InvestisseurHeureux a écrit :
il y a un très gros problème dans nos sociétés modernes. C’est pas normal que les gens, et de + en + jeunes, soient myopes, en surpoids/obèse, incapables de marcher quelques kilomètres ou de monter des escaliers sans être essoufflés, sans libido, doivent passer par des FIV pour avoir des enfants, prennent des drogues (cannabis ou psychotropes)…
Un psychiatre américain, Scott Peck, expliquait la chose suivante : un jeune enfant veut une satisfaction immédiate. Il a faim maintenant. S’il ne peut pas manger maintenant, il pleure. Puis, au fur et à mesure qu’il grandit, il devient capable de repousser la satisfaction. C’est à dire qu’il devient capable de se dire "je fais quelque chose de moins plaisant (voire franchement désagréable) maintenant, pour obtenir quelque chose de plus plaisant, plus tard". Cela nécessite trois choses : la compréhension de l’écoulement du temps (se représenter "maintenant" et "plus tard"), cela nécessite un sens moral (savoir ce qui est bien), et cela nécessite de la discipline pour répondre à la partie la plus primitive de nous (qui voudrait être satisfaite immédiatement) qu’elle doit attendre.
En principe, ces qualités de compréhension, de morale et de discipline progressent au fur et à mesure de l’enfance, jusqu’à produire un adulte parfaitement capable de bien se comporter maintenant, en vue d’un bénéfice ultérieur.
Voici des comportements qui proviennent de la capacité à repousser la satisfaction :
- S’abstenir de consommer de la drogue, pour éviter de devenir dépendant et de dégrader sa santé.
- s’abstenir de consommer de la malbouffe, pour éviter de devenir dépendant et de dégrader sa santé.
- faire de l’exercice physique, même si l’on n’en prend guère plaisir, pour rester en bonne santé.
- faire de l’exercice physique régulièrement (persévérer), pour progresser, pour avoir des succès au fur et à mesure.
- éviter de polluer l’environnement, pour garder un environnement vivable pour nous et notre descendance.
Force est de constater que la capacité à repousser la satisfaction est bien peu répandue.
Vous parlez d’une évolution négative de nos sociétés modernes. Mais, est-ce nouveau ?
- Depuis qu’on sait fabriquer de l’alcool, il est très largement consommé.
- depuis que le tabac est disponible, il est très largement fumé (aux Etats-Unis au XXe siècle, il y a eu un moment où presque tous les hommes adultes fumaient).
- depuis que les ascenseurs et les voitures existent, les gens sont sédentaires. Je vais peut-être dire une bêtise car je cite de mémoire, mais je crois que le premier médecin à alerter sur les méfaits du confort moderne qui induit la sédentarité qui induit des dommages sur la santé l’a fait dès 1905 ou 1910 ! A cette date, les plus riches américains avaient déjà réussi à avoir un mode de vie sans aucun effort physique, car ils disposaient de voitures automobiles et l’on posait déjà des ascenseurs dans les plus riches maisons et l’on n’avait donc même plus besoin de monter les escaliers.
- quand on apporte l’alcool, la farine blanche et le sucre blanc à des populations qui n’en avaient pas, elles les adoptent immédiatement, malgré les dommages évidents sur la santé (abrutissement, obésité, caries…).
Etc.
InvestisseurHeureux a écrit :
Tout ça est une honte absolue.
Un empoisonnement généralisée de la population au profit des grosses industries de l’agro-alimentaire avec la complaisance des régulateurs.
Honte est un mot qui renvoie à la morale. A la conscience d’avoir fait quelque chose de mal. Mais une entreprise n’a pas de conscience. Une entreprise a un seul but : maximiser ses profits. Peu importe que cela endommage l’environnement, la santé des clients, ou que cela fasse du tort aux populations locales, ou encore que cela produise de la souffrance animale ; peu importe, pourvu que ça fasse davantage de profits. A mon sens, il est vain d’attendre d’une entreprise qu’elle régule d’elle-même ses comportements dommageables. Pour qu’une entreprise ne fasse pas des choses dommageables à la collectivité, il faut soit une interdiction (par la loi), soit que son attitude dommageable lui fasse perdre d’avantage d’argent que cela ne lui en fait gagner.
Or, les limites légales ne peuvent être posées que par les Etats. Etats nationaux vs entreprises internationales : on sait bien que les régulateurs nationaux ont de plus en plus de mal à poser des limites aux entreprises. Faut-il pour autant souhaiter un gouvernement mondial ? Quand on voit le fonctionnement de l’Europe et de l’ONU, ça ne donne pas exactement envie. Parfois, les pays peuvent trouver un accord mondial sur un sujet précis, sans nécessiter de mettre en place un gouvernement mondial pour autant : le protocole de Montréal, signé en 1987, a permis d’adopter les mesures qui ont permis d’inverser la destruction de la couche d’ozone. C’est l’un des rares domaines où l’on a vraiment réussi à inverser la tendance pour arriver à une "guérison". Si seulement le protocole de Kyoto sur le changement climatique avait eu le même succès… Mais on se passe plus facilement de CFC que de sources d’énergie polluantes mais bon marché…
Pour que les comportements dommageables des entreprises leur fassent perdre de l’argent, ça peut venir des Etats (par exemple une taxe sur les activités polluantes, une taxe sur la malbouffe), mais ça peut venir aussi des consommateurs et de la société civile : mouvements de boycott, campagnes de pression, etc. S’il y a eu des succès dans certains cas, c’est un pouvoir bien limité. La bonne conscience des consommateurs est soluble dans l’argent : par exemple, depuis le retour de l’inflation, il y a plus de monde chez les discounters alimentaires que chez Biocoop. Tout le monde valorise le "made in france", mais, quand il faut concrètement dépenser 2, 3 ou 4 fois plus pour avoir un produit français qu’un produit chinois, bien peu de monde choisit le produit français.
Sur ce forum, il y a beaucoup de gens qui veulent plus de liberté économique et moins d’encadrement par les Etats. J’avoue être surpris de voir que vous voudriez plus de régulation sur l’agro-alimentaire en particulier, alors que votre discours est plutôt libéral par ailleurs. Cela dit, est-ce le bon endroit pour lancer un énième débat sur "plus ou moins d’Etat" ? Vous risquez d’ailleurs de répondre "je ne veux pas plus d’Etat, je veux un Etat efficace". Malheureusement, personne n’a de baguette magique pour rendre l’Etat efficace. Qui plus est, même l’Etat le plus efficace au monde reste un état national qui aura toujours du mal à réguler des entreprises multinationales…
Notez que je vois apparaître un point commun entre les deux parties de mon message. J’aimerais beaucoup adhérer à l’idéologie libertarienne qui est celle de quelques pourcents d’américains et que je pourrais résumer ainsi : "Il n’y a pas besoin d’Etat, car une société composée d’être humains raisonnables et libres peut se réguler d’elle-même."
Tout la question est dans le "raisonnables".
Par exemple, avez-vous lu (et vu…) les effets de la Tranq, cette nouvelle drogue aux USA ? Mais on pourrait aussi citer le nombre de morts par armes à feu aux Etats-Unis. Cela vient confirmer, si nécessaire, que le problème, c’est que les hommes ne sont pas raisonnables. Non, ils ne savent pas s’auto-réguler, s’auto-discipliner. Les entreprises qu’ils créent ne savent pas s’auto-réguler non plus.
La plupart des êtres humains adultes sont comme de petits enfants : ils veulent une satisfaction immédiate et ne sont pas capables de se discipliner pour atteindre un bénéfice ultérieur. Donc il faut de l’Etat, des régulations, des contraintes, etc.
Et pourquoi est-ce que les êtres humains ne sont pas raisonnables ? Lapalissade : parce que notre raison est très limitée.
Nous sommes certes des animaux dotés d’un gros cerveau. Mais, même avec notre capacité à raisonner, à réfléchir, à concevoir des choses abstraites, et à parler, notre "raison" reste extrêmement rudimentaire. Nous ne sommes pas beaucoup plus malins que des singes (lire ou relire Le singe nu de Desmond Morris). Nous ne sommes guère plus capables de nous comporter de façon raisonnable qu’une bande de chimpanzés. Nous faisons grand cas de notre gros cerveau : la religion dit que nous somme les seuls à avoir une âme. Quand Darwin a commencé à dire que nous sommes des animaux, c’était un blasphème. Les scientifiques ont fini par reconnaître que nous étions des animaux, mais ils insistaient que nous étions sans commune mesure : les seuls animaux à avoir un langage (c’est faux), les seuls à avoir une culture (c’est faux), etc. Les scientifiques ont tellement persisté à nous positionner en dehors du genre animal qu’ils ont crée un genre pour nous tout seul, le genre homo, où nous sommes la seule espèce, homo sapiens sapiens, qui signifie à peu près : l’homme qui réfléchit beaucoup. Eh non. Déjà, biologiquement (je cite le muséum d’histoire naturelle) : "du point de vue biologique et évolutif, nous appartenons à la famille des grands singes". Il y a si peu de différence entre les grands singes et les hommes que cette création d’un genre différent n’a vraiment pas beaucoup de sens ; la principale raison de la création du genre homo, c’est la cause idéologique qui veut que nous soyons supérieurs aux autres espèces animales et qui veut aussi nous considérer comme en dehors de la nature (dans cette vision, la nature, c’est tout le monde vivant sauf l’homme).
Faire une différence entre l’animal et l’homme est vraiment un non-sens. Nos muscles fonctionnent exactement pareil que ceux d’un singe. Nous tombons malades et nous guérissons exactement de la même façon. Les neurotransmetteurs dans notre cerveau sont exactement les mêmes que chez les singes, même quand nous avons des pensées revendiquées comme purement" humaines" telles que la poésie, l’abstraction, le raisonnement scientifique. Il n’y a pas de neurotransmetteur spécifique à l’intelligence humaine. Il y a une différence quantitative (dans le cerveau de l’homme, il y a davantage de neurones, mieux organisés, davantage de thrombospondine qui favorise la croissance des synapses donc davantage de connections), mais pas de différence de nature. Les choses seraient plus simples si nous reconnaissions simplement et humblement notre nature animale.
Enfin, au vu du résultat (les guerres, la destruction de l’environnement, la malbouffe, la sédentarité, l’esclavage, le crime, des millions de gens qui meurent de faim pendant que des millions de gens qui meurent de trop manger, etc), plutôt que homo sapiens sapiens, l’homme qui réfléchit beaucoup, il faudrait nous appeler l’animal qui réfléchit encore bien trop peu. Les faits nous amènent au constat inéluctable que les capacités de raison de l’être humain sont très limitées et très insuffisantes.
Pour revenir sur le sujet du fil et finir par une boutade : l’animal en cage marche… comme un animal en cage. Il sait qu’il a besoin d’exercice physique, alors il marche. L’homme en cage joue à la console ou regarde Netflix. Qui est le plus évolué ?
Dernière modification par Bernard2K (14/02/2024 17h18)