachant qu’elles sont souvent très mauvaises sur le saisonnier car elles ont une guerre de retard ; sachant qu’avec la réputation internet, le moindre faux pas peut ruiner votre évaluation et donc diminuer le flux de vos locataires ; tout doit être impeccable, tout le temps).
Même la gestion locative "ordinaire", en location nue, suppose un certain nombre d’interventions physiques du bailleur. Si c’est une agence qui gère, et qu’elle envoie un électricien à chaque fois qu’il faut changer une ampoule, les coûts de gestion et d’entretien s’envolent… ou bien l’immeuble se dégrade. C’est très sérieux ce que je dis là : en premiere approche, une gestion par agence, c’est environ 10 % du loyer pour l’agence (en location à l’année, si l’on intègre la commission sur la recherche de locataires) + un coût d’entretien qui double au moins.
Ce point est d’autant plus marquant dans une petite ville de Dordogne, car les petits prix de l’immobilier, à la vente comme à la location, ne permettent pas de payer des gens pour tout faire au tarif horaire normal. Quand on est à Paris, avec des prix de 10000 €/m² et des loyers à 30 €/m², on peut se permettre de tout faire faire par des gens payés, car ça constitue relativement peu de dépenses en proportion. Quand on est à 1000 €/m² en valeur de l’immobilier, et des loyers à 6 €/m², le coût de la main d’oeuvre s’impacte beaucoup plus. Ce coût du travail a vite fait de bouffer tout le bénéfice. C’est bien pour cela que dans ces petites villes, beaucoup de propriétaires bailleurs font "tout eux-mêmes" et/ou recourrent massivement au black, parce qu’il n’est juste pas possible de tout faire faire au tarif horaire "normal".
En fait, souvent le particulier ne peut se vanter de la "rentabilité" et de la "plus-value" de ses projets immobiliers que parce qu’il fait des apports gratuits de temps de travail et de charges. Qu’il commence à compter son temps de travail ne serait-ce qu’au SMIC horaire, et toutes les charges qu’il oublie (les petits achats, les déplacements…), et les chiffres seraient bien moins reluisants. Je rigole en pensant à tous ceux qui investissent loin de chez eux. Qu’ils fassent donc des notes de frais, à 0,5 €/km, et ils commenceront à voir à quel point ils "subventionnent" leur activité de bailleur avec l’argent du ménage !
En gros, un particulier est comme une entreprise qui oublierait de compter 10 à 30 % de ses charges (au pifomètre). Alors oui, elle afficherait un résultat positif, mais est-elle vraiment rentable ?
Le problème, c’est que vous allez être obligée de déléguer une grande partie du travail à réaliser (non seulement les travaux, mais aussi toutes les tâches ordinaires type gestion locative, décoration, ménage des parties communes, entretien du jardin et de la piscine (900 m² de cour avec jardin piscine, entretenu par des pros, ça coûte terriblement !) etc). Donc tout cela vous coûtera, donc le tour de passe-passe habituel du particulier n’est plus possible.
Ce que je dis est un peu tabou, car il est de bon t.on de faire comme si une personne handicapée ne l’était pas. Or, je connais des personnes handicapées, je vois bien les conséquences.
Même quand on est valide, il y a un petit test qu’on a presque tous fait un jour ou l’autre : quand on a un bras immobilisé (plâtre ou équivalent), on voit déjà tous les gestes du quotidiens qu’on ne peut plus faire. On voit que meubler un appartement, ou faire un gros ménage, par exemple, on ne peut plus faire. La limite entre ce qu’on peut faire soi-même, ou ce qu’on doit faire faire, s’est décalé très fortement vers "ce qu’on doit faire faire".
Donc, posez-vous franchement les questions : aujourd’hui, que pouvez-vous faire vous-même, que devrez-vous déléguer ? Et à quel coût ? Même question dans 5, 10, 20 ans. Même question pour vos enfants : vu l’évolution probable de leur maladie, pourront-ils gérer un immeuble de 9 logements dans 20, 30, 40 ans ? Si la réponse est non, que devront-ils déléguer ? Et à quel coût ?
A ce stade, vous avez 2 solutions :
- persister dans ce projet, ce qui suppose de réaliser tout l’approfondissement qui est encore manquant, de réfléchir à toutes les questions soulevées ci-dessus (et encore d’autres sans doute).
- ou bien, faire un petit investissement immobilier d’abord, tout en recherchant une rentabilité égale ou supérieure à celui-là. Cela sera sans doute frustrant et décevant, mais tellement plus réaliste.
Pour faire la présente analyse, j’ai fait de nombreuses recherches sur le prix de l’immobilier, le zonage A B C, les annonces sur le bon coin, etc. sur une certaine ville de 8000 habitants de Dordogne. Comme je ne suis pas sûr d’être sur la bonne ville, je n’ai pas donné de chiffres précis dans mon analyse ; j’ai émis une analyse qui reste valable même si c’est une autre ville. Après tout, c’est tant mieux, car c’est à vous de faire ces recherches, si vous voulez vraiment maîtriser votre projet.
Certains trouveront sans doute mon message "pas sympa". Est-il sympa de vous laisser vous engager dans un projet trop complexe qui risque de vous mettre dans les pires difficultés ? Je préfère poser les bonnes questions et attirer votre attention sur des difficultés potentielles que toutes les personnes de bon sens vous confirmeront. Si vous tenez tout de même à réaliser ce projet, il vous reste beaucoup de travail.
Est-il "sympa" de donner 2 heures de son temps pour fournir à une personne une analyse experte et impartiale d’un projet ? Ou bien, pour la "bonne ambiance" du forum, faut-il toujours dire "même si votre projet semble insuffisamment étudié, et que je pointe timidement quelques points qui mériteraient d’être approfondis, au total vous êtes une personne sympathique qui mérite des encouragements", la laissant persister dans un projet insuffisamment étudié, qui pourrait lui coûter très cher à divers points de vue (pas seulement financier) ? Je laisse chacun répondre à ces questions. Moi je retourne à mon (vrai) travail.
Dernière modification par Bernard2K (11/02/2020 12h52)