Le concept de volonté de puissance (ou volonté vers la puissance - quand on traduit littéralement de l’Allemand - ce qui enlève le caractère possessif) est assez flou et différentes interprétations sont bien sûr possibles mais il me semble néanmoins que ce serait une erreur de l’assimiler au désir de dominer l’autre. Ce que Nietzsche dit c’est qu’il ne condamne pas le désir, qu’il juge pourtant primaire, de dominer l’autre par la force en cela qu’il est l’expression d’un désir plus grand qui ne sait pas encore s’exprimer d’une meilleure façon. Pour lui, le « barbare » est certes préférable à l’homme moderne, jugé décadent et appelé à disparaitre, mais il n’est pas non plus l’idéal du surhomme qui, lui, comprend vraiment la volonté vers la puissance. Le « barbare » est apprécié car, sans le savoir, dans sa sauvagerie aveugle, il obéi à la volonté vers la puissance mais Nietzsche ne recommande pas aux hommes modernes (industriels) de retourner vers la barbarie car, selon lui, une fois que l’âge du nihilisme est atteint par une civilisation (une fois que Dieu est mort) la seule solution est de le pousser à son paroxysme, de l’appeler toujours plus jusqu’à son exhaustion par lui-même - et non pas de rebrousser chemin - de façon à accélérer l’avènement d’un nouveau type d’humain, le surhomme, qui saura être à la fois faiseur de chose raffinées (philosophie, art) mais non décadent (cad en symbiose avec les lois de bases de l’univers, donc de la volonté vers la puissance).
La volonté vers la puissance est pour moi l’équivalent de la libido chez Freud, du Kundalini dans le Yoga, c’est l’oiseau qui chante dans le cœur du Siddhârta de Hermann Hesse, … c’est « ce qui veut », c’est la réponse à « pourquoi quelque chose plutôt que rien ?», c’est l’envie. Donc un principe très, très large (le plus large en fait) et qui va bien au delà d’une simple justification de la domination de l’homme par l’homme même si il l’explique.
Justement, ne pourrait-on pas faire une analogie entre Nietzsche et les trois stades de l’humain en société capitaliste en reprenant l’étude de Nor2 :
1/ En-deçà du minimum technique pour vivre (nourriture, un toit, du chauffage, des médicaments en cas de maladie, pays en paix et état de droit)
On est au stade normal, c’est-à-dire ce qui a constitué le sort de 99.9% de l’humanité depuis la nuit des temps : passer son temps éveillé à combattre et à peiner pour obtenir les éléments nécessaires de base ou tout du moins ne pas trop souffrir de leur manque, assurer sa descendance, puis mourir. Pas trop de questions à se poser car pas le temps ni l’énergie. On créé des dieux (des valeurs morales) pour justifier ce mode de vie.
2/ Entre le SMIC et l’indépendance financière (qui n’est pas tant un chiffre - même si un minimum est requis - qu’un état d’esprit, une compréhension des rouages du système alliée à une volonté farouche d’en sortir)
Nihilisme de l’homme moderne dont le désir de « toujours plus » (« big » est le mot Américain par excellence) est un symptôme de la maladie. Les anciennes valeurs ne fonctionnent plus (consommer plus cesse de rendre plus heureux) mais on s’y accroche de façon compulsives car le changement fait peur. On achète une grosse voiture, un iPhone 12, un jacuzzi, … les ventes d’antidépresseurs et les suicides explosent, les gens des pays africains se déclarent en moyenne « plus heureux »… Quelque chose ne va plus.
Pourtant tout est fait pour nous fermer les yeux et qu’on continue comme si de rien (car il faut continuer de produire toujours plus et de consommer toujours plus, même si la satiété a été atteinte depuis longtemps sous nos latitudes)
3/ indépendance financière et au delà, la voie vers le Surhomme ?
A ce stade, l’humain capitaliste est libre de faire ce qu’il VEUT. Terrifiant postulat. Qu’est ce que je veux ?
« Faites donc ce que vous voulez - mais soyez d’abord de ceux qui peuvent vouloir ! » Ainsi parlait Zarathoustra
Un sacré courage est nécessaire pour se rendre compte que toute notre vie on a couru derrière les « il faut », les « t.u dois », on a été embrigadés en écoles et formés à penser comme il faut, c’est à dire comme d’habitude dans l’histoire de l’humanité, alors que pourtant notre donne est très éloignée de ce qui a constitué la norme par le passé, à coup de carotte et de bâton appelés « éducation ».
Chez Nietzsche c’est le moment où le chameau (celui qui porte les t.u dois) se transforme en lion et tue le dragon à écailles miroir (les valeurs morales). Il se retrouve seul dans le désert (car les autres ne comprennent pas sa démarche, mais c’est aussi un clin d’œil a Jésus car Nietzsche fait des petites blagues)
Qui suis-je réellement ? Qu’est ce que je veux ? Poser la question du vouloir nous reconnecte a la volonté vers la puissance. Pour certains, passé un certain temps d’acclimatation et de repos, ce sera faire son jardin, passer du temps avec sa fille, faire le tour du monde, programmer des logiciels, écrire un livre, aider les restos du cœur, faire du vin, construire une moto, élever des poissons exotiques … On se retrouve a faire des activités que d’autres feraient contraints et forcés pour un salaire (babysitting, garagiste, ingénieur, serveur, etc) par désir, ce qui change tout. Forcement les 99% de gens « normaux » ne comprennent pas et on risque de se sentir un peu incompris, voire menacé. C’est compréhensible, on remet en question tout leur mode de vie et toutes leurs valeurs.
Vous l’aurez compris, je suis très intéressé par l’idée de salaire universel, même si je crains la mise en pratique concrète. Je pense que c’est la seule idée véritablement innovante et qui permettrait d’aller au delà du capitalisme : déconnecter salaire et emploi.
Qu’en pensez-vous?
Je ne résiste pas à l’envie de poster trois illustrations cinématographiques:
Stade n01: Gone with the Wind (l’instinct vital primaire)
I’ll never be hungry again - Gone with the wind scene - YouTube
Stade n02: La dolce Vita (l’écœurement final du nihiliste moderne qui "n’entend" plus l’envie. Juste pour contextualiser : Mastroiani est complètement saoûl après une soirée mondaine et se retrouve sur la plage au petit matin, il retrouve une jeune fille de classe populaire qu’il connait qui elle vient de se lever pour travailler)
La dolce vita - Final scene - YouTube
Stade n03: 2001 a Space Oddyssey (la mort de l’homme moderne et l’avènement de l’homme-dieu)
2001 A Space Odyssey - ending - YouTube
Dernière modification par WayWardCloud (07/10/2015 10h07)