Concernant la question des bitcoins papiers, ce n’est pas un sujet nouveau, tant d’un point de vue théorique que d’un point de vue pratique. Les "bitcoiners" s’interrogent sur cette problématique depuis longtemps et plusieurs chapelles s’opposent. Par ailleurs, il y a déjà eu et il y a des formes de bitcoins papier (avec plus ou moins de certitude pour certaines d’entre elles) en circulation aujourd’hui.
Comme cela a été mentionné précédemment, il existe déjà aux USA des ETF Bitcoin mais ceux-ci ne sont pas des ETF dits spot, qui détiennent directement le sous-jacent, mais des ETF synthétiques reposant sur des produits dérivés (dont les performances, pour des raisons liées à la structure des marchés de produits dérivés qui dépassent mes compétences, sont bien moindres que celle du sous-jacent). Le plus connu est l’ETF de ProShares qui présente un encours d’environ 1 G$ (ETF ProShares BTC). Il y a donc déjà aujourd’hui a minima une forme de bitcoins papier sur le marché.
En plus des ETF, et depuis bien plus longtemps, se pose la question des plates-formes d’échange de cryptos. Conservent-elles bien réellement toutes et toujours 100% des cryptos de leurs clients ? Avec la fraude et la faillite de FTX, on a malheureusement la réponse. Il a d’ailleurs été estimé pour cette dernière plate-forme que le montant de bitcoins qui n’ont jamais existé c’est-à-dire de bitcoins papier était 80 000 jetons (1,4 G$) en 2022 soit 25% de l’émission de jetons sur l’année. Il y a parfois des soupçons et des rumeurs sur d’autres plates-formes mais impossible de dire ce qu’il en est exactement…
Sans que cela ait été prouvé, et de manière plus anecdotique sur les montants en jeu de toute façon, l’expérience au Salvador a aussi fait craindre l’émergence de bitcoins papier (a minima au démarrage de l’expérience, je n’ai pas suivi ces derniers mois). En effet, le montant de bitcoins que chaque citoyen recevait initialement sur son wallet mis à disposition par le gouvernement était en fait une créance vis-à-vis de l’Etat salvadorien qui détenait les bitcoins correspondants. Est-ce que le Salvador avait vraiment acheté tous les bitcoins nécessaires… ?
Ces exemples illustrent qu’il y a d’innombrables manières de créer des bitcoins papier, qui ont très logiquement toutes en commun d’avoir un intermédiaire qui distribue un bout de papier contre des (promesses de) bitcoins. Et ils illustrent que la menace (réelle) des bitcoins papier n’est pas introduite par les demandes d’ETF de BlackRock et de quelques autres gestionnaires d’actifs. D’ailleurs, comme ce sont justement des demandes d’ETF spot c’est plutôt me semble-t-il une "bonne nouvelle" puisqu’ils devront légalement disposer des bitcoins en contrepartie du papier émis. L’une des questions ouvertes est non pas le fait que BlackRock emprunte les bitcoins mais plutôt la réhypothécation c’est-à-dire que BlackRock puisse les prêter comme cela peut se faire pour certains ETF.
À chaque fois qu’un saut technique facilitant l’accès à Bitcoin est effectué, par les plates-formes d’échange d’abord puis par les ETF plus récemment, il y a ce risque avéré et matériel d’une offre de bitcoins papier. Cependant jusqu’à présent, au vu de la seule trajectoire du cours du BTC puisqu’il est complexe d’apprécier l’étendue de ces bitcoins papier, cela n’a pas empêché une appréciation du cours globalement en ligne avec la raréfaction de l’offre monétaire (cf. le modèle stock-to-flow que j’avais présenté dans la seconde partie de ce post).
La nature humaine étant ainsi faite, je suis convaincu qu’il y a et qu’il y aura toujours des bitcoins papier qui circuleront. Comme il en existe effectivement aussi déjà sur l’or et d’autres matières premières. Est-ce que cela déstabilisera le cours du BTC ? À court terme (quelques mois) sûrement, à moyen terme (quelques années) sans doute et à long terme (au-delà de 4 ans mettons) probablement très peu. C’est une forme de profession de foi que je fais mais je considère que la vérité des prix, voire la vérité tout court mais c’est un autre débat, finit toujours par émerger quelles que soient les manipulations auxquelles certaines entités peuvent s’adonner.
Par ailleurs, l’avantage entre autres de Bitcoin par rapport à l’or est qu’il est justement beaucoup plus facile de :
- Stocker de manière sécurisée ses clés privés et donc de détenir réellement les bitcoins, notamment avec les solutions proposées par Trezor ou Ledger
- Vérifier immédiatement qu’on a reçu des bitcoins et non pas une contrefaçon ou des jetons "dilués" (c’est plus compliqué avec de l’or comme le montre par exemple cette récente histoire à rebondissements Perth Mint gets the all-clear from LBMA after month-long gold ’doping’ investigation | Kitco News)
Donc amha la vérité des prix sera plus difficile à cacher, d’autant plus dans la durée, que sur un marché comme celui de l’or.
KingFlan a écrit :
Est ce qu’il n’y a pas un risque de perte d’indépendance si BlackRock et confrères pouvaient former un bloc de vote majoritaire et ainsi faire entrer leurs exigences + celle des autorités financières américaines (reglementations bancaires, kyc, saisies, sanctions, etc, etc) dans le protocole ?
Il y a effectivement des inquiétudes sur ce point puisque dans sa demande d’ETF BlackRock a indiqué se réserver le choix de la blockchain en cas de fork (comme c’est par exemple arrivé en 2017 entre Bitcoin et Bitcoin Cash au titre d’un désaccord sur la taille des blocs).
BlackRock a écrit :
In the event of a hard fork of the Bitcoin network, the Sponsor will, if permitted by the terms of the Trust Agreement, use its discretion to determine which network should be considered the appropriate network for the Trust’s purposes, and in doing so may adversely affect the value of the Shares.
In the event of a hard fork of the Bitcoin network, the Sponsor will, as permitted by the terms of the Trust Agreement, use its sole discretion to determine, in good faith, which peer-to-peer network, among a group of incompatible forks of the Bitcoin network, is generally accepted as the Bitcoin network and should therefore be considered the appropriate network for the Trust’s purposes. The Sponsor will base its determination on whatever factors it deems relevant, including but not limited to, the Sponsor’s beliefs regarding expectations of the core developers of bitcoin, users, services, businesses, miners and other constituencies, as well as the actual continued acceptance of, mining power on, and community engagement with, the Bitcoin network, or whatever other factors it deems relevant. There is no guarantee that the Sponsor will choose the digital asset that is ultimately the most valuable fork, and the Sponsor’s decision may adversely affect the value of the Shares as a result. The Sponsor may also disagree with Shareholders, the Bitcoin Custodian, other service providers, the Index Administrator, cryptocurrency exchanges, or other market participants on what is generally accepted as bitcoin and should therefore be considered “bitcoin” for the Trust’s purposes, which may also adversely affect the value of the Shares as a result.
Source
Donc si fork il y a, par exemple entre un Bitcoin en PoW et un Bitcoin en PoS "ESG friendly", le choix de BlackRock pèserait c’est certain d’un poids conséquent… Mais en 2017, la branche qui s’est avérée la branche gagnante du fork a été celle qui a été soutenue par les petits acteurs, les gros acteurs de l’écosystème ayant initialement choisi Bitcoin Cash. Il semble donc difficile de prévoir l’issue potentielle d’une telle situation.
Par contre, il faut noter que même si BlackRock détenaient des quantités très importantes de jetons, il n’aurait pas d’influence sur la validation des blocs qui est du ressort des mineurs (contrairement à une chaîne en PoS c’est-à-dire en preuve d’enjeu, pour laquelle le poids dans la validation des blocs dépend du nombre de jetons détenus). Aussi sur ce point précis il n’y a pas d’inquiétude particulière à avoir à mon sens.
Pour synthétiser, à horizon 18 mois il y aura des forces contradictoires à l’œuvre sur le cours du BTC, sous réserve de l’acceptation par la SEC des demandes d’ETF spot évidemment :
- Négative avec la possible augmentation du nombre de bitcoins papier en circulation (indirecte, par le mécanisme de réhypothécation des bitcoins)
- Positive avec une potentielle demande complémentaire à laquelle s’ajoutera la raréfaction de l’offre monétaire (prochain halving prévu pour mai 2024)
- Inconnue avec la politique monétaire des banques centrales : sera-t-elle encore plus restrictive qu’actuellement, dans la continuité ou plus accommodante ?
La résultante de ces forces est indécise mais personnellement je préfère quand même détenir du BTC en portefeuille que ne pas en avoir. Je considère que l’upside potentiel reste très important même au cours actuel de 30 000 $.
Deux vidéos intéressantes qui traitent de ces questions et desquelles j’ai puisé certains éléments décrits ci-dessus (je précise à toutes fins utiles que je ne suis pas d’accord avec toute la ligne éditoriale de cette chaîne YouTube).