Perso je pense qu’un investisseur doit observer son environnement et s’y adapter. C’est à mon avis une grosse erreur de ne pas le faire. On pourrait compter sur le forum le nombre de fois où on a dit que les valorisations d’Amazon, Google, Facebook etc. n’étaient pas "raisonnables" - avant que leurs cours ne décuplent, voire davantage. Si c’est de la sagesse, il me semble que c’est une sagesse bien coûteuse…
Je pense que ceux qui ont commencé à investir dans les années 2000 ou au début des années 2010 et qui se retrouvent aujourd’hui avec un portefeuille sans GAFAM, sans LVMH, sans Visa - sans toutes ces entreprises extraordinaires qui dominent aujourd’hui le monde - ont fait une erreur majeure de process, et je ne veux certainement pas renouveler cette erreur aujourd’hui.
Les niveaux "raisonnables" de valorisation des actions dépendent de l’environnement macroéconomique : c’est incontestable, c’est des maths.
Je reprends la formule de Gordon (dérivée de la valorisation DCF) : P = D1 / (r-g)
où :
- D1 est le prochain dividende (on peut considérer le prochain résultat net, E1, en faisant l’hypothèse d’un retour de cash total aux actionnaires, sous forme de dividendes ou de rachats d’actions)
- r est le coût du capital pour l’entreprise, qu’on peut décompenser en taux sans risque + prime de risque
- g est la croissance perpétuelle des dividendes
PER = P/E1 = 1/(r-g)
Dans les scénarios ci-dessous, je considère la prime de risque de marché inchangée à 5% (évidemment ça dépend des pays, des secteurs, des entreprises etc. - cf. les travaux de Damodaran).
Les 2 autres paramètres ont changé ces dernières décennies :
1) Le taux sans risque a considérablement baissé, principalement par l’action des banques centrales dans un monde beaucoup moins inflationniste qu’avant, voire désormais déflationniste : dans les années 1990, on considérait que le "taux d’équilibre" aux USA tournait autour de 5%. Maintenant, un optimiste dira plutôt 3%. Quelqu’un qui prévoit une menace déflationniste persistante (c’est mon cas) verra "the New Normal" autour de 1%.
Quand on parle de "taux sans risque" pour la valorisation des actions, on doit prendre le "taux d’équilibre" attendu sur le long-terme : difficile à déterminer, évidemment, mais ce qu’on peut dire à la vue des taux de la Fed, c’est que ce taux sans risque est probablement un peu différent de celui qu’utilisaient Graham et Buffett à ses débuts.
Taux Fed Funds
Donc ceux qui appliquent mécaniquement des plafonds de ratio de valorisation sur la base des glorieux Anciens courent à mon sens le risque de se retrouver avec une sélection de valeurs médiocres, justement "décotées" par le marché, tout en ayant brillamment éliminé les meilleures entreprises = sélection adverse. (D’ailleurs, je note que Buffett est massivement acheteur d’Amazon : il semble donc moins frileux que moi sur les ratios de valo…)
2) Les (bonnes) entreprises américaines et européennes se sont considérablement internationalisées ces dernières décennies, alors qu’il y a encore 15-20 ans la plupart des entreprises du S&P500 faisaient l’essentiel de leur chiffre d’affaires aux USA. Si l’on est optimiste sur le potentiel de rattrapage des consommateurs dans les pays émergents (c’est mon cas), on peut espérer que cette globalisation heureuse ait un impact positif sur la croissance perpétuelle des résultats et dividendes.
Au lieu de prendre le taux de croissance potentielle de l’économie américaine (environ 2,5%), on peut éventuellement envisager un taux de croissance supérieur, le taux de croissance potentielle de l’économie mondiale (environ 3,5%).
Ces hypothèses macros ont un impact majeur sur les niveaux de valorisation "normaux" sur les marchés actions :
Quand j’investis dans Amazon, Google, Visa, LVMH, à des ratios de valorisation optiquement "élevés", je le fais parce que (i) ce sont clairement des entreprises de qualité, avec des avantages concurrentiels évidents, (ii) elles sont bien positionnées à mon sens pour tirer parti d’une mondialisation réussie, et (iii) elles ne sont pas particulièrement chères compte tenu de mes hypothèses macroéconomiques.
A un PER 2020e de 26, je considère même LVMH (leader mondial, avec un moat difficilement attaquable, d’un marché en forte croissance et peu cyclique) comme relativement "bon marché", en comparaison d’entreprises plus populaires sur le forum, comme Renault = zéro moat + gouvernance catastrophique + pas spécialement bien positionnée pour profiter de la mondialisation. Ceux qui achètent Renault aujourd’hui sur la base de son PER 2020e "bas" (5) ou de son dividende "attractif" (5,6%), font à mon sens une erreur - en tout cas en termes relatifs par rapport à une entreprise de qualité comme LVMH.
Dernière modification par Scipion8 (13/01/2020 14h47)