@Chine : Le seuil de 95% que vous mentionnez n’est en rien gravé dans le marbre, et c’est là tout le problème : cet article sur les Bitcoin Improvement Protocols (BIPs) l’explique bien :
Bitcoin Governance: What are BIPs and how do they work? a écrit :
Upgrades to Bitcoin’s protocol are proposed and executed through Bitcoin Improvement Proposals (BIPs). BIPs provide a standardized process for contributors to propose new ideas to the protocol, test them, and subject them to peer review. This system of checks and balances is intended to allow continual innovation on the protocol, while making sure that improvements are implemented through consensus and collaboration. (…)
Historically, the Bitcoin Core developers have been responsible for the majority of development on the Bitcoin protocol. They maintain Bitcoin’s codebase and are the only ones with the ability to push live code to the Bitcoin Core client. While hundreds of people have contributed code to Bitcoin over the years, only a dozen or so have ever had commit access to the code base.
While this has led to the perception that Bitcoin Core developers wield an authoritarian influence over the protocol’s development, that isn’t actually the case. Core developers engage in a process of rough consensus to determine what is ultimately included.
Maintainers — developers who have commit access to the Bitcoin Core Github repos — will take into consideration if a patch:
- is in line with the general principles of the project
- meets the minimum standards for inclusion
- aligns with the general consensus of contributors. (…)
The goal of the BIP process is to allow anyone to propose improvements to the Bitcoin protocol, but also to thoroughly vet ideas for security and feasibility, before implementing any code that could threaten the stability of the network.
The process is meant to allow the community to establish rough consensus around proposed ideas. P. Resnick defines rough consensus as follows: Rough consensus has been defined in many ways; a simple version is that it means that strongly held objections must be debated until most people are satisfied that these objections are wrong.
Soft-fork BIPs require activation by “a clear miner majority.” The recommended guideline for establishing this majority is that 95% of nodes approve it by upgrading their software to include the BIP. A soft-fork-activated BIP must include the time that a BIP will be active on the network.
Vous voyez qu’à chaque étape de la modification du protocole Bitcoin il y a un degré important de discrétion, voire d’arbitraire, par les insiders au coeur du système - les développeurs, les gros mineurs au hash rate élevé, les gros détenteurs. C’est en ce sens que je parle d’oligarchie, et ça me semble peu contestable : le petit investisseur n’a aucun recours face aux quelques centaines de "baleines" qui contrôlent et manipulent ce marché, sans aucune régulation d’aucune sorte.
Et je peux vous l’assurer : une société où ne pas tuer son voisin ne serait qu’une "recommended guideline" serait une société bien différente de la nôtre : légèrement plus violente.
Mettre en place une pyramide juridique pour assurer une monnaie (fiat) stable est une partie importante de mon travail :
1) on inscrit les principes essentiels (par exemple le mandat de la banque centrale de préserver la stabilité de la monnaie) dans la loi, voire dans la Constitution (le Traité, dans le cas de l’euro)
2) on recommande à la banque centrale de publier les règles essentielles qui guident sa gestion de la monnaie (par exemple les règles sur les opérations de gestion de la liquidité, son objectif d’inflation etc.)
3) on recommande à la banque centrale de préparer des procédures détaillées en interne, qui restent confidentielles, mais peuvent être publiées si besoin
Rien n’est improvisé, rien n’est arbitraire. La banque centrale est indépendante mais opère sous un double contrôle politique (le Parlement européen, pour la BCE) et judiciaire (la Cour de Justice de l’UE, pour la BCE).
A côté de ça le Bitcoin fonctionne par "rough consensus"… Je peux vous l’assurer : le flou dans un cadre juridique sert toujours les intérêts des insiders (c’est même son seul objectif).
@DockS : Oui, la banque centrale doit utiliser tous les moyens à sa disposition (et ils sont vastes) pour atteindre son objectif de stabilité des prix. Et oui, la banque centrale opère dans un environnement très contraint, influencé par des facteurs structurels puissants qui lui sont exogènes (mondialisation, digitalisation etc.). Elle doit analyser correctement ces facteurs et calibrer sa politique monétaire en conséquence (taux directeur, QE) pour maintenir la stabilité de la monnaie.
Ce n’est pas évident, mais force est de constater que l’euro (depuis sa création) et le dollar (depuis le début des années 1980) sont des monnaies stables, avec des déviations limitées par rapport aux cibles d’inflation (2% / an). Mais assurer cette stabilité a demandé de mobiliser des moyens importants (QE).
Si vous regardez les anticipations d’inflation, telles que reflétées par les breakevens des obligations d’Etat indexées sur l’inflation (OATi) et les swaps d’inflation, la crainte principale des participants de marché dans la zone euro n’est pas une inflation excessive, mais une déflation (à la japonaise). Évidemment, le marché peut se tromper, la BCE et moi aussi, mais la crainte d’une hyper-inflation dans la zone euro, dans un environnement globalement déflationniste, ne paraît pas aujourd’hui fondée.
@Concerto : 1) L’objectif unique et exclusif de l’accumulation d’argent (par le travail ou par l’investissement) est la consommation, actuelle ou future. Quand vous achetez des actions en PEA, ce n’est pas pour les manger, mais pour les liquider plus tard (si possible avec une PV) ou pour les transmettre à vos héritiers, pour qu’ils puissent les liquider un jour et mieux vivre : c’est de la consommation future.
Le rôle de la monnaie, c’est de fournir un moyen de paiement et une unité de compte stable pour faciliter la consommation - actuelle et future.
Donc ça ne ferait aucun sens pour une banque centrale d’orienter sa gestion de la monnaie (= sa politique monétaire) par l’évolution des prix des actifs : la seule chose qui compte, c’est le panier de consommation ! Si la monnaie garde un pouvoir d’achat (de biens de consommation) stable sur le long-terme, alors la banque centrale a correctement fait son travail.
Les évolutions volatiles des actifs sont un sujet différent : tant mieux pour les détenteurs si leurs prix augmentent, mais ce n’est un souci pour la banque centrale que s’ils augmentaient à un tel point qu’ils pourraient déclencher une spirale inflationniste. Aujourd’hui en zone euro ce n’est absolument pas le cas : le risque principal, c’est la déflation, pas une inflation excessive !
Une autre considération politique, c’est que le risque que l’envol des prix des actifs aggrave les inégalités sociales. Mais (1) en zone euro ce n’est pas le cas, si l’on regarde l’évolution des indices de Gini sur le patrimoine (relativement stables - c’est bien différent aux USA), et (2) c’est le rôle de l’Etat, et non de la banque centrale, de corriger les inégalités par un système fiscal et social approprié (la banque centrale n’a ni les outils, ni le mandat démocratique pour le faire).
2) S’agissant du caractère temporaire du QE : mon point était d’ordre technique (l’impact du QE est réversible puisque les actifs achetés ont une maturité), mais à nouveau : le seul objectif de la banque centrale, c’est la stabilité des prix (du panier de consommation). Si la stabilité des prix impose à la banque centrale de multiplier la masse monétaire par 2, par 3, par 10 ou par 1000, alors il faut le faire. (Bon, je ne vous cache pas que s’il faut multiplier la masse monétaire par 1000 il y aurait quelques effets secondaires à traiter, par exemple des risques de bulles gigantesques sur les marchés financiers.) Toute considération est (très) secondaire par rapport à la stabilité des prix, car c’est la mission essentielle de la banque centrale d’assurer une monnaie stable.
Si l’environnement économique demeure déflationniste (à nouveau : cela est exogène à la banque centrale), alors il est probable que les banques centrales gardent des bilans "gras", avec de gros portefeuilles de QE. Si l’environnement économique redevient inflationniste, alors les banques centrales pourront laisser leurs portefeuilles de QE venir à maturité sans les renouveler (ou partiellement). Mais pour être très clair, quand on est banquier central, on s’en fiche, hein : on s’adapte juste à l’environnement économique pour assurer la stabilité des prix. C’est le job.
Donc ça ne sert à rien de s’exciter sur l’augmentation de la masse monétaire ou des bilans des banques centrales : ils ne reflètent que ce que les banques centrales jugent approprié pour atteindre leur objectif de stabilité des prix. Si je subis une opération chirurgicale à l’hôpital, perso je ne vais pas donner de conseil au chirurgien sur la taille des outils à utiliser, je vais juste espérer qu’il calibre bien ses outils et ses décisions pour me soigner. Bien sûr, le chirurgien, comme la banque centrale, peut se tromper - dans ces cas-là c’est problématique ;-) Pour l’instant ce n’est clairement pas le cas, la stabilité des prix est bien là, en zone euro comme aux USA. (Et en passant : une telle période de stabilité des prix est historiquement exceptionnelle.)
3) La monnaie est un sujet sérieux. On ne peut pas faire un référendum tous les 5 ans sur le système monétaire : cela conduirait à une incertitude économique terrible, extrêmement destructrice pour l’économie. (Vous comprenez bien que pour une entreprise, ne pas savoir quelle monnaie va avoir cours légal l’année prochaine, ou avoir une incertitude totale sur son pouvoir d’achat réel, a pour effet de geler les embauches, les investissements, bref l’activité économique.) On a besoin de stabilité monétaire, tout le monde est d’accord sur ça.
En 1992, les Français ont voté en faveur de l’adoption de l’euro. C’était un vote démocratique. D’ailleurs aucun dirigeant politique sérieux ne se risque à remettre en cause l’euro. Ceux qui le faisaient au RN ont été virés manu militari (Mme Le Pen espérant ainsi peut-être gagner des galons de crédibilité). M. Mélenchon propose un euro étatisé, avec un financement monétaire des Etats par la BCE ; ce serait une transformation profonde, c’est sûr. J’observe que depuis 2007, les 2 candidats au 2nd tour de la présidentielle n’ont jamais remis en cause l’euro ni le principe de stabilité monétaire. En Italie comme en Grèce, ceux qui divaguaient sur une éventuelle sortie de l’euro se sont ravisés quand ils sont parvenus au pouvoir (et pour cause, une sortie aurait été très destructrice pour leurs pays).
Bref, à mes yeux les discours anti-euro sont utiles comme rodomontades de campagne, pour attirer le vote protestataire, mais c’est bien leur seule utilité pratique. Pour l’instant je n’ai pas entendu de proposition crédible et opérationnelle pour un autre système monétaire (en revanche, des propositions pour démocratiser la gouvernance de la zone euro, rendre la BCE plus transparente etc., oui, et bien sûr elles sont très utiles).