Bonjour,
Il me semble en effet largement préférable d’évoquer le carnet de commandes plutôt que le "backlog", ce qui ne m’empêchera pas d’essayer de vous répondre.
En premier lieu, il faut noter que cette notion n’est pas pertinente pour de nombreuses entreprises cotées, surtout les institutions financières, la distribution et le secteur des biens consommation. Prenons ainsi pour exemple Imperial Tobacco, société bien connue sur ce forum : la notion de commande n’a ici aucun sens ; le consommateur achète son paquet de cigarettes chez le débitant sur étagère et s’attend bien sûr à le trouver disponible sans avoir à le "commander". De même le distributeur Carrefour ne reçoit pas de commandes de ses clients, mais doit approvisionner ses étagères pour satisfaire leurs attentes, sinon ils iront acheter ailleurs.
En revanche, cette notion est cruciale dans des secteurs comme l’armement, l’ingénierie-construction, les biens d’équipement. L’importance et la qualité du carnet de commandes sont des éléments essentiels pour apprécier la valorisation des entreprises de ces secteurs et elles participent à la formation de leur cours de bourse. Pour autant, même avec un bon carnet de commandes, ces entreprises ne sont pas à l’abri de déconvenues boursières (cf exemple de GTT). En résumé, le carnet de commandes donne de la visibilité sur le futur de l’entreprise, ce qu’apprécient les marchés.
Il faut aussi avoir à l’esprit les 2 écueils que recèle cette notion :
- il ne suffit pas d’avoir des commandes ; encore faut-il que l’entreprise qui les exécute gagne de l’argent, ce qui n’est pas toujours si évident qu’il y paraît. Pour l’emporter sur la concurrence et maintenir leur plan de charge, certaines entreprises peuvent soumissionner à des prix inférieurs à leurs coûts ( a direction des constructions navales l’a fait par le passé mais ce n’est pas le meilleur exemple car l’Etat a pu l’obliger à le faire) ou alors c’est l’exécution des contrats qui révèle des mauvaises surprises avec des dépassements de coûts ; c’est ainsi que Saipem, le Technip italien, suite à de "mauvais" contrats en Algérie s’est retrouvée au bord du dépôt de bilan.
- les commandes annoncées par les sociétés dans leurs communiqués ne font pas toujours l’objet de contrats finalisés, mais de négociations avancées, "en voie de finalisation". Cet optimisme un peu excessif n’attire pas suffisamment la vigilance des commissaires aux comptes? De toute manière, même signée, une commande peut toujours être annulée par le client, mais en règle générale, une indemnité de dédit est prévue au contrat.
S’agissant de l’exécution du contrat, le principe simple qui s’applique est : le client est roi ! Le client a des exigences techniques et calendaires qui ont été inscrites au contrat et l’entreprise doit tout mettre en oeuvre pour les satisfaire, sinon pénalités et autres réfactions obèreront la rentabilité du contrat. Il n’y a donc guère de marge de manoeuvre pour le fournisseur, surtout pour celui qui a accepté trop de commandes et ne dispose pas de l’outil industriel pour les satisfaire : il faut alors sous-traiter ou bien embaucher des supplétifs si on en trouve pour "faire le job". Pour certains contrats à l’export, le fournisseur doit en outre déposer en nantissement bancaire une forte caution garantissant la bonne fin du contrat ; autant dire que le fournisseur n’a alors pas droit à l’erreur s’il veut récupérer sa caution.
Le cas des marchés publics (armement, biens d’équipement…) est quand même un peu particulier : si le fournisseur n’est pas en mesure d’honorer tout son carnet de commandes, il n’est pas rare qu’il vienne "pleurer" dans les cabinets ministériels pour demander un aménagement de délais sur ses commandes françaises, de façon à satisfaire en priorité les clients export. L’administration se montrera alors plus ou moins compréhensive selon le caractère plus ou moins stratégique de la commande, sachant qu’il est toujours plus simple d’accorder ex-ante un report de délai qu’ex-post une exonération de pénalités de retard. En dehors de ce cs particulier, les entreprises n’ont pas vraiment de marge de manoeuvre.
Complément édité le 24/02 : il existe aussi une manière habile d’améliorer la rentabilité d’un contrat, à savoir convaincre le client de modifier son expression de besoin et donc la spécification technique du livrable. Parfois, c’est même le client qui le demande avant que le fournisseur ne l’ait proposé, car la technologie évolue vite. Ces modifications se font généralement par voie d’avenant au contrat sans nouvelle mise en concurrence ; dès lors, il est relativement aisé pour le fournisseur de prendre une grosse marge sur cet avenant. Evidemment, les entreprises ne communiquent guère sur la rentabilité de ces modifications contractuelles : on ne peut pas risquer d’indisposer ses clients en voulant tout dire à ses actionnaires.
Dernière modification par stokes (24/02/2016 18h36)