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#26 18/03/2019 13h22
- doubletrouble
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@Scipion8 : Je suis plus inquiet que vous au sujet de la MMT pour les raisons suivantes :
1) La séparation entre les Etats et leurs Banques Centrales est plus poreuse dans la réalité que dans la théorie. Au delà de l’exemple bien connu de Lyndon Johnson attrapant le chairman de la Fed par le colbac, il y a eu l’administration Nixon qui avait placé ses pions à tous les échelons de la Fed, et aujourd’hui Powell qui semble capituler devant le marché.
2) Vous avez tout à fait raison sur les conséquences de la "non-stérilisation" mais c’est précisément ce que les partisans de la MMT recherchent ! En se parant de valeurs de gauche (jobs pour tous, dépenses publiques colossales) la MMT accélère le transfert de richesse des petits épargnants/PME vers les grandes entreprises et les endettés par le même mécanisme que le QE. La où ils divergent avec vous, c’est qu’ils pensent pouvoir controller l’inflation en s’appuyant sur le fait que la décennie de mesures spéciales depuis 2008 n’a pas créé d’inflation - mais le système reposant sur la confiance, l’hyper-inflation peut arriver doucement, puis subitement. L’hybris est toujours punie.
D’un point de vue politique, je pense que la tentation sera grande pour tous les bords d’utiliser ce déplacement de la fenêtre d’Overton et se faire élire avec une plateforme démagogique. Pour la classe dirigeante, la MMT les enrichit encore plus efficacement que le QE, tout en donnant l’apparence de venir au secour du bon peuple. Après 10 ans de dégradation de leur style de vie, quel peuple votera pour la maîtrise de la dette ?
✯ Mangia bene, caca forte, e non aver paura della morte.
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#27 18/03/2019 21h49
- Caratheodory
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Il est certain que l’Etat est capable de politiques financières irresponsables, les faits historiques sont là depuis des temps immémoriaux (sinon emploierait-on l’expression révélatrice de droits de seigneuriage pour les dividendes versés par une Banque centrale à l’Etat actionnaire?).
Ce que je n’ai jamais compris en revanche est pourquoi la méfiance envers l’irresponsabilité des actes financiers se porte quasi-exclusivement sur l’état. Alors que la crise financière de 2008 a été engendrée par un excès d’endettement privé qui n’a apparemment pas encore fini d’être digéré, il devrait y avoir également de la méfiance envers l’irresponsabilité des acteurs économiques privés.
Si l’interprétation de doubletrouble est correcte et que la Fed a capitulé devant le Marché, c’est aussi grave que de financer l’Etat par la planche à billets et il est fatal que la contagion atteigne la sphère politique.
On n’est pas à la fin du processus en cours mais il est vraiment difficile de prévoir sur quoi il débouchera puisque la situation semble sans précédent historique.
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1 #28 18/03/2019 23h52
- Scipion8
- Membre (2017)
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@Caratheodory :
1) L’indice harmonisé des prix à la consommation (HICP), principale mesure d’inflation utilisée par la BCE, inclut une composante reflétant l’évolution des loyers, ainsi que les coûts d’aménagement et réparations mineures des logements.
Les prix de l’immobilier ne sont donc pas directement pris en compte dans la mesure d’inflation de la BCE car un achat immobilier ne correspond pas forcément à de la consommation, mais parfois à de l’investissement. Néanmoins, les loyers sont corrélés aux prix de l’immobilier (certes de façon instable), donc les fluctuations des prix de l’immobilier ont un impact indirect sur la mesure d’inflation en zone euro.
Aux USA, la méthodologie pour la prise en compte des dépenses immobilières dans la mesure d’inflation (CPI) utilisée par la Fed est différente : la Fed évalue le coût hypothétique de location de leur propre logement par les propriétaires : quel serait le loyer que paierait le propriétaire d’une RP s’il devait la louer ? Apparemment la BCE travaille sur un indicateur comparable en zone euro, sans toutefois l’intégrer au HICP.
2) La banque centrale contribue à préserver la liquidité des banques, mais leur solvabilité est en dernier ressort une responsabilité de l’Etat.
La banque centrale, par ses opérations de liquidité (notamment en tant que prêteur de dernier ressort), s’assure que des banques solvables faisant face à des tensions de liquidité (par exemple en raison d’une crise systémique) demeurent liquides et ne fassent pas faillite.
Mais si la banque a un bilan fondamentalement fragile et n’est pas solvable, alors la banque centrale ne peut ni ne doit la sauver : elle sortirait du cadre de sa mission. Une recapitalisation par l’injection de deniers publics (en dernier ressort) ne peut être décidée et effectuée que par l’Etat. [Il y a quelques exceptions dans le monde, notamment la Banque Centrale de Russie qui prend des participations au capital de banques en difficulté, mais ce n’est pas orthodoxe - sans jeu de mots.]
3) Le maintien prolongé par la banque centrale de taux d’intérêt très bas peut effectivement conduire à une prise de risque excessive par les agents privés et à des bulles dangereuses. C’est pourquoi la banque centrale a aussi des responsabilités en termes de surveillance macroprudentielle et de préservation de la stabilité financière.
Ces mandats complémentaires à la politique monétaire ont été considérablement renforcés depuis la dernière grande crise.
@Doubletrouble / Caratheodory : C’est vrai que l’épisode Trump et la mode autour de la MMT avec la gauche démocrate créent un contexte assez bizarre et peut-être périlleux pour la Fed. Mais perso je crois que ce ne sera qu’un épiphénomène et que le consensus des élites politico-financières pour une Fed indépendante avec un double mandat (croissance / plein emploi et stabilité des prix) n’est pas menacé.
Il est clair que la Fed, comme la BCE, craignent une récession, voire une déflation, et préfèrent prendre le risque de maintenir des taux bas. Je rejoins la perception que notre monde est devenu fondamentalement déflationniste, en raison du vieillissement démographique, de la mondialisation et de l’économie internet. Cela signifie que les "taux neutres" pour la Fed et la BCE sont sans doute bcp plus bas qu’il y a 1 ou 2 décennies. Il ne faut donc pas nécessairement voir dans ces politiques accommodantes de la Fed et de la BCE une "capitulation" face aux marchés ou aux Etats, même s’il faut être vigilant.
Mais des 2 côtés de l’Atlantique les tentations démagogiques pour l’irresponsabilité budgétaire sont grandes en ce moment, et si elles triomphent, inévitablement les banques centrales et la stabilité des monnaies seront affectées.
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#29 20/03/2019 08h37
- PavelK
- Membre (2017)
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La conférence de presse de la FED d’aujourd’hui aura comme d’habitude un impact majeur sur les Marches.
Le marché s’attends à la confirmation de l’arrêt du cycle de la hausse des taux, mais ce dernier semble déjà d’être « pricé » par Mr. Marché.
2 questions sont ouvertes : la date d’arrêt de la réduction du bilan et la structure cible du bilan. La dernière question est intéressante car la majeur partie des actifs sont investi en Treasuries de Long/Moyen terme et les MBS.
Certains membres du comité de la FED prônent pour le remplacement des Treasuries Long Terme par les Court Termes. Ce manœuvre est moins accommodant et peut ne pas être apprécié par les marchés.
Pourtant cela reste « smart » car sans toucher au taux directeur cela permettrait de normaliser la courbe de taux actuellement inversée. En plus cette manœuvre offre un nouveau instrument en cas de downturn ou « l’argent long » sera le plus recherché.
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1 2 #30 21/03/2019 11h19
- Scipion8
- Membre (2017)
- Réputation : 2535
Les seuls changements (en jaune) dans le communiqué de la Fed (plus précisément, du FOMC, Federal Open Market Committee) concernent son appréciation de la situation économique :
- l’activité économique a ralenti : la consommation des ménages et l’investissement des entreprises continuent à croître, mais à un rythme moins rapide
- les créations d’emplois sont "solides" et non plus "fortes"
- l’inflation totale a baissé, surtout en raison des prix de l’énergie, mais l’inflation sous-jacente, excluant les prix de l’énergie et de l’alimentation (et souvent jugée plus pertinente pour la conduite de la politique monétaire) reste stable autour de 2%.
Le communiqué reste très prudent sur les éventuels futurs changements de taux par la Fed : la Fed reste en mode "data-dependent".
A mon sens, ce communiqué confirme la pertinence du changement (assez brutal) d’orientation de la Fed à l’automne 2018 : se fiant sans doute à des indicateurs avancés, la Fed a perçu un ralentissement de l’économie US et elle avait raison (contre tous ses critiques, hein).
Le FOMC a été unanime dans ses derniers votes, donc pour ma part j’exclus la thèse d’une Fed "sous influence", cédant aux pressions (bien réelles) de Trump.
La Fed a aussi publié un long communiqué sur la gestion de son bilan et en particulier de son portefeuille de QE, qui améliore la transparence et la prévisibilité de ses actions :
Federal Reserve a écrit :
To ensure a smooth transition to the longer-run level of reserves consistent with efficient and effective policy implementation, the Committee intends to slow the pace of the decline in reserves over coming quarters provided that the economy and money market conditions evolve about as expected.
- The Committee intends to slow the reduction of its holdings of Treasury securities by reducing the cap on monthly redemptions from the current level of $30 billion to $15 billion beginning in May 2019.
- The Committee intends to conclude the reduction of its aggregate securities holdings in the System Open Market Account (SOMA) at the end of September 2019.
- The Committee intends to continue to allow its holdings of agency debt and agency mortgage-backed securities (MBS) to decline, consistent with the aim of holding primarily Treasury securities in the longer run. (…)
The average level of reserves after the FOMC has concluded the reduction of its aggregate securities holdings at the end of September will likely still be somewhat above the level of reserves necessary to efficiently and effectively implement monetary policy. In that case, the Committee currently anticipates that it will likely hold the size of the SOMA portfolio roughly constant for a time.
La Fed fournit donc des indications sur un horizon relativement long s’agissant de la politique monétaire, au-delà de septembre 2019. C’est ce qu’on appelle de la forward guidance, un des outils à disposition de la banque centrale pour guider les anticipations des marchés, donc les taux d’intérêt.
Selon le pricing des futures Eurodollar, le marché anticipe désormais une baisse de 25 points de base par la Fed d’ici fin 2019 avec une probabilité d’environ 25%. D’ici fin 2020 une baisse de 25 points de base est entièrement pricée et une 2e baisse de 25 points de base est pricée avec une probabilité de 30%. Ces anticipations du marché reflétent des craintes d’un plus fort ralentissement économique, voire d’une récession aux USA. Mais elles suggèrent aussi qu’un scénario de récession (qui demanderait une baisse des taux bien plus importante que 25 ou 50 points de base) n’est pricé que très partiellement pour 2019-2020.
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#31 23/04/2019 20h45
- Gog
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PARTIE 1 : Contexte et années d’avant-crise
La particularité des banques centrales et de la BCE
La conception de la BCE et du Traité de Maastricht
1999 - 2007, la BCE avant la crise
PARTIE 2 : La crise
La BCE et la crise, liquidité et solvabilité
Prêteur en dernier ressort
Politique monétaire, politique de stabilité financière et de liquidité
L’union bancaire en Europe (avec l’intervention de Nicolas VÉRON, Peterson Institute for International Economics)
Bilan
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#32 23/04/2019 21h40
- Flavius
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Les Banques centrales sont conçues pour protéger les citoyens contre les ravages de l’inflation, pour protéger la monnaie, maintenir la confiance. Elles s’en acquittent plutôt bien (pour des institutions qui créent des trillions par simple impulsion electromagnétique..).
La grande crise financière a aussi consacré leur rôle de stabilisateur (et le citoyen que je suis leur en sait gré).
Mais à mesure que la société post-industrielle s’installe, on peut s’interroger si la menace n’a pas changé de nature et que l’hydre à la tête hideuse n’est plus l’inflation, mais la déflation dans un monde global. (Hypothèse).
Et d’aucuns (essentiellement des voix populistes) de s’interroger sur la pertinence de l’indépendance des Banques Centrales dans un monde où la menace a changé de nature.
Personnellement je suis un ardent défenseur de l’indépendance des Banques Centrales, au regard de l’incurie des Etats dans la conduite de leurs politiques budgétaires, distraites par des raisons bassement électorales. Je vois l’indépendance comme non négociable pour maintenir le socle: à savoir la Confiance.
Pensez-vous que les statuts, constitutions, de nos grandes banques centrales (Fed, BCE) soient surannés, et que la révolution informatique justifie de revisiter leurs missions séculaires? Si oui par quel prisme?
(Je ne parle bien entendu pas des pitoyables tentatives de s’accaparer les réserves d’or ou autre moyens d’émissions que de misérables hommes de pouvoir tentent de s’approprier)
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2 #33 02/05/2019 15h33
- Scipion8
- Membre (2017)
- Réputation : 2535
Bonjour Flavius.
Effectivement, une banque centrale moderne doit savoir conduire sa politique monétaire dans un environnement économique fondamentalement différent du contexte inflationniste du 20e siècle, tout en menant d’autres missions cruciales dans les domaines de la stabilité financière, de la surveillance macroprudentielle, des systèmes de paiement, l’émission de billets… Les banques centrales oeuvrent donc à "mettre à jour" régulièrement leur stratégie (voire leurs statuts), afin de répondre à ses défis.
Pour ce faire, elles collaborent étroitement (c’est un des charmes du métier de banquier central : pas de concurrence entre nous) au sein de forums mondiaux comme le FSB (Conseil de Stabilité Financière), le BCBS (Comité de Bâle pour la Supervision Bancaire), le CPMI (Comité sur les Infrastructures de Paiements et de Marchés), etc. Par ailleurs la BRI joue un rôle important de recherche sur tous les sujets pertinents pour les banques centrales, et le FMI et la Banque Mondiale oeuvrent à la diffusion des bonnes pratiques dans le monde entier (assistance technique).
Quelques exemples de sujets d’actualité pour les banques centrales, pour illustrer cette mise à jour perpétuelle des missions des banques centrales :
1) Politique monétaire : Je rejoins votre avis sur le fait que les économies développées font désormais face à un risque déflationniste plus important que le risque inflationniste - pour des raisons touchant à la structure de l’économie mondiale (mondialisation), à la démographie (vieillissement) et à la technologie (digitalisation). On doit reconnaître que les banques centrales savent bcp mieux combattre l’inflation qu’une menace déflationniste, les moyens utilisés actuellement pour combattre le risque déflationniste étant assez "bourrins" et pas dépourvus d’effets pervers : le QE et les taux d’intérêt négatifs, essentiellement. La BCE, la Fed et la BoJ collaborent étroitement sur ces sujets. En 2014 on m’avait ainsi envoyé à un stage de 3 semaines à la BoJ pour préparer le QE de la BCE. Les QE de la Fed et de la BCE auraient sans doute été moins efficaces si nos collègues japonais n’avaient pas "essuyé les plâtres". Il y a chaque année des réunions trilatérales pour échanger sur ces sujets techniques.
Les banques centrales réfléchissent à leur objectif de politique monétaire, notamment leur cible d’inflation :
- la formulation de la cible d’inflation de la BCE a ainsi changé : la stabilité des prix n’est plus définie comme un indice harmonisé des prix à la consommation (HICP) "inférieur à 2% sur le moyen terme", mais "inférieur, mais proche de, 2% sur le moyen terme". Cette nuance cruciale signie que la BCE considère une inflation de 0%, voire 1%, comme "mauvaise", car exposant la zone euro à un risque déflationniste. Bcp de banques centrales s’orientent ainsi vers des cibles d’inflation "symétriques".
- un mandat "dual", tel que celui de la Fed (stabilité des prix + emploi maximum), reste assez "tabou" dans la zone euro car les Allemands préfèrent l’orthodoxie d’un mandat unique (stabilité des prix), mais la BCE reconnaît qu’il s’agit d’une question politique, donc en dehors de son champ de décision. Cela dit, mandat dual ou unique, en pratique la politique monétaire est souvent la même, mais un mandat dual renforcerait peut-être la légitimité politique / la "popularité" de la BCE, à mon avis.
2) Indépendance : Comme vous le dites bien, les dirigeants de l’Etat ont un "agenda" qui n’est pas forcément compatible avec la préservation de la valeur de la monnaie. C’est le fondement de l’indépendance des banques centrales. On s’attache donc à étendre l’indépendance statutaire (au niveau légal ou, de préférence, constitutionnel) des banques centrales dans le monde entier. Mais il ne suffit pas de décréter l’indépendance de la banque centrale : il faut la mettre en pratique, sur tous les plans :
- l’interdiction du financement monétaire de l’Etat doit être constitutionnellement garantie. C’est une conquête encore fragile, comme en témoignent certains programmes électoraux dans notre pays. Pour bcp de pays émergents, c’est tout nouveau (ce changement vient d’être adopté dans la zone monétaire d’Afrique où je travaille actuellement).
- l’indépendance financière de la banque centrale est essentielle : si la banque centrale n’a pas les moyens financiers d’avoir le personnel et les équipements nécessaires à sa mission, elle redevient dépendante de l’Etat. Dans les pays où il y a un excès structurel de liquidité bancaire, la politique monétaire coûte structurellement de l’argent (puisque la banque centrale absorbe cet excès de liquidité contre rémunération). Il est alors essentiel qu’un dispositif de recapitalisation automatique par l’Etat soit légalement garanti.
- la protection du Gouverneur et dirigeants de la banque centrale contre le pouvoir politique est aussi essentielle. La bonne pratique qu’on essaie de diffuser, c’est un mandat long, unique, non-renouvelable, sans possibilité de limogeage (sauf faute grave du type corruption).
3) Contrôle démocratique : L’indépendance de la banque centrale signifie qu’il y a besoin d’un fort contrôle démocratique sur son action. Un manque de transparence exposerait inévitablement la banque centrale à des critiques et, à terme, des menaces sur son indépendance. On essaie donc de diffuser des bonnes pratiques en termes de reporting (accountability) vis-à-vis du pouvoir politique (par exemple le Parlement) et de communication avec la presse et le grand public. J’ai fait plusieurs missions d’assistance technique dans ce domaine, pour aider des banques centrales à communiquer le plus simplement possible sur des sujets assez techniques.
4) Stabilité financière : Outre la politique monétaire, la banque centrale a un rôle clef à jouer dans la préservation de la stabilité financière (= la continuité de la fourniture de services financiers à l’économie). Ces missions n’ont cessé de gagner en importance depuis la Grande Crise de 2007-2008. Pour vous donner un ordre d’idée, alors que je suis expert en opérations de politique monétaire, j’ai passé environ 1/3 de mon temps, depuis le début de ma carrière, sur des sujets de stabilité financière, notamment sur la fonction de prêteur en dernier ressort de la banque centrale : je travaille sur la diffusion des bonnes pratiques dans ce domaine, c’est-à-dire un cadre d’ELA (Emergency Liquidity Assistance / Apport de Liquidité d’Urgence). Ces 3 dernières années, j’ai aidé à la mise en place de cadres d’ELA dans une demi-douzaine de banques centrales en Afrique et en Asie.
5) Surveillance macroprudentielle : Les banques centrales essayent de tirer les leçons de la Grande Crise de 2007-2008, notamment les risques issus du marché immobilier. En complément de la surveillance microprudentielle (= la supervision bancaire), les banques centrales développent ainsi leur surveillance macroprudentielle et des outils de prévention des bulles, comme le ratio LTV (loan-to-value = plafond sur le crédit immobilier accordé = % minimum d’apport lors de tout achat immobilier). On échange les bonnes pratiques dans ce domaine via une base de données mondiale, mais on en est au tout début, à mon avis.
6) Systèmes et moyens de paiement : Préserver la valeur de la monnaie, c’est aussi faciliter son usage rapide, peu onéreux (voire gratuit) et sûr par les consommateurs et les entreprises. Donc c’est un champ d’activité en expansion rapide pour les banques centrales. Dans les pays émergents faiblement bancarisés, il s’agit de faciliter l’accès aux services financiers pour des populations pauvres, en utilisant les nouvelles technologies (téléphone portable, notamment). En ce moment, beaucoup de banques centrales travaillent sur le sujet des Central Bank Digital Currencies (CBDC = "cryptos de banques centrales"), qui pourraient éventuellement permettre un accès direct des citoyens à la monnaie banque centrale, en parallèle du système bancaire.
Bref, les statuts des banques centrales doivent rester "vivants" pour s’adapter à l’environnement économique, politique, technologique - tout en maintenant dans le marbre les principes essentiels, en premier lieu la préservation de la valeur de la monnaie et l’indépendance de la banque centrale.
Désolé pour le pavé, mais votre question ouvrait bcp de perspectives !
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1 #34 02/05/2019 22h16
- toufou
- Membre (2017)
- Réputation : 115
Bonjour Scipion l’Africain,
je suis toujours impressionné par la clarté de vos exposés et leur intérêt pédagogique.
Permettez-moi toutefois une remarque de béotien.
Si de prime abord, la coopération entre banques centrales parait largement souhaitable et la coordination de leurs efforts semble nécessaire pour arriver sans a-coups notables à un objectif commun, n’est-ce pas aussi un facteur de risque ?
Si les trois banques centrales des pays les plus industrialisés s’unissent pour apporter un remède efficace aux problèmes mondiaux, c’est très bien mais si ce remède s’avère inadapté ne va t-on pas vers une catastrophe majeure ?
Ne vaudrait-il pas mieux chercher des solutions différentes ( ce qui n’exclue pas la collaboration) et comparer leurs résultats et leurs effets pervers respectifs ?
J’observe d’ailleurs que ce sont des pays où l’idéologie est plutôt portée sur la concurrence dans le domaine privé qui offrent à leurs banquiers centraux le charme de l’absence de concurrence.
Le passé récent montre aussi que les remèdes apportés par les grandes institutions telles que le FMI n’ont pas toujours été à la hauteur de l’objectif souhaité. Aussi, il n’est pas interdit de penser qu’en suivant une même politique ces mêmes institutions puissent choisir une mauvaise voie.
Dans ce cas, des pays tiers, peu portés sur l’idéal démocratique ne pourraient-ils pas en profiter ?
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#35 03/05/2019 09h20
- Scipion8
- Membre (2017)
- Réputation : 2535
Bonjour Toufou,
1) On peut parler de coopération entre banques centrales, bien plus que de coordination : la situation économique, la structure des marchés, la psychologie des agents économiques, etc. sont différentes dans chaque pays donc il ne s’agit pas d’appliquer à l’instant "t" les mêmes recettes dans tous les pays. Cela dit, le cycle économique mondial est fortement synchronisé donc il est fréquent que les grandes banques centrales se posent les mêmes questions au même moment.
S’agissant du QE, la BoJ avait une expérience bcp plus longue que la Fed et la BCE, donc on a étudié l’expérience japonaise, examiné ce qui avait marché ou pas, puis tiré des leçons générales qu’on a adaptées à notre contexte particulier. Une leçon essentielle, c’est que le gradualisme des Japonais dans le lancement du QE avait été un facteur d’inefficacité : donc la Fed et la BCE, quand elles ont lancé leur QE, ont voulu d’emblée influencer la psychologie collective par l’annonce de très gros volumes.
2) Les banques centrales peuvent avoir des objectifs divergents, voire conflictuels. Les banques centrales sont très prudentes dans leur communication sur le sujet, mais elles s’intéressent évidemment à l’impact de leurs mesures sur le taux de change : le QE permet à la banque centrale de dévaluer silencieusement sa monnaie, sans intervention sur le marché des changes, et donc de soutenir les exportateurs. Mais si la BoJ et la Fed font du QE, le JPY et l’USD se déprécient, donc l’EUR s’apprécie… ce qui incite la BCE à lancer son propre QE… et du coup l’efficacité du QE pour les exportateurs dans ces différentes zones tend à s’annuler. Il peut y avoir ainsi des risques de surenchère entre banques centrales.
3) On ne cherche pas à copier / coller des modèles uniques, mais à les adapter à chaque environnement. Lors de mes premières missions d’assistance technique, j’avais tendance à vouloir "plaquer" mon modèle zone euro aux pays dont j’aidais les banques centrales. Mais j’ai rapidement compris qu’il fallait adapter les solutions techniques que je connaissais aux réalités du pays, par exemple le niveau de développement des marchés et de sophistication des banques, le contexte politique et institutionnel etc. Cela dit, il y a des principes clefs sur lesquels je ne transige jamais - une banque centrale doit être indépendante, et ne prêter qu’à des banques solvables contre du collatéral suffisant - parce que je considère que jusqu’à preuve du contraire ces principes sont universels et toute déviation est dangereuse. Mais ce "dogmatisme" s’appuie sur une très longue histoire des banques centrales, dans le monde entier. Pour le reste on a plutôt une approche purement technique et adaptable.
4) Toutes les banques centrales font des efforts importants de recherche et d’évaluation de leurs actions. La BCE, par exemple, publie chaque année des centaines de papiers d’analyse, notamment sur l’impact de ses propres mesures. Une banque centrale est aussi un centre de recherche économique (mes collègues chercheurs de la BCE avaient des objectifs de publication dans des revues économiques internationalement reconnues, par exemple). Cette réflexion permanente doit nourrir la conduite de la politique monétaire. Une banque centrale est conduite uniquement par son mandat (ses statuts), elle doit s’adapter à un environnement changeant pour atteindre les objectifs qui lui sont fixés (la stabilité des prix, la stabilité financière, notamment).
Cela est aussi vrai du FMI. Dans le cadre de ma mission actuelle, je dois rédiger des papiers d’analyse (qui seront publiés) sur les mesures les plus innovantes que j’ai préparées avec la banque centrale que j’aide : un cadre de décotes sur titres publics qui pourrait servir à d’autres unions monétaires dans le monde (une solution alternative aux ratings des agences de notation), et la stratégie pour activer le marché monétaire local. Un département du FMI, SPR (Strategy, Policy, and Review Department), est chargé du suivi de la cohérence des politiques du FMI dans le monde entier et de la mise à jour perpétuelle de sa "doctrine", sur la base des expériences accumulées. Le FMI a bcp fait évoluer sa doctrine s’agissant de l’austérité budgétaire, par exemple.
Bref, le travail de banquier central est plus technique et pragmatique qu’on ne le pense : on s’adapte selon les résultats obtenus et on ne fait pas de politique, même si on ne transige pas sur quelques principes essentiels. Je vois ce job comme très adapté pour un ingénieur (comme moi), qui cherche avant tout à trouver des solutions, sans idéologie.
(Je comprends que du point de vue de certaines opinions politiques, le principe même de vouloir préserver la valeur d’une devise fiat, ou d’avoir une devise commune pour la zone euro, etc. est idéologique, mais pour moi c’est un débat d’arrière-garde : comme banquier central, je ne fais qu’appliquer le mandat qui a été démocratiquement, et constitutionnellement, donné à la banque centrale. Si le peuple veut changer ce mandat, pas de souci, j’appliquerai ce nouveau mandat aussi.)
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#36 03/05/2019 17h56
- GoodbyLenine
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J’ai récemment entendu le raisonnement suivant, sur lequel je souhaiterais avoir des réactions.
"Autant, dans un monde (d’il y a quelques décennies) où la principale menace sur la stabilité monétaire, voire économique, était l’inflation, une très large voire complète indépendance des banques centrales pouvait être optimale, autant, dans le monde actuel (économie mondialisée, vieillissement de la population, utilisation des ressources de la planette très/trop élevée, etc.) où la principale menace pourrait bien être la déflation, une certaine dépendance au pouvoir politique pourrait être bien plus appropriée (encore plus si la banque centrale du principal concurrent -par ex. la Chine- dépend largement du pouvoir politique…)."
Je n’ai guère de doute que les dirigeants, ou même les simples membres, des banques centrales verraient une moindre indépendance d’un mauvais oeil, et trouverez plein d’arguments. Mais quid de l’intérêt général (et de l’intérêt des pays développés, ceux qui sont affectés par le changement de paradigme "population vieillissante, mondialisation, ressources devenant plus rares, etc.") ?
J'écris comme "membre" du forum, sauf mention contraire. (parrain Fortuneo: 12356125)
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#37 04/05/2019 04h31
- Scipion8
- Membre (2017)
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Bonsoir GBL,
Il est vrai que la crainte habituelle, c’est que les responsables politiques, guidés par leur fonction d’utilité (se faire réélire coûte que coûte), mènent des politiques budgétaires laxistes et imposent à la banque centrale de financer leurs dépenses (financement monétaire de l’Etat). Cela conduit à dévaluation de la monnaie (spirale inflationniste) et à une perte de crédibilité de la banque centrale comme gardienne de la monnaie. C’est bien le fondement de l’indépendance des banques centrales.
Dans un monde sans doute devenu déflationniste (conséquence de la mondialisation, de la digitalisation de l’économie et du vieillissement démographique), cette hantise des banques centrales d’une prise de contrôle politique de la monnaie (fiscal dominance) entraînant un retour d’ une inflation incontrôlée peut apparaître désormais exagérée, voire surannée en première analyse. Mais :
1) L’inflation résultant d’une perte de crédibilité de l’autorité monétaire est un phénomène non-linéaire d’anticipations auto-réalisatrices, que des facteurs désinflationnistes structurels ne sauraient empêcher. On peut arguer que des tensions inflationnistes d’origine économique (par exemple un manque de main-d’oeuvre sur le marché du travail) peuvent être contrebalancées par les facteurs désinflationnistes structurels (c’est probablement le cas actuellement aux USA). Mais l’inflation d’origine "politique" est d’une nature différente : elle reflète une perte de confiance envers les autorités publiques, et une fois que les agents économiques ont perdu confiance, leurs anticipations que la planche à billets va continuer à fonctionner et que la monnaie ne va donc cesser de perdre de la valeur deviennent rapidement ancrées et auto-réalisatrices, via les hausses de prix et de salaires.
Des facteurs structurels qui font baisser le rythme annuel de l’indice des prix à la consommation de quelques dixièmes de points de pourcentage (par rapport à il y a 30 ans, à situation économique comparable) ne sauraient empêcher la spirale inflationniste liée à la perte totale de confiance en la monnaie (cf. Allemagne au début des années 1930, ou plus récemment Zimbabwe ou Venezuela : des taux d’inflation largement >1000%/an). Ce risque demeure donc, et justifie à lui seul l’indépendance des banques centrales, aujourd’hui comme hier.
2) Le problème fondamental n’est pas le goût éventuel des responsables politiques pour l’inflation, c’est plutôt leur court-termisme. Pour dire les choses franchement, et valider en partie la critique traditionnelle "de gauche" de l’orthodoxie monétaire, perso je pense que la doctrine d’une banque centrale indépendante reflètait en partie la méfiance des classes possédantes envers une démocratie qui les met structurellement en minorité (dans les urnes) face à des classes populaires endettées et demandeuses de hausses de salaires, donc d’inflation. La monnaie était considérée comme un sujet trop sérieux pour être laissée dans les mains de responsables politiques élus.
Aujourd’hui la situation politique a changé : avec le vieillissement de la population, nos pays sont devenus des démocraties d’épargnants. Les ménages pauvres / endettés votent beaucoup moins que les épargnants, et se réfugient souvent dans des votes "inutiles", qui ne pèsent pas dans le choix final des responsables politiques. En pratique ce sont les épargnants qui choisissent les responsables politiques, et eux ne veulent pas d’un retour de l’inflation. Ils veulent plutôt consommer à moindre coût et ne pas voir leur épargne érodée par une inflation trop forte. L’Allemagne (plus que la France) est un bon exemple de ces nouvelles démocraties demandeuses d’une inflation basse, voire nulle - alors même qu’une inflation stable et modérée est économiquement et socialement souhaitable (par exemple pour lisser l’endettement des entreprises et des classes populaires, voire de l’Etat).
Le risque politique principal pour la monnaie aujourd’hui, c’est donc peut-être que les responsables politiques élus mènent des politiques désinflationnistes (par exemple : dérégulation systématique, abaissement des barrières à l’entrée de produits étrangers à bas coût, mesures fiscales anti-redistributives etc.), qui à terme peuvent aggraver le risque déflationniste.
On ne peut pas compter sur les responsables politiques pour intégrer le coût de long-terme de leurs politiques, qu’elles soient inflationnistes ou dé(sin)flationnistes, car leur seul horizon est la prochaine élection, et leur seule vision est celle de leur clientèle électorale. On a donc besoin d’une banque centrale indépendante, mandatée démocratiquement pour veiller aux risques symétriques de l’inflation et de la déflation, avec une perspective de moyen/long terme.
3) Le cycle politique est incompatible avec la stabilité nécessaire à la monnaie. Si je vous dis que l’inflation en France, ces 10 prochaines années, sera en moyenne de 1,75%, (a) avec une marge d’incertitude de + ou - 0,25 point de pourcentage (c’est en gros ce que dit la BCE) ou (b) avec une marge d’incertitude de + ou - 5 points de pourcentage, vous n’allez pas prendre les mêmes décisions d’investissement. Donc ce n’est pas simplement le niveau (moyen) de l’inflation qui est important économiquement, c’est aussi l’incertitude sur l’inflation future.
Le cycle politique, avec des élections majeures tous les 5 ans (en France), est générateur d’incertitudes fiscales et économiques - déjà pas faciles à gérer pour les entreprises et investisseurs. Si l’incertitude devait aussi concerner la monnaie, l’impact serait très négatif pour l’activité économique. On a donc besoin d’un engagement constitutionnellement garanti de l’autorité publique de maintenir la valeur de la monnaie au cours du temps. Cet engagement doit être protégé du cycle politique, et cela n’est possible que par l’indépendance constitutionnellement garantie de la banque centrale. Dès qu’il y a doute sur la valeur future de la monnaie, la monnaie cesse d’être monnaie (puisque le standard de paiement différé et la réserve de valeur sont 2 des fonctions clefs de toute monnaie), et l’économie souffre.
4) Au-delà de son rôle de gardienne de la monnaie, la banque centrale oeuvre à l’optimum économique. Il y a tout un pan de la littérature académique sur la recherche du mandat "optimal" pour la banque centrale, du point de vue de l’intérêt général (sur la base de modèles économiques). A ma connaissance, toute cette littérature académique tend à valider l’indépendance de la banque centrale, du point de vue de l’optimum général.
Bien sûr on peut arguer que ces modèles ne peuvent conduire qu’à cette conclusion, si l’on modélise la fonction d’utilité des responsables politiques comme la recherche exclusive de leur réélection. La vision sous-jacente, celle d’agents économiques maximisant égoïstement leur utilité, peut être critiquée comme reflétant le dogme libéral. Mais jusqu’à preuve du contraire, c’est le modèle le plus réaliste et il est bien difficile de trouver des modèles alternatifs économiquement supérieurs.
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#38 04/05/2019 14h29
- Flavius
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Il me semble que malgré un environnement désinflationniste (ou pire, déflationniste), d’aucuns peuvent oublier la fragilité de la confiance que portent les monnaies.
Les exemples évoqués du Zimbabwe, du Venezuela, mais aussi dans une moindre mesure de la Turquie ou de l’Afrique du Sud démontrent l’asymétrie cruciale de la confiance, qui met des décennies à se construire mais se perd en quelques jours. Ainsi l’inflation se transforme en simple marqueur de confiance, au grand dam des Etats (et autres agents économiques) emprunteurs dans des devises fortes.
Je ne suis pas trop préoccupé par des banquiers centraux qui perdent une partie de l’efficacité de leur QE en agissant de concert et en neutralisant l’impact sur les taux de change de leur pays; par contre je suis très attentif aux comportements des agents dans un monde globalisé au-delà des circuits monétaires: l’indice d’inflation - à la consommation- reste-t-il le bon thermomètre à regarder? Ou bien est-il cassé et ne reflète pas l’inflation d’actifs réels, finis, d’une part par création monétaire surabondante, d’autre part par effet de levier avec des taux nuls ou négatifs.
Une interrogation alors: si le QE ne redistribue qu’aux Etats (qui se financent sans limite à zéro) et par effet collatéral, inflate les biens des possédants (actions, immobiliers, ou actifs alternatifs de défiance comme crypto et or), que faire: s’acharner sur l’inflation à la consommation, et dans ce cas quid de l’"Helicopter money" afin de donner les liquidités aux consommateurs? Ou bien repenser l’inflation à l’aune non pas de la seule consommation mais aussi de la possession?
Enfin, les messages plus hauts ont évoqué les mandats démocratiques donnés. Et là aussi je m’interroge: la génération qui vote, et qui est, on constate, structurellement avide d’aller prendre les ressources des générations à venir via la dette, est-elle légitime parce que c’est elle qui vote, pour commander à une institution dont la vocation est séculaire, c’est à dire englobe la prospérité des générations à venir, qui ne votent pas encore? J’aimerais y croire, et de fait, celà renforce mon adhésion à l’indépendance de la banque Centrale.
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#39 06/05/2019 08h19
- ArnvaldIngofson
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Un article de vulgarisation qui m’a paru bien fait (j’ai compris …)
LE CERCLE DES ÉCONOMISTES (Jean-Paul Pollin, membre du Cercle des économistes, recteur émérite de l’Université d’Orléans)•06/05/2019 à 08:00 a écrit :
«Comment expliquer l’excessive prudence avec laquelle les banques centrales normalisent leurs politiques ?»
Mercredi 1er mai, la banque centrale américaine a laissé ses taux d’intérêt inchangés. Faisant fi des assauts du président Trump qui appelle à une baisse des taux pour donner un coup d’accélérateur à l’économie, la Fed a de nouveau invoqué sa "patience", face à une croissance "solide" et une inflation "en déclin". Jean-Paul Pollin explique notamment en quoi l’actuelle inertie des banquiers centraux pose problème.
Cela fait au moins trois ou quatre ans que les Banques Centrales reviennent à très petits pas vers ce qui devrait être la « normalité de leurs politiques. Aux Etats-Unis, le chômage est désormais à un plus bas historique (moins de 4%), le taux de croissance du PIB est autour de 2,5% et le taux d’inflation proche de l’objectif de 2%. Or, les taux directeurs de la Fed sont un peu en dessous de 2,5% (le taux à 10 ans à 2,6%), alors que le niveau d’équilibre de moyen terme devrait logiquement atteindre 4 à 4,5%.
La situation est sensiblement différente dans la zone euro puisque le taux de chômage est encore proche de 8%, les taux de croissance et d’inflation sont inférieurs à 2% (la croissance potentielle au mieux à 2% et l’inflation sous-jacente à 1%). Il n’empêche que cela ne s’accorde pas avec des taux monétaires négatifs, ni des taux longs proches de 0 dans une bonne partie de la zone.Une inertie contestable et dommageable
Cette inertie des banques centrales, à monter leurs taux directeurs et à réduire la taille de leur bilan, n’est pas seulement contestable d’un point de vue macroéconomique, elle est aussi dommageable par les distorsions qu’elle induit dans la constitution et l’allocation de l’épargne. Cette anomalie mérite donc quelques explications et il nous semble que deux d’entre-elles sont particulièrement importantes.
D’une part, les autorités monétaires ont perdu une parcelle de l’indépendance qu’elles avaient acquise, au cours des années 80, par rapport aux pouvoirs politiques et aux interférences budgétaires. Durant la Grande Récession, les Banques Centrales ont été contraintes d’avaliser le laxisme des politiques budgétaires, du fait même de leur relative incapacité à stabiliser les conséquences de la crise. Le glissement du rapport de force a permis au politique d’imposer une « dominance budgétaire ». Cela a laissé des traces et la façon dont Trump se croit autorisé à influencer les décisions de la Fed, pour nourrir sa stratégie de « surchauffe », en est une bonne illustration.
D’autre part, la transformation la plus notable du comportement des Banques Centrales tient à la redécouverte de leur mission première (pour laquelle elles ont été créées) de maitrise de la stabilité financière. En se réappropriant cette responsabilité, sous la pression des événements, les autorités monétaires se sont condamnées à mener de front deux types de tâches potentiellement inconciliables, contrairement aux suppositions du « consensus de Jackson Hole ». Pour mieux faire il faudrait que la régulation macroéconomique d’une part, et la stabilité financière d’autre part, soient dotées d’instruments propres et de gouvernances séparées, mais agissant de façon coordonnée. C’est du reste ce type de solution qui devrait s’imposer à l’avenir.Vulnérabilités financières
Mais pour l’heure les banques centrales sont tenues de composer avec les vulnérabilités financières existantes, et de possibles nouvelles fragilités mal maitrisées. Car, s’il est vrai que le renforcement récent de la réglementation microprudentielle a globalement amélioré la stabilité des institutions financières, elle comporte encore des lacunes qui laissent subsister des risques (de taux et de liquidité) dans certaines parties du système financier (le « shadow banking »).
Quant aux politiques macroprudentielles, censées contenir les risques de système (notamment les bulles de crédit et de prix d’actifs), elles sont à ce stade mal définies, d’une efficacité qui reste à évaluer, et utilisées avec trop de parcimonie. De sorte qu’en exerçant leur fonction de régulation macroéconomique, les Banques Centrales sont susceptibles de déclencher des déséquilibres qu’aucun système de contrôle ne peut aujourd’hui prévenir et résoudre. C’est bien ainsi qu’est née la crise de 2007 ; et c’est également ainsi qu’en mai 2013 Ben Bernanke a provoqué une mini tempête sur les marchés en laissant entrevoir le début de la fin du « Quantitative Easing ».
Ce qui permet de comprendre, et même de justifier, l’actuelle prudence (pour ne pas dire la paralysie) des politiques monétaires.
Dif tor heh smusma
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#40 07/05/2019 09h28
- zeboulon
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A propos de la MMT, Ray Dalio a écrit récemment un papier: "It’s Time to Look More Carefully at “Monetary Policy 3 (MP3)” and “Modern Monetary Theory (MMT)”
Dont voici quelques extraits:
Dalio a écrit :
Interest rate cuts (what I call Monetary Policy 1) , quantitative easing (what I call Monetary Policy 2). I believe we will have to go to Monetary Policy 3, which is fiscal and monetary policy coordination that is of a form that we haven’t seen before in our lifetimes but has existed in various forms in others’ lifetimes or faraway places. It is inevitable that this shift will happen because it is inevitable that central bankers will want to ease when interest rates are pinned at 0% and when quantitative easing will be ineffective in achieving the goal.
The big risk of this approach arises from the risks of putting the power to create and allocate money, credit, and spending in the hands of politically elected policy makers.
MP3 is a continuum of coordinated monetary and fiscal policies that vary who gets the money (private sector versus public sector) and how directly that printed money is provided (directly providing “helicopter money” to spenders versus more indirect means of financing spending). The following diagram maps many of the possible types of MP3 onto that continuum. In general, the more direct policies would be more effective, but also more politically difficult to do. And some of the least direct policies (or variants of them) have recently been used, but not at the scale that would likely be needed in the next significant downturn.
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#41 07/05/2019 09h38
- doubletrouble
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“INTJ”
On verra, mais la fréquence de ces "ballons sondes" de l’establishment est assez révélatrice. Je ne serais pas surpris qu’au prochain gros crash, pour "sauver le système" une partie des économies occidentales orchestrent la mise en place de la MMT et la disparition du cash à la Suédoise (nécessaire pour avoir de vrais taux négatifs). Tout cela bien évidemment drapé dans les atours du Progrès et du Bien.
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#42 17/05/2019 23h07
- niceday
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Les anticipation des taux sur les marchés, les contrats futures sur Fed funds intègrent désormais entièrement un scénario d’une basse de taux cette année et une autre l’année prochaine.
A fin 2019, on arrive à 2,10% et à fin 2020 à 1,81% contre 2,40% actuellement.
D’ailleurs on le voit avec la baisse du 10 ans US.
Coté, zone €, ça continue à être une autre histoire, l’Eonia baisse et ses anticipations aussi. Un taux à -0,40% pour fin d’année… dur de croire à une remontée de taux cette année de la part de la BCE. L’Allemagne et l’Europe restent très exposées à une détérioration avec les tensions commerciales à venir et les événements politiques. Même si la croissance de la Zone € n’est pas dans le mandat de la BCE, elle participe à leurs décisions.
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#43 03/07/2019 23h26
- niceday
- Membre (2016)
- Réputation : 116
Bonsoir,
Que pensez-vous de la nomination de Lagarde à la BCE ?
Je trouve que c’est un challenge pour elle car elle n’est pas familière de la politique monétaire. Je pense qu’il sera encore plus important de voir de qui elle s’entoure. Le chef économiste de la BCE devrait restait encore plus d’1 an, ce qui est rassurant pour la transition.
J’aime le coté dovish de Lagarde. Autant dire, qu’il faut considérer des taux négatifs encore plus bas avec très certainement un QE dés l’année prochaine.
Malheureusement nous n’aurons pas beaucoup de point d’entrée sur les actions car on risque de continuer à voir les actifs risqués de plus en plus cher (bulle action et immo).
Je connais peu Ursula von der Leyen. Avez-vous aussi des avis sur sa nomination à la commission.
Effectivement ces nominations doivent encore être validées par le parlement, mais ça ne devrait pas être difficile.
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1 #44 04/07/2019 00h37
- Scipion8
- Membre (2017)
- Réputation : 2535
Bonsoir,
Perso, je considère la nomination de Christine Lagarde comme a priori positive pour la zone euro, la France et la BCE :
a) La nomination d’un Président allemand, par exemple Jens Weidmann, aurait créé une incertitude sur le maintien et/ou l’efficacité des mesures anti-crises mises en place par Mario Draghi, comme l’OMT (Outright Monetary Transactions), le programme d’interventions conditionnelles sur le marché obligataire en cas de dysfonctionnements (à distinguer du QE). En effet, la Bundesbank s’est opposée de façon virulente à beaucoup de ces mesures pendant la crise. Je pense qu’un Président allemand de la BCE n’aurait été dans l’intérêt de personne, y compris des Allemands, car cela aurait pu compliquer la gouvernance de la BCE.
b) Le rôle essentiel du Président de la BCE est de construire des consensus et des compromis au sein du Conseil des Gouverneurs, ou, à défaut des majorités sur les questions les plus controversées. Chaque Président de la BCE a eu son style : Trichet était affable mais pouvait faire preuve d’autorité ; Draghi mène par sa supériorité intellectuelle et technique ; Lagarde a la réputation d’une "team-player", je pense qu’elle inaugurera un style de leadership plus collectif (ce qui est essentiel dans sa fonction actuelle au FMI), et je pense que c’est une bonne chose pour la BCE.
c) Par son parcours de ministre puis au FMI, on peut imaginer que Mme Lagarde soit sensible au thème de la croissance inclusive et qu’elle soit plus sensible qu’un pur banquier central aux implications sociales et politiques de la politique monétaire - même si le mandat de la BCE restera la stabilité des prix. Perso, je considère que ce serait une bonne chose pour la BCE de mieux prendre en compte les retombées sociales, notamment, de sa politique monétaire.
Cela dit, à mon avis, Mme Lagarde devra surmonter quelques épreuves du feu pour s’imposer, et non des moindres :
1) Se faire accepter par l’organisation interne : Il s’agira d’abord d’unir autour d’elle le Directoire (Executive Board) de la BCE. Draghi a essentiellement conduit la BCE par une coopération étroite avec Benoît Coeuré, un très bon technicien. La composition du Directoire aura changé aux 2/3 d’ici 2020, avec les départs successifs de Peter Praet (le "chef économiste" belge), Mario Draghi et Benoît Coeuré en 2019, puis d’Yves Mersch (un "faucon" luxembourgeois) en 2020. Restent Sabine Lautenschläger (une Allemande très coopérative, à l’inverse de certains de ces prédécesseurs) et le Vice-Président Luis de Guindos (un Espagnol au profil politique assez comparable à Lagarde). Le nouveau "Chef économiste" (cf. la distribution actuelle des rôles) est l’Irlandais Philip Lane, que je ne connais pas, mais qui me semble techniquement bon (la Central Bank of Ireland a une réputation de technicité) et assez dovish (cf. ce récent discours). Bref, je pense qu’avec ces profils plus coopératifs que certains membres anciens ou sur le départ, Mme Lagarde saura unir le Directoire autour d’elle.
Il lui faudra aussi se faire accepter par les échelons inférieurs, notamment les départements économiques dominés par des Allemands ex-Bundesbank, dont l’échelle de valeur commence parfois à un PhD d’économie, et qui, disons-le, sont parfois machos. Mme Lagarde, femme au profil politique plutôt qu’économique, devra sans doute surmonter des réticences - comme Trichet et Draghi avant elle (pour d’autres raisons).
Cela dit, Draghi a pris soin de réorganiser la DG Economics, autrefois toute puissante et avec une hiérarchie presque entièrement allemande (au point de créer une "Bundesbank interne", qui a compliqué / ralenti les réponses de la BCE à la crise). Cette DG a été divisée en 2 DG (Economics et Monetary Policy), le senior management a été changé et la main-mise allemande me semble moins forte. Cela devrait grandement faciliter la tâche de Mme Lagarde.
2) Le Président de la BCE est sa voix principale, et la communication d’une banque centrale est son premier outil. La communication sur la politique monétaire doit être extrêmement précise - chaque mot compte. Draghi est excellent dans le domaine - le meilleur au monde à mon sens (je ne l’ai jamais pris en défaut, même en disséquant tous ces discours et conférences de presse). Il est très facile de faire une erreur, d’être moins convainquant et de perdre en crédibilité : c’est le danger majeur pour un Gouverneur ou Président de la BCE. Cf. les critiques contre Jerome Powell et aussi Janet Yellen avant lui.
Mme Lagarde est une excellente communicante (probablement supérieure à Draghi / Trichet dans l’exercice médiatique), mais il lui faudra s’adapter au style de communication de la BCE (très différent du FMI). C’est une communication très technique, qui laisse peu de place à l’improvisation. La première conférence de presse de Mme Lagarde sera scrutée à la loupe ; nul doute qu’elle sera bien préparée.
3) La véritable épreuve du feu pour Mme Lagarde, comme pour Trichet et Draghi, sera la crise, quand elle surviendra. Créer un consensus au sein du Conseil des Gouverneurs est largement faisable en temps normal, mais les désaccords apparaissent quand une crise oblige la BCE à prendre des mesures non-conventionnelles, avec des risques financiers, ou quand il s’agit d’imposer des conditions aux Etats. Pendant la crise, Trichet et Draghi ont dû surmonter des oppositions virulentes, qui ont fragilisé l’unité du Conseil des Gouverneurs. Ils y sont parvenus, mais les divisions ont laissé des traces. On pourra juger Mme Lagarde comme Présidente de la BCE à la façon dont elle gèrera ces situations, dont il me semble probable qu’elles surviennent à l’horizon de son mandat (8 ans).
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#45 04/07/2019 09h21
- ArnvaldIngofson
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C’est un choix politique, pas sur les compétences.
De la période Ministre de l’Économie et des Finances, on retient surtout l’affaire Tapie où elle a été condamnée pour "négligence".
Elle s’est aussi illustrée par sa grande clairvoyance : le 20 août 2007, juste avant le début de la crise des subprimes et un an avant la faillite de Lehman Brothers, elle déclare penser « que le gros de la crise est derrière nous ».
De la période Directrice générale du Fonds monétaire international, on ne retient rien de remarquable.
Une petite polémique quand elle estime que « les Grecs devraient commencer par s’entraider collectivement » en « payant tous leurs impôts », alors que les directeurs généraux du FMI bénéficient d’une défiscalisation.
Finalement ses 2 atouts pour le poste à la BCE sont d’être une femme (elle doit d’ailleurs son poste de directrice du FMI aux frasques de DSK) et d’être française.
Elle parle aussi bien anglais mais n’est pas économiste et manque d’expérience dans une banque centrale.
Christine Lagarde
Dif tor heh smusma
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1 #46 04/07/2019 09h47
ArnvaldIngofson a écrit :
Elle s’est aussi illustrée par sa grande clairvoyance : le 20 août 2007, juste avant le début de la crise des subprimes et un an avant la faillite de Lehman Brothers, elle déclare penser « que le gros de la crise est derrière nous ».
C’est injuste de lui faire ce reproche : en tant que ministre, elle n’avais pas d’autre choix que de présenter une vision aussi optimiste des choses, l’économie étant largement affaire de psychologie.
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#47 04/07/2019 11h49
- Scipion8
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@ArnvaldIngofson :
1) A ce niveau-là de responsabilités, il s’agit bien sûr d’une nomination politique - mais les critères de compétence sont essentiels : on ne se risquerait pas à nommer un politique sans compétence à un poste avec de telles responsabilités, d’autant plus que le mandat est long (8 ans) et irrévocable.
2) Il n’est pas correct de penser qu’un banquier central doit nécessairement être un économiste pur jus, avec un track record de publications académiques. Les 2 qualités essentielles d’un Gouverneur, c’est d’une part un esprit "plastique", adaptable, capable d’appréhender des situations complexes sous différents angles (économique, bien sûr, mais aussi politique, juridique) et d’autre part une capacité à bien communiquer. On peut être le meilleur économiste du monde et un Gouverneur catastrophique, si on ne sait pas bien communiquer (et c’est très difficile). A mon sens, Mme Lagarde a démontré par son parcours qu’elle a ces 2 compétences essentielles.
Par ailleurs, s’agissant des profils à la BCE, il faut raisonner en termes collectifs, car le Directoire de la BCE est une équipe dont le Président n’est que le "capitaine" et coordinateur. Pour simplifier :
- Mario Draghi, Peter Praet, Philip Lane ont des profils d’économistes
- Christine Lagarde, Luis de Guindos ont des profils plus politiques (ce qui peut être très utile pour la BCE sans ses discussions avec ses partenaires institutionnels, en premier lieu les Etats)
- Yves Mersch, Sabine Lautenschläger ont des profils plus juridiques
- Benoît Coeuré a un profil technique (marchés financiers, notamment)
En passant, une expérience préalable en banque centrale n’est pas un must : ce n’est pas le cas de Coeuré, par exemple (il vient du Trésor).
Après les départs de Draghi et Praet, Lane sera le seul pur économiste. Je pense que le remplaçant de Mersch en 2020 aura un profil d’économiste afin de renforcer ces compétences au Directoire.
3) Je ne partage pas du tout votre avis sur la performance de Mme Lagarde au FMI, bien au contraire. D’abord, la visibilité médiatique du FMI (donc de son DG) est fortement liée aux crises : mais le FMI fait aussi un gros travail, moins visible, d’assistance technique et de prévention des crises. S’il n’y a pas eu de crise majeure, ces dernières années, c’est plutôt un signe que le FMI fait bien son travail que le contraire.
Par ailleurs il me semble clair que le FMI a une bien meilleure image que dans les années 1980-1990, voire au début des années 2010, quand son image était fortement attachée à une austérité budgétaire parfois excessive. Tout en continuant son travail sur les sujets budgétaires et monétaires, le FMI est beaucoup plus actif sur les sujets de croissance "inclusive", ce qui contribue sans doute à une meilleure image. C’est à mettre au crédit de Mme Lagarde.
4) Evidemment, je partage la réponse de Betcour sur la déclaration de Mme Lagarde en 2007. Je ne pense pas qu’il eût été approprié pour elle de déclarer "Les marchés s’effondrent. Ce n’est que le début" ;-) Quand des ministres ou gouverneurs font des déclarations de ce type, c’est avant tout pour essayer de rétablir la confiance des agents économiques.
Sur le fond, je peux vous dire qu’en 2007 tout le monde s’est planté (excepté les quelques investisseurs visionnaires illustrés dans "The Big Short"). A l’époque mon travail était de synthétiser les analyses de marché et de remonter ces informations au Directoire. Début 2007 j’ai ainsi commis une note, sur la base d’analyses de banques, expliquant, chiffres à l’appui, que le marché du subprime US était trop petit pour être un risque systémique pour les banques US… Aucune des dizaines d’analyses que j’avais lues ne prévoyait ce qui allait se passer.
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1 #48 07/08/2019 18h55
- Flavius
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Ce que je retiens du mercato européen est l’écrasante victoire des Etats sur le parlement. Ce dernier, morcelé n’a pu proposer de Spitzenkandidat crédible et Ms Van Der Leyen s’est imposée et a été validée ( de justesse par ce même parlement).
De même la BCE avec Mme Lagarde va permettre de garder les taux à un niveau qui permette la poursuite du financement sans limite et sans coûts (voir de gains à taux négatifs) d’Etats dont les gouvernements obéissent à leurs électeurs: des dépenses, encore des dépenses.
Egalement Timmermans et Weidmann doivent sûrement leurs échecs à leurs actions, l’un contre les pays de Visegrad, l’autre contre le financement indirect des Etats par la BCE.
L’Europe reste donc à ce jour économique et monétaire et n’est pas un interlocuteur politique ou militaire crédible. Très peud ’abandon de souveraineté ont été effectués, et les électeurs semblent moins que jamais disposer à le vouloir. L’Europe reste en panne depuis l’accomplissement de la libre circulation des hommes et des capitaux et de la monnaie unique, l’union bancaire risque de devenir l’union bancale sans EDIS .
Dans un monde qui bascule du multilatéralisme au bilatéralisme, cela est insuffisant. L’Europe était un incroyable projet, cela risque de n’être plus qu’un regret avec la paralysie actuelle.
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1 #49 16/09/2019 16h42
- Scipion8
- Membre (2017)
- Réputation : 2535
Un discours intéressant du "Chef Economiste" de la BCE, l’Irlandais Philip Lane, sur le "package" annoncé la semaine dernière par la BCE. Lane est un intervenant à suivre, car, avec les départs successifs de Peter Praet, Mario Draghi et Benoît Coeuré, il sera l’un des seuls économistes de carrière restant au Directoire de la BCE.
Quelques points importants du discours de Philip Lane sur la conjoncture économique :
- Le ralentissement économique dans la zone euro est plus marqué qu’anticipé auparavant.
- La conjoncture mondiale est faible, en partie à cause des tensions commerciales.
- Jusqu’ici, le marché de l’emploi européen est résilient, mais moins dans le secteur manufacturier.
- L’écart entre les indicateurs de confiance dans les services et l’industrie continue de se creuser (au détriment de l’industrie). L’Allemagne (28% du PIB de la zone euro mais 39% de son industrie) est plus touché que la France (21% du PIB mais seulement 13% de son industrie).
- Il y a des signes de contagion entre le secteur industriel et le secteur des services, notamment en Allemagne.
- L’inflation demeure faible : la baisse du chômage se traduit par une hausse des salaires, mais elle n’est pas répercutée sur leurs prix par les entreprises (qui voient donc leurs marges diminuer).
- Les anticipations de marché d’une inflation très basse (<1,5%/an) n’ont cessé de se renforcer.
- La baisse des taux (souverains) longs a permis d’améliorer les conditions de financement de l’économie, mais elle repose sur des anticipations que les banques centrales vont utiliser leur arsenal pour répondre à la faiblesse de la conjoncture.
Et sur le package de la BCE :
- L’abaissement de 10 points de base du taux de la facilité de dépôt à 0,50% vise à réduire davantage le coût de financement de l’économie et renforce l’effet du programme d’achats (Asset Purchase Programme = APP = QE).
- L’"indication prospective" (forward guidance) sur le niveau du taux directeur a été renforcée : les taux vont rester à leur niveau actuel (ou plus bas) tant que l’inflation ne sera pas revenue de façon "robuste" près de 2%. Cette forward guidance renforcée permet d’ancrer les anticipations d’une politique monétaire accommodante sur longue durée (tant que l’inflation ne sera pas revenue près de sa cible), permettant ainsi de maintenir une pression à la baisse sur les taux longs.
- Cette pression à la baisse sur les taux longs va être encore amplifiée par la reprise du programme d’achats (APP = QE), pour 20 milliards € / mois. Surtout, ces achats vont se poursuivre jusqu’à ce que la BCE envisage de relever ses taux (donc, quand l’inflation sera revenue près de 2%…). L’APP est un moyen pour la BCE de signaler de façon crédible le maintien d’une politique monétaire (ultra) accommodante jusqu’à ce que la cible d’inflation soit atteinte, et a des "effets de richesse" pour les banques et autres détenteurs de titres. Cette nouvelle tranche d’achats permet aussi de compenser le vieillissement naturel du portefeuille.
- Les opérations ciblées de longue maturité (TLTRO III) sont rendues encore plus attractives, car moins chères (désormais, leur taux sera indexé sur le taux directeur moyen pendant leur durée de vie, actuellement 0%, sans prime de 10 points de base) et avec une maturité plus longue (3 ans au lieu de 2).
- Le système "compartimenté" (tiering) pour la rémunération des réserves obligatoires va permettre de compenser les effets néfastes des taux négatifs sur la profitabilité bancaire, tout en en maintenant les effets positifs sur les conditions de financement sur le marché monétaire (et donc dans l’économie réelle).
Bref, à mon sens, c’est un package de mesures assez puissant. Surtout, le fait de lier explicitement le maintien de taux ultra bas et d’achats d’actifs au niveau de l’inflation. Cela engage la BCE pour un moment (certains diraient, peut-être pour un long bail…).
Perso je suis d’accord avec le diagnostic économique de la BCE (il n’y a aujourd’hui aucun risque inflationniste, en revanche la déflation est un risque réel). Cela dit, le fait que la décision sur le package ait été contestée (selon Reuters, un bon tiers des membres du Conseil des Gouverneurs, dont les 2 Français et bien sûr les "faucons" habituels, Allemands, Autrichiens, Néerlandais…, s’y sont opposés) et que Draghi soit passé "en force" donne un peu l’impression d’une "urgence"… Je comprends le point de vue de ceux qui disaient qu’ils valaient mieux attendre l’arrivée de Lagarde et, éventuellement, la revue de la cible d’inflation de la BCE (certains demandent un abaissement de la cible de 2% à 1,5%).
Bref, ce package couronne le parcours de Draghi, qui a implémenté ses mesures contre toutes les oppositions - le plus souvent en ayant raison. Mais cela aura eu un sacré impact sur son image (et celle de la BCE) dans certains pays, notamment en Allemagne. Il suffit de voir comment Bild (pas le journal le plus subtil, certes) saluait son arrivée à la tête de la BCE il y a 8 ans (en vantant ses "qualités allemandes"), et comment ils le caricaturent maintenant en "Comte Draghila"…
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#50 17/09/2019 13h51
- chlorate
- Membre (2014)
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Ce qui me surprend dans ce type de discours et d’analyse, c’est qu’il n’y ait jamais fait mention de l’impact sur les taux de change, alors que c’est une des clés de la compréhension de ces mesures. Corrigez moi si je me trompe, mais pour moi QE plus élevé = euro plus faible = plus d’exportation.
Et ça, c’est très bon pour l’Allemagne, plutôt neutre/négatif pour la France, et très négatif pour les pays du Sud.
Les décisions de la BCE sont à comparer à celles de la FED, qui elle aussi cherche à dicter son taux de change cible, dans une lutte entre devise. On parle de la Chine qui manipule son taux de change, en quoi la BCE ne fait-elle pas de même ?
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