3 #1 15/11/2014 22h01
- fredagro
- Membre (2013)
Top 50 Invest. Exotiques - Réputation : 17
Bonjour,
Je souhaite lancer une nouvelle file consacrée au foncier rural, et plus précisément à la pertinence de faire - en tant que non-agriculteur - l’acquisition de terres agricoles.
Si vous consultez ma fiche de présentation, vous constaterez que j’ai sciemment orienté mes choix patrimoniaux vers la détention d’actifs agricoles : initialement parts de groupements forestiers (de GFs assez "industriels" - en l’occurrence gérés par la Société Forestière de la CDC - mais aussi d’un GF plus "artisanal"), puis petit massif boisé (en propriété directe), parts de cheptel (vaches laitières louées, via la société Elevage et Patrimoine ; voir file de discussion spécifique sur ce forum), et enfin terres agricoles affermées (louées à un exploitant agricole). Ces choix expliquent l’intérêt que je vois en une telle file, car le forum aborde par ailleurs assez peu ce sujet. Je précise que je me positionne ici en tant que particulier non-professionnel : bien qu’ingénieur agronome proche - du fait de mon métier - de la ruralité et de ses différentes composantes, je ne suis pas (et ne serais a priori jamais) agriculteur. J’imagine que plusieurs membres de ce forum sont agriculteurs ; je les prie de bien vouloir m’excuser par avance si j’écris des bêtises et leur demande de corriger mes propos.
Tout d’abord, les faits (1) d’être "non-agriculteur" et (2) de faire l’acquisition" ont - il me semble - leur importance. Ce sera le point de départ de la discussion que je souhaite engager.
(1) Etre "non-agriculteur" est un élément capital. En effet, contrairement à une transaction immobilière classique (pour laquelle il n’y a en général aucune condition pour être "acheteur", sinon celle d’accepter de payer le prix demandé par le vendeur) n’importe qui ne peut être l’heureux "acheteur" de terrains agricoles. Certains agriculteurs en fin de carrière souhaitent vendre les terres qu’ils exploitent (terres libres, non-louées à un fermier) à un jeune agriculteur, plutôt qu’à leur voisin (qui cherche à agrandir son exploitation) ou qu’à un "apporteur de capitaux". Il est heureux - de mon point de vue - que certains renoncent à une démarche 100% vénale, par amour de leur métier. Mais d’autres agriculteurs souhaitent au contraire vendre leurs terres à leur voisin, qu’elles soient libres ou exploitées par ce même voisin, le plus cher possible. On peut les comprendre. Dans ce cas, le système français est tel qu’un non-agriculteur ne pourra se porter acquéreur. S’il manifeste son intérêt, il a des chances de se retrouver dans un marché de dupes, appâté par le vendeur : l’acheteur fera monter le prix… Un fois l’accord conclus (compromis de vente transmis au notaire), le fermier fera jouer son droit de préemption auprès de la SAFER pour pouvoir acquérir les terres. Dans certains cas, la transaction n’ira même pas jusqu’au stade du compromis : vendeur et fermier seront d’accord pour évincer l’acheteur non-agriculteur, la transaction se faisant entre eux au prix que ce dernier était prêt à payer. J’ai lu de nombreuses annonces où cette situation était facilement décelable. Dans pareil cas, ne pas aller plus loin : cela évite de faire monter les prix et de perdre son temps.
Ensuite, concernant le prix de transaction, il est probable que le prix payé pour acheter un bien sera au mieux celui du marché, au pire supérieur à celui-ci (voire très supérieur). D’une part parce que le vendeur sait pertinemment que l’acquisition porte sur un bien destiné "au loisir" (typiquement entre 0,5 et 2 ha, pour y installer une habitation légère, faire un coin de pêche, ou installer un cheval) ou sur un bien exploité par - ou qui sera donné à exploité à - un tiers, faisant donc l’objet d’un "investissement". Dans un cas l’acheteur passe pour un "citadin" en mal de campagne, dans l’autre pour un riche "apporteur de capitaux" ; cette image est certes assez caricaturale (elle ne colle pas à ce que j’ai l’impression d’être), mais un "non-agriculteur" désireux d’acheter du foncier agricole doit en prendre conscience.
Pour finir, si un non-agriculteur apporteur de capitaux achète une terre libre (non louée) pour la mettre en location, il la paiera plus cher qu’une terre non libre (décotée par exemple de 20 % ; http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/ … bsva.pdf). Mais, n’ayant pas le statut d’agriculteur, il ne pourra jamais récupérer la terre pour l’exploiter lui-même et donc la revendre "libre" (c’est à dire sans fermier dessus). Dans pareille situation, il y a peu de chance qu’il puisse éviter une décote lors de la revente. D’où l’intérêt d’acheter dès le départ des terres occupées. Mais si les terres sont occupées et qu’un non-agriculteur arrive à les acheter, c’est que fermier ne l’a pas fait. Il est primordial de se demander pourquoi la transaction a pu aboutir (ou pourrait aboutir, car il vaut mieux se poser la question avant d’acheter…), alors que le système est pourtant là pour favoriser le fermier ou un autre voisin agriculteur…
(2) Le fait "d’acquérir" un bien en direct a aussi son importance : c’est un acte volontaire et déterminé, qui se paye. Il est d’autant plus déterminé, qu’il est difficile d’arriver à ses fins, à savoir trouver un bien de qualité et/ou qui procure un rendement financier intéressant quoique modeste. Dans bien des cas les terres s’héritent et leur propriétaire ne débourse rien pour les posséder. Pour un agriculteur qui n’hérite pas de terres, leur acquisition se fait généralement à crédit, par nécessité. Jusqu’il y a peu, l’achat à crédit était peu intéressant pour un non-agriculteur. Désormais, avec des taux compris entre 2 et 3 % pour une durée de 15 ans, faire un prêt n’est pas forcément une hérésie. Dans certaines régions françaises (par exemple Pays de la Loire ou Bourgogne ; voir carte ci-dessous), les loyers procurent un rendement brut (avant taxes et impôts) pouvant être supérieur à 5 % (3% en moyenne). A titre d’exemple, j’ai acquis un ensemble d’une dizaine d’ha dans l’ouest de la France ayant un rendement brut théorique de 5 % et un autre d’une vingtaine d’ha dans le centre-est ayant un rendement brut théorique de 7 % (avec toutefois quelques risques d’impayés dans ce cas précis ; il s’agit d’un problème assez répandu dans le monde agricole).
Pourquoi avoir commencé cette file avec un tableau a priori si sombre, en insistant sur les embûches à l’achat, les rentabilités finalement très modestes et le risque d’être "scotché" avec le bien pendant des années, coincé entre impayés potentiels et impossibilité de revendre à un bon prix ? Parce que je pense que la terre agricole est un actif particulier qu’il n’est pas pertinent de vouloir absolument "monétiser" (au sens "valorisation financière" et "rentabilité"). Posséder quelques dizaines d’hectares, c’est asseoir son patrimoine sur un actif tangible, dont la quantité est finie. L’avenir est toujours incertain, celui de dans 30 ans (c’est-à-dire celui que vivront pleinement mes enfants actuellement en bas âge) davantage que celui de dans 10 ans. C’est un truisme, mais dans ce contexte, peu m’importe que cet actif puisse alors valoir 50, 100 ou 200 k€ (je ne serais pas mécontent qu’il vaille 200) ; l’essentiel est de savoir - maintenant - que moi ou mes enfants serons encore propriétaires - dans 30 ans - de cet actif. A la rigueur, peu m’importe la rentabilité financière d’ici là (encore qu’elle a des chances d’être supérieure à celle de l’immobilier parisien au cours de la prochaine décennie). Compte tenu du prix bas des terres françaises par rapport à la moyenne européenne (voir graphique ci-dessous), je pense toutefois que leur valeur progressera (1 à 2 % par an au cours de la dernière décennie, tout comme l’indice des fermage ; quand même pas si mal). Au final, acquérir des terres est la meilleure façon que j’ai trouvée de sécuriser mon patrimoine : pas plus de 30%, mais pas moins de 20%…
Bien évidemment, tout ceci est aussi une histoire de goût, de métier, de lien avec l’agriculture, la campagne. Certes, pas de quoi devenir rentier ; mais ça n’est pas l’objectif.
Evolution du prix moyen des terres agricoles en Europe au cours de la dernière décennie.
Rentabilité moyenne des terres affermées en France en fonction du département.
Pour information, j’ai acquis : la dizaine d’ha dans l’ouest de la France (prés loués) en passant par la SAFER (en tant que particulier apporteur de capitaux), et la vingtaine d’ha dans le centre-est (prés loués + terres labourables) en deux fois, en achetant à des particuliers âgés, lassés de devoir entretenir des rapports difficiles avec le fermier, qui n’avait par ailleurs pas les moyens d’acheter (donc risques d’impayés, compte tenu de sa situation financière…).
Dernière modification par fredagro (15/11/2014 22h23)
Mots-clés : agriculteur, fermage, fermier, foncier agricole, prairie, terres
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