Le Monde a écrit :
Un nouveau marché contre la fraude au logement ?
La difficulté pour réussir à louer un appartement ne concerne plus simplement les personnes aux finances les plus fragiles (jeunes, familles monoparentales…), mais aussi les classes moyennes, dont le seul moyen de voir leur dossier retenu consiste parfois à mentir sur leurs revenus. En réponse à ce phénomène, une première agence spécialisée dans l’enquête sur les aspirants locataires a vu le jour à Paris en septembre.
48 % DE FRANÇAIS PRÊTS À TRICHER POUR SE LOGER
Pour atteindre le fameux revenu moyen de trois – voire quatre – fois le montant du loyer exigé par les agences immobilières et les propriétaires, certains aspirants locataires n’hésitent pas à annoncer des revenus surévalués. Trois d’entre eux témoignent après l’appel lancé sur Le Monde.fr.
Caroline, 36 ans, en CDI à 2 800 euros net, raconte : "plus de trois mois m’ont été nécessaires pour trouver et louer un 38 m2 à Paris en cherchant activement – et bien sûr en falsifiant mes fiches de paye à 3 500 euros, sinon personne ne me rappelait. Certains trouvaient aussi que 3 500 euros mensuels, c’était ’short’ !"
Même nécessité de ’fraude’ pour Etienne, un journaliste pigiste de 39 ans, obligé de "photoshoper" les feuilles de salaire d’un ami chef de projet informatique : "Impossible de trouver un logement pour nous et nos enfants : nous sommes tous deux en freelance. Et pourtant, nos revenus s’élèvent chaque année à 80 000 euros !", s’irrite-t-il.
Face au dénuement de leur salariés, des patrons solidaires se feraient également les complices de telles pratiques. "Mon employeur de l’époque m’a carrément proposé de gonfler mon salaire sur les derniers mois afin de pouvoir justifier de ce fameux ’salaire = trois fois le loyer’, ce qui relève le plus souvent de l’impossible, du moins pour la majorité d’entre nous. Grâce à cette tricherie, j’ai pu obtenir l’appartement !", confie Juliette, une Parisienne quarantenaire.
Ce phénomène de fraude est-il en recrudescence ? Aucune enquête n’est pour l’instant disponible. "C’est bien sûr quelque chose qui existe, mais cela n’est pas devenu suffisamment important pour qu’une étude s’y penche", estime Isabelle Couëtoux du Tertre, directrice adjointe de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL). Suffisant en tout cas pour que certains entrepreneurs y voient un créneau à exploiter.
PRÉLUDE À UN NOUVEAU BUSINESS ?
"Il vaut mieux présenter un dossier un peu arrangé que de s’embêter à essayer de défendre un dossier difficile", entendaient régulièrement Hervé de Kermadec et Benoit Dumortier. Inspirés, ces deux ex-ingénieurs, dont l’activité est centrée sur la vérification des identités pour des établissements bancaires en ligne, se lancent dans ce marché encore inexistant. En 2011, ils créent BePrem’s et réalisent au passage un sondage portant sur huit mille Français. Résultat : 48 % des personnes interrogées se déclarent prêtes à exagérer leur revenus pour obtenir un toit.
Surfant sur la difficulté des propriétaires et des agences immobilières à approfondir la vérification des dossiers locatifs, leur société propose donc de réaliser ces vérifications avec la même rigueur que dans le contrôle bancaire. "Un savoir-faire", dans le "traitement de dossiers, la vérification de l’authenticité des pièces", s’enorgueillit Hervé de Kermadec.
Leur méthode ? Contacter chaque employeur et délivrer un certificat d’authentification, détecter les faux avis d’imposition, "ce que 99 % des agences ne détectent pas", avoir l’œil pour repérer les pièces trafiquées – surimpression, polices de caractère différentes, raccord mal faits, etc. – ; mais surtout, vérifier la cohérence d’un dossier dans ses différents éléments. C’est là que se nichent souvent les preuves de la tricherie : incompatibilité entre les revenus nets et bruts affichés, absence de certaines mentions légales sur fiches de paies retouchées. "Le fraudeur qui arrive à ne pas commettre d’erreurs sur ces éléments est un fraudeur ++, il faut une vérification minutieuse", renchérit l’entrepreneur.
Depuis sa création, fin 2011, cinquante agences immobilières travaillent avec BePrem’s et mille locataires y ont déjà déposé leur dossier.
ACCUEIL MITIGÉ
Pour Camilla Saidoun, franchisée Laforêt Immobilier à Paris, cette nouvelle offre n’est pas dénuée d’intérêt. Elle constate que de nombreux propriétaires souscrivent à l’assurance "loyer impayé". Dans ce cas de figure, l’assurance fait déjà un travail de vérification minutieux, l’agence immobilière n’est donc pas responsable en cas de fraude. Le niveau d’exigence de l’assurance est en outre élevé (pas de garant possible depuis la loi Boutin, donc CDI et salaire de trois fois le loyer demandé au locataire lui-même).
Si le propriétaire n’y souscrit pas pas, Camilla – bien que vigilante – n’appelle pas pour autant systématiquement les employeurs, "si tout est bien falsifié, comme c’est le cas avec les moyens technologiques actuels, on ne voit rien. Une agence de vérification intermédiaire peut représenter une sécurité en plus pour désengager notre responsabilité en cas de fraude", évalue-t-elle.
Autre vision : d’après Michaël Raimon, gestionnaire de biens qui loue environ quatre cents biens par an en région parisienne, la plupart des agences feraient correctement ce travail de vérification. "Fondamentalement, nous sommes mandatés par des propriétaires qui nous font confiance. Ma philosophie est que je n’ai pas à déléguer le cœur de ma mission à un prestataire tiers", considère ce professionnel.
Eléonore Gratiet-Taicher